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HISTOIRE

DU RÈGNE
RÈGNE DE HENRI IV

LIVRE VIII.

POLITIQUE ET RELATIONS EXTÉRIEURES DE HENRI IV. NÉGOCIATIONS ET ALLIANCES DE 1600 A 1610. GRAND DESSEIN DE HENRI IV. COALITION FORMÉE CONTRE LES DEUX BRANCHES DE LA MAISON D'AUTRICHE: PUISSANT ARMEMENT DE LA FRANCE et d'une partie de l'Europe. mort du roi.

CHAPITRE Ier.

Exposé général de la politique de Henri IV au dehors. Opinion d'un récent publiciste sur ce que se proposait en définitive cette politique, dans ce qui touchait à l'état des religions en Europe. Refutation de cette opinion.

La politique extérieure de Henri IV, durant la seconde moitié de son règne, s'attacha, s'appliqua à deux grands objets d'une part, à la création d'un système d'équilibre de forces qui donnât de nouvelles garanties à l'indépendance de la France et des autres puissances de l'Europe; d'une autre, à l'état respectif et aux conditions d'existence des religions dans ces mêmes pays. Dès la première publication de cette histoire, à la fin de 1856, nous croyons avoir décrit avec exactitude, fixé avec précision les deux caractères de cette politique, tant en ce qui concerne le système d'équilibre, les rapports internationaux, qu'en ce qui touche aux intérêts religieux.

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LIV. VIII. CH. I. EXAMEN DE LA POLITIQUE

Depuis lors, le caractère de cette politique, en ce qui concerne les religions, a été considéré et présenté à un autre point de vue que le nôtre. Nous persistons dans notre première appréciation. La question va être examinée de nouveau le public, saisi du débat, décidera de quel côté est la vérité. Si l'histoire ne doit pas être perpétuellement critique, elle doit l'être à son jour, à son heure, quand il s'agit de raffermir sur leur base la vérité, et des principes si importants qu'ils sont devenus aujourd'hui la loi commune de l'Europe. Avant d'entrer dans la polémique où nous allons nous engager, nous éprouvons le besoin de déclarer deux choses. La première, c'est que la discussion à laquelle nous allons nous livrer ne touche et ne s'applique qu'à un seul passage de l'ouvrage que nous sommes amené à examiner. La seconde, c'est que la dissidence de sentiments où nous nous trouvons avec l'auteur, ne porte aucune atteinte aux éloges qu'une grande autorité a donnés à l'ensemble de l'ouvrage, pour la bonne foi, la sagesse de principes, le talent dont le publiciste a fait preuve.

Dans un livre, spécialement composé sur la politique de Henri IV et publié en 1860, l'on s'est autorisé d'un membre de phrase détaché de ce qui suit, dans un seul passage des Economies royales de Sully, pour prêter au roi un vœu et un projet relativement à l'existence et à la destinée finale des trois principales religions répandues en Europe du temps de ce prince, le catholicisme, le luthéranisme, le calvinisme. L'on a dit :

C'est ici que le témoignage des Economies royales semble le plus décisif, et si l'on se rappelle que Sully était protestant, le plus digne de créance. Dès longtemps, Henri IV avait exprimé le vœu « de rechercher les moyens propres pour l'établissement d'une seule profession de religion dans l'Europe chrestienne. C'ÉTAIT LA LE TERME de son ambition. Nous ne croyons pas que, de nos jours, aucun historien ait relevé cette assertion si considérable de Sully. On s'est

DE HENRI IV EN CE QUI TOUCHE AUX RELIGIONS.

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contenté de signaler le dessein de Henri IV pour la coexistence possible des trois grandes religions, dessein que le roi ne formait que pour arriver à la réalisation de son premier souhait1. »

Le livre a été soumis à l'examen de la plus imposante autorité littéraire de la France, à l'examen de l'Académie française. Son illustre secrétaire perpétuel, parlant nonseulement en son nom, mais au nom de l'Académie, avec la sûreté de jugement et la hauteur de vues qu'il apporte dans toutes les questions qu'il traite, a jugé et condamné l'assertion de l'auteur de la Politique de Henri IV. Voici en quels termes il s'est exprimé dans son rapport:

• M. Mercier de Lacombe, ami sincère des droits civils et religieux, paraît s'être trompé lorsqu'il attribue à la conversion de Henri un zèle de propagande qui aurait changé ses alliances et fait prévaloir exclusivement l'intérêt catholique en Europe. Ce grand homme voulait plus : il voulait établir la paix entre les grands Etats, et la tolérance ou plutôt l'égalité religieuse dans chacun d'eux. Il restait politique dans son changement de religion, mais politique bienfaisant, comme l'attestent ses projets sur l'Orient, et pour l'équilibre durable de l'Europe 2

..

Notre tâche, à nous, sera de démontrer que les témoignages et les faits se réunissent pour repousser et réfuter l'interprétation que le nouveau publiciste donne aux idées et aux projets de Henri IV en ce qui touche aux religions. Nous allons essayer de prouver qu'il se conduisit par des principes entièrement différents de ceux que l'auteur lui prête; qu'il tendit et tendit sans discontinuité à un but

contraire.

Avant d'aborder cet examen, il est nécessaire de dire un mot sur les dispositions et les sentiments de ce prince, et sur l'état religieux de l'Occident. Henri IV, en homme

1 M. Mercier de Lacombe, Henri IV et sa politique, liv. V, ch. 1, pages 408, 409 et la note. Paris, Didier, 1860, in-8°.

* M. Villemain, Rapport sur le Concours de 1861, p. 13.

LIV. VIII. CH. I. EXAMEN DE LA POLITIQUE

à qui rien de ce qui est humain ne reste étranger, et en roi chrétien, est vivement frappé et ému des calamités qui depuis si longtemps désolent l'Europe, et qui ont eu pour cause l'antagonisme des croyances et des religions. En effet, depuis l'origine de la Réforme jusqu'à la fin du XVIe siècle, quatre-vingts ans de guerres religieuses ont ensanglanté l'Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas, la France, sans qu'aucun des trois cultes dominants, le catholicisme, le lutheranisme, le calvinisme, soit parvenu à conserver ou à établir son empire exclusif. C'est cette situation violente qui préoccupe Henri IV, et à laquelle il cherche remède, comme nous l'apprend Sully, dans trois passages que nous allons maintenant étudier. De 1596 à 1598, le roi découvre à Sully ses désirs et ses desseins au sujet de l'état des religions, et voici dans quels termes s'exprime Sully, à la fin de la première partie de ses Economies royales :

Le premier des deux désirs que le Roy avoit dit précédemment ne vouloir dire encore, estoit de disposer tous les potentats de la chrestienté à choisir trois des diverses sortes de religions d'entre plusieurs qui ont cours en icelle, lesquelles paroissent tellement establies, QU'IL EST HORS D'APPARENCE que l'une d'icelles puisse entreprendre la destruction des deux autres, sans se mettre au mesme hazard pour elle mesme, afin d'excogiter après des expédiens convenables et agréables à la majorité des voix d'iceux (potentats) qui puissent estre propres pour les concilier tant équitablement (les religions) qu'elles puissent estre capables de subsister en l'estat auquel elles se trouvent au siècle présent, sans haine, envie, ni guerre les unes contre les autres; comme c'estoit chose qu'il estimoit assez facile, si chascun vouloit bien prendre ses raisons 1..

Au commencement de la seconde partie des Economies royales, Sully revient sur les désirs et desseins de Henri.

1 Sully, Econ. roy., ch. 99, t. I, p. 353 A, § 1, collection Michand, Poujoulat.

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