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DE LA CAPACITÉ JURIDIQUE DES ÉTABLIS. ECCLÉS. 517. motif capital de la mort de Jean n'est plus qu'une addition, et encore une addition incertaine. Le monstrueux empereur aura eu d'autres raisons d'irritation contre le saint, que Cantu ne dit pas ! Voilà de l'histoire!

(A suivre).

A. ONCLAIR.

De la capacité juridique des établissements ecclésiastiques

pour accepter des libéralités.

Le 31 janvier de cette année 1893, la Cour de Cassation a rendu un arrêt qui emprunte aux circonstances une importance considérable et bat en brêche les théories inquiétantes que venaient de formuler, à la suite de la dernière évolution du Conseil d'Etat, quelques récentes décisions judiciaires, et surtout un arrêt de la Cour de Grenoble du 8 avril 1889, aujourd'hui cassé.

Un très grand nombre d'établissements publics civils ou ecclésiastiques, plus particulièrement des fabriques ou des menses épiscopales, ont jusqu'à ces derniéres années reçu de généreux donateurs d'abondantes libéralités à charge d'en consacrer les revenus au soulagement des pauvres ou à l'entretien d'écoles chrétiennes. Dans les textes législatifs rien ne paraissait s'y opposer; l'autorisation gouvernementale, par application de l'article 900 du Code civil, semblait devoir seulement être obtenue, mais une fois qu'elle avait été accordée, nul ne doutait que son effet ne fût définitif et que l'établissement régulièrement institués, ne fût investi de la propriété des biens dont il avait été gratifié tant qu'il exécutait les charges qui lui avaient été imposées par l'auteur de la libéralité.

C'est cette doctrine, si essentielle à la sécurité de la propriété des établissements publics, seule respectueuse des

intentions des donateurs ou testateurs, que la Cour de Grenoble répudiait dans l'arrêt de 1889. D'après cette décision, la capacité des personnes morales doit être rigoureusement restreinte; par suite, à défaut de texte formel leur reconnaissant ce droit, les établissements ecclésiastiques seraient. incapables de recevoir des libéralités destinées, soit à secourir les indigents, soit à fonder les écoles: dans toute clause de ce genre il y aurait une condition illicite, et le décret qui aurait autorisé l'acceptation d'une semblable libé. ralité ne constituant qu'un acte de tutelle administrative ne mettrait pas obstacle à ce que la nullité de la disposition fût ultérieurement invoquée, à toute époque et en tout état. de cause.

A quelles conséquences désastreuses conduirait une semblable théorie,c'est ce qu'il est facile de concevoir. Voici un donateur qui veut assurer la vie d'une œuvre qu'il entend fonder; il s'adresse pour cela à un établissement public qui lui paraît répondre au but qu'il se propose; cet établissement est-il capable de recevoir une libéralité à une telle fin? Tout permet de le croire; aucun texte législatif ne l'interdit. D'ailleurs on sait qu'il ne pourra accepter la donation qu'après y avoir été autorisé par le gouvernement; on est assuré que cette autorisation ne sera point donnée à la légère et que le Conseil d'Etat n'hésitera point à la faire refuser s'il résulte des circonstances que la libéralité ne peut être acceptée en sa teneur sans dénaturer le caractère de l'établissement et le faire dévier de sa destination naturelle. Après un examen minutieux, le gouvernement a autorisé. Le donateur doit être légitimement convaincu que sa volonté sera observée, et que le service pour lequel il s'est dépouillé sera définitivement assuré. Est-il admissible qu'un héritier malhonnête et de mauvaise foi puisse, vingt ans plus tard, invoquer à son profit la nullité d'une disposition dont la régularité n'est même pas contestée?

Serait-il admissible également que l'établissement institué voulant se soustraire aux charges imposées par la libéralité, tout en retenant celle-ci, pût les faire déclarer nulles et non écrites? Les principes les plus élémentaires de l'équité et le respect des conventions semblent répondre

négativement: la Cour de Grenoble avait préféré la solution. affirmative.

Rappelons brièvement les faits qui ont donné lieu au litige sur lequel la Cour de Grenoble et la Cour de Cassation ont été appelées à statuer.

Par un testament olographe du 31 octobre 1866, Mile Garnier avait légué à l'évêque de Grenoble trois maisons d'école fondées par Mme veuve Garnier, dans les communes de Corps, Sérezin et Nivolas, plus des rentes perpétuelles attachées à ces écoles et les sommes réputées nécessaires à l'entretien des locaux, le tout sous la condition expresse que le légataire continuerait à y faire donner l'éducation de l'Eglise catholique aux jeunes filles pauvres de chacune des localités par des religieuses approuvées et choisies par lui.

Un décret en conseil d'Etat du 9 juin 1874, autorisa' l'évêque de Grenoble à accepter ces libéralités aux clauses et conditions imposées.

A partir de la mort de la testatrice, M. F.... auquel incombaient ces charges en sa qualité d'usufruitier de tous les biens laissés par Mlle Garnier, paya régulièrement les rentes jusqu'en 1880 époque de son décès; mais son fils, M. Joseph F... légataire universel chargé par le partage du 9 novembre entre les cohéritiers de l'exécution du legs en suspendit le service et, assigné par Mgr l'évêque de Grenoble devant le Tribunal de Bourgoin, il conclut reconventionnellement à la nullité de la disposition elle-même par application de l'art. 900 C. civil. Un jugement du 14 noyembre 1888 accueillit ces conclusions et débouta de sa demande l'évêque de Grenoble. Sur appel de ce dernier, la Cour de Grenoble, par arrêt du 8 avril 1889, confirmait purement et simplement la sentence des premiers juges en adoptant leurs motifs :

«Attendu qu'il est de doctrine et de jurisprudence que les personnes civiles ne sont capables de recevoir que dans les limites de la mission à elles donnée par les lois qui les ont reconnues et organisées; qu'en effet elles n'ont l'existence légale que dans ces limites, et que leur reconnaître la capacité de recevoir des objets étrangers à leurs attributions, ce ne serait pas seulement méconnaître la raison

même de leur existence, mais encore créer entre ces personnes une confusion absolue au mépris de lois qui les ont soigneusement distinguées en donnant à chacune une destination propre et une sphère d'action spéciale (V. Laurent, Principes du droit, nos 289, 296, 301, 303, et tome II, no 397; Labbé, sous jugement de Dunkerque, 28 mars 1878, S. 79, 2, 237; Cour de Luxembourg, 18 octobre 1885, S. 86, 4, 13; avis du conseil d'Etat, 24 mars, 13 avril 1881);

Attendu que ni l'article 73 de la loi du 18 germinal an X, ni le décret du 6 novembre 1813, n'ont compris explicitement ou implicitement dans les attributions de l'évèché la tenue de maison d'école, l'instruction à donner aux filles pauvres; qu'un tel objet est absolument étranger à la mission légale de l'évêché, et que dès lors la condition. imposée par la testatrice à ses libéralités est une condition illicite ;

.... Que la mission donnée par la testatrice à l'évêque de Grenoble est, dans l'état actuel de la législation, con- . traire aux lois, la condition substantielle du legs est illicite; que conséquemment le legs doit tomber. >>

Mgr l'évêque de Grenoble se pourvut en cassation de cet arrêt à l'encontre duquel il formula le moyen suivant:

<< Violation des art. 900, 910 et 1131 Civ., 1 de la loi du 2 janvier 1817 et 4 de l'ordonnance du 14 janvier 1831 en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de l'exposant en paiement de rentes léguées à l'évêché de Grenoble par la demoiselle Garnier et destinées à l'entretien d'écoles, et cela au mépris des droits irrévocablement acquis à l'évêché de Grenoble sous le prétexte qu'aucun texte de loi n'aurait compris dans les attributions de l'évêché la tenue d'une maison d'école ou d'instruction à donner aux jeunes filles pauvres, alors qu'aucun texte de loi ne prohibe l'acceptation par les établissements ecclésiastiques et notammant par l'évêché de libéralités grevées de charge d'entretenir une fondation scolaire et que la capacité d'accepter de semblables libéralités est uniquement subordonnée à l'autorisation gouvernementale. >>

La question de la capacité des établissements ecclésias

tiques était donc nettement posée. La Chambre rivi'e a accueilli ce pourvoi aux termes d'un arrêt ainsi conçu:

« Sur le moyen unique du pourvoi:

« Vu l'article 900 C. civil:

« Attendu que la loi, sans définir les attributions des évêchés ou menses épiscopales, s'est bornée à placer ces établissements ecclésiastiques sous la tutelle et le contrôle du gouvernement qui les habilite, lorsqu'il y a lieu, à recevoir des libéralités sous les clauses et conditions dont il juge convenable d'autoriser l'acceptation; que sans doute, et malgré l'autorisation administrative, les tribunaux civils peuvent connaître de tous les vices dont la donation ou le legs serait entaché; qu'ils le peuvent notamment dans le cas où la cause de la libéralité serait illicite, mais qu'on ne saurait considérer comme telle, ainsi que l'arrêt attaqué l'a fait à tort, une condition qui n'est contraire à aucune loi;

« Attendu que dans l'espèce un décret du 9 juin 1874 a autorisé l'évêque de Grenoble à accepter pour lui et pour ses successeurs le legs à lui fait par la demoiselle Garnier à charge de pourvoir à l'entretien de diverses écoles primaires dans les termes précisés par le testament; que la Cour d'appel a décidé néanmoins que la condition susdite était illicite par le seul motif que son objet serait en dehors des attributions de la mense et excéderait sa capacité; que par voie de conséquence elle a déclaré que le legs était nul; qu'en statuant ainsi l'arrêt attaqué a faussement appliqué et par suite violé l'art. 900 ci-dessus visé;

« Casse l'arrêt de la Cour de Grenoble du 8 avril 1889. » Deux choses au moins ressortent incontestablement de cet arrêt:

1o La mense épiscopale est capable de recevoir, sauf autorisation du gouvernement, toute espèce de libéralité.

2o Une libéralité ainsi faite ne peut être annulée qu'autant qu'elle est entachée d'un vice dans les termes du droit commun, par exemple au cas où sa cause serait illicite.

L'importance de cet arrêt est évidente. La doctrine qu'il consacre est-elle rigoureusement juridique? Faut-il limiter la solution qu'il donna aux menses épiscopales ou par identité de motifs l'appliquer à tous les établissements ecclésias

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