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DE L'EMPÊCHEMENT AU MARIAGE

POUR CAUSE DE PARENTÉ

I

Nous n'avons pas l'intention d'entreprendre ici la théorie complète des empêchements au mariage, prohibitions édictées soit par la loi naturelle, soit par la loi positive, entraves mises à la liberté des unions au nom de la morale ou de l'ordre public, religieux et civil. Point n'est besoin de justifier l'existence et la raison d'être de ces prohibitions et de ces entraves, limitations apportées par la nature elle-même à l'exercice d'un droit naturel de l'homme; sanctionnées et interprétées par la loi religieuse, au regard de laquelle le mariage est un acte d'institution divine, élevé à la dignité de sacrement par le Christianisme; tionnée et interprétée également par la loi positive civile, l'institution du mariage étant le fondement même et l'assise primordiale de l'édifice social tout entier.

sanc

L'Eglise et l'Etat ont donc un droit égal et parallèle d'interprétation qu'ils exercent chacun en leur sphère. Il n'en a pas été toujours ainsi au moyen-âge, l'Etat reconnaissait à l'Eglise compétence exclusive en matière de mariage, et se bornait à sanctionner les prescriptions du droit canonique. Le législateur contemporain a rompu avec les traditions anciennes en sécularisant le mariage et en réglementant de son côté les formes et les conditions. Mais ce dualisme conforme aux idées modernes, qui ont posé en principe l'indépendance réciproque et la distinction absolue des deux pouvoirs, ce dualisme aboutit forcément à des divergences d'interprétation et à l'établissement de règles différentes sur certains points où l'ordre religieux et l'ordre public se trouvent également intéressés. Nulle part ce dualisme n'entraîne des conséquences plus importantes et ne se manifeste d'une façon plus tranchée qu'à l'occasion des empê

chements pour cause de parenté et d'alliance, qui feront l'objet particulier de cette étude. Nulle part l'évolution historique n'a été plus complète et plus caractéristique et n'a eu une influence plus prépondérante sur la constitution de la famille et l'organisation sociale. Nulle part un intérêt pratique plus considérable ne s'attache aux conflits qui peuvent naître de la coexistence de la loi religieuse et du droit séculier. Car le droit canonique est toujours en vigueur, encore qu'au point de vue du mariage civil il n'ait plus force de loi en France; et les catholiques français, pour contracter un mariage valable, doivent observer simultanément les prescriptions du droit-canon et celles du Code civil.

L'empêchement de parenté a son origine dans la nature et dans la raison même des choses. Mais si la source, le principe de l'empêchement est de droit naturel et divin, si son application en ligne directe a toujours été incontestée, la nature n'a point marqué les limites dans lesquelles devait s'étendre son pouvoir de rayonnement, son action oblique, en matière de parenté collatérale ou d'alliance. Ce sont les lois positives qui ont délimité son champ d'application en l'interprétant d'une façon plus ou moins large suivant les lieux et les époques.

Aussi, après avoir étudié le fondement logique, le principe de l'empêchement de parenté, nous aurons à en suivre à travers les âges l'évolution historique, à rechercher les conséquences qu'en ont déduites et les interprétations extensives qu'en ont formulées les lois positives civiles et canoniques, et la sanction qu'elles y ont attachée. Nous nous demanderons enfin si ces prohibitions ne peuvent pas comporter des atténuations exceptionnelles, et si les conflits sont insolubles, qui se produisent par suite de la divergence des législations.

II

Les prohibitions de mariage à raison de la parenté ou de l'affinité, viennent tantôt du droit naturel ou du droit divin, tantôt de la loi positive, qui les en a déduites par voie

d'extension. Mais fort délicate est parfois la question de savoir où s'arrête en cette matière le droit naturel et où commence le droit positif, question qui présente grand intérêt au point de vue de l'obtention des dispenses qui permettent en certains cas de remédier à l'empêchement.

L'empêchement de parenté est fondé sur les liens du sang. Et ici, nous devons rappeler quelques notions générales sur la parenté, indispensables pour l'intelligence de ce qui va suivre.

La parenté est le lien qui unit les individus qui descendent les uns des autres, ou descendent d'un auteur commun. Entre ascendants et descendants, il y a un rapport direct de filiation, il y a parenté directe.

La parenté est collatérale entre personnes qui, sans descendre les unes des autres, descendent d'un auteur commun. La parenté collatérale la plus proche est celle entre frères et sœurs dont l'auteur commun est le père; et le lien de parenté sera d'autant plus faible que l'on s'éloignera davantage de l'auteur commun.

La parenté sera paternelle ou maternelle, suivant que l'auteur commun appartiendra à la ligne du père ou à celle de la mère; d'aucurs, comme les frères germains, seront parents des deux côtés à la fois: questions d'une importance capitale dans notre ancien droit en matière de dévolution héréditaire, et qui dans notre régime actuel des successions présentent encore un puissant intérêt.

Au point de vue du droit naturel, il est évident que la parenté directe doit être considérée comme un empêchement absolu au mariage. C'est là un axiome physiologique et philosophique pour lequel toute démonstration est superflue, et une règle que nous retrouvons mise en pratique chez tous les peuples, quel que soit leur degré de civilisation.

Mais si en ligne directe, et quel que soit le nombre des générations intermédiaires, la parenté est indéfiniment un obstacle au mariage, il en est forcément autrement en ligne collatérale, et l'on pourrait même se demander si la parenté collatérale duit jamais être regardée comme un empêchement de droit naturel; si la physiologie ne venait

démontrer les conséquences pernicieuses des unions entre proches parents.

A vrai dire pourtant, la question n'a jamais été sérieusement discutée quant aux mariages entre frères et sœurs, encore que, chez les Egyptiens et diverses autres nations orientales, les mœurs aient jadis autorisé ces unions, qui à l'origine de l'humanité durent se produire d'une façon nécessaire. Mais les Grecs et les Romains tinrent toujours de semblables mariages pour contraires au droit et à la nature, et encore que l'on retrouve dans leur théogonie, par eux empruntée aux peuples de l'Orient, des traces de la conception primitive, ils ne voulurent jamais reconnaître parmi les hommes une licence qu'ils admettaient parmi leurs dieux.

D'ailleurs, à mesure que la civilisation progressait et que s'accroissait le nombre des tamilles, la conception du ma. riage devait s'épurer et grandir, et l'empêchement de parenté s'étendre et se fortifier chez des peuples qui réprimaient sévèrement l'inceste et proscrivaient la polygamie.

La notion de l'inceste fut même étendue à des rapports de famille qui n'avaient pas la parenté naturelle pour base, mais que leur analogie avec elle firent tenir pour nne parenté artificielle entraînant les mêmes prohibitions. Nous voulons parler de l'affinité résultant de l'alliance, ce rapport de quasi-filiation, créé par le mariage, entre un époux et les parents de son conjoint. Il en fut de même pour l'adoption romaine, parenté fictive qui créait un lien de filiation légale entre l'adoptant et l'adopté. Certaines des raisons de prohibition applicables à la parenté naturelle ne se retrouvaient pas, il est vrai, dans ces parentés artificielles ; aussi l'empêchement qui en résultait n'avait pas la même énergie ni la même étendue; mais d'autres motifs demeuraient qui gardaient toute leur force en présence des quasiparentés légales, et qui justifient amplement l'extension. de la prohibition.

Spéciale, par exemple, à la parenté naturelle est la raison physiologique qui prohibe les unions entre individus issus du même sang, comme opposées aux lois de la nature humaine, et a pour sanction terrible l'abâtardissement pré

coce, la dégénérescence et la stérilité des races qui violent cette loi de nature.

Mais à l'alliance comme à la parenté s'applique le motif tiré de la décence publique et de la morale, qui serait gravement offensée par l'union d'individus qui vivent ensemble comme père et enfant, ou comme enfants d'un même père, sans parler des désordres que provoquerait fatalement la possibilité d'un mariage ultérieur entre des êtres que la communauté de leur vie rapproche à tous les instants. « L'horreur de l'inceste du frère et de la sœur et des alliés au même degré, disait Portalis, dérive du principe de l'honnêteté publique. La famille est le sanctuaire des mœurs; c'est là où l'on doit éviter avec soin tout ce qui peut les corrompre. L'espérance du mariage entre des êtres qui vivent sous le même toit, et qui sont déjà invités par tant de motifs à se rapprocher et à s'unir, pourrait allumer des désirs criminels, et entrainer des désordres qui souilleraient la maison paternelle, en banniraient l'innocence, et poursuivraient ainsi la vertu jusque dans son dernier asile (1). »

A ces arguments, formulés dans le style ampoulé de son époque, Portalis aurait pu ajouter la raison sociale qu'invoquait déjà saint Augustin: l'extension de l'empêchement de parenté favorise le mélange des races et tend à fondre dans l'unité nationale les familles qui sans cela constituraient des groupes particularistes et isolés. Nous aurons l'occasion de voir comment l'Eglise, par ses réglementations sévères en cette matière, contribua puissamment à la fusion en une nation homogène de ces éléments hétéroclites barbares et gallo-romains, d'où la nation française devait un jour sortir.

En résumé, les empêchements au mariage qui dérivent de la parenté peuvent être ramenés à trois sources, formant pour ainsi dire trois cercles concentriques :

Le droit naturel d'abord, fort limitatif en lui-même, au

(1) Locré, Esprit du C. civ., III, p. 161.

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