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et renvoyer ses obsèques après les fêtes de la capitale. Mais l'opinion publique et les officiers russes n'ont point accepté cet escamotage. L'amiral Avellan a déclaré que les officiers russes voulaient assister aux obsèques du duc de Magenta et que si elles étaient renvoyées,ils attendraient. Il a fallu obéir à ces grandes voix de l'honneur, et le 22 octobre ont eu lieu à Paris les funérailles nationales du vieux soldat, ce type de l'honnenr militaire, cette gloire de l'armée française.

L'amiral Avellan et ses officiers ont voulu rendre les derniers devoirs à celui qui avait été l'adversaire de la Russie. Les cérémonies, à Montcresson et à Paris, ont été d'une grande beauté. On a pu voir la différence que fait l'opinion publique entre le maréchal, qui avait été président de la République,et M. Grévy qui l'a remplacé en 1879.

Nous ne voulons point ici, parler du rôle politique du maréchal, rôle qu'il n'a accepté que malgré lui et qu'il a rejeté par dégoût. Les plus braves soldats sont rarement des hommes d'Etat, même des hommes politiques. Nous ne voyons à cette heure que le glorieux soldat dont la France est fière et qui a été véritablement un héros. Nous rappellerons seulement que ce grand soldat français, devenu chef de l'Etat, et qui a gouverné la France de 1873 à 1879, est descendu du pouvoir par un acte spontané de sa volonté, et après avoir laissé une bonne partie de sa fortune dans ces fonctions où d'autres ont amassé de scandaleux millions. Mac-Mahon fut un homme d'honneur et un modèle pour l'armée. Il avait, à 85 ans, gardé la pleine possession de ses brillantés facultés. Les regrets unanimes qu'on a exprimés partout révélent que le maréchal était aimé autant que respecté.

Il faut rendre un hommage mérité à la population parisienne pour l'attitude qu'elle a gardée le 22 octobre. Après l'excitation des journées précédentes on pouvait craindre des incorrections et des éclats peu mesurés. Il n'en a rien été Cette foule, avec un tact parfait, a conservé l'attitude la plus respectueuse. On a pu comparer les grandes funérailles si chrétiennes, si françaises, du duc de Magenta, aux scandaleuses foires de l'enfouissement de Victor-Hugo ou de Gambetta.

Une oraison funèbre des plus belles, des plus touchantes, a été prononcée le jour de ses obsèques, à Montcresson, par M. l'abbé Auvray, curé de cette paroisse, témoin, depuis de longues années, de cette vie d'honneur. En lisant ce simple discours qui a fait pleurer l'assistance, on voit que la plus puissante éloquence est toujours celle du cœur et de la foi.

Le couronnement des fêtes a été la dépêche du Czar à M. Carnot, qui a justement causé une vive impression dans le monde politique.

Tout a concouru fort heureusement à démontrer ce fait que l'événement a été une fête patriotique et nationale, et non point la fête d'un parti politique. Le gouvernement a comme disparu derrière la solennelle manifestation toute française et catholique qui a éclaté, je ne veux pas dire malgré lui, mais à côté de lui.

Comparez ces fêtes à toutes les fêtes républicaines, au 14 juillet par exemple ! D'un côté, vous voyez toujours la sanglante insurrection qui suit un complot infernal, avec son hideux cortège de têtes coupées et de guillotines en permanence. De l'autre, vous voyez deux grands peuples qui unissent solennellement leurs mains et leurs forces, sous l'œil de Dien et implorent la protection céleste pour assurer à deux nations et à l'Europe entiére les bienfaits de la paix et de la sécurité. Nous devons, il faut le dire hautement, une grande reconnaissance à la Russie et au clergé français, à nos Evêques et à tous nos prêtres, qui ont su, comme par une entente intime, donner à ce grand fait son véritable caractère et toute sa portée. Les Russes craignaient,dit-on, de n'avoir en France que la sympathie des maîtres du jour et des foules plus ou moins inconscientes qui suivent tous les courants. Ils ont pu voir que l'essence même de la nation, les catholiques, les classes intelligentes, aisées, conservatrices, sont leurs alliés et leurs amis avec un entrain et une sincérité qui éclataient a tous les yeux.

L'arrivée des grands ducs à Paris, après le séjour des of ficiers Russes, est un fait très significatif qu'il importe de remarquer. C'est une conclusion évidente.

Nous avons eu, par l'éclat et l'universalité des fêtes, la preuve directe que c'est la France entière qui s'unit à la Russie. Nous en avons une autre preuve a contrario.

A côté de l'élan, de l'enthousiasme de toutes les classes de la population, on a vu une coterie d'hommes qui s'est abstenue de toute manifestation, qui est restée loin de la fête et qui n'a pas caché son abstention et son hostilité. Cette coterie, c'est la secte franc-maçonnique. Tous les monuments publics, les établissements privés, les maisons particulières, les Eglises, les Palais épiscopaux, les presbytères étaient pavoisés et illuminés. Les Loges, les Temples maçonniques sont restés sombres et sans drapeau. La rue Cadet a donné le mot d'ordre et l'exemple. Partout les Loges ont boudé. Pourquoi? parce qu'elles n'aiment pas une monarchie qui se met à l'abri de la juiverie et des sociétés secrètes et ne craint pas d'invoquer hautement le Dieu créateur et son Christ. La secte s'entend à merveille avec l'Italie révolutionnaire, avec la Prusse ou l'Allemagne, avec l'Angleterre. Elle déteste la Russie. Or, la secte est à la France ce que le vautour est à sa proie.

Voilà un fait que la presse n'a pas fait assez ressortir et qui est essentiel. Accolez à ce fait les efforts de nos gouvernants pour écarter le clergé et les catholiques de toute participation aux fêtes: vous aurez une photographie de ce qui se passe à cette heure. La Juiverie et la Franc-Maçonnerie, ce qui est tout un, ne sont pas contentes et se sont senties atteintes par l'évènement.

Quelle force aurait à ce moment un gouvernement intelligent et vraiment français.

Nous voulons, en rapportant ce grand et national évènement de l'alliance franco-russe, faire connaître une situation généralement mal connue. Pour cela, nous reproduisons quelques lignes d'un important article de la Révue Bénédic

tine de Maredsous (Belgique) intitulé: La secte et l'union des Eglises (octobre 1893, p. 468).

Nous engageons tous nos amis à lire attentivement ces lignes:

« Un grave obstacle à l'Union tant désirée, nous dit-on souvent, c'est l'attitude de la Russie. Jamais la Russie ne la permettra, s'écrie-t-on, et là-dessus, on court sus à la Russie, on la taxe de barbarie, de tyrannie, on l'accuse d'être l'ennemie la plus acharnée du nom chrétien.

« Disons pfutôt que la Russie est un pays très peu connu, et écoutons ce qu'en dit un dominicain qui vient de la vi siter en détail, au point de vue religieux, sur l'invitation expresse du gouvernement russe, le R. P. Vannutelli, de Rome, cousin des deux cardinaux de ce nom. « Vous ne sauriez croire, m'écrivait-il dernièrement, combien j'espère pour la Russie et sur quels motifs se basent mes espérances. Si je ne craignais de compromettre ce que nous faisons en Russie, je vous ferais savoir des choses auxquelles on n'oserait presque pas croire. Je puis seulement vous dire que nous avons réussi à soulever sérieusement la question religieuse, et dans les journaux russes et surtout dans les écoles ecclésiastiques de Russie. » Le P. Vannutelli a écrit un livre très intéressant sur la Russie (1). Il est vrai que l'on a vivement attaqué cet ouvrage dans les journaux polonais; mais il faut savoir distinguer dans cette épineuse question polonaise, la religion de la politique. Voici, du reste, ce que m'écrit le P. Vannutelli, au sujet de ces attaques: « Il ne faut pas s'étonner de ce qui a été écrit en Pologne contre moi. C'est bien fâcheux pour les Polonais; sans s'en douter, ils se font un tort énorme à eux-mêmes et ils font un grand tort à la cause catholique par leurs exorbitances et extravagances. S'ils méritent toute sympathie et compassion pour ce qu'ils souffrent, on ne peut pas approuver tout ce qu'ils font au nom de la Religion Catholique, qu'ils compromettent souvent d'une manière déplorable. Par mon livre sur la

(1) Poggia, Studio religioso sopra la Russia. Rome, Propagande, 1892, 2 vol. in-12.

Russie je leur avais fourni une arme contre la persécution qu'ils supportent, et voilà qu'ils l'ont tournée contre leurs intérêts. »

Voici le résumé de ce que M. Loth publie sur cette question si intéressante dans la Vérité :

« Le système politico-religieux de la Russie n'est pas incompatible avec un retour de l'unité. Il n'y a pas d'autre juridiction dans l'Eglise grecque que celle du patriarche de Constantinople, qui a été communiquée au patriarche de Moscou, et par lui au Saint-Synode. Le Czar n'est point le chef spirituel de l'Eglise russe. S'il y exerce une autorité souveraine de fait, en droit, il n'en possède aucune. Son représentant an Saint-Synode n'y a que le caractère de commissaire civil près le Conseil des évêques. Rien n'empêcherait de mettre le fait d'accord avec le droit.

.

<< Il suffirait, aujourd'hui, de la bonne volonté de l'Empereur, pour que le retour de la Russie, et celui des autres églises dissidentes avec elle, à l'unité catholique s'effectuât de lui-même, selon les conditions toujours subsistantes de l'accord qui eut lieu au Concile de Florence, avec la reconnaissance des privilèges de leurs patriarches et de leurs rites religieux.

« Du reste, l'Eglise gréco-russe retrouverait dans sa tradition et les écrits de ses docteurs les témoignages d'une croyance en la suprématie du Pape en tout conforme à la définition du Concile du Vatican. La Russie, en particulier, retrouverait dans les souvenirs de son métropolitain, Isidore de Kiew, qui souscrivit au Concile de Florence et devint cardinal de la sainte Eglise romaine, l'exemple de la soumission au Saint-Siège; elle retrouverait dans les documents de la négociation du célèbre Père Possevin avec son premier czar Ivan IV des précédents pour un nouvel arrangement avec Rome.

« Où est donc, en dehors du préjugé et de l'ignorance, l'obstacle invincible à la réunion de l'Eglise gréco-russe à l'Eglise romaine?

«Est-ce que cette réunion ne semble pas se préparer providentiellement?

<< Deux grands évènements auront marqué cette année:

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