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SENATS ET CRAMBRES HAUTES, par Henri Desplaces, t vol. in-8°, 625 p., chez Hachette, boulevard Saint-Germain, 79, 1893.

Dans cette étude, l'auteur, pour traiter et résoudre la question des deux Chambres, veut s'attacher, moins à l'organisation, aux attributions de la Chambre haute, qu'au problème de la composition de cette Chambre. Pour cela, il passe en revue tous les pays du monde et expose les systèmes divers des Sénats ou Chambres hautes que les peuples se sont donnés.

Il divise les peuples en pays fédératifs et pays unitaires; ensuite il étudie les divers systèmes qu'on a pratiqués en France à toutes les époques. Enfin, il conclut.

Nous ne connaissons pas d'ouvrage aussi complet sur ce sujet. L'exposé des divers systèmes en usage dans le monde est, à lui seul, un travail remarquable et vraiment précieux. L'histoire des Chambres hautes en France est aussi une œuvre bien réussie, un résumé concis et complet de leur rôle politique.

Les conclusions me semblent la partie la moins nette, la moins claire de l'ouvrage. L'auteur déclare que le principe de la souveraineté territoriale n'est plus applicable; il croit que toute idée de fédéralisme est impopulaire et que toute décentralisation provinciale est impossible. Nous ne partageons pas cette dernière opinion. Il ajoute qu'un courant irrésistible emporte les masses vers l'intervention de l'Etat. Nous ne nions pas les efforts du césarisme et du socialisme d'Etat. Mais nous croyons qu'il faut les combattre au lieu de leur céder. L'auteur voit s'élever la puissance des chambres syndicales, mais il ne sait pas quel rôle elles pourront jouer. Il s'arrête à l'idée de la souveraineté personnelle, d'une aristocratie de l'intelligence, et, comme système électif, à l'essai d'une représentation proportionnelle des minorités. Mais tout cela est vague et manque de toute précision. Il nous semble que pour couronner son étude historique et statistique, l'auteur aurait pu formuler un système précis de constitution d'une Chambre haute. Il a tout ce qu'il faut pour cela. M. le Comte de Paris l'a fait dans une Déclaration de 1887, et son projet, qu'on peut discuter, est d'une valeur incontestable, parce qu'il est précis et suffisamment clair. M. Desplaces aurait certainement ajouté beaucoup à l'intérêt de son ouvrage en proposant, d'après les données de son étude, un système clairement exposé et qui aurait provoqué d'utiles et fécondes discussions.

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DES

INSTITUTIONS ET DU DROIT

(21TM Année.)

LA PARTICIPATION AUX BÉNÉFICES

Le 22 mai 1891, M. Guillemet et 90 de ses collègues ont déposé à la Chambre des députés une proposition de loi ayant pour titre la participation aux bénéfices dans les entreprises et les concessions de l'Etat, avec un exposé des motifs qui débute ainsi : « La participation aux bénéfices, voilà le nœud de la question sociale; sur ce point, nous sommes tous du même avis. >>

La commission chargée de l'examen de cette proposition de loi a pris, je le reconnais, le temps de la réflexion. Elle n'a arrêté les termes principaux de son rapport qu'au commencement du mois de mai 1893. Elle a décidé de présenter à la Chambre le projet de résolution suivant :

« L'Etat devra organiser la participation aux bénéfices dans tous ceux de ses établissements où cela sera possible.

<< Il devra se réserver la faculté, dans les cahiers des charges des concessionnaires des mines et des chemins de fer, de rendre la participation obligatoire à partir d'un certain chiffre de bénéfices (1). »

(1) La question de l'obligation s'est également présentée au sein de la commission de la Chambre des députés, dans la discussion du projet de loi sur les sociétés coopératives. Cette commission, reproduisant à peu près le texte du projet de loi du Sénat, a établi la participation obligatoire pour les sociétés qui veulent bénéficier des immunités fiscales créées par le projet. M. Yves Guyot a soutenu vainement que ces sociétés devaient avoir la faculté d'admettre ou non à la participation les ouvriers auxiliaires non sociétaires. Tout en com

21 ANN. 2. SEM. 2o LIV. AOUT 1893.

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Je m'empresse d'ajouter que la résolution proposée n'est pas fort compromettante, pour le moment du moins. Elle n'engage l'Etat que dans un avenir indéterminé et le laisse juge de la question de possibilité. On ne saurait être plus prudent, ni plus opportun. Enfin, elle ne fixe pas le chiffre à partir duquel la participation deviendra obligatoire. C'est une simple manifestation qui, à elle seule, nous révélerait l'approche de la période électorale.

Il y avait autrefois, dans les banquets de l'Angleterre saxonne, un homme de joie, gleeman, qui faisait des culbutes pour distraire la galerie. Plus graves et plus respectueux d'eux-mêmes, nos représentants font des résolutions pour obtenir crédit du peuple, à la veille du scrutin. Mais j'ai tort, car M. Guillemet affirme que rien n'est plus sérieux.

La proposition n'est pas du reste nouvelle. En 1888, M. Ch. Floquet, alors ministre, voulut inaugurer l'ère des réformes, des grandes réformes démocratiques, et changer les bases du vieil édifice social. Entr'autres mesures rêvées par

battant son amendement, M. Laroche-Joubert s'est déclaré l'adversaire de la particpation obligatoire, parce que, selon Jui, la distribution d'une quotité de bénéfices ne saurait être fructueuse que dans un milieu où l'on comprend bien les avantages du principe d'association et de l'esprit de solidarité. Mais il a ajouté que cette intelligence existe dans les sociétés ouvrières de production. On a seulement discuté le quantum des bénéfices a distribuer. M. Laroche-Joubert a exprimé le vœu que la fixation de ce quantum fût laissée aux statuts. Ainsi, dit-il, à la papeterie cooperative d'Angoulême, le travail reçoit 64 010 des bénéfices. Pourquoi? Parce que, dans cette industrie spéciale, la matière première est de faible valeur et qu'au contraire la main d'œuvre en a une fort considérable. Mais dans d'autres industries, celle de la soie par exemple, les salaires n'augmentent pas beaucoup le prix de l'objet manufacturé. En conséquence, la part de bénéfices à attribuer aux ouvriers doit être moindre. La commission a repoussé son vœu. Elle a fixé à 50 010 la quotité des benefices nets à répartir, pour maintenir en pratique le principe de l'obligation. Le capital est par la complètement sacrifié au travail, quoiqu'il ait le plus souvent une part plus importante que celui-ci dans la production des profits. Il faut toutefois reconnaitre que cette fixation de quotité n'empêche pas les statuts de la societe de déterminer comme ils l'entendent les prelèvements à opérer sur les salaires. Il faut ajouter de plus que la participation aux bénéfices se justifie mieux dans les sociétes cooperatives que partout ailleurs.

lui, et comprises dans le projet qu'il déposa sur le bureau de la Chambre, figurait déjà la participation aux bénéfices, celle qui est proportionnelle aux profits réels résultant, pour le fabricant ou le commerçant, de l'inventaire annuel. Non seulement M. Floquet admettait cette participation, mais il voulait que les ouvriers eussent un droit de contrôle sur les bénéfices dont une quote-part leur était promise, et son projet de loi les autorisait à faire désigner par les tribunaux un expert chargé de vérifier la concordance des chiffres produits par le patron avec les livres de commerce pour la répartition des profits. Un peu plus, il aurait demandé que cet expert fût nommé par les participants eux-mêmes. La participation cesse, dès lors, d'être un régime patriarcal et exceptionnel, un mode perfectionné de rémunération, né de l'initiative du patron; elle prend, de par la loi, place dans l'organisation du travail, comme un progrès nécessaire. On veut faire du bon socialisme. »

Qu'est-ce donc, cependant, que ce remède héroïque, réservé pour des temps meilleurs, mais qui doit, de l'aveu commun, guérir le mal social? Aurait-on découvert la solution, jusqu'à ce jour inconnue, de ce grand problème qui s'agite dans le monde moderne, j'entends la paix, l'harmonie entre les patrons et les ouvriers? Toutefois, si cette solution est presque neuve, que sa nouveauté, que ses parrains mêmes ne nous indisposent pas contre elle. En économie comme en politique, ce sont les abus qui sont révolutionnaires, les réformes qui sont conservatrices. La routine est un vice partout, mais elle devient un péril universel, quand elle tue les initiatives et paralyse les innovations réfléchies.

I

J'ouvre le Dictionnaire d'économie politique, de M. Léon Say, et j'y lis que la participation est une libre convention par laquelle un patron, agriculteur, industriel ou commerçant, donne à son ouvrier, en sus du salaire normal, une part dans ses bénéfices sans participation à ses pertes. Retenons cette définition qu'a répétée le Congrès international

de Paris en 1889; elle est précieuse, car, sans que l'on s'en aperçoive, chacun de ses mots, pris isolément, nous fournit une partie de la théorie tout entière.

Je remarque, dès le premier,qu'il s'agit d'un contrat. Sans contrat, c'est-à-dire sans une convention qui lie l'employeur à l'employé (1), il n'y a pas de véritable participation. Un remarquable rapport, publié en 1891 en Angleterre, à la demande du président du Board of trade, par M. J. Lowry Whittle, du Patent-Office, distingue quatre espèces de Profit-Sharing ou de participation aux bénéfices: celle qui revêt la forme d'un don, d'une gratification faite par le chef d'une maison industrielle ou commerciale à ses auxiliaires, dont le travail lui a procuré une bonne année; c'est un boni; celle qui consiste dans le versement d'une part de bénéfice à une caisse de prévoyance ouverte au profit des ouvriers malades ou trop âgés pour continuer leur labeur; celle qui applique une rémunération supplémentaire à la création d'un capital dont l'ouvrier sera co-propriétaire ; enfin celle qui attribue à chaque travailleur, sur les bénéfices nets de l'entreprise, un versement en espèces proportionnel à la part qu'il a prise à la production de l'établissement. N'en déplaise au savant rapporteur, il n'y a de véritable participation que dans le quatrième et dernier cas. En effet, dans les deux premiers, le maître fait une simple. libéralité à laquelle il n'est pas tenu et que l'ouvrier n'a pas le droit d'exiger de lui. C'est, je l'ai déjà dit, une gratification libre, qui honore sa générosité, qui est partout désirable et qu'il faut partout encourager, parce qu'elle améliore la condition de l'employé et le rattache au patron par les liens de la reconnaissance. Mais ce n'est pas une obligation; il n'existe pas de contrat. Quant au troisième cas, à la formation d'un capital qui associe l'ouvrier au patron, il n'est possible d'y voir une participation que dans l'hypothèse où le patron se serait formellement engagé par le contrat de louage d'ouvrage à opérer le versement. Jusque

(1) Employers and employed, disent les Américains pour désigner les patrons et les ouvriers.

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