Page images
PDF
EPUB
[graphic][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

s'évader? Le docteur voulait qu'on différât cette grave opération jusqu'à la dernière extrémité. Il fallut bien enfin se décider à la faire, et le prince ne put s'empêcher de sourire en voyant, au moment où le rasoir remplissait ses fonctions, une sorte de consternation se peindre sur le visage de ses deux confidents.

Dès ce moment, il n'y avait plus à reculer. Le prince allait donc affronter les baionnettes et les balles qui pouvaient le frapper mortellement; car la consigne de Toutes les prisons est de tirer sur le prisonnier qui s'échappe. Une telle fin, du reste, était envisagée sans effroi par le prince et par ses amis. Ne valait-il pas mieux, pour lui, terminer ainsi tout d'un coup sou existence, que de languir indéfiniment sous l'odicuse main des geoliers. Déterminé, dans tous les cas, à vendre chère

ment sa vie, le prisonnier prit avec lui un poignard. Il possédait aussi un talisman, une sorte d'amulette sacrée, dans laquelle il avait foi c'étaient deux lettres, l'une de sa mère, l'autre de l'Empereur, son oncle; jamais il ne se séparait de ces gages précieux. Il allait placer sous son vêtement le petit portefeuille où ils étaient renfermés, lorsqu'il lui vint à la pensée que, si on le fouillait à la frontière, ces papiers pourraient le trabir. Il eut un instant d'hésitation; mais le docteur Conneau, qu'il consultait du regard, ayant paru l'affermir dans sa touchante superstition, le sentiment l'emporta sur les conseils de la prudence. Le prince cacha doue religieusement sur sa poitrine les deux seules reliques qu'il eût alors de la grandeur passée de sa noble famille. La lettre de Napoléon était adressée à la reine llorteuse;

[graphic][merged small][merged small][merged small]

on y lisait ces mots prophétiques : « J'espère, disait-il en parlant de son neveu, qu'il grandira et se rendra digne des destinées qui l'attendent. >>

Cependant les préparatifs de toilette furent promptement terminés. Le prince passa un premier vêtement assez semblable à celui d'un courrier de commerce ou d'un commis voyageur; il couvrit le tout d'une blouse et d'un pantalon dont l'état attestait un long service; un tablier bleu à l'avenant, une perruque à longs cheveux noirs et une mauvaise casquette complétèrent l'accoutrement, et quand il se fut un peu graissé la fi gure et noirci les mains, il ne manqua plus rien à la métamorphose. On touchait au moment de l'action : le prince, maîtrisant ses sentiments, ne faisait paraître aucune émotion; il déjeuna comme de coutume... Le

Paris.Impp. Saga Raçan & Cl, rue d'Erfurth, 4

repas terminé, et ce fut l'affaire de quelques minutes, il chaussa ses sabots, s'arma d'une pipe de terre passablement culottée, et, comme il avait remarqué qu'en allant et venant beaucoup d'ouvriers apportaient ou remportaient des planches, il détacha un des longs rayons de sa bibliothèque, le mit sur son épaule et se disposa à partir avec ce fardeau, derrière lequel se ca cherait tout au moins un côté de son visage.

A sept heures moins un quart, Thélin appela tous les ouvriers qui se trouvaient dans l'escalier et les fit entrer dans la salle à manger où l'un des hommes de la prison, le nommé Laplace, invité comme eux, fut chargé de leur verser à boire : c'était un moyen sûr de se débarrasser de lui. Ces dispositions achevées, Thélin vint avertir le prince qu'il n'y avait pas un instant à

9

poussåt à en venir à un éclaircissement, le prince fei

droite, et la plaça sur l'épaule gauche; mais ces hommes continuant de s'approcher en le considérant d'un air curieux, il crut qu'il allait être découvert; déjà ils semblaient s'apprêter à lui parler, lorsqu'il eut la satisfaction de les entendre s'écrier: Ah! c'est Berthoud! Et ils passèrent sans lui rien dire de plus. Ainsi, le prince dut à une inconcevable méprise d'être enfin hors de ces murs, dans lesquels il avait été enfermé cinq ans et neuf mois.

perdre, et il descendit lui-même l'escalier au bas duquel étaient les deux gardiens Dupin et Issalé, ainsignit d'être fatigué de porter la planche sur l'épaule qu'un ouvrier qui travaillait à la rampe. Il échangea quelques mots avee les premiers qui, sachant qu'il devait aller à Saint-Quentin et lui voyant son paletot sur le bras, lui souhaitèrent un bon voyage. Pour assurer le passage du prince, il fallait au moins distraire l'attention d'un de ces deux gardiens. Thélin, en conséquence, sous prétexte de faire une communication à Issalé, l'attira dans le guichet et se plaça de manière à ce que, pour l'écouter, il fût obligé de tourner le dos à la porte. Au moment où le prince quittait sa chambre, déjà quelques ouvriers sortaient de la salle à manger située à l'autre extrémité du corridor. La rencontre eût été funeste, mais le docteur sut les rappeler à propos et les retenir quelques instants par des questions que lui suggéra sa présence d'esprit, et aucun d'eux ne remarqua le prisonnier, qui descendit lestement l'escalier. Arrivé à la dernière marche, le prince se trouva face à face avec le gardien Dupin, qui recula pour n'être pas atteint par la planche, dont la position lui cachait fort heureusement la figure du prisonnier. Le prince franchit les deux portes du guichet, en passant derrière Issalé, que Thélin faisait causer; puis il s'élança dans la cour. Alors un garçon serrurier, qui était descendu immédiatement après lui et qui le suivait de près, se mit à presser le pas pour lui adresser la parole; mais Thélin, qui s'en aperçut, l'appela, et, sous prétexte de le charger d'une commission, il le fit remonter.

Le prince ne connaissait point la ville de Ham, mais un plan qu'en avait esquissé le docteur Conneau lui servit pour se guider. Il prit par les remparts, le chemin qui devait le conduire à la route de Saint-Quentin, tandis que Thélin allait chercher le cabriolet qu il avait retenu la veille. Le prince n'avait encore rien abandonné de son costume d'ouvrier, et quoiqu'il marchât avec ses sabots et qu'il portàt toujours sa planche, véritable planche de salut, comme il pressait le pas, il était arrivé à une demi-lieue de la ville, avant que Thélin l'eût rejoint. Là, il aperçut une croix de bois qui s'élevait sur la route devant un cimetière. Le prince, sans être bigot, a toujours été religieux, et dans la conjoncture où il se trouvait, sa foi s'exaltant avec une énergie bien naturelle, il se prosterna devant la croix, ce signe sacré de l'émancipation humaine, et remercia du fond de son cœur le maître de toutes choses, qui venait de le conduire, comme par la main, à travers tant de dangers.

Cependant on entend le bruit d'une voiture. C'était Thélin qui amenait le cabriolet. Le prince veut se débarrasser de son accoutrement, mais il aperçoit une autre voiture qui vient de leur côté, allant sans doute comme eux à Saint-Quentin; il continue alors de marcher, et Thélin retient son cheval pour que cette voiture puisse les dépasser. Enfin le prince jette sa planche dans un champ, ses sabots dans un fossé, se débarrasse de la blouse et du pantalon de menuisier, et, commençant un nouveau rôle, celui de cocher, il saisit les rênes et se met à conduire. Presque aussitôt, les deux voyageurs voient déboucher du village de Saint

En passant devant la première sentinelle, le prince laissa involontairement échapper sa pipe qui tomba aux pieds du soldat. Sans se déconcerter, il s'arrêta et se baissa pour la ramasser; le soldat le regarda machinalement en continuant sa promenade monotone. Ce fut presque un miracle que, malgré son déguisement, le prince pût éviter d'être reconnu. A chaque pas il rencontrait des individus parfaitement familiarisés avec son signalement et très-intéressés à le découvrir. A la hauteur de la cantine, il passa tout près de l'officier de garde qui lisait une lettre et plus près encore du garde du génie et de l'entrepreneur des travaux qui, un peu plus loin, étaient occupés à examiner des papiers. Le chemin qu'il était obligé de suivre le conduisit au mi-Sulpice deux gendarmes de llam, qui paraissent accoulieu d'une vingtaine de soldats qui se réchauffaient au soleil, devant le corps de garde; le tambour regarda d'un air moqueur l'homme à la planche que la sentinelle ne parut pas même apercevoir.

Le portier-consigne était sur la porte de sa loge, d'où il dirigeait ses regards vers Thélin, qui, se tenant en arrière, s'efforçait d'attirer l'attention en jouant bruyamment avec Ham, qu'il menait en laisse. Le sergent de planton, posté à côté du dernier guichet, regarda fixement le prince; mais cet examen fut interrompu par un brusque mouvement de la planche, dont l'une des extrémités, pointée sur la figure du soldat qui tenait le verrou, l'obligea lui-même à se ranger. Il ou vrit aussitôt la porte en détournant la tête; le prince sortit et la grille se referma. Thélin alors souhaita le bonjour au portier-consigne et une minute après sortit à son tour.

Entre les deux ponts-levis, le prince vit venir droit à lui, du côté où son visage n'était pas eaché par la planche, deux ouvriers qui, de la distance où ils étaient, le considéraient d'une façon d'autant plus inquiétante, qu'en élevant la voix ils manifestaient leur étonnement de rencontrer en ce lieu un menuisier qui ne fût pas de leur connaissance. Craignant que leur surprise ne les

rir au grand trot. Pendant qu'ils se demandaient si c'était à eux qu'on en voulait et que, dans cette crainte, ils piquaient leur cheval, les deux cavaliers, qui ne songeaient point à les atteindre, prirent derrière eux la route de Péronne.

Les cinq lieues qui séparaient Ham de Saint-Quentin furent franchies rapidement. Thélin, à chaque rencontre, cachait sa figure avec son mouchoir, ce qui ne l'empêcha pas d'être reconnu par plusieurs personnes, et notamment par le président du tribunal de Saint-Quentin, qui se rendait à Ham. Aux approches de la ville, le prince, qui ne voulait pas la traverser, descendit de cabriolet, et gagna à pied, par les promenades, la route de Cambrai, sur laquelle Thelin devait venir le rejoindre avec des chevaux frais qu'il allait prendre à la poste.

Le maitre de poste était sorti; mais sa femme, qui connaissait Thélin, mit le plus grand empressement à faire préparer la voiture et les chevaux qu'il demandait; elle voulait même le retenir à déjeuner; mais comme il se montrait fort pressé de partir, elle n'osa pas insister et le pria seulement d'accepter une trauche de pâté; ce qu'il se garda bien de refuser en songeant à son maître, que le voyage avait nécessairement mis en appétit.

Le prince était depuis longtemps sur la route de Cambrai, et la chaise de poste n'arrivait pas. S'imaginant qu'elle l'avait devancé pendant qu'il traversait les boulevards, il demanda à un voyageur en cabriolet qui paraissait venir de Cambrai s'il ne l'avait pas rencontrée. Ce voyageur, qui lui répondit négativement était, ainsi qu'on l'a su depuis, le procureur du roi de Saint-Quentin. Assis sur le bord du chemin, le prince sentait à chaque minute redoubler son impatience, lorsqu'il se fit à ses côtés un léger bruit : c'était son petit chien Ham, qui avait pris les devants pour lui annoncer la prochaine arrivée de Thélin. Celui-ci, en effet, ne tarda pas à paraître avec la voiture du maitre de poste, attelée de deux bons chevaux. Il avait, bien entendu, laissé son cabriolet et son cheval à Saint-Quentin. Le prince remonta en voiture et le postillon partit au galop.

Dès ce moment, il devenait difficile que le fugitif pût être atteint. Malgré les distances parcourues à pied et le temps perdu, il était à peine neuf heures, et à supposer même qu'on se fût aperçu de la disparition du prince immédiatement après son départ, il aurait toujours fallu aux autorités le temps de se reconnaitre, de fouiller le fort, d'écrire des dépêches et de faire partir des gendarmes dans toutes les directions. Lorsque l'événement fut connu, les premières dépêches ne prirent même pas la route qu'avait suivie le prince, elles furent adressées à Amiens et à Paris. Les voyageurs qui voulaient, en toute hypothèse, gagner de l'avance, excilaient sans cesse leur postillon à presser ses chevaux. Celui-ci, trouvant qu'il brûlait suffisamment le pavé, finit par leur répondre énergiquement : « Eh! vous m'embêtez! »

Au premier relais, pendant qu'on changeait de chevaux, un cavalier en bonnet de police arriva au galop; on le prit pour un gendarme, mais on reconnut que c'était un sous-officier de la garde nationale.

Aucun incident ne survint jusqu'à Valenciennes où, grâce à la puissance des pourboires prodigués aux postillons, on arriva à deux heures. Ce fut là seulement que les passe-ports furent demandés. Thélin montra celui du courrier anglais; le prince n'eut pas besoin d'exhiber le sien.

Le départ du convoi pour Bruxelles ne devait avoir lieu qu'à quatre heures. Le prince, à qui, dans la position où il se trouvait, une attente de deux heures pouvait bien sembler longue, aurait volontiers pris la poste pour gagner la frontiere de Belgique; mais on adoptait si rarement ce mode de voyager depuis l'ouverture du chemin de fer, qu'y recourir, c'eût été peut-être s'exposer à se faire remarquer. Il se décida donc à attendre. Thélin, qui n'était pas sans inquiétude, avait constamment l'œil au guet. Pendant qu'il se tenait en observation, il s'entend tout à coup appeler par son nom, se retourne et reconnaît un gendarme de Ham sous des habits bourgeois. C'était une terrible apparition. Thélin, toutefois, fit bonne contenance et ne laissa rien paraître de son émotion. Tiens! c'est vous, lui dit-il, que faites-vous done ici? Eh mais! répondit le gendarme, je reste à Valenciennes; j'ai quitté la gendarmerie et je suis employé dans le chemin de fer.

Thélin était en partie rassuré. L'ex-gendarme lui ayant demandé des nouvelles de la santé de son maître, il lui répondit de manière à le dérouter complétement, quand même il n'eût pas été ce qu'il disait. Il craignait seulement que cet homme ne reconnût le prince s'il l'apercevait, et on comprend qu'il devait lui tarder de

partir. Enfin le signal est donné; le convoi se met en marche, et bientôt le noble fugitif est sur une terre hospitalière où il a moins à redouter les atteintes de la police française. De Bruxelles, il se rend immédiatement à Ostende où, pour plus de sûreté, il s'embarque pour l'Angleterre.

Le voilà libre! mais l'exil va recommencer pour lui, l'exil avec ses privations et ses souffrances.

CHAPITRE VIII.

[ocr errors]
[ocr errors]

Le docteur Conneau au fort de Ham. - Lettre au général Montholon. Ruse du docteur. Le commandant trompé.L'homme de peine. Le mannequin. Le procès de Pérone.- Antécédents du docteur. La fausse médecine. La condamnation. Le prince en Angleterre. - Négociations. L'entente cordiale. Mort du comte de Saint-Leu. -Son testament. Ses restes transportés en France. Le capitaine Lecomte. Déclaration du prince. - Sa démocratie. La Révolution de février. Ses causes. - LouisPhilippe et la souveraineté du peuple. Les intérêts matériels. La crise. Les bras inoccupés. La calomnie. La France en république. Ce que veut la France. - Le prince Louis-Napoléon et le gouvernement provisoire. - Intrigues dans les bureaux de l'Assemblée. Déclaration rassurante. Le prince élu quatre fois. Sa démission. - Sa réélection dans cinq départements. - Son entrée à l'Assemblée. Son discours. Amendement menaçant. - La justification. La Constitution proclamée. La candidature à la présidence.-Le manifeste. - Les deux jugements. L'élection. La séance d'installation. Le neveu de l'Empereur à l'Elysée national.

[ocr errors]

[ocr errors]
[graphic]

ous avons laissé le docteur Conneau dans la prison de Ham; il aurait pu sortir dès qu'il eut lieu de supposer que le prince avait réussi dans son évasion; mais il lui restait un devoir à remplir, c'était de cacher l'absence du prisonnier le plus longtemps possible, afin d'empêcher les poursuites et les recherches avant qu'il fût en lieu de sûreté. Le docteur aimait mieux s'exposer à la colere du commandant et rester en butte aux sévérités de la loi que de manquer à l'engagement formel qu'il avait pris à ce sujet. Son premier soin fut d'envoyer au commandant une lettre que le prince avait laissée pour le prêtre qui avait coutume de dire la messe au château; il le priait de l'ajourner au lendemain, sous prétexte qu'une indisposition ne lui permettrait pas d'y assister.

Il était environ huit heures et demie lorsque l'homme de peine vint présenter cette lettre au commandant en lui disant que le prince était indisposé et qu'il n'y aurait pas de messe ce jour-là. «- Peu m'importe à moi! répondit le commandant, allez porter la lettre au curé. »>

Le général Montholon n'avait été prévenu de rien; mais le prince avait aussi laissé pour lui une lettre qui lui fut remise après son départ :

« Mon cher général, lui disait-il, croyez que je regrette bien de ne pas avoir été vous serrer la main

124

avant de partir; mais cela m'eût été impossible; mon émotion eût trahi mon secret que je voulais garder.

« J'ai pris des mesures pour que la pension que je vous fais vous soit régulièrement payée. Comme vous pouvez d'avance avoir besoin d'argent, j'ai remis à Conneau 2.000 francs qu'il vous donnera; ce sera les mois de la pension payés jusqu'à la fin de septembre. Je vous écrirai dès que je serai arrivé en lieu de sûreté.

« Adieu, mon cher général, recevez l'assurance de N. » mon amitié.

Le prince avait encore laissé une déclaration ainsi

conçue :

« Je déclare que tout ce que je laisse en partant, dans ma chambre et mon salon, appartient en toute propriété à M. le docteur Conneau, qui pourra en disposer comme bon lui semblera.

« Signé Napoléon-LOUIS BONAPARTE. » Cependant, à neuf heures, le commandant se rendit à l'appartement du prince peur le voir et s'informer de son état. Il repose, lui dit le docteur, qui se tenait sur la défensive, et, si vous n'avez rien de pressé à lui dire, il vaut mieux ne point le déranger.

Le docteur avait disposé dans le lit du prisonnier un mannequin qui représentait parfaitement les formes d'un corps humain. Le commandant, ne soupçonnant rien et croyant apercevoir le prince endormi, se retira. Vers une heure, il revint et trouva tout fermé. Sur l'affirmation du docteur que le prince venait de prendre un bain et un remède et qu'il reposait, il ne voulut pas forcer la consigne et se retira une seconde fois. Seulement, il fit venir l'homme de peine, qui remplissait auprès du prisonnier les fonctions de domesti- Eh bien! lui dit-il, comment va le prince? que. « Et que Il va un peu mieux, répondit l'homme. - A présent, il dort; fait-il? reprit le commandant. tout à l'heure il causait dans son salon avec M. Con

neau. >>

-

Sur ces réponses si précises, le commandant s'imaginait que l'homme de peine avait parlé au prince; mais cet homme, qui était de très-boune foi, ne faisait que répéter ce que lui disait le docteur, et le comman'dant, persuadé que le prince avait été vu par ce domestique, resta toute la journée dans une demi-sécurité suffisante pour endormir ses soupçons. Enfin, sur les sept heures, il appela pour la cinquième ou sixième fois l'homme de peine et lui demanda positivement s'il venait de voir le prince. Mais non, répondit-il, je ne l'ai pas vu depuis ce matin, à six heures.

Cette répouse n'était pas de nature à rassurer le commandant; l'esprit rempli d'inquiétudes, il court à l'appartement du prince, et, d'un air effaré, demande au docteur où il est. « Le prince va un peu mieux, Si le prince est commandaut, répond le docteur. encore souffrant, s'écrie le commandant, cela ne m'empêchera pas de lui parler; il faut que je lui parle. » Le docteur, entrant dans la pièce où le prince était censé reposer, feignit de l'appeler; puis il revint près du commandant et lui fit signe qu'il dormait. Allons, dit le commandant, il ne dormira pas toujours; j'attendrai. » Et il s'assit dans le salon En causant avec le docteur, il lui faisait observer qu'il était bien étrange que Thélin ne fût pas encore rentré, vu que les diligences étaient arrivées. Le docteur trouva une raison toute simple pour expliquer ce retard; Thélin avait un cabriolet. L'heure vint où le tambour battit aux champs, Le commandant se leva en

[ocr errors]
[ocr errors]

disant « Le prince a remué dans son lit; il se réveille. » Le brave officier tendait l'oreille; mais il n'en

tendait pas respirer. «< Eh! laissez-le dormir! s'écria encore le docteur en gardant à peine son sérieux." Mais le commandant s'approcha du lit et trouva.... le mannequin.

- M. le prince est parti? dit-il au docteur. — Oui. A quelle heure? A sept heures du matin. — QuelJe n'en sais les étaient les personnes de garde? rieu.» Après ces paroles échangées, le commandant sortit et rentra dans son cabinet. Sa femme, en apprenant l'évasion du prince, tomba sans connaissance. L'infortunée comprit aussitôt que cet événement allait avoir pour première conséquence de briser la position et peut-être de détruire l'avenir de son mari.

Cependant le commandant prit les mesures les plus promptes pour mettre l'autorité sur les traces du fugitif. On comprend qu'à l'heure où ces mesures furent prises, elles devaient être tout à fait inutiles. Le docteur Conneau fut mis au secret et gardé à vue; les agents qu'on pouvait soupçonner d'avoir, soit par connivence, soit par négligence, favorisé l'évasion, furent aussi emprisonnés. Trois jours après, le commandant fut appelé à Paris pour rendre compte de sa conduite et expliquer les faits. A son retour à Ham, il était remplacé, et on le mit lui-même en état d'arrestation.

Il est évident que l'évasion de l'auguste prisonnier, loin d'avoir été facilitée, comme on l'a prétendu, par le gouvernement, causa, au contraire, une vive contrariété aux ministres. Une instruction judiciaire fut ordonnée, et le parquet de Péronne fut chargé de faire une enquête sévère et de poursuivre tous ceux qui avaient aidé le prince dans l'accomplissement de son projet.

Après une instruction qui avait duré près de deux mois, les débats du procès s'ouvrirent le 10 juillet; ils durèrent trois jours. Les principaux incriminés étaient le docteur Conneau et Thélin, ce dernier absent; puis le commandant Demarle, l'homme de peine et les deux gardiens du premier guichet. Ces trois derniers furent acquittés sans peine, dès qu'il eut été démontré qu'ils s'étaient trouvés à leur poste, et qu'ils n'avaient point coopéré à l'évasion. L'innocence du commandant fut également reconnue et hautement proclamée; il sortit de ce procès avec honneur.

--

Quant au docteur Conneau, interrogé par le président, il répond : « — J'ai quarante-deux ans, je suis né à Milan de parents français; mon père était payeur de l'armée. Ma profession est celle de médecin-chirurgien : Quand j'ai pris mes grades à Florence et à Rome. êtes-vous venu en France pour la première fois? lui dit le président. — J'y suis venu une première fois en 1831, et une deuxième en 1840. Vous êtes depuis longtemps en relation avec la famille Bonaparte?-En 1820, dit le prévenu, je fus provisoirement secrétaire du roi Louis, père du prince. Quelque temps après, j'entrai dans un hôpital de Florence pour prendre mes grades; j'allai ensuite continuer mes études et exercer à Rome; j'y suis resté trois ans. Deux circonstances me forcè. rent de quitter cette ville. Un soir, deux de mes amis vinrent me demander un asile; ils étaient impliqués dans une conspiration. Je leur procurai un refuge dans une maison que je connaissais, des passe-ports et de l'argent. Je les conduisis à Fiumicino, en face d'Ostie, et je les fis embarquer dans un bateau-pêcheur qui les transporta en lieu de sûreté. On le sut; j'étais déjà com.

« PreviousContinue »