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promis par ce seul fait, lorsqu'un plus grave événement assura ma perte. Dans une émeute, en 1831, un de mes amis reçut cinq coups de baïonnette. Une ordonnance du gouvernement de Rome prescrivit aux médecins, sous peine de dix ans de galères, de dénoncer tous les blessés qui se confieraient à leurs soms; je soignai mon ami, et dès qu'il fut rétabli, comme j'avais moimême été dénoncé, je pris la fuite.

« Lors de l'insurrection de 1831, continua le docteur, je me rendis dans la marche d'Ancône où je fis partie de l'état-major révolutionnaire. De là, je vins en France; j'écrivis au prince Louis-Napoléon pour avoir des lettres de recommandation; pour toute réponse, il m'invita à venir à Areuemberg. Là, je fus comblé de bontés par la reine Hortense. (A ce souvenir, le prévenu ne peut maitriser son émotion; il s'interrompt pour essuyer ses larmes.) La reine, reprit-il, voulut bien se souvenir de moi dans son testament; elle me pria de rester auprès de son fils; une telle prière pour moi était un ordre j'ai obéi. »

Le docteur raconta ensuite aux juges ce qui était relatif au déguisement; puis il continua ainsi :

«En cherchant à dissimuler le départ du prince, mon intention était de lui procurer, s'il était possible, vingt-quatre heures d'avance sur les ordres qui seraient expédiés dès qu'on saurait l'événement. Je commençai par fermer la porte de communication entre la chambre à coucher du prince et son salou; j'allumai un grand feu, bien qu'il fit extrêmement chaud; je voulais faire supposer que le prince était malade. Dans ce but, je mis des cafetières au feu et je dis à l'homme de peine que le prince était indisposé. Vers huit heures, on apporta de la diligence un paquet de plants de violettes: Je recommandai au gardien d'aller disposer des pots avec de la terre pour la plantation, et je l'empêchai d'entrer dans le salon du prince. Vers huit heures et denie, l'homme de peine Laplace était venu me demander où l'on déjeunait; je lui répondis: Dans ma chambre. En ce cas, me dit-il, je vais y faire porter la grande table. —Non, lui dis-je, c'est inutile, le général Montholon est malade, il ne déjeunera pas avec

nous.

« Je souhaitais aussi pousser jusqu'au lendemain. J'avais dit que le prince avait pris un remède; il fallait nécessairement que ce remède fût pris. Je m'exécutai. Je devais faire prendre un bain : impossible, à cause des ouvriers. Je songeai alors à un vomitif; j'essayai de remplir les fonctions de malade, jamais je n'y pus parvenir. Afin de produire une illusion, je jetai dans un pot du café avec de la mie de pain que j'avais fait bouillir, et j'ajoutai au tout de l'acide nitrique; ce qui produisit une odeur assez désagréable. L'homme de peine dut alors bien se persuader que l'indisposition du prince était réelle.

« Le commandant s'était déjà présenté; il avait été averti de la maladie du prince. Vers midi et demi, je le vis pour la seconde fois, et je lui appris que le malade était plus calme. Après avoir regardé les travaux, il m'offrit de m'envoyer son domestique, à cause du départ de M. Thélin. Vers une heure, je dis à Laplace (l'homme de peine) de venir faire le lit du prince. Toutes les fois que je sortais du petit salon, où le prince était cénsé reposer sur un canapé, je feignais de lui par er... L'homme de peine ne m'entendit pas, ce qui prouve qu'il n'avait pas le sens de l'ouïe très-délié. »

Le docteur raconte ensuite la scène qu'il eut avec le commandant, lorsque celui-ci découvrit qu'il était joué.

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Ce récit peint, ce nous semble, parfaitement le caractère du docteur Couneau : simplicité, modestie, loyauté, désintéressement', et, par-dessus tout, dévouement à toute épreuve; tel est l'ensemble de qualités aimables qui se trouvent réunies en sa personne.

La conclusion du procès ne fut pas moins, pour le docteur, une condamnation à trois mois de prison; Thélin, contumace, fut condamné à six mois. Ainsi se termina l'épisode curieux de la délivrance du prince Louis-Napoléon.

Pendant ce temps-là le prince, comme on l'a vu, était arrivé en Angleterre; mais, ce qu'il voulait, c'était le moyen de se rendre immédiatement en Italie, auprès de son père. Afin de n'être point contrarié par le gouvernement anglais dans l'accomplissement de ce projet de voyage, il écrivit aux principaux ministres, sir Robert Peel et lord Aberdeen, pour leur expliquer les motifs qui l'avaient fait agir et les instruire de ses intentions. Le premier lui répondit par un simple accusé de réception; quant à lord Aberdeen, digue chevalier de l'hospitalité britannique, il aunonça au prince, dans une lettre des plus polies, que, d'après les explications données par lui, son séjour en Angleterre ne pouvait être désagréable ni à la reine, ni à son gouvernement. Louis-Napoléon ne se contenta pas de faire ces démarches auprès des membres du gouvernement anglais, il pensa qu'il devait aussi rassurer le cabinet français et il lui écrivit dans la personne de l'ambassadeur de France, M. le comte de Saint-Aulaire, une lettre dans laquelle il rappelle sans détour ce qu'il a fait, et exprime hautement ses résolutions pour l'avenir.

« Monsieur le comte, lui dit-il à la date du 28 mai, je viens franchement déclarer ici, à l'homme qui a été l'ami de ma mère, qu'en quittant ma prison je n'ai été guidé par aucune idée de renouveler, contre le gouvernement français, une lutte qui a été désastreuse pour moi; mais seulement j'ai voulu me rendre auprès de mon vieux père:

«Avant d'en venir à cette extrémité, j'ai fait tous mes efforts pour obtenir du gouvernement français la permission d'aller à Florence. J'ai offert toutes les garanties compatibles avec mon honneur; mais, ayant vu toutes mes demandes rejetées, je me suis déterminé à avoir recours au dernier expédient adopté par le duc de Nemours et le duc de Guise, sous Henri IV, en pa

reille circonstance.

«Je vous prie, monsieur le comte, d'informer le gouvernement français de mes intentions pacifiques, et j'espère que cette assurance spontanée de ma part contribuera à abréger la captivité de mes amis qui sont encore restés en prison.

« Recevez l'assurance de mes sentiments,
« NAPOLEON-LOUIS BONAPARTE. »

Le prince regardait comme une bonne fortune d'avoir pour intermédiaire, dans cette occasion, le comte de Saint-Aulaire, qui avait eu jadis les meilleures relations avec sa famille. D'ailleurs, l'engagement qu'il prenait par sa déclaration de ne plus rien entreprendre contre le gouvernement français, engagement qu'on lui avait demandé quand il était captif, comme condition expresse de sa mise en liberté; enfin le motif honorable et si naturel qui l'appelait à Florence; tout l'entretenait dans l'espoir qu'on ne mettrait aucun obstacle à son voyage. Mais il comptait sans l'entente cordiale, sans les regles ou les taquineries de la diplomatie. Lorsqu'il se présenta pour obtenir un passe-port, à l'am

bassade d'Autriche à Londres, qui était en même temps chargée des affaires de l'empire et de celles du grandduché de Toscane, l'ambassadeur lui répondit par un refus formel. « Il ne pouvait, disait-il, manquer aux égards qu'il devait au gouvernement français. >>

La famille du prince, qui était fort considérée en Italie et notamment à Florence, où elle jouissait de beaucoup de crédit, s'adressa alors directement au grand-duc. Le comte de Saint-Leu ne pouvait douter que Léopold ne s'empressât d'accorder l'autorisation qu'on lui demandait, pour que le prince Louis-Napoléon vint passer quelque temps auprès de lui. La pensée qu'il allait prochainement revoir son fils, rendait de nouvelles forces à sa nature presque épuisée; l'excellent père attendait donc, avec la plus vive impatience, une réponse favorable, lorsqu'il apprit que le grandduc ne pouvait autoriser le prince Louis-Napoléon à venir, même pour vingt-quatre heures, en Toscane. «Je le regrette, disait Léopold, mais l'influence de la France me force à agir ainsi. »

Cette décision atterra le pauvre malade et produisit un effet terrible dans sa situation; il languit encore quelques semaines, et expira le 25 juillet 1816, sans avoir eu la consolation qu'il désirait la main de son fils ne lui avait point fermé les yeux.

On ne peut expliquer la conduite du gouvernement français dans cette occasion, qu'en le supposant frappé d'une sorte d'aveuglement qui dénaturait son caractère. Quos perdere vult eos Jupiter dementat. (Les dieux aveuglent ceux qu'ils veulent perdre.) Qu'on nous par donne de rappeler de nouveau cet aphorisme, qui ne sera peut-être jamais mieux appliqué qu'en ce moment. Poursuivre un adversaire jusque dans ses affections filiales; priver un vieux père mourant et quel père encore!-- de la satisfaction de revoir son fils à sa dernière heure; ce n'était pas de la prudence, c'était une cruauté toute gratuite. Car on savait bien que l'honnête comte de Saint-Leu n'était pas homme à donner à son fils des conseils d'ambition. Loin de l'exciter à des en

treprises hasardeuses, il aurait bien plutôt, s'il l'eût fallu, tempéré son ardeur, calmé ses ressentiments. Une persécution sans motifs plausibles est un acte d'odieuse tyrannie; c'est plus qu'un crime en politique, c'est une faute dont on porte tôt ou tard la peine. Qui nous dit que ces rigueurs absurdes ne justifieront pas, dans un autre temps, des mesures sévères, en supposant même que ces mesures ne se justifieraient pas complétement au point de vue de la légalité ?

Le prince Louis-Napoléon espérait encore que la diplomatie française se relâcherait de ses exigences, lorsqu'il apprit que son infortuné père n'était plus. Il éprouva une douleur poignante à cette triste nouvelle, car au chagrin de la plus grande perte possible, pour un fils aussi dévoué, aussi tendre qu'il l'était, se joiguait la conviction que l'auguste défunt avait dû l'appeler jusqu'à son dernier soupir. Blessé au cœur, il fit de vains efforts pour concentrer en lui-même sa profonde affliction; ses regrets se trahissaient par des larmes brûlantes. Les amitiés qui l'entouraient parvinrent avec peine à le distraire de sa douleur. L'énergie de son caractère surmonta enfin les souffrances de son âme. Puis le dévouement de ceux qui avaient le bonheur de l'approcher, les prévenances de l'hospitalité anglaise, et aussi l'étude et les occupations sé ricuses auxquelles, dans l'adversité, il avait toujours demandé ses plus douces consolations, adoucirent pen à peu l'amertume de sa position.

Le comte de Saint-Leu avait laissé un testament, qui fut ouvert le lendemain de sa mort. Par cel acte suprême, après avoir recommandé son âme à Dieu, il émettait le désir que son corps fût transporté à SaintLeu près Paris, pour être réuni aux cendres de son père, Charles Bonaparte, et à celles de son fils aîné, mort en Hollande, comme on l'a vu, en 1807. Il désirait aussi que le corps de son second fils, mort en Ita. lie en 1834, y fût également transporté. Il affectait une somme de 60,000 francs à l'érection d'un tombeau. J'ai, disait-il, porté le nom de ce village quarante ans, et j'aimais ce lieu plus que tout autre. »

-

Il institue ensuite des legs qui témoignent de la bonté, de la générosité de son cœur. Ainsi il abandonne les biens qu'il avait en Hollande et qui s'élevaient à une valeur d'un million de francs, à l'administration muuicipale d'Amsterdam, afin que la rente serve tous les ans à secourir le malheurs causés par l'inondation. Il laisse aux pauvres de Florence une forte somme, indépendamment de pensions qu'il lègue en particulier à vingt indigents de la même ville. Il laisse 2,500 francs aux pauvres de Civita-Nova, et une rente de 100 francs chacune aux quatre sœurs de l'hôpital de Saint-Leu, en France.

Ces dispositions peignent noblement le caractère de cet excellent prince, auquel on n'a pas oublié que la reine Hortense, sa femme, savait rendre pleine justice, bien que, par une bizarrerie singulière de leur nature, quoiqu'elle fût elle-même bonne et aimable au suprême degré, les deux époux n'aient pas pu vivre ensemble

d'une vie commune.

L'ancien roi de Hollande, pour en revenir à son testament, institue ensuite des legs importants en faveur de son frère Jérôme; à son neven don Louis, fils du prince de Canino (Lucien), il ne lègue pas moins de 200,000 francs, et 150,000 francs à son pupille Francesco-Castel-Vecchio.

Après avoir fait d'autres legs moins importants à quelques autres personnes de sa famille ainsi qu'à tous ses serviteurs et à ses exécuteurs testamentaires, il termine ainsi : « Je laisse tous mes autres biens, le palais de Florence, la grande terre de Civita-Nova, etc., etc., mes biens meubles et immeubles, actious et créances, enfin tout ce qui, à l'époque de ma mort, constituera mon héritage, sans y rien exclure, sauf les dispositions ci-dessus, à mon héritier universel, Napoléon-Louis, seul fils qui me reste, auquel fils et héritier je laisse comme témoignage particulier de ma tendresse, mou Dunkerque, situé dans ma bibliothèque, avec toutes les décorations et souvenirs qu'il contient; et comme témoignage encore plus particulier d'affection, je lui laisse tous les objets qui ont appartenu à mon frère, l'empereur Napoléon, lesquels sont renfermés dans un

meuble construit à cet effet. »>

Ce testament était daté du 1er décembre 1843. C'était, on s'en souvient, l'époque où l'ancien roi de Hollande, s'apercevant de l'affaiblissement de sa sauté, avait exprimé si vivement le désir de revoir son fils.

La disposition relative au transport des restes des princes défunts à Saint-Leu ne put recevoir son exécu tion qu'en septembre 1847. Le 29 de ce mois eut lieu, à cette occasion, une cérémonie funèbre, à laquelle s'empressèrent de se réunir les glorieux débris de nos armées impériales pour rendre les derniers devoirs au frère de leur Empereur. Le prince Louis-Napoléon, qui n'avait pu assister à cette pieuse cérémonie, écrivit de

Londres, pour le remercier, au capitaine Lecomte, qui avait commandé dans cette circonstance.

« Ce n'est pas, disait-il, l'homme que le hasard et la victoire avaient fait roi pour quelques jours que vous avez voulu honorer de vos regrets, mais le vieux soldat des armées républicaines, d'Italie et d'Egypte, l'homme resté pur sur le trône, l'homme enfin qui paya par quarante années d'exil quelques années de gloire, et qui mourut isolé sur la terre étrangère. La sympathie qui a entouré ses funérailles est plus qu'un hommage, c'est une réparation!

<< Permettez-moi donc de vous remercier de votre concours; car vous exprimer mes sentiments de reconnaissance, c'est atténuer la douleur amère que j'éprouve de n'avoir jamais pu m'agenouiller devant les tombeaux de ma famille, c'est oublier un instant que je semble condamné à rester toujours éloigné des hommes que j'aime le mieux, des objets qui me sont les plus chers. »

Nous touchons à l'année 1848, et bientôt le neveu de l'Empereur va pouvoir revenir dans sa patrie. Déjà, antérieurement, à l'époque où il avait été question d'une amnistie dans laquelle le prince se serait trouvé compris, et où l'on supposait que, dans ce cas, le gouveruement n'aurait pas craint de répondre favorablement au vou émis alors par le conseil général de la Corse, pour que la famille de Napoléon fût rappelée de l'exil, et que le captif de Ham fût rendu tout à la fois à la liberté et à la jouissance de ses droits de citoyen français; à cette époque, disons-nous, Louis-Napoléon avait publié, dans le journal qui recevait habituellement ses confidences, un article relatif à ce vou et contenant cette déclaration : « La famille Bonaparte, issue de la Révolution, ne doit, ne peut reconnaître qu'un principe, celui de la souveraineté nationale; elle ne peut donc invoquer que les droits de citoyen français; ce sont les seuls que nous lui reconnaissons; mais ceux-là, il y aurait injustice et pusillanimité à les leur refuser plus longtemps. >>

Cette déclaration qui paraissait concerner surtout les parents du prince, dona lieu au Journal du Loiret de demander positivement au neveu de l'Empereur à quel titre il rentrerait dans la grande famille française, si les portes de sa prison lui étaient ouvertes et si l'exil dont sa famille était frappée prenait fin.

A cette question, le prince fit la réponse catégorique qui suit, datée du fort de Ham, le 21 octobre 1843, et adressée au rédacteur du journal :

« Monsieur, je réponds sans hésitation à l'interpellation bienveillante que vous m'adressez dans votre numéro du 18.

« Jamais je n'ai cru et jamais je ne croirai que la France soit l'apanage d'un homme ou d'une famille; jamais je n'ai invoqué d'autres droits que ceux de citoyen français, et jamais je n'aurai d'autre désir que de voir le peuple entier, légalement convoqué, choisir librement la forme de gouvernement qui lui conviendra.

« Issu d'une famille qui a dû son élévation au suffrage de la nation, je mentirais à mon origine, à ma nature, et, qui plus est, au sens commun, si je n'admettais pas la souveraineté du peuple comme base fondamentale de toute organisation politique, mes actions et mes paroles antérieures sont d'accord avec cette opinion. Si on ne m'a pas compris, c'est qu'on n'explique pas les défaites; on les condamne.

« J'ai réclamé, il est vrai, une première place, mais

sur la brèche. J'avais une grande ambition, mais elle était hautement avouable, l'ambition de réunir autour de mon nom plébéien tous les partisans de la souveraineté nationale, tous ceux qui voulaient la gloire et la liberté. Si je me suis trompé, est-ce à l'opinion démocratique à m'en vouloir? est-ce à la France à m'en punir?

« Croyez, monsieur, que, quel que soit le sort que l'avenir me réserve, on ne dira jamais de moi que, pendant l'exil ou la captivité, je n'ai rien appris ni rien oublié! Recevez, etc. »

((- Cette lettre, dit à son tour le Journal du Loiret, est un témoignage de la toute-puissance du principe démocratique, et c'est un exemple d'une haute portée, que ce spectacle d'un homme de famille royale, d'un héritier du trône, d'un prince jeune, intelligent et fier, populaire par le nom qu'il porte et par les glorieux souvenirs qu'il rappelle, se dégageant des préju gés monarchiques, abdiquant les privileges de sa race et rendant un solennel hommage à la souveraineté du peuple. Nous félicitons hautement le prince Louis des généreux sentiments exprimés dans sa lettre. Ils sont ceux d'un homme de cœur et d'un esprit élevé....

« Pendant qu'un membre de la famille Napoléon, coutinue le même journal, déclare à la face de tous qu'il admet la souveraineté du peuple comme base fondamentale de toute organisation politique, un autre prétendant, le duc de Bordeaux, fait désavouer par son organe officiel ceux du parti légitimiste qui veulent se détacher des doctrines absolutistes et marcher d'accord avec les sentiments du pays.

« Nous ne sommes qu'un faible écho de l'opposition nationale, ajoute la même feuille, mais, au nom des idées dont nous sommes l'organe, nous adressons nos sympathies au prince Louis-Napoléon. Le prince Louis n'est plus un prétendant à nos yeux, mais un concitoyen, un membre de notre parti, un soldat de notre drapeau. »

Ainsi, la veille de la Révolution de Février, le prince Louis Napoléon était parfaitement connu pour un partisan avoué des idées démocratiques; sa profession de foi existait à cet égard, et ses ouvrages, notamment son mémoire sur l'extinction du paupérisme, prouvaient assez qu'il avait également des idées sociales très-avancées.

Le 24 février 1848, le trône de Juillet s'écroule avec plus de rapidité encore qu'il ne s'était élevé. Il n'entre pas dans notre cadre d'expliquer ici les causes de cette catastrophe. Nous en indiquerons seulement quelquesunes, celles qui nous paraissent les plus saillantes.

Louis-Philippe, honnête et bon, avait le malheur de se détier profondément de la démocratie. Bien qu'il ne manquât pas d'habileté, jamais il n'avait voulu comprendre quelle force donne à l'autorité le baptême des élections populaires. Ennemi du suffrage universel, qu'il regardait comme une impraticable et absurde utopie, il s'était contenté de fonder sa monarchie sur la base fragile et toujours contestable des deux cent vingt-etune voix de la Chambre de 1830. Les adhésions nombreuses, innombrables, si l'on veut, que donnèrent à son élection les députations des corps constitués, des sociétés de toute espèce et les adresses de toutes les communes de France, lui semblaient de nature à remplacer la ratification du peuple, que les esprits clairvoyants croyaient indispensable à la consolidation de ses pouvoirs. Substituer une royauté improvisée à une monarchie séculaire, c'était fort bien, s'il est vrai que

le pouvoir exécutif, en France, ne doive pas être, comme certains le prétendent, la propriété exclusive d'une seule famille; mais du moins fallait-il consulter formellement la nation. Faute de cette formalité, qui, dans les circonstances, eût été favorable à l'événement du 7 août, tant, chez nous, on accepte aisément le fait accompli; la royauté de Juillet, quoi qu'on en dise, n'avait pas de racines.

Le gouvernement de Juillet avait cru se fortifier en donnant une large satisfaction aux intérêts matériels. Les travaux publics avaient reçu un développement excessif, au grand préjudice du budget des dépenses, dont les proportions s'élargissaient tous les ans d'une manière effrayante; l'industrie avait été encouragée, le commerce avait eu plusieurs années de grande prospérité quelques entreprises de chemins de fer, comme la ligne de Saint-Germain et celle d'Orléans, dont les actions avaient acquis une valeur prodigieuse, appelèrent bientôt les instincts cupides des capitalistes sur ces sortes d'opérations; on les multiplia outre mesure; un agiotage effrené attira dans ces affaires les économies des travailleurs; au lieu de chercher son bienêtre dans un travail régulier, chacun voulait faire for1 tune à l'aide de spéculations hasardeuses; la fibre de l'égoïsme démesurément surexcitée étouffait tout le 1 sens moral dans le cœur des riches; on s'était livré sans prévoyance à des entreprises gigantesques; une crise survint; des masses d'ouvriers, qui avaient quitté les champs pour venir dans les villes, avec l'espoir d'y gagner de meilleures journées, se trouvèrent subitement sur le pavé, sans travail et sans pain; et le gouvernement ne paraissait point s'en inquiéter. L'amélioration du sort des classes laborieuses, ce problème qui aurait dû sans cesse occuper les veilles des chefs de l'administration, semblait une chose indifférente pour les ministres; on aurait dit qu'il n'y avait rien à faire dans cette question, ou, qu'à leur avis, la situation où l'on se trouvait était toute normale.

avec nos propres enfants, et dont les uns versaient leur sang sur les champs de bataille de l'Afrique, les autres affrontaient les périls de la mer, au milieu de nos marins; ni l'innocence des jeunes fils du duc d'Orléans, ni l'angélique bonté et la haute intelligence de leur mère, rien ne put conjurer l'ouragan déchaîné contre un trône auquel on n'avait donné pour étai que l'égoïsme de quelques individus, au lieu de lui chercher un appui dans un principe rationnel et inébranlable, tel que celui de la souveraineté du peuple, et de placer ses racines dans le cœur même des masses.

Voilà pourquoi, le lendemain du 24 février, la France, en se réveillant, apprit qu'elle était en République. Mais la France, dont les tendances et les vœux sont démocratiques, n'est au fond nullement républicaine. Elle veut bien que les institutions et la marche du gouvernement soient largement libérales, et qu'elles protégent et favorisent sans distinction tous les membres de la grande nation; elle désire que le peuple entier ait les mêmes droits; que les carrières soient ouvertes à tous, en raison des capacités; elle demande qu'il n'y ait pas d'autres priviléges que ceux du mérite et de la vertu; elle entend qu'on administre ses affaires à l'intérieur suivant ces principes, et à l'extérieur dans des vues constantes d'indépendance et de grandeur. Elle veut bien encore avoir une part quelconque à cette direction de ses affaires, pourvu que cette part soit faible et ne l'absorbe pas entièrement; car elle n'entend point faire elle-même toute la besogne; son caractère y répugne et ses habitudes s'y opposent.

Or, malgré ces dispositions, qui tiennent à la nature République, et, suivant l'usage, elle paraît recevoir du pays, la France apprend tout à coup qu'elle est en assez bien cette nouvelle le fait était accompli. Pour être juste, cependant, nous conviendrons qu'en ce moment des hommes de boune foi, des esprits généreux, pouvaient croire sérieusement que le gouvernement

:

Louis-Philippe avait une peur horrible du progrès; républicain était le seul possible en France, et regarder

dans la crainte d'être débordé, il se refusa toujours à la moindre concession: ni la conversion du cinq pour cent, ni l'adjonction des capacités à ses listes électorales censitaires, rien ne put être arraché à son système d'immobilité; c'était bien le plus entêté des conservateurs-bornes.

En somme, les gros capitalistes, que M. Dupin, du haut de la tribune, avait qualifiés de loups-cerviers, s'étaient gorgés d'or; la bourgeoisie et le commerce, dont les désirs avides avaient été fortement excités et un instant satisfaits, se trouvaient en ce moment embarrassés et mécontents; deux cent mille bras inoccupés attendaient, à Paris, du travail ou une émeute. D'un autre côté, le trône de Juillet avait été singulièrement ébranlé par les attaques incessantes de la presse légitimiste et par les insinuations calomnieuses des radicaux, qui présentaient le chef de l'Etat comme un détestable avare, et, dans le temps qu'on faisait circuler contre son caractère cette ridicule imputation, LouisPhilippe dépensait 25 millions pour créer le Musée de Versailles, et à sa chute, sa liste civile était endettée de 50 millions.

Telle était la situation générale le 23 février 1848. Quand le mouvement de ce jour eut tourné le lendemain en une révolution, ni l'adresse et les qualités du roi, ni les vertus et la bienfaisance inépuisable de la reine, ni l'aimable famille qui les entourait, cette famille, composée de princes élevés dans nos colléges

celte forme comme la plus convenable aux améliorations progressives des sociétés.

«Puisqu'aucun pouvoir parmi nous n'est inviolable, avait dit Chateaubriand; puisque le sceptre héréditaire est tombé quatre fois depuis trente-huit années; puisque le bandeau royal attaché par la victoire s'est dénoué deux fois de la tête de Napoléon; puisque la souveraineté de Juillet est incessamment assaillie, il faut en conclure que ce n'est pas la République qui est impossible, MAIS LA MONARCHIE.

«La France est sous la domination d'une idée hostile au trône: un diadème dont on reconnaît d'abord l'autorité, puis que l'on foule aux pieds, que l'on reprend ensuite pour le fouler aux pieds de nouveau, n'est qu'une inutile tentation et un symbole de désordre. On impose un maître à des hommes qui semblent l'appeler par leurs souvenirs, mais qui ne le supportent plus par leurs mœurs. »

On sait avec quelle chaleur, avec quelles convictions M. de Lamartine vantait la forme de l'institution républicaine.

« - Noble institution, dit à son tour M. Dufaure, qui réalise pleinement le principe de la souveraineté populaire, qui donne hardiment et avec confiance, à chaque citoyen, toute la liberté qu'il peut exercer sans nuire à la liberté d'autrui; qui établit entre tous l'égalité des devoirs et des droits, la vraie égalité politique, et qui traduit en lois humaines les grands principes de la fra

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Plusieurs représentants se joignent au cortége officiel du Président de la République.- PAGE 139.

ternité enseignés au monde, il y a dix-huit siècles, par que les ennemis du nouvel ordre de choses ne profitasla révélation chrétienne. >>

Ces théories sont magnifiques; malheureusement, dans l'application, tous les avantages s'évanouissent; il ne reste plus que la lutte désordonnée des passions, le dévergondage des idées, l'inquiétude des esprits et la misère des travailleurs.

Louis-Napoléon se trouvait à Londres lorsqu'il apprit les événements de février. Il pensa avec raison que les portes de la France ne tarderaient pas à s'ouvrir pour la famille de l'Empereur, et crut faire acte de bon citoyen en venant des premiers saluer et reconnaître le gouvernement provisoire. Dès le 26 février, il arriva à Paris et informa aussitôt les ministres de sa présence. Les membres du gouvernement craignant

sent de la circonstance pour exciter des troubles au nom du prince, lui témoignèrent le désir qu'il voulût bien s'en retourner provisoirement en Angleterre pour y attendre les événements. Il comprit, en effet, les difficultés du moment, et n'hésita pas à donner à son pays la marque de dévouement qu'oit lui demandait; il reprit la route de l'exil avec l'intention d'attendre les élections qui devaient se faire pour l'Assemblée constituante et même le vote de la Constitution, d'où l'on espérait le retour de l'ordre et de la confiance.

Mais une circonstance imprévue jeta une nouvelle inquietude au cœur des amis du prince. L'Assembléc nationale était réunie, et lorsqu'il fut question, dans ses bureaux, de rapporter la loi qui frappait d'un ostra

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