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lui marquait qu'ayant appris que les bords du lac de Constance lui plaisaient, il s'empressait de mettre à sa disposition un passe-port pour Bregentz, où elle serait traitée, par les autorités autrichiennes, avec tous les égards qui lui étaient dus. C'était poli: mais, comme Hortense ne pouvait se méprendre sur les intentions du gouvernement autrichien, elle préféra rester à Con

stance.

Au retour du printemps, elle alla rendre à son frère Eugène sa visite à Berg, sur le lac Wurmsée, maison de plaisance du roi de Bavière, dont on sait qu'Eugène était le gendre.

Lors de cette visite, le prince Louis-Napoléon fut d'abord un peu intimidé en se trouvant au milieu de quatre cousines et d'un cousin, tous enfants de son oncle, mais qu'il n'avait jamais vus, Cependant, il ne tarda guère à se rassurer, et il eut bientôt fait connaissance avec ses petites parentes, admirables de beauté et de gentillesse.

Les médecins ayant conseillé à la duchesse de Saint-Leu d'aller passer l'été à Geiss, dans les montagnes d'Appenzell, pour y prendre des bains de petit-lait, le landammann de ce canton s'efforça de lui rendre ce séjour agréable. La persécution semblait s'être adoucie. Les magistrats du canton démocratique de Thurgovie firent dire à la duchesse que, si elle voulait s'établir dans leur pays, elle y serait soutenue par les autorités et par le peuple, Cette proposition était trop flatteuse pour être dédaiguée; cependant Hortense se contenta de la mettre en réserve. Elle se trouvait assez bien à Constance, où la diplomatie paraissait l'oublier et où elle recevait habituellement tout ce qui composait la société de la ville,

Elle vivait là, s'occupant de l'éducation de son fils; car l'éducation du prince était partout et toujours la première occupation de la reine, comme sa tendresse pour ce jeune enfant était son sentiment le plus vif; elle lui donnait elle-même les leçons d'agrément et lui enseignait le dessin, la danse, dont les maîtres manquaient. Le soir, jusqu'à l'heure de son coucher, les lectures étaient réglées sur ses études du moment : tantôt c'était un voyage en rapport avec ce qu'il apprenait en géographie, tantôt des traits particuliers, des anecdotes qui se rattachaient à l'histoire qu'il étudiait. Le samedi de chaque semaine, la reine lui consacrait sa journée entière; elle lui faisait répéter devant elle ce qu'il avait appris les jours précédents; et, quoique ce fût du latin ou d'autres matières parfaitement étrangères aux études qu'avait faites Hortense, elle y prêtait une très-grande attention, afin de montrer à son fils combien elle attachait de prix à ses progrès.

Le prince, suivant mademoiselle Cochelet, était devenu d'une telle pétulance, qu'il fallait vraiment toute la vivacité de son intelligence précoce pour qu'il apprit quelque chose, et il était encore plus difficile à surveiller qu'à instruire. Le bon abbé Bertrand, son gouverneur, avait beau y mettre tout son zèle, il lui échappait souvent, et la reine sentait qu'il faudrait bientôt coufier à des mains plus fermes la direction d'un caractère aussi indépendant, Ce qui rendait la tâche du vieux gouverneur plus difficile, c'était cette spontanéité d'esprit de son élève, qui trouvait réponse à tout, et qui voulait toujours qu'on lui rendit raison de ce qu'on exigeait de lui.

Bientôt, en effet, l'abbé Bertrand, sans cesser de demeurer chez la duchesse de Saint-Leu, fut cependant remplacé près de son fils, principalement pour les soins de l'instruction, par M. Lebas, élève de l'Ecole

normale de Paris, jeune professeur d'un grand mérite.

Voici un trait qué raconte mademoiselle Cochelet et qui peint admirablement le cœur du jeune prince :

« A Constance, de même qu'à Aix en Savoie, dit-elle, le prince jouait, pendant le temps de ses récréations, avec quelques enfants de notre voisinage, parmi lesquels était le fils du meunier du pont du Rhin, qui, plus âgé que lui, l'entraînait quelquefois hors de l'enceinte du jardin. Un jour qu'il s'était échappé et que l'abbé aux abois s'efforçait de le rappeler, je fus la première à le voir revenir de sa petite excursion; il arrivait en manches de chemise, marchant pieds nus dans la boue et dans la neige. Il fut un peu embarrassé de me rencontrer sur son passage, lorsqu'il était dans un accoutrement si différent de ses habitudes. Je voulus à l'instant savoir pourquoi il se trouvait dans cet état; il me conta qu'en jouant à l'entrée du jardin, il avait vu passer une pauvre famille si misérable, que cela faisait peine à voir; n'ayant pas d'argent à leur donner, il avait chaussé l'un des enfants avec ses souliers, et habillé l'autre de sa redingote. Que de traits semblables on aurait pu recueillir dans la suite comme une preuve de son bon cœur et de sa générosité ! »

Sa mère était heureuse quand elle apprenait des actes de cette nature; mais elle ne voulait pas qu'on racontât devant son fils ce qu'il avait fait de bien.

En grandissant, sa physionomie, sous le rapport du visage, perdit un peu de régularité, mais gagna en expression; on y trouva constamment ce charme de douceur, d'esprit et de sentiment, qui en faisait, dans son bas âge, l'enfant le plus aimable. Cette expression, qui prend sa source dans la sensibilité du cœur, se joignit plus tard au calme énergique qui est le fond de son caractère. Son éducation simple, grave et forte à la fois, devait avoir d'heureux résultats sur une nature assez privilégiée pour que rien de bon ne pût y être perdu.

La duchesse menait ainsi à Constance une vie assez tranquille, et, dans l'hiver de 1816, elle s'occupa même de rédiger ses Mémoires, lorsque tout à coup, au commencement de 1817, pendant qu'elle était absorbée dans ses modestes travaux, la haine de ses ennemis, qui l'avait presque oubliée durant une année, se réveilla plus ardente que jamais, et l'on signifia au grandduc de Bade de la faire sortir de ses Etats.

Elle se rappela alors l'offre généreuse que lui avaient faite des citoyens de Thurgovie de se fixer dans leur canton, promettant de la garantir contre toutes les intrigues de la diplomatie. Justement, parmi les campagnes qu'elle avait visitées près de Constance, elle avait remarqué dans ce canton un site qui l'avait particulièrement frappée : c'était un petit manoir d'une apparence assez triste pourtant, mais dont l'exposition était délicieuse; bâti à mi-côte sur une espèce de promontoire, il dominait le petit lac et l'ile de Raickman. Du côté de l'ouest, la vue se reposait sur de jolies langues de terre, plantées d'arbres, et séparées entre elles par de petits golfes de l'aspect le plus riant et le plus varié. Le village de Mannuback, son église et son presbytère, se dessinaient d'une manière pittoresque lors du coucher du soleil. Plus haut que Mannuback, le vieux chàteau de Salstein, de construction gothique, entouré d'arbres, ou, pour mieux dire, plongé dans un massif de verdure, dominait ce tableau, que la plume ne peut rendre qu'imparfaitement. A quelque distance de la maison, vers l'autre extrémité de la propriété, la vue s'é

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tendait sur le village d'Ismatingen, si riant, si gracieusement baigné par le lac; sur le cours du Rhin, et enfin sur la ville de Constance et sur cette plaine liquide du grand lac que commandent les glaciers du Cintis.

Telle était la propriété d'Arenemberg.

La duchesse de Saint-Leu, après l'avoir acquise le 10 février 1817, moyennant 30,000 florins (environ 65,000 francs), fit tracer des sentiers commodes dans le bois charmant qui garnissait les flancs de la colline. Elle remplaça le poulailler et la basse-cour par une terrasse et un parterre pour la culture des fleurs; enfin, elle fit de ce petit domaine une habitation délicieuse, où elle aimait à passer l'été et une partie de l'automne; elle y tenait d'autant mieux, qu'elle était devenue, par cette acquisition, et de l'agrément des autorités du can

ton, propriétaire en Suisse, et que, en cette qualité, elle avait le droit d'y revenir quand cela lui conviendrait.

La même année, elle alla passer l'hiver à Augsbourg, et elle y acheta également une maison. Là, du moins, elle fut toujours tranquil e; son frère venait la voir fré quemment, et elle pouvait s'occuper mieux que jamais de l'éducation de son fils, dont l'intelligence et les progrès exigeaient des soins et des professeurs qu'elle ne trouvait pas en Suisse, tandis qu'elle les avait sous la main à Augsbourg.

Elle eut aussi un bonheur bien grand en 1818. Une sorte de rapprochement s'étant opéré entre elle et son mari, elle obtint d'avoir auprès d'elle son fils aîné pendant plusieurs mois. On comprend la joie des deux frè

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res de se retrouver ensemble après une séparation de trois années.

Hortense avait enfin trouvé le repos, lorsqu'elle fut frappée successivement par la perte des personnes qui lui étaient le plus chères : Napoléon, en 1821; Eugène, en 1824; le roi de Bavière, Maximilien, le dernier protecteur qui lui fût resté, en 1825.

A cette dernière époque, Louis-Napoléon, âgé de dixsept ans, avait achevé complétement ses classes. Aucun intérêt ne pouvant plus retenir Hortense en Bavière, elle obtint, après de grandes difficultés, l'autorisation de demeurer, si elle le voulait, en Italie. En conséquence, elle passait, tous les ans, l'hiver à Rome, et revenait l'été habiter sa maison d'Arenemberg. Cette époque de sa vie eut encore des charmes pour

Paris. Imp. Simon Raçon et Cr, r d'Erfurth, 1.

elle. Son salon, qui, sous l'Empire, avait résisté à l'étiquette, puisque l'on y causait. (1), survivait également à l'exil. A Rome. elle voyait sans cesse se réunir autour d'elle des illustrations de tout geure. Là, les cœurs fidèles à la dynastie impériale la traitaient de Majesté comme au temps de sa haute fortune. Elle habitait la villa Paolina, appartenant à sa belle-sœur, la princesse Borghèse. La politique était baunie de la conversation dans les réunions mêlées; la musique venait alors au

(1) « Napoléon n'aimait pas les salons causeurs, il en sortait toujours quelques bons mots sur les choses et sur les gens qui étaient l'intérêt du moment, et ce babil importunait l'Empe

reur. »

(SOPHIE GAY.)

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secours de la contrainte générale. Le concert terminé, et la moitié des visiteurs partis, une seconde soirée commençait. C'est alors qu'Hortense se livrait avec les plus intimes au plaisir de parler de la France.

A Arenemberg, elle vivait encore plus à son gré. Dans cette charmante retraite, ornée de maintes reliques de l'Empire, et près d'une table couverte de tout ce qui avait appartenu à l'impératrice Joséphine, on voyait aussi l'image du roi de Rome : c'était un portrait qui avait reçu le dernier soupir de Napoléon.

Louis- Napoléon avait coutume d'accompagner sa mère soit à Rome, soit en Suisse. Il profitait du voisinage de Constance pour se former avec un zèle extrême aux exercices militaires au milieu d'un régiment badois qui était en garnison dans cette ville. Il suivait en mênie temps des cours de physique et de chimie sous la direction d'un Français, M. Giestard, homme fort instruit, qui se trouvait dans ce pays à la tête d'une manufac

ture.

Plus tard, le jeune prince fut admis au camp de Thün, dans le canton de Berne. C'était un camp de manœuvre que la Suisse formait tous les ans pour l'instruction des officiers du génie et de l'artillerie, sous la direction du brave colonel Dufour, ancien colonel du génie dans la grande armée de Napoléon. Les exercices de toute nature, manœuvres, instructions, courses dans les glaciers, étaient imposés chaque jour à ceux qui composaient le camp de Thin. Louis Napoléon ne reculait devant aucune fatigue; il prenait part à tout, le sac sur le dos, mangeant son pain de soldat, la brouette ou le compas à la main. Comme l'Empereur dans sa jeunesse, il sentit bientôt que ses goûts et ses instincts le poussaient à étudier profondément l'art de l'artillerie. Il s'y appliqua presque exclusivement, regardant cette étude comme la première dans les sciences de la guerre moderne.

CHAPITRE III.

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Mouvements politiques en Italie. - Vues des patriotes. - Les deux frères Napoléon. - Insurrection de la Romagne. Résolution des princes. - Vœux secrets de leur mère. Inquiétudes du comte de Saint-Leu.- Intrépidité des jeunes princes. Mort de l'aîné. - Efforts de Louis-Napoléon. Fin de l'insurrection. - Dévouement maternel de la duchesse de Saint-Leu.Maladie de son dernier fils. Départ pour la France. Séjour à Paris. - Visite à Louis-Philippe. Nouvelle maladie du prince. - Terreur du gouvernement. Lettre de Louis-Napoléon au roi. - Arrivée à Londres. - Les diplomates aux abois. - Retour en Suisse - Propositions des Polonais à Louis-Napoléon. Incertitudes du prince. Mort du duc de Reischtadt. - Situation nouvelle pour le neveu de l'Empereur.-Craintes de la Sainte-Alliance. Espionnage.. Prudence du prince. Actes nombreux

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de générosité.

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rompé dans ses espérances de rentrer sur le sol natal, déçu dans ses rèves de gloire, Louis-Napoléon tourna toutes ses vues du côté de la Péninsule italique, où la Révolution de juillet avait eu son contre-coup d'émancipation populaire. L'Italie, qui supporte impatiemment. le joug de l'Autriche, demandait incessamment au ciel de faire luire le jour de sa délivrance. Au bruit du toesin de Juillet, elle erut l'heure de son indépendance arrivée; elle comptait sur une solidarité de principes incontestable de la part du gouvernement français; mais les intérêts du pays, peut-être aussi le besoin de s'affermir, empêchèrent ce gouvernement de s'engager évé-fers dans une entreprise dont les conséquences auraient pu amener une conflagration générale.

Il était au camp de Thün, au inilieu des canous de l'école, lorsqu'il apprit la Révolution de juillet. Cet événement excita en lui l'enthousiasme d'un ardent patriote. Il s'empressa de célébrer avec ses camarades la résurrection du principe de la souveraineté du peuple et la réhabilitation de la nation française dans l'esprit de l'Europe. Il aimait à penser que la réapparition du drapeau tricolore, si brillamment illustré par Napoléon, serait le prélude de sa rentrée en France. Malheureusement la politique a des nécessités qui arrêtent sonvent l'essor des intentions généreuses, et, quels que fussent les vœux du gouvernement de Juillet, la haine de la Sainte-Alliance contre le sang du grand homme ne put cesser aussitôt, et les odieux traités de 1815 furent encore maintenus aussi bien contre la famille de Napoléon que contre la France elle-même.

Le nouveau roi Louis-Philippe avait pourtant fait dire à la duchesse de Saint-Leu des paroles gracieuses par la grande-duchesse de Bade, et les meilleurs amis d'Hortense lui marquaient dans leurs lettres qu'elle pourrait probablement revenir à Paris sans ses enfants. Mais elle n'aurait point consenti à se séparer d'eux; tant que la proscription les frapperait, elle entendait partager leur sort.

Cependant la fermentation croissait dans les esprits italiens, et Louis-Napoléon, qui passait l'hiver de 1830 à Rome avec sa mère, ne put s'empêcher de ressentir l'effet de la commotion. Les patriotes fondaient les plus grandes espérances sur lui et sur son frère. Les témoiguages de sympathic qu'il recevait éveillèrent les crainLes du gouvernement papal. Menacé dans sa liberté, il fut obligé de s'enfuir précipitamment pour échapper aux poursuites malveillantes de la police romaine. Il rejoignit son frère aîné à Florence.

Celui-ci, àgé alors de vingt-six ans, était marié; il avait épousé sa cousine, la seconde fille de Joseph; il vivait à Florence, s'occupant de travaux philosophiques

et d'inventions industrielles.

L'insurrection de la Romagne éclata enfin en 1831. Le but des insurgés était de renverser la domination autrichienne en Italie et de rétablir l'unité nationale. Pour appuyer leur mouvement, le nom de Napoléon paraissait tout-puissant: ils appelerent ses deux neveux, qui répondirent sans hésiter à leurs patriotiques sollicitations.

Hortense se trouvait encore à Rome. Au moment du départ de son fils, elle avait vu arriver chez elle un colonel de la garde du pape avec cinquante hommes qui avaient l'ordre de conduire à l'instant Louis-Napoléon aux frontières. Elle n'aurait pu s'opposer à cette mesure; mais le jeune prince était parti.

Au reste, ce n'était pas sans raison que le gouvernement papal redoutait la présence à Rome de ceux qui pou vaient devenir les chefs d'une insurrection. On était au moment du carnaval, et un mouvement insurrectionnel éclata pendant la promenade du Corso; mais il fut promptement réprimé. La duchesse de Saint-Leu, qui avait reçu les confidences d'un des conspirateurs, passa la journée dans une vive inquiétude. « Mon salon, dit-elle dans ses Mémoires, se remplit à l'instant de Français et de Françaises de ma connaissance; chacun venait se réfugier auprès de moi. » Le sort la plaçait ainsi comme actrice dans tous les événements; probablement sa volonté n'était pas tout à fait étrangère à cette situation. Elle ouvrit même son palais à un insurgé qui avait été grièvement blessé dans l'action.

L'insurrection gagnant de proche en proche dans tous les Etats du pape, ilortense, sollicitee par ses fils, abandonna Rome, et vint se réfugier à Florence, où elle espérait les rejoindre. A son arrivée, elle apprit qu'ils s'étaient réunis aux rebelles; que la jeunesse des villes et des campagnes leur obéissait; enfin, que le général Armandi, ancien gouverneur du prince Napoléon, son fils ainé, venait d'être nommé ministre de la guerre par les insurgés.

Le comte de Saint-Leu (1) était désespéré; il accusait Hortense de la direction que prenaient ses fils; il voulait absolument qu'elle partit pour les aller chercher. Elle s'y refusa par des raisons assez puissantes. «S'ils doivent revenir, disait-elle, ce ne peut être que de leur plein gré. S'ils ont pris parti, je ne pourrai les détacher, et l'on ne manquera pas de dire que je suis allée avec des millions pour les aider. » Le prince Corsini lui conseilla alors de se dire malade, afin de les exciter à venir la voir, et, dès qu'ils seraient à la frontière, une troupe apostée s'emparerait d'eux et les ramènerait.

« Ce piége qu'on proposait à une mère, dit la duchesse dans ses Mémoires, me fit préférer encore le tourment sans cesse renaissant que me causait l'inquiète agitation de mon mari. » Le fait est qu'elle n'aurait pas été bien fàchée de voir ses fils acquérir un peu de gloire, et qu'elle faisait tacitement des vœux pour le succès de leur entreprise. Aussi, pendant que le cardinal Fesch, de concert avec leur père et avec leur oncle Jérôme, envoyait à ces deux princes des ordres, des prières, pour qu'ils quittassent l'insurrection, seule, Hortense ne joignait pas aux instances de la famille ses supplications, qui eussent été probablement les plus puissantes. Elle-même, au surplus, ne dissimule pas ses sentiments. « Amis, ennemis, famille, dit-elle, tout le monde se donnait le mot pour neutraliser leurs efforts, tandis que l'enthousiasme le plus grand animait le pays qu'ils occupaient, et que la jeunesse, calculant la réussite sur son ardeur et sur son courage, se voyait déjà en espérance maîtresse de Rome.

Cependant l'impéritie et les temporisations trop diplomatiques des chefs du gouvernement insurrection nel paralysaient l'action révolutionnaire: il faut aux mouvements populaires des caractères audacieux et entreprenants: la prudence, en temps de crise, est dans l'énergie et dans la promptitude des mesures. Le prince Napoléon, n'écoutant que ses instincts guerriers, arma à la hate quelques braves déterminés, et, suivi d'un seul

(1) Il est à remarquer que l'ex-roi de Hollande prenait le titre de comte, tandis que sa femme avait celui de duchesse.

canon qu'il avait mis en état de service, il courut s'emparer hardiment de Civita-Castellana.

Tant d'intrépidité effraya le ministre de la guerre qu'on venait d'improviser, et l'ordre fut donné au prince de suspendre ses attaques. Désolé de ce malheureux contre-temps, comprenant tout ce qu'on perdait par cé défaut de volonté et d'audace, Napoléon se hâta de revenir à Bologne pour presser, par ses paroles et par son activité, les préparatifs de défense, puisque l'on commettait la faute capitale de ne pas aller en avant. Il y eut une affaire assez brillante, où Louis-Napoléon, aussi bien que son frère, paya bravement de sa personne, et chargea avec vigueur à la tête de quelques cavaliers.

Ces efforts isolés n'arrêtaient pas la marche des Autrichiens; les indépendants durent se replier sur Forli en faisant bonne conterance et aux cris de vive la liberté! vivent les Bonaparte!

C'est dans cette ville de Forli que l'aîné des princes fut attaqué subitement de la rougeole, et cette maladie, mal soignee au début, devint presque aussitôt mortelle. En quelques heures, le brave jeune homme fut aux portes de la tombe, et expira dans les bras de son frère, étourdi, atterré de cette perte si rapide.

Malgré sa profonde et inconsolable douleur, le prince Louis-Napoleon, en qui revivaient les vertus et la haute capacité de son généreux frère, avec un sentiment plus prononcé du génie militaire, bien qu'il n'eût alors que vingt-deux ans à peine, ne céda le terrain qu'après une résistance acharnée, et sur les ordres réitérés des chefs du gouvernement insurrectionnel. La retraite s'opéra sur Ancône. Abandonnés par la politique française, les indépendants se virent contraints de cesser une lutte inégale et désormais inutile. Dès lors, il ne fut plus question, pour les insurgés les plus compromis, que de se soustraire aux vengeances combinées de Rome et de Vienne. On fréta des navires pour se réfugier en Grèce. Plusieurs chefs furent pris et traités impitoyablement.

On comprend les angoisses d'Hortense à la nouvelle de ces tristes événements. Dès les premières défaites, le comte de Saint-Leu aurait voulu que la duchesse s'embarquât avec ses fils pour les conduire à Corfou ; mais, craignant d'être arrêtée par une croisière autrichienne, elle forma, à l'insu de son mari, le projet audacieux de les conduire en Angleterre en passant par la France. Après avoir pris ostensiblement un passe-port pour Ancône, elle partit de Florence le 40 mars (1831), en faisant usage d'un autre passe-port qu'elle avait obtenu sous le nom d'une dame Anglaise voyageant avee ses deux fils.

Arrivée à Foligno, elle leur écrivit pour leur communiquer toutes ses craintes et les prévenir qu'elle attendait dans cette ville le résultat de leur entreprise, quel qu'il fût. Sou courrier les trouva à Forli en pleine retraite et au moment où Napoléon venait de tomber inalade. A cette nouvelle, la malheureuse mère se hâta de continuer son voyage; mais, arrivée à Pesaro, elle ne trouva plus que son second fils Louis-Napoléon; l'autre, comme on l'a vu, avait succombé. Il fallut aussitôt comprimer sa douleur maternelle pour songer à sauver le dernier enfant qui lui restait. Les Autrichiens avançaient; il n'y avait pas un instant à perdre. Son passeport anglais comprenait deux jeunes gens. Pour éloigner les soupçons, elle fit passer pour l'un de ses fils le jeune marquis Zappi, un des chefs insurgés qui avait

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