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hommes à une position sociale honorable car les liI vrer à tous les hasards d'un mouvement populaire. Devant les lois, mes compagnons d'infortune sont coupables de s'être laissé entraîner, mais jamais plus qu'en leur faveur il n'y eut des circonstances atténuantes aux yeux du pays. Je tins au colonel Vaudrey, lorsque je le vis, et aux autres personnes, le 29 au soir, le langage suivant:

« Messieurs, vous connaissez tous les griefs de la nation envers le gouvernement du 9 août; mais vous savez aussi qu'aucun parti existant aujourd'hui n'est assez fort pour le renverser, aucun assez puissant pour réunir tous les Français, si l'un deux parvenait à s'emparer du pouvoir. Cette faiblesse du gouvernement, comme cette faiblesse des partis, vient de ce que chacun ne représente que les intérêts d'une seule classe de la société, Les uns s'appuient sur le clergé et la noblesse, les autres sur l'aristocratie bourgeois e, d'autres enfin sur les prolétaires seuls.

«Dans cet état de choses, il n'y a qu'un seul drapeau qui puisse rallier tous les partis, parce qu'il est le drapeau de la France et non celui d'une faction; c'est l'aigle de l'Empire, Sous cette bannière, qui rappelle tant de souvenirs glorieux, il n'y a aucune classe expulsée

elle représente les intérêts et les droits de tous. L'empereur Napoléon tenait son pouvoir du peuple français; quatre fois son autorité reçut la sanction populaire en 1804, l'hérédité dans la famille de l'Empereur fut reconnue par quatre million de votes; depuis, le peuple n'a plus été consulté...

« Comme l'aîné des neveux de Napoléon, je puis donc me considérer comme le représentant de l'élection po pulaire, je ne dirai pas de l'Empire, parce que, depuis vingt ans, les idées et les besoins de la France ont du changer; mais un principe ne peut être annulé par des faits, il ne peut l'être que par un autre principe; or, ce ne sont pas les douze cent mille étrangers de 4845, ce n'est pas la Chambre des 221 de 1830, qui peuvent rendre nul le principe de l'élection de 1804,

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«Le système napoléonien consiste à faire marcher la civilisation sans discorde et sans excès, à donner l'élan aux idées tout en développant les intérêts matériels, à raffermir le pouvoir en le rendant respectable, à disci, pliner les masses d'après leurs facultés intellectuelles, enfin à réunir, autour de l'autel de la patric, les Français de tous les partis, en leur donnant p: ur mobiles l'honneur et la gloire. Remettons, leu dis-je, le peuple dans ses droits, l'aigle sur nos drapeaux et la stabilité dans nos institutions. Eh quoi! m'écriai-je en fin, les princes de droit divin trouvent bien des hommes qui meurent pour eux dans le but de rétablir les abus et les priviléges; et moi, dont le nom représente la gloire, l'honneur et les droits du peuple, mourrai-je donc seul dans l'exil!... Non! m'ont répondu mes braves compagnons d'infortune, vous ne mourrez pas seul nous mourrons avec vous ou nous vaincrons ensemble pour la cause du peuple français ! »

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« Vous voyez donc, monsieur, que c'est moi qui les ai entraînés en leur parlant de tout ce qui pouvait le plus émouvoir des cœurs français. Ils me parlèrent de leurs serments, mais je leur rappelai qu en 1815 ils avaient prêté serment à Napoléon II et à sa dynastie. «L'invasion seule, leur dis-je, vous a délié de ce ser. ment. Eh bien! la force peut rétablir ce que la force seule a pu détruire. » J'allai même jusqu'à leur dire qu'on parlait de la mort du roi... (J'ai mis cela, ma mère, comme vous le comprendrez, pour leu être utile).

Vous voyez combien j'étais coupable aux yeux du gouvernement! Eh bien! le gouvernement a été généreux envers moi; il a compris que ma position d'exilé, que mon amour pour mon pays, que ma parenté avec le grand homme, étaient des causes atténuantes; le jury restera-t-il en arrière de la marche indiquée par le gouvernement? ne trouvera-t-il pas des causes atténuantes bien plus fortes en faveur de mes complices dans les souvenirs de l'Empire, dans les relations intimes de plusieurs d'entre eux à mon égard, dans l'entraînement du moment, dans l'exemple de Labédoyère, enfin dans ce sentiment de générosité qui fit que, soldats de l'Empire, ils n'ont pu voir l'aigle sans émotion; que, soldats de l'Empire, ils ont préféré sacrifier leur existence plutôt que d'abandonner le neveu de l'empereur Napoléon, que de le livrer à ses bourreaux, car nous étions loin de penser à une grâce en cas de non réussite ? »

On aura sans doute remarqué, dans cette admirable lettre à M. Odilon Barrot, deux points importants : d'abord la noblesse des sentiments, la grandeur d'âme, l'abuégation de l'homme généreux qui s'oublie luimême pour ne songer qu'aux peines des autres; ensuite, ce qui est surtout frappant aujourd'hui, le programme politique du gouvernement napoléonien : Faire marcher la civilisation sans discorde et sans excès, donner l'élan aux idées tout en développant les intérêts matériels, RAFFERMIR LE POUVOIR EN LE RENDANT RESPECTABLE, discipliner les masses d'après leurs facultés intellectuelles, enfin réunir autour de l'autel de la patrie les Français de tous les partis, en leur donnant pour mobiles l'honneur et la gloire. Telle est l'expression réduite de ce système, qui n'a pas été, comme on le voit et comme on ne saurait trop le faire observer, improvisé en décembre 1851, puisque Louis - Napoléon en avait exposé les principes quinze ans avant d'être appelé à les appliquer, et l'avait dès lors proclamé comme le seul système propre à donner à la France une nouvelle gloire et des trésors de prospérité.

Après avoir ainsi confié à sa mère les détails et la justification de son entreprise, le jeune prince termine sa lettre par le journal de son voyage, Cette seconde partie offre trop d'intérêt pour n'être pas reproduite ici.

« En vue de Madère, le 12 décembre.

« Je suis resté dis jours à la citadelle de Port-Louis; tous les matins je recevais la visite du sous-préfet de Lorient, du commandant de la place et de l'officier de gendarmerie; ils étaient tous très-bien pour moi et ne cessaient de me parler de leur attachement à la mémoire de l'Empereur; le commandant Cuynat et le lieutenant Thiboulet étaient remplis de procédés et d'égards pour moi; je me croyais toujours au milieu de mes amis, et la pensée qu'ils étaient dans une position hostile à la mienne me faisait beaucoup de peine, Les vents étaient toujours contraires et empêchaient la frégate de sortir du port; enfin, le 24, un bateau à vapeur remorqua la frégate : le sous-préfet vint me dire que j'allais partir. Les ponts levis de la citadelle se baissèrent; je sortis accompagné du sous-préfet, du commandant de la place et de l'officier de gendarmerie de Lorient, enfin des deux officiers et des sous-officiers qui m'avaient amené; je traversai deux files de soldats qui contenaient la foule des curieux accourus pour me voir.

«Nous montâmes tous dans des canots pour aller rejoindre la frégate qui nous attendait hors du port; je

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saluai ces messieurs avec cordialité; je montai sur le vaisseau et je vis, avec un serrement de cœur, les rivages de la France disparaître devant moi.

«Je dois maintenant vous donner des détails sur la frégate. Le commandant m'a cédé la chambre sur l'arrière du bâtiment, où je couche; je dine avec lui, son fils, le second du bâtiment et l'aide de camp. Le commandant, capitaine de vaisseau, Henri de Villeneuve, est un excellent homme, franc et loyal comme un vieux marin; il a pour moi toutes sortes d'attentions. Vous voyez que je suis bien moins à plaindre que mes amis. Les autres officiers de la frégate sont aussi très-bien à mon égard. Il y a, en outre, deux passagers qui sont deux types: l'un, M. D..., est un savant de vingt-six ans, qui a beaucoup d'esprit et d'imagination mêlés d'origi

nalité et même d'un peu de singularité par exemple, il croit aux prédictions, et il se mêle de prédire lui-même à chacun son sort; il ajoute une grande foi au magnétisme, et m'a dit qu'une somnambule lui avait prédit, il y avait deux ans, qu'un membre de la famille de l'Empereur viendrait en France et détrônerait Louis-Philippe. Il va au Brésil pour faire des expériences sur l'électricité. L'autre passager est un ancien bibliothécaire de don Pedro, qui a conservé toutes les manières de l'ancienne cour: maltraité au Brésil à cause de son attachement à l'Empereur, il y retourne pour faire des réclamations.

Les quinze premiers jours de traversée furent bien pénibles; nous fumes toujours ballottés par la tempête et les vents contraires, qui nous jetèrent jusqu'au com

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mencement de la Manche: impossible, pendant tout ce temps-là, de faire un pas sans s'accrocher à tout ce qui nous tombe sous la main.

« Nous ne savons que depuis quelques jours que notre destination est changée. Le commandant avait des ordres cachetés qu'il a ouverts, et qui lui disent d'aller à Rio, d'y rester le temps qu'il faut pour renouveler ses provisions, de me retenir à bord pendant tout le temps qu'il restera en rade, et ensuite de me conduire à New-York. Or, vous saurez que cette frégate est destinée à aller dans les mers du Sud, où elle restera en sta ion pendant deux ans: on lui fait faire ainsi trois mille lieues de plus; car de New-York elle sera obligée de revenir à Rio, en longeant beaucoup à l'est, pour attraper les vents alizés.

Paris Imp. Simon Rago & Cie, rue d'Erfurth, 1.

« En vue des Canaries, le 14. «Chaque homme porte en lui un monde composé de tout ce qu'il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu'il parcourt un monde étranger; j'ignore alors ce qui est le plus douloureux de se souvenir des malheurs qui vous ont frappé ou du temps heureux qui n'est plus.

« Nous avons traversé l'hiver et nous sommes de nouveau en été; les vents alizés ont succédé aux tempêtes, ce qui me permet de rester la plupart du temps sur le pont, assis sur la dunette: je réfléchis à ce qui m'est arrivé et je pense à vous et à Arenemberg. Les situations dépendent des affections qu'on y porte: il y a deux mois, je ne demandais qu'à ne plus revenir en Suisse; actuellement, si je me laissais aller à mes im

pressions, je n'aurais d'autre désir que de me retrouver dans ma petite chambre, dans ce beau pays, où il me semble que je devais être si heureux! Hélas! quand on a une ame qui sent fortement, on est destiné à passer ses jours dans l'accablement de son inaction ou dans les convulsions des situations douloureuses.

« Lorsque je revenais, il y a quelques mois, de reconduire Mathilde, en rentrant dans le parc, j'ai retrouvé un arbre rompu par l'orage, et je me suis dit à moimême: Notre mariage sera rompu par le sort!... Ce que je supposais vaguement s'est réalisé; ai-je donc épuisé, en 1836, toute la part de bonheur qui m'etait échue?

«Ne m'accusez pas de faiblesse si je me laisse aller à vous rendre compte de toutes mes impressions: on peut regretter ce qu'on a perdu sans se repentir de ce qu'on a fait. Nos sensations ne sont pas, d'ailleurs, assez indépendantes des causes intérieures pour que nos idées ne se modifient pas toujours un peu suivant les objets qui nous environnent. La clarté du soleil ou la direction du vent ont un grande influence sur notre état moral: quand il fait beau comme aujourd'hui, que la mer est calme comme le lac de Constance quand nous nous y promenions le soir; que la lune, la même lune, nous éclaire de la même lueur bleuatre; que l'atmosphère, enfin, est aussi douce qu'au mois d'août en Europe, alors je suis plus triste qu'à l'ordinaire; tous les souvenirs, gais ou pénibles, viennent tomber avec le même poids sur ma poitrine; le beau temps dilate le cœur et le rend plus impressionable, tandis que le mauvais temps le resserre : il n'y a que les passions qui soient au-dessus des intempéries des saisons. Lorsque nous quittàmes la caserne d'Austerlitz, un tourbillon de neige vint fondre sur nous; le colonel Vaudrey, auquel je le fis remarquer, me dit : « Malgré cette bourrasque, ce jour-ci sera un beau jour. »

« 29 décembre.

« Nous avons passé la ligne hier; on a fait la cérémonie d'usage; le commandant, qui est toujours parfait pour moi, ma exempté du baptême... Cest un usage bien ancien, mais qui n'en est pas plus spirituel pour cela, de fêter le passage de la ligne en se jetant de l'eau et en singeant un office divin. Il fait une chaleur très-forte. J'ai trouvé à bord assez de livres pour ne pas m'ennuyer; j'ai relu les ouvrages de M. de Chateaubriand et de J.-J. Rousseau. Cependant, les mouvements du navire rendent toute occupation fatigante.

«1er janvier 1837.

qu'ils étaient plus malheureux que moi, et cette idée m'a rendu bien plus malheureux qu'eux.

« Présentez mes compliments bien tendres à cette bonne madame Salvage, à ces demoiselles, à cette pauvre petite Claire, à M. Connau et à Arsène.

« 5 janvier.

« Nous avons eu hier un grain qui est venu fondre sur nous avec une violence extrême. Si les voiles n'eussent pas été déchirées par le vent, la frégate aurait pu être en danger; il y a eu un màt cassé; la pluie tombait si impétueusement, que la mer en était toute blanche. Aujourd'hui, le ciel est aussi beau qu'à l'ordinaire, les avaries sont réparées, le mauvais temps est déjà oublié; que n'en est-il de même des orages de la vie? A propos de frégate, le commandant m'a dit que la frégate qui portait votre nom est actuellement dans la mer du Sud, et s'appelle la Flore.

« Le 10 janvier.

« Nous venons d'arriver à Rio-Janeiro. Le coup d'œil de la rade est superbe; demain j'en ferai un dessin. J'espère que cette lettre pourra vous parvenir bientôt. Ne pensez pas à venir me rejoindre je ne sais pas encore où je me fixerai; peut-être trouverai-je plus de charmes à habiter l'Amérique du Sud; le travail auquel l'incertitude de mou sort m obligera de me livrer pour me créer une position sera la seule consolation que je puisse goûter. Adieu, ma mère; un souvenir à nos vieux serviteurs et à nos amis de la Thurgovie et de Constance.

«Je me porte bien.

«Votre tendre et respectueux fils,
NAPOLEON-LOUIS BONAPARTE. »

Ainsi se termine cette lettre, où respirent tous les bons sentiments qui ont leur source dans le cœur. Nous ne voyons point que le prince ait continué le journal de sou voyage; nous savous seulement que la frégate qui l'avait amené en rade du Brésil le débarqua quelques i semaines après à New-York, où il ne fit qu'un court séjour. Il adressa, de cette ville, à l'ancien gouverneur de son frère Napoléon, M. Vieillard, depuis représen tant du peuple à la Constituante, et aujourd'hui l'un des membres distingués du Sénat, une lettre évidemment destinée à être rendue publique, dans laquelle il expliquait le but qu'il s'était proposé et les motifs qui l'avaient fait agir.

« J'avais, disait-il, deux lignes de conduite à suivre: l'une qui, en quelque sorte, dépendait de moi; l'autre des événements. En choisissant la première, j'étais, comme vous le dites fort bien, un moyen; en attendant la seconde, je n'étais qu'une ressource. D'après mes idées, ma conviction, le premier rôle me semblait bien

«Ma chère maman, c'est aujourd'hui le premier jour de l'an; je suis à quinze cents lieues de vous, dans un autre hémisphère; heureusement la pensée parcourt tout cet espace en moins d'une seconde. Je suis près de vous, je vous exprime tous mes regrets de tous les tourments que je vous ai occasionnés; je vous renouvelle l'expres-préférable au second. Le succès de mon entreprise sion de ma tendresse et de ma reconnaissance.

«Le matin, les officiers sont venus en corps me souhaiter la boune année: j'ai été sensible à cette attention de leur part. A quatre heures et demie, nous étions à table; comme nous sommes à 17 degrés de longitude plus ouest que Constance, il était en même temps sept heures à Arenemberg; vous étiez probablement à dîner: j'ai bu en pensée à votre santé; vous en avez peut-être fait autant que moi, du moins je me suis plu à le croire dans ce moment-là. J'ai songé aussi à mes compagnons d'infortune; hélas! je songe toujours à eux! J'ai pensé

m'offrait les avantages suivants : je faisais, par un coup de main, en un jour, l'ouvrage de dix années peut-être; réussissant, j'épargnais à la France les luttes, les troubles, les désordres d'un bouleversement qui arrivera, je crois, tôt ou tard. « L'esprit d'une révolution, dit M. Thiers, se compose de passions pour le but, et de haines pour ceux qui font obstacle.» Ayant entraîné le peuple par l'armée, nous aurious eu les nobles passions sans la haine, car la haine ne nait que de la lutte entre la force physique et la force morale. Personnellement ensuite, ma position était claire, nette, partant facile.

Faisant une révolution avec quinze personnes, si j'arrivais à Paris, je ne devais ma réussite qu'au peuple et nou à un parti; arrivant en vainqueur, je déposais de plein gré sans y être forcé, mou épée sur l'autel de la patrie; on pouvait alors avoir foi en moi, car ce n'était plus seulement mon nom, c'était ma personne qui devenait une garantie. Dans le cas contraire, je ne pouvais être appelé que par une fraction du peuple, et j'avais pour ennemis non un gouvernement débile, mais une foule d'autres partis, eux aussi peut-être nationaux.

D'ailleurs, empêcher l'anarchie est plus facile que de la réprimer; diriger des masses est plus facile que de suivre leurs passions. Arrivant comme ressource, je n'étais qu'un drapeau de plus jeté dans la mêlée, dont l'influence, immeuse dans l'agression, eût peut-être été impuissante pour rallier. Enfin, dans le premier cas, j'étais au gouvernail sur un vaisseau qui n'a qu'une seule résistance à vaincre; dans le second cas, au contraire, j'étais sur un navire battu par tous les vents, et qui, au milieu de l'orage, ne sait quelle route il doit suivre. I est vrai qu'autant la réussite de ce premier plan m'offrait d'avantages, autant le nou-succès prêtait au blame. Mais, en entrant en France, je n'ai pas pensé au rôle que me ferait une défaite; je comptais, en cas de malheur, sur mes proclamations comme testament, et sur la mort comme un bienfait. Telle était ma manière de voir... »

Cette lettre remarquable était, disons-nous, écrite de New-York et datée du 30 avril 1837.

Cependant la reine llortense, dont la santé était depuis longtemps fort chancelante, sentit bientôt que son état s'aggravait par suite de la révolution qu'elle avait éprouvée en apprenant le résultat de l'entreprise de Strasbourg, et par le chagrin qu'elle ressentait de l'éloignement de son fils. Se voyant obligée de subir une opération dangereuse et craignant une catastrophe, elle lui adressa, dès le 3 avril, ses derniers adieux dans une lettre des plus touchantes.

«Mon cher fils, disait-elle, on doit me faire une opération ab-olument nécessaire. Si elle ne réussissait pas, je t'envoie, par cette lettre, ma bénédiction. Nous nous trouverons, n'est-ce pas ? dans un meilleur monde, où tu ne viendras me rejoindre que le plus tard possible, et tu penseras qu'en quittant celui-ci je ne regrette que toi, que ta bonne tendresse, qui seule m`y a fait trouver quelque charme. Cela sera une consolation pour toi, mou cher ami, de penser que, par tes soins, tu as reudu ta mère heureuse autant qu'elle pouvait l'être. Tu penseras à toute ma tendresse pour toi et tu auras du courage. Peuse qu'on a toujours un œil bienveillant et clairvoyant sur ce qu'on laisse ici-bas; mais, bien sûr, on se retrouve. Crois à cette douce idée : elle est trop néces. saire pour ne pas être vraie. Ce bon Arsène, je lui donne aussi ma bénédiction comme à un fils. Je te presse sur mon cœur, mon cher ami. Je suis bien calme, bien ré. siguée, et j'espère encore que nous nous reverrons dans ce monde-ci; que la volonté de Dieu soit faite! «Ta tendre mère,

Ce trois avril 1837.

«Signé HORTENSE. »

Le même jour, l'excellente princesse fit aussi son testament, par lequel elle déclarait son fils le seul héritier de tout ce qu'elle possédait, et iustituait des legs en faveur de ses neveux et nièces et de toutes les per

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sonnes qu'elle avait aimées ou qui avaient été assez heureuses pour lui rendre des services. Personne n'est oublié son médecin, le docteur Connau, ses femmes de chambre, son domestique, le fidele Vincent Rousseau, tous reçoivent des marques de sa munificence. Elle termine ainsi :

« Que mon mari donne un souvenir à ma mémoire, et qu'il sache que mon plus grand regret a été de ne pouvoir le rendre heureux.

« Je n'ai point de conseils politiques à donner à mon fils je sais qu'il connaît sa position et tous les devoirs que son nom lui impose.

« Je pardonne à tous les souverains avec lesquels j'ai eu des relations d'amitié la légèreté de leur jugement sur moi...

« Je pardonne à quelques Français auxquels j'avais pu être utile la calomnie dont ils m'ont accablée pour s'acquitter; je pardonne à ceux qui l'ont crue sans exameu, et j'espère vivre un peu dans le souvenir de mes chers compatriotes... »

:

Les vœux de l'excellente femme ne furent pas entièrement trompés. En effet, dès qu'il apprit la cruelle situation de sa mère, Louis-Napoléon n'eut plus qu'une pensée celle de revenir en Europe et d'accourir à Arenemberg, où la présence d'un fils adoré pouvait seule adoucir les instants suprêmes de la pauvre exilée. Il arriva assez tôt pour recevoir sa dernière bénédiction et recueillir son dernier soupir.

Les restes de la reine Hortense furent, suivant le désir qu'elle en avait exprimé, transportés en France et déposés dans les caveaux de Saint-Leu près des cendres de sa mère et de celles de son fils aîné.

Je n'entreprendrai point, on le comprend, de peindre la douleur et les regrets du fils d'llortense à la mort de sa bonne mère. Il vécut, dès ce fatal moment, dans une retraite presque absolue, ne cherchant des consolations que dans l'étude; il commença alors un travail important, qu'il se proposait de publier plus tard sous le titre de: Les Idées napoléoniennes. Nous en parlerons à son temps.

Pour suivre l'ordre chronologique, nous rappelierons ici un fait qui se rattache naturellement à l'histoire que nous écrivons, parce qu'il contribua à ranimer le souvenir de Napoléon et les sentiments de reconnaissance que les Français conservaient pour ce grand génie. It s'agit de la discussion qui eut lieu le 2 juin 1858, à la Chambre des députés, sur un projet de loi présenté par le ministère, et tendant à donner une pension annuelle et viagère de cent mille franes (100,000 fr.) à la sœur de Napoléon, veuve du roi de Naples, le brave et inconstant Murat. Cette princesse vivait à Rome, sous le nom de comtesse de Lipona, dans un état voisin du besoin. Forcée par la nécessité, elle avait réclamé près du gouvernement français une indemnité pour des biens qu'elle possédait en France et qui lui avaient été repris illégalement et sans compensation.

Louis-Philippe pensa que les réclamations de la com. tesse, si elles étaient portées devant les tribunaux civils, donneraient lieu à un long procès dout le succès, du reste, paraissait fort douteux. Ajoutous que, parmi les biens que la comtesse avait possédés en France, se trouvait le domaine de Neuilly, qui avait fait retour au duc d'Orléans en 1814.

Le gouvernement estima dès lors qu'il était plus digne de la générosité française d'accorder à la sœur de Napoléon une pension qui la mît en état de soutenir

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