Page images
PDF
EPUB

l'honneur de son nom, et il proposa la loi dont nous parlons.

Le jour de la discussion, M. de Marmier demanda que cette loi fût votée sans discussion : « Il ne s'agit pas, disait-il, de la veuve de Murat; il s'agit de la sœur de l'Empereur, et c'est pour la France une question de sentiment...» (Cris tumultueux : La question préalable!) M. Liadières, malgré l'interruption qui vient d'enlever la parole à son collègue, n'en soutient pas moins la même opinion. « Je crois, dit-il, qu'il est des circonstances où, par respect pour un grand nom et de grandes infortunes, il faut voter et non discuter.» (Vives réclamations.) M. Glais-Bizoin, s'écrie : « Monsieur le président, maintenez la parole à M. Salverte. Il est fàcheux que vous n'ayez point ici les muets de l'Empire. » M. Liadières descend de la tribune au milieu d'une violente agitation, et M. Salverte prend la parole.

Il prétend que la comtesse, si elle a des droits, doit les faire valoir devant les tribunaux; il rappelle le traité du 14 janvier 1814, par lequel Murat faisait une alliance offensive et défensive avec l'Autriche et l'Angleterre contre Napoléon, contre la France; il explique qu'à son point de vue cette défection amena tous les malheurs de l'invasion étrangère. Il demande si la France doit payer de pareils services. Puis il continue: «Mais la comtesse de Lipona, c'est la sœur de Napoléon! Napoléon! Ce nom magique exerce sur tous les esprits, sur tous les cœurs, un prodigieux empire. Mais enfin cet empire a ses bornes, et vos sentiments d'admiration ne doivent pas toujours se traduire en impôts, en salaires d'argent à la charge des contribuables. »

que dira-t-elle, si vous rejetez la proposition du gouvernement? Elle dira que quinze ans après la mort de Napoléon, alors que le gouvernement de Juillet avait relevé ses statues aux applaudissements de toute la nation, une femme est venue se présenter devant les Chambres françaises en disant : « Je suis la sœur de Napoléon! » et que les Chambres françaises lui ont répondu : « Retirez-vous, nous ne vous connaissons pas! » M. L'herbette fait remarquer que, si l'on accorde une pension à la comtesse à titre de munificence nationale, elle ou ses enfants pourront, plus tard, revenir à des réclamations judiciaires. Il aurait donc fallu obtenir d'elle une renonciation à ses prétentions.

Le président du conseil (c'était M. le comte Molé) répond qu'il n'a été demandé aucune renonciation à la comtesse de Lipona et à sa famille, parce qu'on ne lui reconnaît aucun droit. Nul tribunal quelconque, soit administratif, soit judiciaire, ne pourrait être saisi de sa réclamation. Ainsi, messieurs, continue l'orateur, comme on vous l'a dit, c'est un acte de munificence que le gouvernement vous propose. Ce n'est point à la veuve de Murat qu'on vous demande de donner une pension (Vive approbation dans la plupart des rangs de l'Assemblée); c'est à la sœur de Napoléon (Trèsbien! très-bien!); et, lorsqu'on vient ici arguer de la rigueur prétendue du frère, au moment de quitter la vie, contre la sœur, je viens protester à mon tour. S'il pouvait se faire entendre, messieurs, croyez qu'il s'étonnerait qu'en France, dans ce pays où il a terrassé l'anarchie au dedans, et dont il a élevé si haut, au dehors, la gloire et le nom...

M. GLAIS-BIZOIN. Il a tué la liberté! il a été un despote!

M. BOULAY (de la Meurthe). — Il a sauvé la Révolution! centre : Oui! oui!)

M. GLAIS-BIZOIN. - Il a chassé les Chambres; vous attaquez la liberté de la tribune. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je répondrai à celui qui m'interrompt en la réclamant pour moi, la liberté de la tribune; j'épanche librement mes sentiments... Oui, messieurs, je ne crains pas de le dire, et c'est un sentiment personnel que j'exprime. Ce serait avec douleur que je verrais retourner la sœur de Napoléon dans cette Italie, où elle a trouvé un asile, sans que la

L'orateur ajoute que Napoléon, dans son testament, est muet à l'égard de sa sœur, et ce silence, dit-il, me semble l'arrêt d'une terrible condamnation. (Murmures au centre.) « Laissez de côté ces faits, me dit-on, c'est│(Au la sœur de Napoléon; Napoléon n'occupe plus les vœux politiques de la France, mais ce héros, ce génie de la gloire française, ce génie si puissant et si universel, conservera toujours ses droits à notre admiration et à nos plus vives sympathies... Eh bien! dit en terminant M. Salverte, si cette admiration est aussi vive qu'on le dit, que les partisans de la mémoire de Napoléon suivent l'exemple des admirateurs du général Foy; qu'ils ouvrent une souscription, comme ceux-ci en ont ou vert une pour les enfants du grand orateur. Cette lar-France lui ait témoigné de sympathie pour la position gesse, si noble, sera mille fois plus glorieuse pour la comtesse de Lipona qu'une pension qu'on aura quelque peine à faire voter. »

M. de Las-Cases répond d'abord que la comtesse de Lipona, loin d'avoir été répudiée par Napoléon mourant, ainsi que l'a dit M. Salverte, se trouve nommée trois fois dans le testament de son frère. « Au reste, ajoute-t-il, la question qui s'agite en ce moment est une question toute de sentiment. (Oui! oui! Très-bien!) I est des moments où une nation doit aussi avoir des entrailles... où elle doit ne se rappeler que le bien, et, pour son propre honneur, jeter un voile sur le reste. Nous devons, dans le projet de loi, ne voir qu'une chose: la sœur de Napoléon. (Très-bien! très-bien!) Que dit l'Europe aujourd'hui à la mémoire de Napoléon? cette Europe qu'il a foulée pendant quinze ans d'un pied victorieux, à laquelle il a arraché ses drapeaux pour en orner nos monuments et nos temples? Elle est pleine de vénération pour lui; elle ne prononce son nom qu'avec respect; la Prusse elle-même, cette Prusse tant dévastée par nos armées, ne voit plus dans Napoléon un ennemi: elle ne voit plus que le grand homme... Et l'histoire,

où elle se trouve. Ce que nous demandons, messieurs, c'est de venir au secours d'une grande infortune. Jamais je ne croirai que la Chambre puisse rester insensible à cet appel. (Marques nombreuses d'approbation.)

M. Dupin paraît à la tribune, où il ne monte que dans des occasions assez rares; aussi son apparition cause-t-elle une sorte de mouvement dans l'Assemblée. Son début semble indiquer qu'il va parler contre le projet.

« Les Assemblées, dit-il, quelque sentiment qu'elles éprouvent, doivent se défier de ce qu'on appelle Tenthousiasme et de l'entrainement. Quand on l'éprouve pour le bien, pour le beau, on peut l'éprouver aussi pour le mal. (Murmures au centre. A gauche Trèsbien!) Si vous consultez l'histoire des Assemblées délibérantes, vous verrez que fort peu de bien a été opéré par l'enthousiasme, et que beaucoup de mal, sujet à beaucoup de regrets, a été opéré par l'entraînement. »

Après ce préambule, l'orateur soutient que la comtesse de Lipona est sans droit pour rien réclamer. <«< Ainsi, continue-t-il, dans l'intérêt même de l'opinion

léon.

de ceux qui veulent faire de cette loi une loi de muni- de janvier 1838 jusqu'aux derniers jours de mai, il séficence, une loi qui se rattache à l'admiration, à la re-journa à Arenemberg, auprès du prince Louis-Napoconnaissance que l'on a pour la personne de l'Empereur, il importe qu'elle soit dépouillée de toute espèce d'idée de droit quelconque. Si vous la rattachiez à un droit, ce serait presque un acte d'autorité répréhensible avec son caractère de munificence, il y a peutêtre excès de libéralité; mais au moins le don ne sera pas empoisonné par l'ingratitude. >>

En second lieu, M. Dupin aurait combattu ce projet de toutes ses forces s'il eût été question d'accorder une faveur à la veuve du signataire du traité du 14 janvier 1814. Après avoir flétri la conduite de Murat dans cette conjoncture, il fait ressortir les grands services que Napoléon a rendus à sa patrie, et ne s'oppose pas à ce que la nation agisse généreusement à l'égard de sa

sœur.

M. Denys ajoute quelques mots d'éloges sur le caractère de la comtesse; puis la Chambre adopte le projet de loi à une majorité de 213 votants contre 137.

La pension fut constituée annuelle et viagère, et déclarée incessible et insaisissable; elle courut à partir du 1er janvier 1838; elle fut exactement payée jusqu'à la mort de la princesse.

Pendant que la reconnaissance nationale pour les grands services de Napoléon se manifestait ainsi sur la personne de sa sœur, les ennemis de son nom cherchaient à le dénigrer, s'acharnaient contre le prince Louis-Napoléon, son neveu, et dénaturaient chaque jour avec une odieuse persistance les faits et les circonstances de l'af faire de Strasbourg. M. de Persigny, retiré à Londres, crut nécessaire de publier une brochure pour repousser les attaques dont cette entreprise était le prétexte, et justifier les auteurs de la tentative en expliquant les motifs de leur conduite. Cette brochure, éditée en Angleterre, se répandit aisément dans les pays étrangers: en Allemagne, en Belgique, en Italie; mais elle pénétrait assez difficilement en France.

M. Laity, qui avait pris, comme on l'a vu, aussi bien que M. de Persigny, une part active à l'entreprise de Strasbourg, ne craignit pas de faire une autre édition de cette brochure et de la publier à Paris même, sous le titre de Relation historique des événements du 30 octobre 1836.- Le prince Napoléon à Strasbourg; par M. Armand Laity, ex-lieutenant d'artilleric, ancien élève de l'Ecole polytechnique.

:

-

Cet écrit fut déféré à la Cour des pairs, comme renfermant une provocation, non suivie d'effet, à un attentat contre la sûreté de l'Etat.

L'auteur de cette publication fut arrêté, le 21 juin 1838, à son domicile à Paris, rue Feydeau, no 30.

La Cour des pairs, constituée dès le 21 juin, entendit, le 28, le rapport de sa commission d'instruction, et fixa l'ouverture des débats au 9 juillet.

Ce rapport donnait quelques détails assez intéressants sur l'accusé, qu'un arrêt du 28, relatif à la compétence, avait déjà signalé en ces termes : « Laity (François-Armand-Ruppert), âgé de vingt-cinq ans, né à Lorient (Morbihan), taille de un mètre soixante-six centimètres, cheveux et sourcils blonds, yeux gris, nez bien fait, bouche moyenne, menton rond et visage ovale. »

Nous avons rappelé que M. Laity fut impliqué dans l'affaire de Strasbourg. Après son acquittement, il se rendit à Paris, où il séjourna six semaines; de là il alla visiter sa famille à Lorient, lieu de sa naissance, et y demeura trois mois. En 1837, il donna sa démission de lieutenant d'artillerie, qui fut acceptée. Depuis le mois

Vers le milieu de juin, il publia sa brochure et la répandit à profusion dans Paris et dans plusieurs villes importantes des départements. Cet ouvrage se distribuait gratuitement. Il en fut ainsi écoulé près de dix mille exemplaires. Le ministère public ne réussit à en saisir que quatre cent six.

A Paris, M. Laity vivait très-retiré; il est vrai qu'il n'y était venu que pour faire imprimer son livre et le répandre autant que cela lui serait possible. Il recevait le plus habituellement des visites de M. Lombard, qui prenait le titre d'ancien aide de camp du prince LouisNapoléon, et qui, après l'affaire de Strasbourg, où il avait été compromis, s'était rendu à Paris et s'y livrait à l'étude de la médecine, en s'abstenant complétement de politique. Que ce dernier point fût exact ou non, ce qui est positif, c'est que ses relations avec l'accusé ne lui attirèrent aucun désagrément; le pouvoir n'y trouva rien de répréhensible.

Quant à M. Laity, il avouait franchement que son but, en publiant l'ouvrage incriminé, avait été de faire connaitre l'affaire de Strasbourg telle qu'elle s'était passée; que tout ce que contenait sa brochure était l'expres sion vraie de ses opinions. Il ajoutait que le prince Napoléon était le véritable représentant de la cause populaire.

Il y a, au surplus, dans son interrogatoire, et surtout dans ses réponses, des circonstances d'un à-propos si frappant, des détails si prophétiques, qu'il est très-curieux de lire le texte même de ces passages.

« A la page 17, lui dit le chancelier, qui l'interrogeait, en parlant du prestige du droit qui n'existe plus en France dans la personne d'un seul homme, d'un roi, et qui ne peut se trouver que dans la volonté de tous, vous ajoutez : « Les hommes qui, en 1830, ont méconnu ce principe, ont trahi nos intérêts les plus sacrés; ils ont bâti un édifice dont ils ont oublié les fondations. » Ne voyez-vous pas que vous attaquez formellement la Révolution de juillet 1830 et le gouvernement qu'elle a fondé?

[blocks in formation]

Le fait est que le jeune écrivain avait émis une grande vérité en disant que la royauté de Juillet n'avait pas de base. On doit en être bien convaincu aujourd'hui. L'interrogateur continue:

« A la suite de conversations que vous prêtez, sur ce sujet, au prince Louis avec plusieurs hommes influents, vous arrivez à dire qu'il ne manque plus à la génération présente qu'une occasion solennelle pour faire l'application du principe que vous posez contre l'existence de ce gouvernement. «Alors, dites-vous, alors seulement la grande révolution de 1789 sera terminée; >> et vous ajoutez: « Qui pouvait, mieux que le prince Napoléon, aider à l'accomplissement de cette œuvre sociale; lui, dont le nom est une garantie de liberté pour les uns, d'ordre pour les autres, et un souvenir de gloire pour tous?» Ne voit-on pas, dans ces paroles, que le prince Louis est l'instrument à l'aide duquel, suivant vos vœux, le gouvernement né de la Révolution de juillet doit être renversé ?

[ocr errors]

n'a jamais été qu'une comédie pour la plupart de ceux qui le prêtaient. « Dans le fait, disait un de ces habiles. je l'ai prêté, j'ai donc pu le reprendre. » Le gouvernement provisoire, comprenant l'inutilité d'un pareil ser

- Oui, répond l'accusé, je crois que le prince est le chef qui convient le mieux à la France maintenant. » Et la plupart de ceux qui ont condamné M. Laity pour avoir écrit ces incontestables vérités vont à présent faire leur cour au prince Louis-Napoléon, le présidentment, l'avait aboli en 1848. Il a ainsi épargné force de la République, aujourd'hui le véritable représentant du peuple.

Ou lui objecte qu'à la page 21 il introduit le général Lafayette en lui prêtant un langage et des sentiments émiueniment contraires à ceux qu'il a professés et au serment qu'il avait prêté au gouvernement de Juillet; qu'il le calomnie ainsi sans l'ombre de preuves. «Ne voyez-vous pas, ajoute-t-on, que l'usage que vous faites ici de ce nom est, par l'ascendant qui ne peut manquer de lui être attribué, une véritable provocation à la révolte?

-Je ne crois pas, répond le prévenu, calomnier M. de Lafayette. La vérité ne peut être une calomnie. L'entrevue dont il est question dans cette brochure a en réellement lieu à Paris, en 4833. Il est certain ensuite qu'en me servant du nom de Lafayette, c'était un grand appui, un grand soutien que je donnais à notre cause: je ne l'aurais pas fait sans cela. >>

:

On adresse à l'accusé une question sur un passage dans lequel il énonce qu'en épargnant le prince Louis, le roi des Français a été obligé de reconnaître en lui la dynastie napoléonienne. Il répond : « A propos de dynastie, c'est de l'histoire; il y a la dynastie de la branche ainée comme la dynastie napoléonienne ces dymasties ne se regardent pas comme finies... » Et sur une autre question ayant le même sujet, il dit : « Mon Dieu! je ne suis pas très-fort sur les dynasties en gé néral : la véritable dynastie, pour moi, est celle qui offre le plus de garantie à la France. »

parjures aux royalistes qui sont venus encombrer l'Assemblée constituante et l'Assemblée législative avec la résolution bien arrêtée d'avance de démolir la République. Que le chef du pouvoir exige un serment de fidélité, comme un signe de déférence et d'hommage, à la bonne heure! mais qu'il ne compte pas trop sur la valeur d'une telle formalité.

Cependant, le jour de l'audience est arrivé; la Cour des pairs est nombreuse : le baron Pasquier, chancelier, préside: le procureur général Frank-Carré, assisté de son substitut, M. Boucly, remplit I office d accusateur public. Voilà l'accusé élevé sur le plus haut piedestal que le gouvernement ait pu choisir; le voilà posé en face de toute la France: du nord au midi, de I orient à l'occident, tous les regards se portent sur lui; l'intérêt s'attache à sa personne; chacun le plaint, chacun l'admire encore plus qu'on ne le plaint,

Le président de la Cour, c'était le chancelier Pasquier, interroge l'accusé, qui déclare reconnaître la brochure il en est l'auteur, il en a ordonné l'impression à dix mille exemplaires, qu'il a reçus et fait distribuer. Après ces aveux formels, l'interrogatoire se trouve terminé, et le procureur général prend la parole pour développer l'accusation, qui comprend deux parties: 4° une provocation, non suivie d'effet, au crime prévu par l'article 87 du Code pénal; 2o une attaque ayant pour but la destruction du gouvernement de 1830. Le procureur général commence par analyser la brochure incriminée; peu de lecteurs la connaissent, il la fait connaître à tout le monde; malgré les commentaires dont il enveloppe les assertions qu'il trouve dangereuses, il ne met pas moins au grand jour les pensées fondamentales du livre, et les dépose dans le cœur des masses, où elles raniment et vivifient des souvenirs chers an plus grand nombre.

Une lettre, écrite par le prince à M. Odilon Barrot, le 15 novembre 1836, se trouve aussi publiée dans la brochure. Elle se termine par le passage suivant, relatif aux accusés de Strasbourg : « Vous voyez donc, monsieur, que c'est moi qui les ai séduits, entraînés, en leur parlant de tout ce qui pouvait le plus émouvoir des eurs français. Ils me parlerent de leurs serments. Je Après avoir reconnu, dit-il, que, depuis la mort de leur rappelai qu'en 1815 ils avaient juré fidélité à Na--- V'Empereur et de son fils, la France n'avait plus qu'un poléon II et à sa dynastie. L'invasion seule, leur dis-je. vous a déliés de vos serments; eh bien! la force peut rétablir ce que la force seule a détruit. »

«Laity, continue le rapporteur, avait, à plusieurs reprises, déclaré qu'il adoptait et qu'il considérait comme Siennes toutes les opinions émises par le prince Louis, et manifestées dans sa brochure. » On lui fait, à propos du passage qui précède, l'observation suivante : « Ne comprenez-vous pas tout ce que pouvait avoir de dangereux, et, par conséquent, de coupable, l'exposition 'une pareille doctrine, si complétement subversive de la foi due aux serments, et qui ne tendrait à rien moins qu à faire croire que la fidélité due aux serments les plus sacrés et les plus solennels doit dispar. ître dès la première apparence de succès qui serait obtenue par une tentative formée contre le gouvernement existant?

-Monsieur le président, répond le prévenu, cette question est précisément celle que me fit, à Strasbourg, le président des assises; je ne jugeai pas à propos, alors, de lui répondre; aujourd hui, je vous dirai ce que tout le monde sait que ces serments sont des singeries, et que, par conséquent, on n'est pas un grand scélérat pour les violer. »

Cette réponse, d'une franchise toute militaire, est parfaitement fondée en raison; oui, le serment politique

souvenir vague des membres de la famille de Napoléon encore existants, et que le parti napoléonien n'avait plus un homme qui rappelat à lui les sympathies de la nation et qui fût le représentant de la cause po pulaire, l'auteur ajoute : « Mais une cause trouve toujours un homme pour la représenter, et la destinée avait permis que, dans la famille de l'Empereur, il se trouvat un héritier qui eût les épaules assez larges pour soutenir le poids de vingt ans de malheurs, et le fardeau bien plus lourd encore d'un avenir qu'il lui falfait conquérir pied à pied par son mérite et son courage. »

Dès le début de l'ouvrage, continue l'organe du ministère public, ce n'est pas seulement sous les auspices du nom de l'Empereur, c'est en quelque sorte avec l'appui de sa volonté et de son choix que l'auteur présente Louis Bonaparte à la France.

«Il place ensuite dans la bouche de son prétendant une discussion dont le but es d'établir que cette hérédité impériale peut scule constituer un gouvernement qui puise son existence et sa force dans la sauction populaire; que ce gouvernement serait seul assez puissant, assez respecté, pour assurer à la nation la jouissance de grandes libertés, sans agitation, sans désordres.

Ainsi on proclame me dynastie nouvelle; ou in

voque une légitimité d'une autre sorte, et l'on ne craint pas de présenter l'œuvre des mandataires légaux du pays, en 1830, comme n'ayant pas, contre cette légitimité qu'on invoque, plus d'autorité morale que le fait si douloureux à rappeler de l'invasion étrangère.

« D'une part, on prétend que le gouvernement de 1830, dans sa lutte pénible contre les partis, a pu les désarmer un moment, mais n'en a rallié aucun; qu'il s'est vu chaque jour contraint de chercher sa force dans un nouveau sacrifice des libertés du pays, et qu'en compromettant la dignité de la France en Europe il n'a pu obtenir qu'une tranquillité factice. D'autre part, on montre tous les partis se rattachant par une foi com- 1 mune an grand principe de la souveraineté populaire, de telle sorte qu'il ne manque plus à la génération présente qu'une occasion solennelle d'en faire l'application, et le prince Napoléon sera regardé comme pouvant, mieux que personne, aider à l'accomplissement de cette œuvre sociale, lui dont le nom est une garantie de liberté pour les uns, d'ordre pour les autres, et un souvenir de gloire pour tous. »>

Plus loin, le procureur général rapporte un discours que l'on fait, dit-il, adresser par Louis Bonaparte au colonel Vaudrey.

Croyez, dit le prince, que je connais bien la France, et que c'est justement parce que je la connais bien, que je désire tenter un mouvement qui la retrempe et la détourne du péril où elle semble prête à tomber. Le plus graud malheur de l'époque actuelle est le manque de liens entre les gouvernants et les gouvernés: confiance, estime, respect, honneur, ne sont plus les soutieus de l'autorité.

«La France a vu passer depuis cinquante ans la République avec ses grandes idées, mais avec ses violentes passions; l'Empire avec sa gloire, mais avec ses guerres interminables; la Restauration avec les bienfaits de la paix, mais avec ses tendances rétrogrades et ses influences étrangères; le gouveruement d'Août avec ses promesses, ses grands mots, mais avec ses petites mesures, ses petites passious, ses mesquins intérêts. Au milieu de ce chaos, entre ses antécédents, ses rancunes, ses besoins et ses désirs, le peuple cherche!... Punition la plus facheuse pour une nation, qui n'a plus pour se guider que la haine des partis.

« Ce chaos moral est naturel; car chaque règue a laissé dans la nation des traces de son passage, et ces traces se révèlent par des éléments de prospérité ou des causes de mort.

«La France est démocratique, mais elle n'est pas républicaine; or, j'entends par démocratie le gouvernement d'un seul par la volonté de tous, et, par république, le gouvernement de plusieurs obéissant à un système. La France veut des institutions nationales comme représentant de ses droits; un homme ou une famille comme représentant de ses intérêts; c'est-à-dire qu'elle veut de la République ses principes populaires, plus la stabilité; de Empire sa dignité nationale, son ordre et sa prospérité intérieure, moins ses conquêtes; elle pourrait enfin envier à la Restauration ses alliances extérieures; mais du gouvernement actuel que peutelle vouloir?

<< Mon but est de venir avec un drapeau populaire, le plus populaire, le plus glorieux de tous; de servir de point de ralliement à tout ce qu'il y a de généreux et de national dans tous les partis; de rendre à la France sa dignité sans guerre universelle, sa liberté sans licence, sa stabilité sans despotisme; et, pour arriver à

un pareil résultat, que faut-il faire? Puiser entièrement dans les masses toute sa force et tous ses droits, car les masses appartiennent à la raison et à la justice. »

Ce magnifique programme de gouvernemeut, que le procureur général a l'imprudence de jeter à la face du monde du haut de la tribune de la Cour des pairs, croit-on qu'il n'ait pas déposé des germes précieux dans la pensée du peuple? Qu'on remarque que celle judicieuse appréciation des sentiments et des besoins de la France était proclamée en 1838, quatorze ans avant le jour où celui qui l'émettait devait être appelé à faire l'application du programme qu'il avait posé. Le procureur général se livra encore à une longue discussion pour démontrer que le but de l'ouvrage incriminé est le renversement du gouvernement de Louis-Philippe; la substitution du régime impérial dans la personne de Louis Bonaparte au régime constitutionnel dans la personne du roi des Français.

M. Frank-Carré termine par une péroraison qui serait éloquente si elle n'était pas déclamatoire, et que nous devons rapporter ici, autant par un sentiment d'impartialité que pour montrer combien les amis et les soutiens du gouvernement de Louis-Philippe se trompaient dans leurs appréciations des choses qui les environnaient.

« Nous pouvons donc conclure maintenant avec confiance, dit l'organe du ministère public, qu'Armand Laity s'est rendu coupable du double attentat qui lui est imputé; mais, lorsque nous venons en demander la répression, ne craignez pas, messieurs, que nous cherchions à exagérer la gravité de ses conséquences. Nous vous avons montré sous son véritable point de vue l'importance de ce procès quand nous vous avons signalé la publication qui l'a rendu nécessaire comme une violation flagrante et hardie des lois qui ont voulu imposer à la presse des limites qu'il lui devînt impossible de franchir; comme le manifeste de quelques ambitieux, qui essayent de se créer un parti, et qui, en avouaut publiquement une sédition manquée, viennent au milieu de nous se déclarer en état de complot permanent; comme l'œuvre d'un homme qui, heureux échappé des bancs de la cour d'assises, dément luimême, à la face du pays, le verdict qui a fait de son innocence une vérité légale, et qui, pour recruter des conspirateurs, développe avec complaisance les éléments mensongers d'une conspiration puissante.

« Certes, messieurs, il y a danger pour la sécurité publique dans ce défi jeté saus détour et sans pudeur aux lois qui la protégent; dans cet exemple de coupable audace proposée aux factions qui s'agitent encore parmi nous; dans cette glorification d'un crime demeuré sans résultat, dans ces présomptueuses menaces d'un attentat plus heureux. Mais que l'on se garde bien de nous attribuer la pensée que ni Laity et sa brochure, ni Louis Bonaparte et le soi-disant parti napo léonien, aient jamais eu le pouvoir d'ébranler notre gouvernement national et d'inspirer sur son existence et sa durée de sérieuses alarmes. Il n'appartient à personne de menacer nos institutions, parce qu'elles sont l'œuvre et la propriété de la France, qui saurait les défendre comme elle a su les fonder. Mais le péril d'une révolution nouvelle est-il donc le seul dont il faille se garder? Les tentatives les plus insensées, les entreprises les plus aventureuses, ne suffisent-elles pas pour inquiéter les esprits et troubler le cours de la prospérité publique? Ne sait-on pas, d'ailleurs, que, dans le temps où nous vivons, le parti, quel qu'il soit, qui se

jette le premier dans la lice peut voir ses rangs grossir par tous les artisans de troubles, tous les fauteurs de désordres, qui s'empresseront, quelle que soit leur foi politique, et peut-être parce qu'ils n'en ont aucune, de prêter main-forte à l'anarchie et de se liguer d'abord contre le pouvoir établi? Ils ne tenteront, messicurs, que de vains efforts; mais, en ce genre, la victoire même a ses douleurs, et il faut en redouter la nécessité. Ce n'est donc pas par l'appréciation de ses propres forces qu'il faut juger des périls que pourrait nous apporter ce parti napoléonien s'il ne devait trouver d'appui qu'en lui-même, qu'aurions-nous à craindre de ses prétentions? Il a osé dire que la nation ne pouvait rien vouloir du gouvernement actuel. Mais qu'il nous apprenne donc ce qu'elle peut attendre du prétendant qu'il propose? Il évoque et les souvenirs de l'Empire et le nom glorieux d'un homme dont la France s'enorgueillit; il prétend s'approprier les sympathies excitées par toutes ces grandes choses, que le grand peuple a vues éclore sous son règne comme dans une merveilleuse épopée.

«Mais pensez-vous donc, jeunes imprudents, que cette gloire ait besoin de vous pour devenir celle de la France? La statue de Napoléon n'est-elle pas remontée, sans vous, au faîte de cette colonne, où l'aigle victoriense repose sur l'airain qu'elle a conquis?

plus quand on l'attaque à force ouverte. Pourquoi donc un jury n'a-t-il pas été chargé de prononcer en celle circonstance? La mesure prise à mon égard me semble donc inconstitutionnelle, et c'est pourquoi, comme citoyen et comme soldat, j'ai protesté et je proteste contre votre juridiction. »

Après avoir ainsi renouvelé la protestation que son défenseur, Mc Michel (de Bourges), avait formulée en vain dès l'ouverture des débats, l'accusé explique ce qui s'est passé lors du procès du Strasbourg.

« J'ai dit, dans un de mes interrogatoires, que ma brochure était la relation de faits exacts et l'expression d'opinions consciencieuses. Que M. le procureur général l'appelle un manifeste insolent lancé par une faction, qu'il proclame que je suis l'agent d'un parti, que mes opinions sont subversives, et que les faits rapportés sont inexacts, tout cela ne prouve qu'une chose, c'est que j'ai eu raison de publier et de distribuer ma brochure; c'est que, au lieu de dix mille, j'aurais dû en faire tirer cent mille exemplaires pour provoquer l'examen et mettre au jour la vérité. Que dirait M. le procureur général si j'affirmais que, dans les actes d'accusation, les faits sont mutilés, défigurés, tronqués? que les circonstances, que j'ai vues de mes propres yeux, ont été reproduites avec une choquante inexactitude?

«El cependant c'est ce qui est arrivé à Strasbourg, quand nous étions devant le jury, devant nos juges naturels, tous les faits ont été pervertis par l'accusation ; tous les journaux furent mal informés de ce qui se passa à Strasbourg le 30 octobre 1836, et l'opinion publique fut complétement égarée. De son côté, le gouvernement favorisa cette disposition des esprits en poursuivant le moins de coupables possible, car il n'y eut pour ainsi dire de jugées ou arrêtées que des personnes qui le voulurent bien; aussi tout le monde crut-il réellement que la conspiration n'était autre chose qu'une échauffourée, qu'un coup de tête de quelques officiers. En vaiu avionsnous espéré que les dépositions des témoins, forcés de raconter les faits, que nos propres dépositions faites avec une abnégation complète de nous-mêmes et dans l'intérêt seul de notre cause, rétabliraient les choses dans leur véritable position; notre espoir fut trompé : l'affaire de Strasbourg, que j'appelle une révolution manquée, semblait destinée à figurer dans les annales de l'histoire avec l'humiliante qualification d'échauf fourée; ainsi nous étions pour toujours des fous, des

« Dans nos mœurs et dans nos lois, dans notre vie politique et dans notre vie civile, nous avons retenu de l'Empire tous ses bienfaits, et ce que nous avons répudié de son héritage, personne, apparemment, ne tenterait de nous l'imposer. Qu'est-ce douc, messieurs, que le parti napoléonien? Quels sont les idées, les intérêts on les griefs auxquels il pourrait se rattacher? A l'entendre, c'est un nom qui fait sa puissance et sa force; mais n'est-il pas, au contraire, la condamnation de ces jeunes et impuissantes témérités, ce nom consacré par l'admiration du monde? Quel est-il donc celui qui vient revendiquer comme un héritage cette pourpre impériale, conquise par une si puissante individualité? Quels sont-ils, les hommes qui forment son cortége, et qui sculs ont subi cette influence à laquelle ils s'imaginent que le peuple et l'armée vont bientôt se soumettre? La patrie ne connaît ni le chef ni ceux qui l'accompagnent. Oh! s'il avait pu voir sou nom ainsi compromis par une poignée de séditieux dans une tentative sans portée, ce grand homme, dont la haute intelligence ne comprenait que les grandes choses, qui fut surtout le défenseur et l'appui de toutes les pensées d'ordre, de de-insensés, nous, hommes de cœur qui venions donner voir et de discipline, qui font la force du commandement et la dignité de l'obéissance; qui aima mieux déposer sa glorieuse couronne que de livrer cette France, qu'il aimait tant, aux déchirements d'une guerre civile, quelle n'eût pas été son indignation, et de quelles paroles n'aurait-il pas flétri cette ambition puérile, ces officiers parjures, cette prise d'armes contre le repos et le bonheur de la patrie?... »

Le discours du procureur général demandait une réponse; la réfutation en était facile. L'accusé osa l'entreprendre. Ayant obtenu la parole, il s'exprima en ces

termes :

<«< Messieurs les pairs, il y a dix-huit mois, je fus pris les armes à la main : accusé d'avoir conspiré contre le gouvernement, je fus jugé, acquitté par le jury de Strasbourg. Aujourd'hui l'on me traduit devant votre cour, parce que je me suis fait l'historien impartial des événements du 30 octobre. Si l'on est coupable d'attaquer le gouvernement sur un écrit, on l'est beaucoup

tout notre sang à la patrie, pour lui conquérir la liberté, pour la rétablir dans tous ses droits.

« Un noble et jeune prince, digne du grand nom qu'il porte, n'avait pu nous couvrir de son égide : lui aussi il fut enveloppé dans la proscription railleuse d'un siècle qui aime mieux croire à la folie qu'au dévouement et au patriotisme. Ah! je n'oublierai jamais ce que me dit un jour ce prince, au nom duquel M. le procureur général a encore attaché l'épithète d'insensé, et qu'il faut bien que je défende, puisqu'on a souffert qu'il fût attaqué dans cette enceinte. Au mois de mars 1815, quand on reçut, à Paris, la première nouvelle du débarquement de l'île d'Elbe, la femme d'un de nos premiers maréchaux accourut tout effrayée chez la reine Hortense, en s'écriant : « L'Empereur est fou! il est en France! » Eh bien! toute notre justification est là, car, quinze jours après, l'Europe entière tremblait devant ce sublime fou, et, pour la seconde fois, la France le proclamait son empereur. On ne peut donc

« PreviousContinue »