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et le département du Nord. Il est évident que si cet of- |
ficier général eût pu être gagné, on se serait trouvé
maitre de la frontière et de la côte où devait s'opérer
le débarquement, car les nombreuses garnisons placées
sous ses ordres auraient infailliblement suivi son exem
ple.

Mésonan, interrogé si, pendant les tournées qu'il avait
faites dans les départements du Nord, il n'avait pas adressé
à quelques officiers généraux des ouvertures de la part
de Louis Bonaparte; si, notamment, il n'avait pas mon-
tré à un général une lettre qu'il disait venir du prince:
« Non, répond-il, j'ai causé longuement politique avec
un général; il m'a ouvert son cœur, qui était froissé par
quelques promotions qui avaient eu lieu; il s'est même
exprimé à ce sujet avec beaucoup de chaleur. Je ne lui
ai pas caché que j'allais en Angleterre, que j'y verrais
le prince, mais je ne lui ai fait aucune ouverture de sa
part... Ce général est le général Magnan. »

Le général Magnan, interrogé à son tour, rendit compte de quelques démarches insignifiantes que les accusés Lombard et Parquin auraient faites en mars et avril dans la ville de Lille. « Vers la même époque, continua-t-il, et au mois de février dernier, autant que je me le rappelle, le commandant Mésonan arriva à Lille; il se présenta chez un ancien ami à lui, le chef d'escadron Cabour-Duhé, attaché à l'état-major de la division; il fut aussi chez le colonel du 60° régiment, à Lille, un de ses amis. Ce colonel lui dit : « Je ne puis pas te donner à diner, parce que je dine chez le général Magnan; le connais-tu? Va le voir, il t'invitera sans doute à diuer, et nous nous trouverons ensemble. » Le commandant Mésonan se présenta chez moi, je l'avais connu à Brest, en 1829, aide de camp du lieutenant général comte Bourke, inspecteur général du régiment que je commandais alors. J'avais conservé une grande reconnaissance à M. le comte Bourke pour ses bontés pour moi et mon régiment, comme inspecteur général; j'avais pour son aide de camp beaucoup de bienveillance. Je ne l'avais pas vu depuis 1829; j'étais heureux de le revoir; je l'invitai à dîner. Il accepta, et dîna chez moi avec M. le lieutenant général comte Corbineau, le vicomte de Saint-Aignan, préfet du Nord, le colonel du 60e de ligne, et plusieurs officiers supérieurs de la garnison. Après le dîner, dans mon salon, et en présence de tout le monde, je demandai au commandant Mésonan ce qui l'amenait à Lille et où il allait. Il me répondit qu'il allait à Gand, voir d'anciens amis qu'il y avait faits en 1809, me demanda des renseignements sur quelques personnes de cette ville, où j'avais eu mon quartier général comme commandant de la division des Flandres, alors que j'étais en-mission en Belgique. Je les lui donnai. Il me dit aussi qu'il irait à Bruxelles voir un ancien négociant, son compagnon de captivité en Angleterre. Je le présentai à M. le lieutenant général commandant la division et au préfet. Les parties de whist s'organisèrent, et je ne parlai plus à Mésonan, qui se retira avec toute la société.

« Le lendemain, Mésonan vint chez moi; il fut introduit dans mon cabinet par mon aide de camp; il me parla de sa mise à la retraite au moment où, disait-il, on lui avait promis de l'avancement et le grade de lieutenant-colonel; il me parla des services qu'il avait rendus à Paris en 1830, au moment de la Révolution de juillet, où il devint aide de camp du général Maurin, commandant la première division; il m'entretint trèslonguement de ses services à Lyon, sous M. le lieutenant général Aymar, au moment où éclata le mouvement

républicain dans cette ville. Je vis en lui un homme mécontent; mais il ne me parla nullement de sa liaison avec le prince Louis. Il me remit une petite brochure insérée, dans le temps, dans le journal le Courrier de l'Europe, et qui était l'expression de son mécontentement et de ses plaintes. Je jetai la brochure sur mon bureau, et lui dis que j'avais lu tout cela dans les journaux, étant en Belgique; j'ajoutai : « Si vous voulez, mon cher Mésonan, que je vous donne toute mon opinion sur cette affaire, je vous dirai que je vous ai blåmé en Belgique, et que je vous blâme encore : vous êtes garçon, vous n'avez pas de charges, pas d'enfants, vous avez un peu de fortune, vous êtes trop heureux d'être à la retraite; qu'auriez-vous gagné à être lieutenant-colonel? cinquante ou soixante francs de pension de plus. >>

« Mésonan me quitta; il revint plusieurs fois à Lille, se présenta chez moi, ne me trouva pas, parce que j'étais en inspection trimestrielle. Cependant, ces allées et ces venues me parurent suspectes. Je demandai au commandant Cabour ce que faisait sans cesse à Lille M. Mésonan. Le commandant Cabour me répondit que c'était pour une femme, et je le crus. Dans les derniers jours de juin, le commandant Mésonan revint encore à Lille, me fit de nouveau sa visite, et de nouveau je l'invitai à dîner..... C'était, je crois, le 22 ou le 23 juin. Pour le même jour, j'avais invité M. le capitaine Gueurel, du 50° de ligne, qui était venu à Lille déposer dans une af faire du conseil de guerre. Ces deux messieurs, ma femme et moi, nous fûmes tous les quatre ensemble, après le dîner, nous promener sur l'esplanade; je les quittai, ainsi que ma femme, sur les huit heures, et pris congé du capitaine Gueurel et de M. Mésonan, qui partaient tous deux le lendemain. Sur l'esplanade, en me quittant, Mésonan me donna un petit livre en me priant de le lire; je crus que c'était encore l'affaire de sa polémique; je le mis dans ma poche et fus à la Préfecture. « Le lendemain de ce dîner, Mésonan, que je croyais parti, entra dans mon cabinet après s'être fait annoncer comme de coutume par mon aide de camp; je lui trouvai un air embarrassé; je lui demandai comment il n'était pas parti. Il me répondit qu'il avait une lettre à me Lisez, mon général. » Il me remettre. « Et de qui? remit cette lettre, qui avait pour suscription: A M. le commandant Mésonan. Je la lui rendis en lui disant : « Vous vous trompez, monsieur, elle est pour vous et non pour moi. » Il me répondit : « Non, elle est pour vous. » J'ouvris la lettre et je lus les premières phrases, que je crois pouvoir me rappeler parfaitement : « Mon cher commandant, il est important que vous voyiez de suite le général en question; vous savez que c'est un homme d'exécution, et que j'ai noté comme devant être un jour maréchal de France. Vous lui offrirez 100,000 francs de ma part, et 300,000 francs que je déposerai chez un banquier à son choix, à Paris, dans le cas où il viendrait à perdre son commandement... » Je m'arrêtai, l'indignation me gagnant; je tournai le feuillet, et vis que la lettre était signée Napoléon-Louis. Je remis cette lettre au commandant, en lui disant que je croyais lui avoir inspiré assez d'estime pour qu'il n'osat pas me faire une pareille proposition; que ma devise était Fais ce que dois, advienne que pourra; que jamais je n'avais trahi un serment, même en 1815; puisque, n'ayant pas voulu servir la première Restauration, je suis devenu clerc de notaire, de capitaine de la garde impériale et d'officier de la Légion d'honneur que j'étais; que mon culte pour la mémoire de l'Empereur ne me

ferait jamais trahir mès serments; que lui, Mésonan, était fou de se mettre du parti du neveu; que c'était un parti ridicule et perdu.

« J'ajoutai : « Et quand je serais assez lâche, assez misérable, pour accepter les 400,000 francs du prince, je les lui volerais; car, si demain je me présentais devant la garnison de Lille pour lui parler un autre langage que celui de la fidélité aux devoirs et aux serments, le dernier des caporaux me mettrait la main sur le collet et m'arrêterait, tant l'armée a le sentiment du devoir et de l'honneur. » Je dis à Mésonan: « Je devrais vous faire arrêter et envoyer votre lettre à Paris; mais il est indigne de moi de dénoncer l'homme que j'ai reçu à ma table; je ne le ferai pas. Sauvez-vous, il en est temps encore; conservez, en renonçant à vos projets, l'estime de vos camarades, et que l'armée ignore ce que vous avez voulu tenter. » Mésonan voulut répliquer; j'ouvris la porte de mon cabinet et le mis dehors en lui disant: «Allez vous faire pendre ailleurs. » En le congédiant, je lui promis que, s'il partait de Lille et s'il n'y revenait pas, je ne donnerais aucune suite à ses infames propositions. L'affaire m'était personnelle : je pouvais agir autrement que je ne l'aurais fait, si un de mes subordonnés était venu me porter plainte en subornation. Mésonan me dit qu'il partait le soir et qu'il ne reviendrait plus.

« Après son départ, je me rappelai le livre qu'il m'avait donné la veille; je le demandai à mon domestique, car il était resté dans ma poche, et je vis que ce livre était intitulé: Lettres de Londres. »

Le général Maguan prit des informations pour savoir si ce livre avait été répandu dans les régiments qui se trouvaient à Lille. Il apprit que cet ouvrage avait été répandu, dès la veille, dans la caserne du 46° régiment de ligne. Il écrivit aussitôt aux treize commandants de place sous ses ordres, pour les prévenir contre les embauchages bonapartistes; ce sont ses expressions. Pensant qu'il importait, dans ces circonstances, de visiter ses troupes, il partit pour cette inspection. Pendant son absence, Mésonan s'était présenté chez lui, se plaignant de ce qu'il était surveillé. En apprenant cette démarche, le général, indigné, le consigna d'une manière formelle à sa porte. «En même temps j'appelai, dit le général, le commandant de la gendarmerie, je lui signalai Mésonan comme l'agent du prince Louis, et lui donnai l'ordre de le rechercher et de le faire arrêter. Je fus moi-même chez le procureur du roi lui signaler Mésonan, et j'eus l'honneur d'écrire le même jour, c'était le 5 juillet, au ministre de la guerre...... J'étais à peine rentré chez moi et assis dans mon cabinet, que Mésonan, sans se faire annoncer par mon aide de camp, sans se faire connaître au planton, entra furtivement dans mon cabinet je me levai, marchai à lui, et lui dis : « Vous ne renverserez pas le gouvernement, mais vous perdrez la tête, ou plutôt vous l'avez déjà perdue. Vous êtes fou; sortez, partez, la gendarmerie vous cherche; sauvez-vous. D'ami que j'étais pour vous, je deviens votre ennemi; vous voulez renverser le gouvernement que j'ai juré de défendre, séparons-nous. » Il sortit, et je ne le revis plus. »

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Cette déclaration du général Magnan atteste combien ce brave officier é ait fidèle à ses devoirs et à ses serments; mais la suite des événements a prouvé qu'il appréciait assez mal la force du sentiment populaire à l'endroit du neveu de l'Empereur. Bien qu'il regardât cette cause comme perdue, et qu'il traitât de fous ceux qui s'en déclaraient les partisans, il n'en est pas moins

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aujourd'hui l'un des généraux les plus dévoués au système politique de Louis - Napoléon. Cette conversion prouve aussi que le jeune prince, en faisant sonder les dispositions du général, sentait qu'il y avait dans mènerait un jour au parti napoléonien, même avant que ses souvenirs et dans son cœur un principe qui le race parti fût devenu celui de la France entière. Napoléon, comme Louis XIV, comme Charlemagne, comme Auguste, comme tous les grands chefs d'empires, avait l'art de deviner les hommes et de s'attacher ceux en qui il avait reconnu un véritable mérite. Louis-Napoléon fait mieux encore non-seulement il devine les généraux qui devront lui former un glorieux cortége, mais aussi, loin de leur témoigner du ressentiment de ce qu'ils ont jadis mal auguré de son avenir, il ne veut se souvenir de leur résistance passée que pour les honorer davantage aujourd'hui.

général, c'est la lettre où on lui faisait ces magnifiques Au reste, le point le plus grave de la déclaration du propositions, qu'il a rapportées de mémoire; Mésonan nia avoir montré une lettre contenant de pareilles propositions, et le prince, interpellé sur la même circonstance, répondit qu'il n'en avait aucun souvenir.

Le commissaire rapporteur voudrait pénétrer les motifs qui ont déterminé le prince et ses adhérents à presser l'exécution de leur entreprise. Mais l'instruction a vainement cherché à percer ce mystère; rien n'a pu la mettre sur la voie. « Le champ, dit M. Persil, est donc resté aux conjectures. Louis- Napoléon et ses coinplices ont ils réellement pensé, sincèrement cru que leurs forces, bien peu considérables, puisqu'elles ne s'elevaient pas au delà de cinquante à soixante hommes, suffiraient, en leur réunissant les partisans que les intrigues des trois dernières années leur auraient procurés, pour vaincre toute résistance et les amener triomphants au sein de la capitale? La couronne devaitelle être le prix d'une seule victoire ou d'une suite de combats plus ou moins disputés? Le caractère que dans le cours de cette instruction a montré Louis Bonaparte ne semblerait autoriser ni l'une ni l'autre de ces conjectures. Ce qu'il a le plus tenu à manifester, c'est la résolution bien arrêtée de ne pas faire couler le sang dans le royaume. français; il n'apportait pas, a-t-il dit, la guerre civile

chercher, à son départ précipité de Londres, à la réso« Si tel a été, en effet, l'esprit qui l'animait, il faudra lution d'une attaque si étrangement combinée du territoire de la France, des motifs, une cause qui jusqu'ici n'ont pas été pénétrés.

« Nous avons déjà fait remarquer, en parlant de la brochure de Laity, cette insoutenable opinion que « l'acde la sympathie de toute la population pour la cause quittement des accusés de Strasbourg était une preuve napoléonienne. » Louis Bonaparte pourrait bien avoir celte conviction : l'histoire ne nous apprend-elle pas que c'est la faiblesse de tous ceux qui ont joué le rôle de prétendant, de se croire ardemment désirés par la nation au-devant de laquelle ils s'avancent, et qui, se disent-ils, n'attend que leur présence pour secouer le joug sous lequel ils la supposent opprimée? A entendre les complices dont Louis Bonaparte était entouré, la France était couverte de mécontents, que le grand nom de l'Empereur aurait bientôt ralliés autour de celui qui en était le plus digne représentant. L'empereur Napoléon, prisonnier à l'ile d'Elbe, entouré de quelques braves seulement, qui servaient de cortége à sa vieille gloire, n'est-il pas arrivé à Paris sans tirer l'épée? Et

pourquoi celui qui portait son nom, qui se présentait comme l'héritier de ses droits, n'aurait-il pas le même bonheur? >>

Suivant le rapporteur, il est inutile de dire tout ce qu'une telle comparaison a d'étrange et d'insoutenable. En 1848 et depuis, ces puritains incrédules ont vu si la confiance de Louis-Napoléon dans la magie de son nom et dans la puissance de ses titres était fondée; le temps s'est chargé de réfuter cruellement le rapporteur de la Cour des pairs..

« Revenons, reprend le rapporteur, à la marche des faits, et plaçons-les soigneusement dans l'ordre où ils se sont produits.

« Vers la fin de juillet, les conjurés étaient réunis à Londres ou aux environs. Ce fut à cette époque que se durent définitivement arrêter le plan, les moyens d'attaque, le lieu de débarquement et la conduite ultérieure. Entre quelles personnes une délibération si capitale a-t-elle dû s'établir? A qui Louis Bonaparte s'est-il plus particulièrement confié? Interrogé à ce sujet par M. le chancelier, il a persisté à déclarer qu'il n'avait fait de confidence positive à personne. Dans une occasion, cependant, où il lui était impossible de nier qu'il ne se fût plus ou moins ouvert à quelques-uns de ses adhérents, voici comment il s'est exprimé :

« Je dois ajouter, parce qu'il ne faut pas compro<< mettre des personnes innocentes, et de cela je vous « donne ma parole d'honneur, que le colonel Vaudrey «<et M. Bacciochi, dont les noms figurent dans la pro«cédure, avaient refusé de marcher avec moi. »

«Par intérêt pour ceux qui l'out suivi, continue M. Persil, dins l'intention d'adoucir leur sort, et sans doute aussi par un sentiment d honneur et de délicatesse, Louis Bonaparte ne dit pas ici toute la vérité, et il en fournit lui-même la preuve en ne plaçant sous la garantie de sa parole d'honneur que le colonel Vaudrey et le sieur Bacciochi.... Tous ceux qui ont pris part à l'entreprise de Boulogne connaissaient, il en convient, ses intentions de renouveler ses attaques sur la France, mais tous n'avaient pas été également informés à l'avance du moment de l'exécution : les domestiques, par exemple, il les faisait sans doute marcher sans avoir besoin de leur rien communiquer de ses desseins; à d'autres, sur le dévouement desquels il croyait pouvoir compter, il lui suffisait de dire: «Faites cela!» et ils le faisaient sans savoir jusqu'où cela pourrait les conduire. »

Le ministère public soutient, malgré toutes les affirmations contraires, que quelques-uns des amis du prince avaient reçu ses confidences les plus intimes; ils devaient avoir été consultés; ils connaissaient tous les plans et avaient participé aux préparatifs.

«Le lieu du débarquement étant choisi, tout ce qu'il faudrait faire ensuite fut soigneusement prévu dans des ordres de services écrits de la main du colonel Voisin.

«Des armes avaient été réunies. On avait fait confectionner en Angleterre des uniformes d'officiers généraux, et on avait acheté en France des habits de soldats. Les boutons seuls manquaient la fabrique de Londres en avait fourni sur lesquels était le n° 40. C'était le numéro d'un régiment qui tenait garnison dans le voisinage du port de débarquement.

«Enfin, dans la supposition que la troupe attaquante prendrait possession de Boulogne, des lieux environnants et presque de la France entière sans coup férir, tout avait été disposé pour organiser immédiatement les régiments, la population, la force armée, et le gou

vernement lui-même. Des ordres en blanc, écrits à la main, désignaient ceux qui devaient être chargés de recevoir les objets indispensables à l'armée, tels que chevaux, selles, brides, etc.... >>

Le rapporteur donne lecture de ces pièces, qu'on avait saisies dans le portefeuille du colonel Voisin; il communique également les proclamations et le décret que nous avons rapportés plus haut; puis il continue ainsi :

« Il ne restait plus qu'à s'embarquer et à faire voile vers la France. Tout était prêt le 3 août. Un bateau à vapeur, le Château-d'Edimbourg, avait été loué à la compagnie commerciale de Londres par l'intermédiaire d'un courtier... Rien n'a donné lieu de croire que ni la compagnie, ni le capitaine, ni l'équipage, eussent connaissance de la destination qui lui était réservée....

« Dès le 3, tous les bagages avaient été chargés sur le bateau. Deux voitures et neuf chevaux en faisaient partie. Les hommes qui devaient composer l'escorte du prince avaient été divisés par petits pelotons et embarqués en des lieux divers, afin de ne pas trop attirer l'attention. Les uns sont partis de Londres, les autres de Gravesend, où se trouva un pilote français, destiné à diriger le bâtiment lorsqu'il approcherait des côtes. Ce pilote a disparu. Les derniers embarqués furent pris à Margate; c'est de là que l'expédition se dirigea sur Vimereux, à sept kilomètres environ de Boulogne, le mercredi 5 août. Comme les conjurés ne voulaient pas arriver de jour, le bateau louvoya très-longtemps; des témoins ont déclaré l'avoir aperçu de Boulogne dès la veille.

« Mais le temps ne fut pas perdu sur le bâtiment : on l'employa à faire apporter et à revêtir les uniformes, chacuu suivant son grade, à distribuer les armes, à lire les proclamations, les ordonnances et arrêtés, à distribuer de l'argent, car nous avons omis de ranger parmi les objets embarqués, environ 400,000 francs en billets de banque d'Angleterre, en or et en argent, appartenant à Louis Bonaparte, et provenant, suivant sa déclaration, de la vente d'une partie des valeurs qu'il a recueillies dans l'héritage de sa mère.... >>

Le rapporteur rend compte de l'opération du débarquement, des incidents, du trajet vers Boulogne, et de l'arrivée dans cette ville. Nous avons relaté tous ces faits avec détail. M. Persil, en les racontant, les accompagne de commentaires dont nous faisons grâce au lecteur. Voici, toutefois, comment il décrit la scène importante qui s'est passée à la caserne.

«Le sous-lieutenant de Maussion venait de rencontrer les conjurés et avait refusé de les suivre malgré l'insistance du prince lui-même. Il s'était aussitôt rendu chez le capitaine Col-Puygellier, et celui-ci volait vers la caserne. Un grenadier portant le numéro du 40° veut l'arrêter; il l'écarte en disant que ce n'est pas le 40° qui fait la police. Il arrive à quelques pas de la porte, obstruée plutôt que gardée par les nouveaux venus. Un homme portant l'uniforme et les insignes de chef de bataillon, va droit à lui et s'écrie: « Capitaine, le

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<< prince Louis est ici; soyez des nôtres, votre fortune « est faite. » Le capitaine lui répond en mettant le sabre à la main, et manifestant vivement, par ses gestes et par ses paroles, la résolution d'arriver à sa troupe. Il est saisi de toutes parts: plusieurs personnes s'emparant de son bras armé; il pousse et résiste de tous cotés pour se débarrasser des obstacles et arriver à ses soldats. Avant d'y parvenir, et tout en continuant ses

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valeureux efforts, il essaye d'éclairer les conjurés euxmêmes. «< On vous trompe, disait-il; apprenez qu'on « vous porte à trahir. » Sa voix est couverte par les cris de Vive le prince Louis! « Où est-il donc?» s'écrie-t-il à son tour. Alors se présente à lui un homme d'une petite taille, blond et paraissant avoir trente ans, couvert d'un chapeau, portant des épaulettes d'officier supérieur et un crachat. Il lui dit : « Capitaine, me « voilà, je suis le prince Louis; soyez des nôtres, et « vous aurez tout ce que vous voudrez... » Le capitaine l'interrompt: « Prince Louis ou non, je ne vous (connais pas; je ne vois en vous qu'un conspirateur.... « Qu'on évacue la caserne! » Tout en s'exprimant ainsi, M. Col-Puygellier continuait ses efforts. Ne pouvant parvenir à ses soldats, il veut au moins essayer de

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s'en faire entendre: «< Eh bien! s'écrie-t-il, assassi«nez-moi, ou je ferai mon devoir. » Sa voix parvient alors à Aladenize, qui accourt, et, le couvrant de ses bras, s'écrie énergiquement : « Ne tirez pas, res«pectez le capitaine, je réponds de ses jours. » Cette action mérite d'être ici consignée; elle fait regretter que ce jeune officier n'ait pas montré dans cette affaire autant de respect pour la religion du serment que d'humanité et d'attachement pour ses camarades.

« Cette bruyante et vive altercation attire enfin l'attention des deux compagnies du 42. Les sous-officiers accourent à la voix de leur chef; ils l'aident à se dégager des mains des conjurés, qui font un mouvement en arrière. M. le capitaine Puygellier, d'une voix forte, s'écrie: «< - On vous trompe Vive le roi! » Mais

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l'ennemi rentre à rangs serrés, Louis Bonaparte en tête. M. le capitaine Puygellier se porte vivement à sa rencontre, lui signifie de se retirer, ajoute qu'il va employer la force, et, pour toute réponse, lorsqu'il est tourné vers sa troupe, il entend la détonation d'un pistolet que Louis Bonaparte tenait à la main, et dont la balle va frapper un de ses grenadiers à la figure... >>

En comparant ce récit avec les détails de la même scène que nous avons déjà donnés plus haut, nous soupçonnons fort le commissaire rapporteur ou le capitaine Puygellier d'avoir, lors des interrogatoires, brodé un peu la première version. Ce qui va suivre, du moins, justifie l'observation que nous avons faite, en considérant l'affaire du coup de pistolet comme un accident.

Paris. Imp. Simon Raçon et Cie, r. d'Erfurth, f.

« Soit que les conjurés, ajoute M. Persil, aient été alors bien convaincus de la ferme résolution du capitaine d'employer la force dont il disposait, soit que le coup de pistolet attribué d'abord au hasard, à un accident, à un mouvement involontaire, plutôt qu'à la préméditation, eût changé leurs dispositions, ce coup de feu devint le signal de leur retraite de la caserne... >>

Le rapporteur raconte les faits qui suivirent le départ de la caserne, de manière à glorifier, bien entendu, la conduite des habitants de Boulogne, le dévouement du sous-préfet, celui des gardes nationaux et la fidélité des troupes commandées par le capitaine Col-Puygellier. M. Persil cherche à atténuer l'acte barbare des soldats et des gardes nationaux, qui firent une décharge sur des hommes désarmés et se débattant au

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