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l'Empire, ce n'est pas vous, ce ne sont pas les amis obscurs dont les hommages vous entourent et dont l'ambition intéressée exalte la vôtre; c'est le génie de l'Empereur, vivant encore dans nos lois; ce sont les hommes dépositaires de ses traditions, et qui, à la tête de nos armées ou dans les conseils, sont l'honneur de la patrie et l'appui de la royauté qu'elle a fondée de ses mains. >> Quel terrible démenti la France a donné aux appréciations déclamatoires de M. Franck-Carré ! Comme celui qu'il croyait abaisser et peut-être flétrir par ces exagérations de langage, jugeait mieux de la situation et des besoins du pays! Ce trône, dont il se complaît à vanter la solidité, allait bientôt être réduit en poudre, tandis que le prince, à qui il dénie les sympathies po pulaires, devait être chargé de sauver la patrie et de lui donner précisément les institutions que l'organe du ministère public critique avec tant d'amertume. Du reste, M. Franck-Carré comprend enfin qu'il est sorti des bornes d'une attaque légitime; il le reconnait et en fait, en quelque sorte, ses excuses.

« Nous avons été sévères envers vous, prince Louis, dit-il; notre mission et votre crime nous en faisaient un devoir; mais nous n'oublierons pas, toutefois, que vous êtes né près d'un trône qui fut aussi national, que vous avez été élevé dans l'une de ces cours de l'exil où l'on ne peut interdire à l'espérance de consoler l'infortune, où les regrets du passé s'adoucissent par les illusions de l'avenir... »

Ainsi la sévérité du magistrat est obligée de rendre hommage à la majesté de la naissance et de s'incliner devant l'injustice du malheur.

Le prince avait choisi pour son défenseur Me Berryer. L'habile avocat entra en matière par une observation admirable de justesse et d'à-propos. «Tout à l'heure, dit-il, M. le procureur général s'est écrié : « Voilà un triste et déplorable procès! » Et moi aussi, je n'ai pu assister à ce grave débat sans qu'il s'élevât de doulonreuses réflexions dans mon cœur. Quel n'est pas le malheur d'un pays où, dans un si petit nombre d'années, tant de révolutions successives, violentes, renversant tour à tour les droits proclamés, établis, jurés, ont jeté une si profonde et si affligeante incertitude dans les esprits et dans les cœurs sur le sentiment des devoirs! Eh quoi! dans une seule vie d'homme, nous avons été soumis à la République, à l'Empire, à la Restauration, à la royauté du 9 Août. Cette acceptation de gouvernements si opposés dans leurs principes, si rapidement brisés les uns sur les autres, ne s'est-elle pas faite au grand détriment de l'énergie des consciences, de la dignité de l'homme, et je dirai même de la majesté des lois?... Pour la dignité de la justice, quelle atteinte, messieurs, quand elle se trouve appelée à condamner, comme un crime, ce que, naguère, il lui était enjoint d'imposer et de protéger comme un devoir ! »>

Le défenseur, continuant de suivre cette thèse, déclare aux juges que, dans la position personnelle du prince Napoléon, après les grands événements qui se sont accomplis en France, et qui sont leur propre ouvrage; en présence des principes qu'ils ont proclamés et dont ils ont fait la loi du pays, les actes, l'entreprise du prince Napoléon, sa résolution enfin, ne présentent pas un caractère de criminalité qu'il soit possible de punir judiciairement. «S'agit-il donc, en effet, s'écriet-il, d'appliquer à un sujet rebelle et convaincu de rébellion des dispositions du Code pénal? Le prince a fait autre chose; il a fait plus que de venir attaquer le territoire, que de se rendre coupable d'une violation du

sol français : il est venu contester la souveraineté à la maison d'Orléans; il est venu en France réclamer, pour sa propre famille, les droits à la souveraineté; il l'a fait au même titre et en vertu du même principe po. litique que celui sur lequel vous avez posé la royauté d'aujourd'hui.

« Le principe qui vous gouverne aujourd'hui, que vous avez placé au-dessus de tous les pouvoirs de l'Etat, c'est le principe de 91, c'est le principe qui régnait en l'an VIII, c'est le principe en vertu duquel il fut fait ap pel à la nation pour qu'elle se prononçât et sur le Consulat et sur l'Empire. Par les votes constatés sur l'adop tion des Constitutions de l'Empire, quatre millions de votes, en 1804, ont déclaré que la France voulait l'hérédité dans la descendance de Napoléon ou dans la descendance de son frère Joseph, ou, à défaut, dans la descendance de son frère Louis; voilà mon titre !... »

L'orateur convient qu'en 1814, cette hérédité a été abolie par le Sénat; mais il ajoute que la Chambre des représentants de 1815 a protesté; que la France entière a protesté, soit au Champ-de-Mai, soit en votant l'acte additionnel aux Constitutions de l'Empire; et que pendant quinze ans la plupart de ceux qui l'écoutent ont également protesté en travaillant à rétablir le prin cipe de la souveraineté du peuple, que le retour de la maison de Bourbon avait effacé de nos lois.

«Est-ce donc un fantôme, messieurs, continue le défenseur, est-ce donc une illusion que l'établissement de la dynastie impériale? Ce qu'elle a fait retentit assez dans le monde et se fit sentir assez loin, non-seulement en France, mais chez tous les peuples de l'Europe. Non, ce ne fut pas un rêve que l'établissement de l'Empire.

« L'Empereur est mort, et tout a fini avec lui! Qu'estce à dire? ces dynasties, fondées, établies, jurées au nom de la souveraineté nationale, veut-on avouer qu'elles ne promettent de durée au pays que celle de la vie d'un homme? C'est ainsi qu'il vous faut attaquer les garanties mêmes du pouvoir que vous venez défendre, pour repousser le droit qui avait été fondé par la consécration de la volonté nationale, consécration unanime, plus éclatante que celle de 1830, par la nation appelée tout entière à émettre son vote. »

Ces vérités étaient hardies; il fallait sans doute le nom et l'autorité de l'illustre avocat pour les faire passer sans murmures. C'est ce qui eut lieu. La Cour les entendit avec un calme profond.

«L'Empire est tombé! dit-il ensuite; mais alors a succombé le dogme politique sur lequel l'Empire était fondé. Qu'avez-vous fait depuis? Vous avez relevé ce dogme, vous avez restitué cette souveraineté populaire qui a fait l'hérédité de la famille impériale. L'héritier est devant vous, et vous allez le juger; dans un pays où tous les pouvoirs de l'Etat sont sous le principe de la souveraineté nationale, vous allez le juger sans interroger le pays?... Tant qu'un reste de sang se⚫transmettra dans cette famille, la prétention d'hérédité, appuyée sur le principe politique de la France, se transmettra également. Vous aurez des supplices affreux, injustes; vous serez usurpateurs dans l'exercice de la qualité de juges, et tout cela aura été complétement inutile. »

D'où l'orateur conclut que la question est toute poli. tique, que c'est une question entre deux dynasties, et qu'elle ne peut être tranchée par des juges.

Le défenseur rappelle alors avec quelle persistance le gouvernement lui-même crut nécessaire de réveiller,

dans ces derniers temps, les sentiments bonapartistes. «La tombe du héros, on est allé l'ouvrir, on est allé remuer ses cendres pour les transporter dans Paris et déposer glorieusement ses armes sur un cercueil.

« Vous voulez juger et condamner la tentative de Louis-Napoléon, messieurs; est-ce que vous ne comprenez pas ce que de telles manifestations ont dû produire sur le jeune prince?...

« Ce besoin de ranimer dans les cœurs, en France, les souvenirs de l'Empire, les sympathies napoléoniennes, a été si grand, que, sous le règne d'un prince qui, dans d'autres temps, avait demandé à porter les armes contre les armées impériales et à combattre celui qu'il appelait l'usurpateur corse, le ministère a dit: « Il fut le légitime souverain du pays. »

C'est alors que le jeune prince a vu se réaliser ce qui n'était encore que dans les pressentiments des hommes qui gouvernent. Il a vu signer le traité de Londres; il s'est trouvé au milieu des hommes qui ourdissaient ce plan combiné contre la France; et vous ne voulez pas que ce jeune homme, téméraire, aveugle, présomptueux, tant que vous voudrez; mais avec un cœur dans lequel il y a du sang, et à qui une âme a été transmise, sans consulter ses ressources, se soit dit : « Ce nom qu'on fait retentir, c'est à moi qu'il appartient; c'est à moi de le porter vivant sur ces frontières! il réveillera en deçà la foi dans la victoire, au delà la terreur des défaites. Ces armes sont à moi; pouvez-vous les disputer à l'héritier du soldat?...

« Vous voulez le juger, et pour déterminer vos résolutions, pour que plus aisément vous puissiez vous constituer juges, on vous parle de projets insensés, de folle présomption... Eh! messieurs, le succès serait-il donc devenu la base des lois morales, la base du droit? Quelle que soit la faiblesse, l'illusion, la témérité de l'entreprise, ce n'est pas le nombre des armes et des soldats qu'il faut compter, c'est le droit, ce sont les principes au nom desquels on a agi. Ce droit, ces principes, vous ne pouvez pas en être juges; ce droit, ces principes, ils ne sont pas altérés, ils ne sont pas diminués par le ridicule jeté sur les faits et le caractère de l'entreprise. >>

En suivant cette dernière idée, l'illustre avocat se livre à un mouvement oratoire qui excite une grave émotion dans l'Assemblée.

« Et ici, dit-il, je ne crois pas que le droit au nom duquel était tenté le projet puisse tomber devant le dédain des paroles de M. le procureur général. Vous faites allusion à la faiblesse des moyens, à la pauvreté de l'entreprise, au ridicule de l'espérance du succès; Eh bien! si le succès fait tout, vous, qui êtes des hommes, qui êtes même les premiers de l'Etat, qui êtes les membres d'un grand corps politique, je vous dirai : « Il y a un arbitre inévitable, éternel, entre tout juge et tout accusé; avant de juger, devant cet arbitre et à la face du pays qui entendra vos arrêts, dites-vous, sans avoir égard à la faiblesse des moyens, le droit, les lois, la Constitution devant les yeux; la main sur la conscience, devant Dieu et devant nous qui vous connaissons, dites: «S'il eût réussi, s'il eût triomphé, ce droit, je l'aurais nié, j'aurais refusé toute participation à ce pouvoir, je l'aurais méconnu, je l'aurais repoussé. » Moi, j'accepte cet arbitrage suprême; et quiconque d'entre vous, devant Dieu, devant le pays, me dira: « S'il eût réussi, j'aurais nié ce droit! » Celui-là, je l'accepte pour juge. »>

Arrivant à la question de la peine, l'orateur dé

montre qu'on ne peut appliquer ici la mort le senti. ment public le réprouve; ni une peine infamante: on ne jettera pas de flétrissure sur ce grand nom: la Cour jugera donc comme corps politique, et fera un acte politique.

Enfin le défenseur termine par de magnifiques paroles qui se trouvèrent être une prédiction:

<< En remontant à l'origine de vos existences, vous, marquis, comtes, barons; vous, ministres, maréchaux, à qui devez-vous vos grandeurs? à votre capacité reconnue, sans doute; mais ce n'est pas moins aux munificences mêmes de l'Empire que vous devez de siéger aujourd'hui et d'être juges... En présence des engagements qui vous sont imposés par les souvenirs de votre vie, des causes que vous avez servies, de vos serments, des bienfaits que vous avez reçus, je dis qu'une condamnation serait immorale, et j'ajoute qu'il vous y faut penser sérieusement. Il y a une logique inévitable et terrible dans l'intelligence et les instincts des peuples, et quiconque, dans le gouvernement des choses humaines, a violé une seule loi morale, doit attendre le jour où on les brisera toutes sur lui-même. »

Ne dirait-on pas entendre l'anathème prononcé par le prophète des anciens temps? Et quand on sait de quelle manière cette terrible prédiction s'est accomplie!...

Après le plaidoyer de Me Berryer, le général Montholon prononça lui-même sa défense. Ce discours renferme des détails biographiques qui ne manquent pas d'intérêt.

« Messieurs les pairs, dit-il, j'étais en Angleterre, où des intérêts de famille m'avaient appelé. J'y vis souvent le prince Napoléon; souvent il me confia ses pensées sur l'état de la France, son projet de convoquer uu congrès national, son espérance de rendre un jour aux Français l'union politique que l'Empereur avait si glorieusement fondée. Toutes ses idées manifestaient un ardent amour de la France, un noble orgueil du grand nom qui lui a été transmis, et je retrouvais en lui un vivant souvenir des longues méditations de Sainte-Hélène.

« Mais jamais il ne m'a parlé d'entreprises prochaines, de préparatifs pour une expédition en France. Lorsque, croyant aller à Ostende, je me trouvai à bord du paquebot que montait le prince, et qu'il me fit connaitre sa détermination, j'ai pu lui soumettre quelques observations; mais il était déjà trop tard !....... Je n'ai pas quitté le neveu de Napoléon, je ne l'ai pas délaissé sur les côtes de France.

« J'ai reçu le dernier soupir de l'Empereur; je lui ai fermé les yeux. C'est assez expliquer ma conduite. Je me vois sans regret accusé aujourd'hui pour avoir pris une résolution dont la bonne opinion que j'ai des hommes me persuade que chacun de vous, messieurs les pairs, eût été capable. »>

Ces simples paroles, ce ton de franchise, semblent impressionner vivement les membres de la Cour. Me Ber ryer ajoute quelques mots pour résumer et compléter la courte narration du général.

L'un des avocats qui déployèrent encore un immense talent dans cette affaire, ce fut Me Ferdinand Barrot, qui s'était chargé de défendre quatre des accusés, MM. Voisin, Parquin, Bataille et Desjardins. Son discours mérite, comme on va le voir, que nous en citions quelques passages.

« Assurément, messieurs les pairs, dit-il après un exorde adroit qui lui dispose bien les esprits; assuré

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ment je ne viens pas glorifier l'acte de Boulogne; mais je viens lui restituer une pensée. Vous le verrez, c'est une pensée d'ordre, c'est une pensée généreuse qui a donné issue à une erreur que je déplore. Il y avait assurément beaucoup d'habileté, mais aussi quelque injustice, de la part du ministère public, à représenter l'entreprise du prince comme un fait d'égoïsme personnel. Est-il donc bien vrai que le prince Louis-Napoléon, en posant le pied sur le territoire français, soit venu réclamer les droits d'une dynastie, et redemander un sceptre et une couronne? Eh! mon Dieu! messieurs les pairs, qu'il me soit permis de le dire quelle est donc la pauvre ambition que, de notre temps, peuvent tenter un sceptre et une couronne? Hélas! vous le savez tous, c'est un lourd et dangereux fardeau; c'est un fardeau

qu'on n'accepte et qu'on ne supporte que par le sentiment d'un impérieux et irrésistible devoir.

« Ce ne sont donc pas ces joyaux de la souveraineté qu'ambitionnait le prince Louis Bonaparte; M. le procureur général n'a pas bien inventorié la succession impériale, s'il n'y a vu que ces choses; en cherchant à côté, au-dessus, il y aurait trouvé la gloire nationale, nos frontières reculées, le pays respecté partout et don nant son avis à haute voix dans les affaires du monde : n'est-ce rien?... Oh! pourquoi aujourd'hui parler de gloire? Il n'en est pas temps encore; mais si un jour l'insulte faisait soulever la nation, alors ce serait bien le moment de rappeler le bruit de ce temps de fièvre héroïque, où nous allions frapper à toutes les capitales de l'Europe; alors, messieurs, héritiers ou non, saisis

sons-nous de cette part oubliée de la succession impériale. >>

Pour comprendre entièrement les paroles qu'on vient de lire, il faut remarquer que l'orateur fait allusion à certaines difficultés diplomatiques qui venaient de se nouer à l'époque où il parlait, et qui avaient fait naître quelques menaces de guerre. Il continue:

<< Mais, allons plus avant. Il y a dans la succession impériale, dont le prince entendait se porter héritier, des ressources qui vont mieux peut-être aux idées positives de ce siècle. Notre régime de liberté, au milieu des avantages qu'il comporte, a des misères auxquelles il faut pourvoir et des nécessités menaçantes. Il y a des esprits qui s'effrayent de cette arène toujours ouverte, où, depuis cinquante ans, les systèmes politiques luttent sans trêve et sans merci, trônant tour à tour, prétendant, chacun à son rang, apporter la forme normale et définitive; puis tous s'épuisant en efforts, et un jour, par hasard ou par raison, tombant sous la violence. >> Ne dirait-on pas que l'orateur, qui proclamait ces vérités en 1840, faisait, par intuition, par prévision, l'histoire de nos quatre dernières années? Ecoutons : jl va nous tracer maintenant le programme du deux décembre.

<< Lorsque ces hommes, messieurs les pairs, voient les systèmes déchus se reformer derrière la Révolution qui les a repoussés, s'organiser et prendre des positions patentes et puissantes dans toutes les voies de la société, ils appréhendent qu'il n'y ait là, pour cette dernière, des causes incessantes de désordre et de ruine, et redoutent que, sous la guerre intestine de cette république des partis, la base sociale ne vole en éclats. Ils pensent que ce qu'il faut aujourd'hui, c'est de restaurer le pouvoir, l'autorité, la loi. Ils se montrent préoccupés des destinées du pouvoir en France; ils voudraient le voir marcher en avant et non au centre des institutions, afin qu'il n'absorbât point la force qui lui est propre dans les débats de ses limites chaque jour contestées; ils ne veulent pas que le pouvoir et la liberté vivent, pour ainsi dire, coude à coude, car il y a à chaque pas, dans les voies politiques, des passages trop étroits pour qu'ils puissent s'y présenter de front.

«Que faut-il donc mettre entre le pouvoir et la liberté? C'est là une recherche à laquelle les esprits dont je parle se livrent avec ardeur. Que faut-il done mettre pour trouver la distance utile qui doit exister entre le pouvoir et la liberté? La force, l'énergique et sévère loi? On l'a essayé; c'est trop et ce n'est pas assez. Ce qu'il faut y mettre, c'est mieux que l'autorité : le respect de l'autorité; c'est mieux que la loi le sentiment de la loi. Il faut qu'on croie à l'autorité, aux institutions, à la loi; il faut que l'on comprenne que la loi c'est l'épée et le bouclier du droit!

«Cet état de choses, messieurs les pairs, sans repos et sans lendemain, a occupé les longues méditations du jeune prince Louis-Napoléon, et, dans les études de son exil, il recherchait, dans les traditions de l'Empire, les éléments de force morale qui assurent au pouvoir le respect et la confiance des peuples. >>

Ainsi, le principe qui sert de base au gouvernement que nous avons vu fonder, le 2 décembre 1851, était proclamé comme nécessaire, et surtout comme l'idéal du prince Louis-Napoléon, dès l'année 1840, en présence de la Cour des pairs, c'est-à-dire à la face de la France entière.

« Enfin, messieurs les pairs, ajoute l'habile défenseur, Louis Bonaparte est un prince français; le canon de la

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bien-venue a tonné à sa naissance, et nous nous sommes tous inclinés devant son berceau. Aussi, moi qui le défends, vous qui l'accusez, vous qui le jugez, nous se rons tous heureux, au fond de notre âme, de pouvoir lui rendre ce témoignage, qu'il n'a pas, ainsi qu'on nous le disait hier, outrageusement manqué à la gloire du nom qu'il porte... Il n'est pas venu, dans un intérêt personnel, tenter une révolution. Il est venu demander à son pays le droit d'y vivre; et, en échange, il apportait des idées, des principes d'ordre, de nationalité, de stabilité sociale, qu'il voulait jeter dans les voies tumultueuses de notre civilisation. >>

Après cet hommage rendu à la pensée de l'entreprise et au caractère du prince, Me F. Barrot entreprend la défense du colonel Voisin. Il se contente de raconter la vie du brave et généreux officier que M. le procureur général, fait-il observer, semblait accuser avec regret, et sur lequel il n'a pu s'empêcher de laisser tomber quelques paroles bienveillantes.

Alors le défenseur présente son client entrant, en 1799, dans l'artillerie comme simple canonnier; il le suit à Austerlitz où il conquiert le grade de lieutenant; il le montre, en 1813, résistant, avec douze dragons, à un corps d'Anglais de 500 hommes; tous les dragons furent tués ou blessés; Voisin, qui était lieutenant-colonel, cut son cheval tué sous lui et reçut une blessure à la tête. Sous la Restauration, il ne voulut pas prendre de service. En 1831, il fut nommé colonel d'un régiment de lanciers, mais, en 1837, on le mit à la retraite sous un prétexte injurieux pour son honneur. En 1840, au mois de mai, ses affaires l'appelèrent à Londres.

«Arrivé à Londres, continue l'avocat, le colonel Voisin voulut voir le prince. Le prince est affable, il se fait aimer et respecter de tous ceux qui l'approchent; il sait parler, comme il faut parler à de vieux soldats, des souvenirs de l'Empire. Le prince, par ses manières, par son esprit, par le courage dont il a fait preuve dans beaucoup d'occasions, gagna bientôt l'affection du colonel Voisin. Messieurs, je puis bien faire ici l'éloge du prince; il est dans une position où l'on peut être son courtisan sans honte, où la flatterie a pour lui peu de dangers.

Le colonel Voisin se dévoua au prince; il entra dans ses espérances: il eut, non pas la confidence, mais une vague indication de ses projets futurs. L'exilé pense toujours à la patrie, et l'exilé parlait constamment au colonel Voisin de sa patrie, qu'il voulait revoir; il lui parlait de ses projets, dont il espérait plus tard la réalisation.

« Le crime n'était pas là encore pour mon malheu. reux client; car il n'est pas permis d'imputer à crime les consolations, les encouragements que l'on porte aux douleurs et aux impatiences de l'exil. Mais, un jour, le prince dit au colonel Voisin : « Le général Montholon part pour Ostende; je l'ai chargé d'une mission: voulezvous l'accompagner? » Il y consentit.

« Dans la sincérité de son âme, sous l'honneur de sa vie, le colonel Voisin vous a déclaré que telle est l'explication de sa présence sur le paquebot le Châteaud'Edimbourg. Il se rendit donc à Margate, où il devait s'embarquer. Lorsqu'il y arriva, il trouva le prince, qui bientôt lui fit part des résolutions qu'il avait prises et qu'il était déterminé à exécuter. Le colonel Voisin avait à choisir entre la raison et le danger. Son dévouement ne pouvait pas balancer; son affection pour le prince ne permettait pas qu'il y eût deux résolutions possibles. Il fit quelques observations: elles

furent sans succès. Que vous dirai-je?..... il débarqua sur la plage de Boulogne, il accompagna le prince jusqu'à la caserne, et, lorsque l'entreprise eut échoué, il le suivit auprès de la Colonne, où, dans son désespoir, le prince voulait mourir sous des balles françaises. Ce ne fut que par violence qu'on put arracher le malheureux prince à la résolution de son désespoir; il fut entraîné, porté plutôt sur le rivage; et c'est en ce moment que le colonel Voisin, joignant ses efforts à ceux des amis qui entouraient le prince, essaya de lancer à la mer le canot qui pouvait le sauver; mais déjà le lieutenant du port s'était emparé du paquebot. Les prisonniers devaient tomber nécessairement au pouvoir de l'autorité; il était certain, à ce moment, que la justice serait saisie de cette tentative, et cependant le colonel Voisin reçut deux balles par derrière. Il se tourna alors et, présentant sa poitrine, il dit : « Ce n'est pas aiusi que meurt un soldat; » et une balle vint le frapper au milieu de la poitrine. >>

Le défenseur, en considération de ces blessures et des souffrances qu'a endurées le colonel, invoque en sa faveur l'indulgence de la Cour; puis il entre ainsi dans la défense de Parquin:

«En 1813, l'Empereur passait une revue. Un jeune lieutenant de ses chasseurs à cheval se présenta sur le front de bandière d'un régiment d'infanterie. Trois fois l'Empereur passa devant lui, l'interrogeant du regard comme il savait interroger; enfin le jeune lieutenant s'enhardit et adressa la parole à l'Empereur : « Sire, dit-il, j'ai vingt-cinq ans d'âge, onze années de service, onze campagnes, douze blessures; cela vaut bien la croix; je la demande, on me la doit. » L'Empereur répoudit : «Assurément, et je ne veux pas qu'on me fasse crédit plus longtemps. » Et de sa main il attacha la croix sur la poitrine du jeune lieutenant. Ce lieutenant était Parquin.

« Il a de bien beaux états de service, continue le défenseur; mais les bulletins, les ordres du jour de la Grande Armée en contiennent bien davantage. Hier, M. le général Magnan vous disait combien était grande la réputation du commandant Parquin, combien il était estimé et aimé des anciens officiers.

Il n'y a qu'un seul fait que je veux citer dans cette vie glorieuse. Je ne veux pas m'occuper de ces drapeaux enlevés à l'ennemi, je ne veux pas même vous parler de la vie du maréchal duc de Raguse, sauvée sur un champ de bataille du Portugal; je veux vous parler d'un fait qui doit vous toucher. Devant Leipsick, au mois d'octobre 1813, un de nos maréchaux était engagé dans un gros d'ennemis; sa vie était menacée; le capitaine Parquin se précipite sur l'ennemi, à la tête de quelques soldats, et délivre le maréchal de France. Il est assis parmi nos juges, et si je le nomme, ce n'est pas que je veuille troubler le devoir de sa conscience par le souvenir d'un service rendu; non, messieurs, si je prononce ici son nom, c'est que je veux vous faire comprendre qu'il a été donné à Parquin de conserver l'une des gloires les plus pures de notre époque. Que M. le maréchal duc de Reggio me pardonne si j'abrite sous la gloire de son nom l'infortune du vieux soldat. »>

L'émotion qu'éprouve le défenseur l'empêche pendant un instant de continuer son discours, et quand le maréchal duc de Reggio s'écrie: Le fait est vrai! une vive sensation se manifeste dans tout l'auditoire. L'avocat démontre bientôt l'attachement, le dévouement aveugle de son client au prince Louis-Napoléon, qu'il a constamment suivi depuis de longues années.

Après la plaidoirie de son défenseur, l'accusé Parquin demande la permission d'ajouter quelques paroles à celles que la Cour vient d'entendre.

« Messieurs les pairs, dit-il, j'avais promis à une illustre princesse expirant sur la terre d'exil, de ne pas quitter son fils dans la position difficile où le sort l'avait placé. Voilà ce qui explique ma récidive. (On se rappelle que Parquin était un des accusés de Strasbourg.) J'ai rempli ce pieux devoir. Et, si du haut du ciel, où l'ont fait monter sa religion, ses vertus et ses bienfaits, la reine Hortense jette un regard ici-bas et voit avec douleur son fils devant vous, je serai aperçu, je l'espère, moi qui partage l'infortune de ce jeune prince, qui, depuis de longues années m'honore de son amitié, et à qui j'ai voué tout le dévouement dont je suis capable. >>

Me F. Barrot, après avoir encore prononcé la défense de Desjardins et de Bataille, cède la parole à Me Delacour, défenseur de Mésonan. Celui-ci, comprenant combien la déposition du général Magnan était capitale contre son client, s'efforce d'en affaiblir la valeur en cherchant à y trouver des contradictions.

M. Persigny demande à présenter lui-même quelques explications.

Messieurs les pairs, dit-il, il y a sept ans que des études approfondies sur la grande époque consulaire et impériale, opposée dans mon esprit à l'époque actuelle, me vouèrent au culte des idées napoléoniennes. Ce culte vous explique mon dévouement à l'illustre race qui personnifie ces idées et au noble prince qui en est ici le représentant.

« Pour assurer le triomphe de ces idées, qui promettaient dans ma pensée la gloire, la grandeur et les libertés de mon pays, je n'ai pas hésité à me faire le soldat d'un homme, d'une famille.

« A une époque où il n'y a en France ni véritable autorité ni véritable liberté, où les partis et le pouvoir sont également impuissants, faute d'une personnification vivante des grands intérêts du pays....

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M. LE CHANCELIER. - Vous vous êtes déjà trompé; vous pouvez vous tromper encore.

A une époque, reprend M. Persigny, où tout le monde veut commander et personne obéir, je suis fier d'avoir compris l'obéissance et engagé ma liberté dans le but d'assurer et d'agrandir les libertés de mon pays. Je suis fier d'avoir pris la devise de ce généreux roi de Bohême, qui vint mourir à Crécy pour la cause de la France, cette devise modeste, mais qui a aussi sa grandeur: Je sers.

« L'idée napoléonienne, continue M. Persigny en exposant le plan du gouvernement de notre temps, l'idée napoléonienne qui fut l'expression la plus sublime de la Révolution française, qui rattache les siècles passés au nouveau siècle, qui, du sein de la démo. cratie la plus agitée, fit surgir l'autorité la plus gigan tesque, qui remplace une aristocratie de huit siècles par une hiérarchie démocratique accessible à tous les

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