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les ministres, les membres du gouvernement provisoire (<«< les cinq empereurs, » comme il les appelait), enveloppant implicitement le prince d'Eckmühl dans le même blâme et le même mépris. Vous entendez ces cris! dit-il. Sije voulais me mettre à la tête de ce peuple, qui a l'instinct des vraies nécessités de la patrie, j'en aurais bientôt fini avec tous ces gens qui n'ont eu du courage contre moi que quand ils m'ont vu sans défense !... On veut que je parte. Cela ne me coûtera pas plus que le reste. » Ces deux hommes, si longtemps compagnons d'armes et rayonnant d'une gloire commune, sentaient l'un comme l'autre qu'ils se voyaient pour la dernière fois. Ils se quittèrent sans un serrement de main, sans une effusion de cœur, Napoléon encore vibrant de colère, Davout impassible et glacial1.

Au moment du dîner, Napoléon dit à la princesse Hortense : « Je veux me retirer à la Malmaison. C'est à vous. Voulez-vous m'y donner l'hospitalité ? » Hortense partit le soir même afin de tout disposer de son mieux pour le séjour de l'empereur 2. Mais Fouché, paraît-il, ignorait ce départ et dans sa défiance d'homme accoutumé à biaiser, il soupçonnait Napoléon de ne point vouloir tenir l'engagement pris avec Davout. Il chercha à l'intimider. Dans la nuit du 24 au 25 juin, il fit avec grand bruit doubler les postes de l'Elysée sous prétexte d'un coup de main projeté par les royalistes. Le fourbe en fut pour ses frais d'invention. Les officiers de service à l'Elysée ne s'émurent ni de la mesure ni de l'avis; ils n'en parlèrent même pas à l'empereur. En dernière res

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2. Mémoires manuscrits de Mme de X. Cf. Mla Cochelet, Mém., III, 129.
3. Fleury de Chaboulon. II, 238-239. Pasquier, III, 263. Villemain, II, 395.

source, Fouché et ses collègues du gouvernement provisoire firent agir Carnot. Le 25 juin, de bon matin, celui-ci se présenta à l'Elysée. L'empereur était occupé à faire brûler les lettres, mémoires et pétitions qui pouvaient compromettre leurs auteurs. Il reçut Carnot avec amitié, et, sans discuter ni récriminer, il l'assura qu'il partirait le jour même. Au cours de l'entretien, qui se prolongea et fut très cordial, il lui demanda conseil sur le lieu de sa retraite définitive. «< N'allez pas en Angleterre, dit Carnot.

Vous

y avez excité trop de haine; vous seriez insulté par les boxeurs. N'hésitez pas à passer en Amérique. De là vous ferez encore trembler vos ennemis. S'il faut que la France retombe sous le joug des Bourbons, votre présence dans un pays libre soutiendra l'opinion nationale 1. »

L'empereur avait donné les ordres de départ pour midi. Il y eut des indiscrétions de la livrée. Dès onze heures, la foule se massa dans la rue du faubourg Saint-Honoré, criant à pleine gorge : « Vive l'empereur! Vive l'empereur! Ne nous abandonnez pas ! » Trop ému pour affronter ces acclamations, et appréhendant qu'une chère violence ne le retint dans le palais au mépris de sa promesse à Carnot, Napoléon fit sortir son carrosse à six chevaux avec les aides de camp et l'escorte par la grande porte de l'Élysée; lui-même gagna à pied la petite porte du jardin où stationnait la voiture de ville de Bertrand. Il y monta avec celuici et ne prit son carrosse que passé la barrière de Chaillot.

La nouvelle fut apportée à Fouché comme il prési

1. Note de Carnot, citée par H. Carnot, Mém. sur Carnot, II, 528-529. Mémoires manuscrits de Marchand.

2. Mémoires manuscrits de Marchand. Gourgaud, Sainte-Hélène, II, 554. Montholon, I. 24. F. de Chaboulon, II, 241.

dait la Commission de gouvernement. Il resta encore en défiance. La Malmaison n'était pas, après tout, si éloignée de Paris, et l'on pouvait craindre quelque démarche de généraux, de députations d'officiers, susceptible d'entraîner l'empereur. Pour plus de sùreté, Fouché fit décider séance tenante par la Commission que le général Beker, représentant du Puy-de-Dôme, recevrait le commandement de la garde de Napoléon à la Malmaison 1. Beker était en disgrâce depuis 1810 pour la liberté de ses opinions; c'est pourquoi Fouché l'avait désigné. Mais ce brave soldat, peu empressé de remplir ce rôle équivoque, accourut chez Davout, le priant avec insistance d'en charger un autre officier général. Le ministre réitéra l'ordre au nom de la Commission exécutive. Beker dut partir dans la soirée pour la Malmaison. Ses instructions portaient : « L'honneur de la France commande de veiller à la conservation de l'empereur Napoléon. L'intérêt de la patrie exige qu'on empêche les malveillants de se servir de son nom pour exciter des troubles. » Il n'était pas besoin de lire beaucoup entre les lignes pour comprendre que Fouché entendait qu'à la Malmaison Napoléon fût prisonnier. Et dans la pensée secrète du duc d'Otrante, ce prisonnier était aussi un otage.

1. Procès-verbaux de la séance de la Commission de gouvernement, 25 juin. (Arch. nat. A. F. IV, 1933.)

2. Beker, Relation de ma mission auprès de Napoléon, 18-21. Lettre de Davout à Beker, Paris, 25 juin, citée ibid.

LIVRE IT

LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE

ET LE RETOUR DU ROI

CHAPITRE I

L'INVASION

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- La re

Le ralliement de l'armée du Nord à Laon (22-24 juin). traite des corps de Grouchy et leur jonction avec l'armée du Nord (20 juin-26 juin).

II. La marche des armées anglaise et prussienne sur Paris (19 juin29 juin). — Retraite de l'armée française de Soissons sur Paris. - Combats avec les avant-gardes prussiennes (25 juin-29 juin). III. Entrée en France des armées bavaroise, wurtembergeoise et autrichienne, Leurs opérations contre l'armée du Rhin, l'armée du Jura et l'armée des Alpes (22 juin-29 juin).

IV. Entrée en France des souverains alliés avec le IV corps de l'armée russe (28 juin). Les desseins de l'Europe au lendemain de la bataille de Waterloo.

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Les débris de l'armée foudroyée à Waterloo se ralliaient à Laon et aux environs. Les 19 et 20 juin, Soult et Reille à Philippeville, Morand à Beaumont, Jérôme à Avesnes n'avaient réussi à arrêter dans le torrent des fuyards que quelques milliers de sol

1. D'après l'ordre donné par Soult en conformité des instructions de l'empereur, (voir 1815, II, 433), les emplacements des troupes étaient fixés ainsi : Laon pour les

1, 20 et 6e corps; La Fère pour l'artillerie; Marle, Saint-Quentin, Rethel,

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Vervins et Reims pour la cavaleric - Soissons pour la garde. (Ordre de Soult Philippeville, 19 juin. Arch. Guerre).

dats'. Mais dès le 22 juin, plus de 15 000 fantassins et cavaliers, étaient rassemblés sous Laon2, et, le surlendemain, 24 juin, il y en avait 27 0003. Soult s'occupa incontinent de la réorganisation de cette armée si réduite. Morand reçut le commandement de la garde à pied, Lefebvre-Desnoëttes celui de la garde à cheval. Le 6o corps fut réuni au 2o corps que Reille continua de commander; D'Erlon garda le commandement du 1 corps; Kellermann, Milhaud, Jacquinot, Domon et Subervie conservèrent ceux des 3 et 4 corps de grosse cavalerie et des 1", 3e et 5 divisions de cavalerie légère. Vathiez remplaça à la tête de la 2o division de cavalerie Piré accouru à Paris. Les cavaliers démontés et les chevaux blessés furent dirigés sur les dépôts, ainsi que les isolés de l'artillerie. L'arsenal de La Fère fournit en trois jours deux batteries à cheval et trois batteries à pied; on trouva dans les magasins militaires de Laon et de Soissons des fusils et des cartouches '.

Mais pour reconstituer cette armée, il ne suffisait pas d'en rassembler les soldats et de leur donner fusils et cartouches. Il aurait fallu refaire leur moral. Comment les chefs y pouvaient-ils réussir, eux qui étaient pour la plupart aussi démoralisés, aussi indisciplinés que leurs hommes. « La plus grande fer

1. Soult à Napoléon, Rocroi, 20 juin. Rapport du capitaine de Vatry, 22 juin. Rapport du colonel de Bellina, 23 juin. (Arch. Guerre). Relation du général Petit (Collection Morrison, de Londres). Curély, Souvenirs 420.

2. Soult à Napoléon, Laon, 22 juin. (Arch. Guerrc.)

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3. Situations des 23 et 24 juin. (Arch. Guerre): garde à pied: 5211; garde à cheval 1887; artillerie de la garde et train: 876. 1er corps: 4132; 2e corps: 7418; 6e corps: 3008; 3° corps de cavalerie: 1333; 2e division de cavalerie légère: 879. Total: 24744, sans compter le 4 corps de cavalerie, et les 1 et 5° divisions de cavalerie légère, ensemble seize régiments dont je n'ai pu trouver les situations pour ces jours-là, mais qui, si grandes que fussent leurs pertes, devaient bien avoir encore 150 sabres chacun en moyenne.

4. Lettres et ordres de Soult, du 21 au 25 juin. (Registres d'ordres du major-général, Bibliothèque nationale, manuscrits F. Fr. 4366.)

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