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le 27 juin, à cinq heures du matin, les Français débouchèrent devant Compiègne, cette ville qui n'avait pas fait ombre de résistance était occupée depuis le point du jour par une division du corps de Zieten'. Après un échange de coups de canon, d'Erlon jugeant que Compiègne était inabordable du côté de la route de Soissons, fit filer ses troupes à travers la forêt pour tenter un assaut au débouché de la route de Paris. Comme on opérait ce mouvement, il reçut un ordre de Grouchy qui, d'après de nouvelles instructions de Davout, lui enjoignait de se replier au plus vite sur Paris par Senlis. Senlis était déjà au pouvoir de l'ennemi. Kellermann qui s'y enfourna en pleine nuit avec une brigade de cuirassiers faillit y rester prisonnier3. Toute la colonne de d'Erlon

:

quarante heures, du 25 juin au matin au 26 juin dans la nuit, il envoya à Grouchy quatre ordres contradictoires d'abord de prendre position entre Soissons et Compiègne, puis de se replier sur Paris, ensuite de conserver les positions de l'Aisne, enfin de gagner Paris à marches forcées. (Lettres de Davout citées par Grouchy, Relat. succincte, III, 83, 85, 86, 121.)

1. Damitz, If, 39-40, Clausewitz, 203.

D'après les documents allemands, Compiègne fut occupé sans coup férir. Aux Archives de la guerre, je n'ai trouvé qu'une seule pièce relative à cet événement. C'est cette dépêche éplorée du sous-préfet à Davout, datée du 26 mars : « Je n'ai aucun ordre, l'ennemi approche. Je ne sais que faire. Il est d'autant plus inexplicable que Compiègne ait été laissé sans nulle garnison, que l'année précédente, cette ville où commandait le major Otenin, avait soutenu plusieurs jours un siège en règle. Compiègne était donc défendable. Si cette ville avait été occupée le 25 juin 1815, et si les ponts de Creil et de Pont-Sainte-Maxence avaient été détruits, les Prussiens auraient été arrêtés sur la rive droite de l'Oise jusqu'à l'arrivée des équipages de pont de l'armée anglaise qui était encore en arrière de Péronne.

2. D'Erlon à Grouchy, Pont de Berne, 27 juin, Cf. Grouchy à d'Erlon, Soissons, 27 juin, 7 heures du matin; Davout à Grouchy 27 juin, 3 heures du matin. (Cités par Grouchy Relat. succ. III, 121, 127, 131). Damitz, II, 39, 41.

3. D'Erlon à Grouchy, Le Mesnil-Amelot, 28 juin (cité par Grouchy, Relation succ., III, 150). Curély. Souv., 421-423. Damitz, II, 49-51. — Il y cut cette même nuit deux combats dans Senlis. Sur les neuf heures, la 1re brigade de cuirassiers de la division Roussel, qui avait de beaucoup devancé la colonne, entra à Senlis sans savoir qu'un régiment prussien sous les ordres du major Blankenburg occupait déjà cette ville. Il y eut un engagement dans les rues à la suite duquel les Prussiens repoussés évacuèrent la ville, tandis que les Français la traversaient pour gagner la route de Paris. Mais, une heure plus tard, Senlis fut réoccupé par un régiment de hussards et un bataillon de landwehr, tête d'avant-garde de Bülow. C'est alors que la 2 brigade de Roussel, ayant avec elle Kellermann, s'enfourna dans Senlis. y

tourna la ville par Borest et atteignit le MesnilAmelot, entre Dammartin et Gonesse, dans la matinée du 28 juin'.

Pendant ce temps, Grouchy, conformément aux ordres pressants de Davout, s'était lui-même mis en retraite de Soissons vers Paris par Villers-Cotterets, Nanteuil et Dammartin. Le corps de Reille et les débris du corps de Lobau marchaient en tête, puis venait la garde à pied et à cheval2. Vandamme qui formait l'arrière-garde avec son corps et le corps de Gérard, passé sous son commandement, quitta Soissons le 28 juin à deux heures du matin3. Il arriva près de Villers-Cotterets au moment ou la colonne de Grouchy était vivement pressée au sud de cette ville par la division Pirch II (corps de Zieten). A l'approche des renforts français, Pirch rompit son attaque et se replia vers Crépy. Ainsi dégagé, Grouchy put continuer sa retraite, non toutefois sans être assailli au delà et en deçà de Nanteuil par la cavalerie de Hobes et par celle du prince Guillaume'. A la suite de ces combats successifs, le corps de Reille et la garde se trouvèrent séparés. La garde gagna Paris dans la nuit du 28 et dans la matinée du 29, par Claye, et Reille, qui avait rejoint d'Erlon, par Gonesse". Pour échapper aux masses prussiennes qui débouchaient

tomba dans une embuscade, et put à grand'peine se retirer par la porte qu'elle avait prise pour y entrer.

1. D'Erlon à Grouchy, Le Mesnil-Amelot, 28 juin. (Cité par Grouchy, Relat. succ. II, 150). Curély, Souv., 423. Pendant sa retraite, qui s'opéra en désordre, d'Erlon

fut suivi de très près et parfois harcelé par la cavalerie prussienne.

2. Lettres et ordres de Grouchy, Soissons, 27 juin, (cités par Grouchy, Relat. succ., III, 125-144. Cf. Davout à Grouchy, 27 juin, 3 heures du matin. Arch. Guerre).

3. Vandamme à Grouchy, Soissons 27 juin (cité par Grouchy, Relat. succ., III, 143): Les ordres de marcher demain à 2 heures sont donnés... » — Comme on sait. Gérard, commandant le 40 corps, avait été blessé le 18 juin près de Wavre.

4. Damitz, II, 55-62. Grouchy, Relat. succincte, 54-55.

5 Grouchy à Reille, Dammartin, 28 juin; à Davout, Claye, 28 juin à Davout,

des ponts de l'Oise (le corps de Bülow par PontSainte-Maxence, les corps de Zieten et de Thielman par Compiègne), Vandamme fit un assez long détour. De Villers-Cotterets, il marcha sur Paris, par la Ferté-Milon, Meaux, Lagny et Vincennes 1.

Malgré la négligence de Soult à faire garder les passages de l'Oise, et nonobstant les ordres mal assurés, contradictoires et toujours trop tardifs de Davout, les débris de la malheureuse armée française avaient échappé à la poursuite latérale qui les menaçait. L'ennemi n'avait point réussi, comme il s'en était flatté, à leur couper la retraite sur Paris.

III

Tandis que les Prussiens de Blücher et les AngloNéerlandais de Wellington approchaient de Paris, les armées autrichienne, bavaroise, wurtembergeoise, russe et piémontaise franchissaient la frontière. D'après le plan primitif, elles ne devaient entrer en France que du 27 juin au 1er juillet3. Mais la nouvelle de la bataille de Waterloo leur fit avancer le mouvement. « Les opérations vont être poussées avec beaucoup de vigueur, » écrivait triomphale

Claye, 29 juin, (Arch. Guerre). Journal du général Valée (comm. par M. le général de Salles).

Dans cette nuit du 28 au 29 juin, les avant-gardes prussiennes poussèrent jusque vers Stains, le Bourget et Claye. (Ordre de Bulow, 28 juin, et rapport de Groben, 29 juin, 2 h. après minuit. Cités par Von Ollech, 338-339. Rapport de Doumerc, Saint-Denis, 28 juin (Arch. Guerre).

1. Grouchy à Vandamme, Villers-Cotterets, 28 juin (Relat. succ., III, 148). Damitz, II, 57, 63. Damitz prétend que Vandamme fut contraint par la débandade de ses troupes, qui s'enfuyaient vers leur gauche, à prendre le détour sur La Ferté-Milon et Meaux. Mais pour démentir l'assertion de l'historien allemand, il existe l'ordre de Grouchy qui prescrit ce mouvement à Vandamme.

2. Le 29 juin, les tètes de colonnes prussiennes atteignaient Aulnay, le Bourget et Dammartin. Les Anglais étaient près de Pont-Sainte-Maxence où ils allaient passer l'Oise pour marcher sur Louvres et Gonesse. (Clausewitz, II, 201.)

3. 1815, II, 92.

ment Metternich à son ami le prince de Talleyrand'.

Le 23 juin, le feld-maréchal de Wrède avec le IVe corps (Bavarois) de l'armée de Schwarzenberg passa la Sarre à Saarbruck et à Sarreguemines, et le prince de Wurtemberg avec le III corps (Wurtembergeois, Hessois, Autrichiens) de la même armée passa la Queich et marcha vers Wissembourg 2.

Rapp se trouvait là, établi derrière la Lauter avec 20 000 hommes d'excellentes troupes formant l'armée du Rhin3. Bien que très menacé sur son front par le prince de Wurtemberg et sur sa gauche par le corps bavarois, il demeura trente-six heures dans sa position. Il connaissait depuis l'avant-veille le désastre de Waterloo et il balançait entre plusieurs projets. Fallait-il défendre l'Alsace pied à pied, ou se retirer dans Strasbourg, ou gagner Paris par Saverne, Nancy et Vitry? Autour de lui quelques officiers énergiques pensaient que ce dernier parti serait « le plus courageux et le plus utile ». Mais Rapp qui

1. Metternich à Talleyrand, Manheim, 24 juin (Cité dans les Mémoires de Metternich, II, 519, 520. Cf. Clausewitz, 220 et Pfister, Aus dem Lager der Verbündeten : « La nouvelle de Waterloo galvanisa l'armée du Rhin. Ce fut comme une course au clocher. »>

2. Damitz, II, 153-156.

3. 23 097 hommes. (Situation de l'armée du Rhin au 20 juin. Arch. Guerre). Si je dis seulement : 20 000 hommes, c'est que la division de 3 000 gardes nationaux mobilisés du général Berckheim se trouvait à Colmar (Soult à Davout, Soissons, 25 juin, Arch. Guerre).

L'armée du Rhin était concentrée derrière la Lauter depuis la fin de mai. A la nouvelle de la bataille de Ligny, reçue le 19 juin, Rapp se porta sur Germesheim, qui commandait un des passages du Rhin et qu'occupait une assez forte garnison. Chemin faisant, il s'empara de Hann, d'Ausveiller et de tous les gros villages riverains de la Queich. L'attaque de Germesheim était fixée au 22 juin. Dans la nuit du 21, comme les troupes destinées à former les colonnes d'assaut étaient déjà en mouvement, Rapp apprit la défaite de Waterloo. Renonçant aussitôt à l'offensive, il se replia dans sa position primitive, sur la rive droite de la Lauter Opérat. de l'armée du Rhin, 103. Rapp, Mém., 360-361. Général Boulart, Mém., 341-342).

4. Rapp, Mém., 362.

F. Général Boulart. Mém., 343, Cf. 344.

avait le commandement de l'armée du Rhin était-il en droit, sans nouvelles instructions, d'abandonner l'Alsace et Strasbourg? Ne serait-ce point enfreindre gravement ses ordres ? Il attendit, espérant quelque dépêche de l'empereur ou de Davout. Aucune ne vint 3. Le 24 au matin, il réunit ses généraux en conseil de guerre. La victoire de l'ennemi les avait démoralisés presque tous; ils jugaient tout perdu. Ils exprimèrent l'opinion de se rapprocher de Strasbourg. Au reste, pour marcher sur Paris on avait trop attendu. Les Bavarois occupaient Saarbruck, Sarreguemines, SaintAvold ; ils pouvaient arriver avant Rapp sur la route de Saverne à Sarrebourg. L'armée se mit en retraite le long du Rhin. Plusieurs combats heureux contre le corps du prince de Wurtemberg signalèrent cette retraite qui se termina le 28 juin par la bataille de la Suffel, à deux lieues en avant de Strasbourg. Cette bataille, livrée pour l'honneur, car Rapp aurait pu l'éviter puisqu'il avait déjà le dessein de s'enfermer dans Strasbourg, ne fut pas sans gloire mais elle fut sans résultat. Après avoir repoussé partout l'ennemi, Rapp abandonna nuitamment ses positions pour se replier sous le canon de Strasbourg. Là, il défiait tous les efforts des Alliés, mais il s'était mis luimême hors de cause. Le prince de Wurtemberg commença aussitôt l'investissement de Strasbourg

1. Le général Boulart (Mém. 344-345) dit qu'en cas de revers de l'armée du Nord, l'armée du Rhin devait se replier sur l'intérieur de la France. Il semble bien que c'était l'idée de l'empereur. Mais avait-il donné à Rapp des ordres précis à ce sujet ?

2. Rapp à Davout, Wissembourg, 24 juin (Arch. Guerre).

3. Gourgaud dit (Camp. de 1815, 130-131) que l'empereur fit envoyer de Philippeville, le 19 juin, l'ordre à Rapp, à Lamarque et à Lecourbe, de se porter sur Paris à marches forcées. Cela parait très vraisemblable, mais il n'y a pas trace de ces ordres dans le Registre du major-général, ni aux Archives de la Guerre, et, s'ils furent réellement envoyés, ils ne parvinrent pas aux destinataires.

4. Rapp à Davout, 24 juin (Arch. Guerre). Rapp, Mém., 362. Général Boulart. Mém., 343. Damitz, II, 156-157.

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