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modifier ainsi le texte de la première déclaration : J'aperçois beaucoup de sujets égarés et quelques coupables. Je promets, moi qui n'ai jamais promis en vain, de pardonner aux Français égarés tout ce qui s'est passé depuis le jour où j'ai quitté Lille au milieu de tant de larmes jusqu'au jour où je suis entré dans Cambrai au milieu de tant d'enthousiasme. Mais le sang de mes enfants a coulé par une trahison dont les annales du monde n'offrent pas d'exemple. Je dois donc excepter du pardon les instigateurs et les auteurs de cette trame horrible. Ils seront désignés à la vengeance des lois par les deux Chambres que je me propose de rassembler incessamment 1. »

Cette distinction entre les « coupables », instigateurs ou prétendus tels de la révolution du 20 mars, et « les égarés» qui l'avaient acceptée, laissait aux royalistes une abondante moisson de vengeances tout en tranquillisant la foule des gens restés ou entrés en fonctions postérieurement au départ du roi pour l'étranger. De plus, en faisant dire à Louis XVIII que les coupables seraient désignés par les Chambres, Talleyrand espérait le décharger d'une sanglante responsabilité qui retomberait tout entière sur le parlement, être collectif et passager. « Il ne faut pas, disait-il, que le roi frappe lui-même. Il faut qu'il laisse frapper les Chambres2. »

Gaillard à Vitrolles, 24 juin 1817 (citée dans les Mémoires manuscrits de Gaillard, communiquée par Mme Martineau).

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1. Le Roi aux Français, Cambrai, 28 juin.

2. Mémoires manuscrits de Barras (comm. par M. G. Duruy). Cf. Lamarque, Souv., I, 190, et 394. — Le général Lamarque est injuste en disant que Talleyrand s'opposa » à l'amnistie. Tout le monde autour du roi et dans les cabinets étrangers demandait des proscriptions. Talleyrand n'eut donc point à s'opposer à cette amnistie dont personne ne voulait. D'ailleurs, le texte de la proclamation de Cambrai, rédigée sous son inspiration, atténua en une certaine mesure celui de la déclaration de Cateau-Cambrésis.

III

Dans le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme, on était en majorité royaliste. L'invasion anglaise, la présence du roi à Cambrai firent déclarer les populations. Dès le 23 juin, les meneurs s'agitent à Lille, à Armentières, à Hesdin, à Dunkerque, à Calais, à Arras, à Douai, à Cassel, à Boulogne, à Bapaume. Ils annoncent la destruction de l'armée, l'arrivée des Anglais, le retour du roi, la paix; ils excitent le peuple à la révolte, la troupe à la désertion. A Lille, en un seul jour, il y a 1 645 déserteurs dans cinq bataillons de mobilisés du Nord et de la Somme d'un effectif total de 2 476 hommes. Les désertions ne sont guère moins nombreuses à Dunkerque où les habitants menacent d'exterminer la garnison'. Le colonel comte du Bourg, parti de Cambrai avec quinze gardes du corps, est accueilli à Bapaume par les Vive le roi ! de la garde nationale et de cinq ou six mille paysans. Il suffit d'un petit détachement de l'armée royale pour insurger Arras et contraindre le gouverneur, les canonniers, les mobilisés à se retirer dans la citadelle. Après quelques heures de bombardement, le commandant du Quesnoy s'engage à capituler sous la condition que les assiégeants lui donneront la preuve certaine de l'entrée du roi dans Cambrai. A Péronne, le maire révoqué, un avocat du nom de Hiver, reprend ses fonctions aux premiers obus tombés dans la ville et rédige cet arrêté : « Art. Ier. Il est enjoint au commandant des

1. Analyse de la corresp. des préfets, 22 au 30 juin. Rapport de Davout à la Commission de gouvernement, fin juin. (Arch. nat. F. 7, 3774 et AF. IV, 1937). Leval à Davout, Dunkerque, 23 juin. Général Frère à Davout, Lille, 23 juin. (Arch. Guerre). Général Desnoyers à Davout, Aire, 30 juin. Rapport du général Fauconnet, Dunkerque, 26, 28 juin. (Papiers de Carnot, communiqués par le capitaine Sadi Carnot.)

troupes de faire cesser le feu et de demander une capitulation. Art. II. Il est défendu à la garde nationale de se prêter à aucune hostilité contre les Alliés de S. M. le Roi de France. » Le gouverneur n'obtempérant pas assez vite, Hiver déploie le drapeau blanc, ameute la foule, la conduit par les remparts, la jette au dos des canonniers et impose finalement la capitulation1. Sans doute, à Lille, à Landrecies où le major Plaige répond au général Prussien : « Je suis trop jaloux de mériter votre estime pour accéder à vos propositions », à Douai où le général Lahure écrit au maire : « Je vous renvoie votre lettre sans la décacheter, sachant trop bien ce qu'elle peut contenir2 », à Valenciennes, à Calais, à Aire, à Dunkerque, à Maubeuge, dans d'autres places encore, les gouverneurs contiennent la population et ré

sistent aux sommations comme aux assauts de l'ennemi. Mais tout alentour les drapeaux blancs flottent aux clochers des villages. Des bandes de paysans armés dont les principales obéissent au transfuge Bourmont, nommé par le roi gouverneur de la 16o division militaire, et au réfractaire Louis Fruchard, dit Louis XVII, un chouan artésien redoutable aux gendarmes, battent l'estrade, arrêtent les diligences et pillent les caisses publiques pour la bonne cause 3.

3

1. Du Bourg à Clarke, Bapaume, 27 juin. Rapport sur la capitulation du Quesnoy, 27 juin. Arrêté du maire de Péronne, 26 juin. Procès-verbal du siège et de la capitulation de Péronne, 27 juin (Arch. Guerre). Lettre d'Arras, 29 juin. (Moniteur, 14 juillet).

2. Lettres de Plaige, Landrecies, 27 juin; de Lahure, Douai, 27 juin. (Arch. Guerre.) 3. Leval à Davout, Dunkerque, 23 juin. Général Frère à Davout, Lille, 23, 25, et 27 juin. Général Charrière à Davout, Calais, 30 juin. (Arch. Guerre). Fauconnet à Carnot, Dunkerque, 26 et 28 juin (Papiers de Carnot).

Voici le texte de la nomination de Bourmont : « Désirant seconder l'empressement des habitants du Nord à secouer le joug de l'usurpateur, nommons commandant extraordinaire de la 16 division militaire le lieutenant général comte de Bourmont. (signé) Louis. Gand, le 21 juin. » (Arch. Guerre).

Sur les antécédents de Fruchard, voir Guillemin, Le Patriotisme des volontaires

Vers Paris, l'esprit change. A Senlis, les habitants saluent une colonne anglaise de quelques cris de Vive le roi! Mais le capitaine Mercer, du Royal horse Artillery, s'étant amusé à crier Vive l'empereur! ils répètent tous ce cri avec enthousiasme, << ravis, dit Mercier de pouvoir exprimer leurs vrais sentiments.» « Partout jusqu'à Paris, ajoute l'officier anglais, j'ai noté ce même esprit. Les paysans ne se lassaient pas de nous exprimer leur amour pour Napoléon et leur haine pour les Bourbons 1. »

La Normandie souhaite la paix et le roi, mais pour que le royalisme triomphe comme dans le nord, il manque l'aide des armées étrangères. « La population est bien disposée et prête à se soulever, écrit le duc de Castries; elle est malheureusement contenue par les compagnies de bandits 2. » (Ces bandits sont des soldats français formés en colonnes mobiles.) L'agitation qui règne à Rouen où les habitants se provoquent dans les rues par des Vive le roi! et des Vive l'empereur! à Dieppe et à Lisieux où l'on apprend l'abdication « avec des transports de joie », à Falaise où l'on brise les bustes de Napoléon, à Caen où couve l'insurrection, au Havre où elle éclate, contraint bientôt le général Lemarois à rappeler dans les villes ces colonnes mobiles. Les campagnes

royaux, 148-152. En récompense de ses hauts faits, ce Fruchard fut décoré de la Légion d'honneur et introduit dans l'armée comme officier porte-drapeau.

1. Mercer, Journal of the Waterloo Campaign, II, 54-55. Cf. Analyse de la Corresp. des préfets, 25-27 juin. (Arch. Nat. F. 7. 3774.)

Castries écri

2. Duc de Castries à Clarke, Brighton, 4 juillet (Arch. Guerre). vait d'après des renseignements envoyés de la côte normande et dont le plus grand nombre provenaient d'un certain Fouache, ancien sous-préfet du Havre. Ce Fouache, nommé par Castries commissaire du roi en Normandie, fut un des principaux instigateurs des émeutes du Havre. Dès le 26 juin, la ville était en pleine sédition, on y tirait des coups de fusil, les soldats renfermés dans la citadelle n'en sortaient qu'en forts détachements. (Lieutenant de police du Havre au général Schwitzler, 26 juin, et rapport de Schwitzler, 29 juin, (Arch. Guerre). Rapport du Havre, 26 juin, (Arch. nat. F. 7. 3774).

sont livrées à elles-mêmes. Les paysans tirent des coups de feu en signe d'allégresse et allument des feux de joie, les maires font remplacer les drapeaux tricolores par les drapeaux blancs, les prêtres chantent le Domine, salvum fac regem1.

En Bretagne, dans les villes, le bonapartisme domine. A Rennes, le 24 juin, on refuse de croire à l'abdication. On dit que c'est une fausse dépêche; les fédérés lacèrent, en criant: Vive l'empereur ! les affiches où elle est annoncée. On prend à l'Hôtel de Ville le buste de Napoléon et on le place sur une sorte d'autel de feuillage que chaque jour soldats, gardes nationaux, fédérés, tanneurs de la Vilaine, ornent de fleurs fraîches; la nuit, l'autel est illuminé. A Brest, les dépêches de Paris sont accueillies avec la même incrédulité, avec les mêmes colères. On accuse le général Brenier, la foule en tumulte l'entoure, le somme de crier: Vive l'empereur! Il répond: Vive la France! Vive le gouvernement! Des sabres et des bâtons se lèvent autour de lui, il se décide au vivat exigé. A Saint-Malo, à Quimper, à Saint-Brieuc, des colonnes de populaire parcourent les rues en criant : Vive l'empereur! Dans quelques communes, les royalistes excitent sans grand succès les paysans à se soulever, mais dans les villes ils ne bougent point. «Ils sont peu redoutables, conclut un rapport général à la Commission de gouvernement; ce sont eux qui ont à redouter les colères des fédérés2. »

1. Lemarois à Davout, Rouen, 27 juin. Lauberdière à Davout, Rouen, 29 juin. Vedel, à Lemarois, Caen, 29 juin. Ordre du commandant de place, Rouen 29 juin, (Arch. Guerre). Analyse des rapports du 24 au 30 juin, et rapport général de Davout à la Commission de gouvernement, fin juin. (Arch. nat. F. 7. 3774 et AF. IV, 1937). La même effervescence est signalée dans la Seine-Inférieure, l'Eure, le Calvados, l'Orne, et dans la Mauche jusqu'aux portes de Cherbourg dont les habitants étaient au contraire très bonapartistes.

2. Général Taraire à Davout, Rennes, 24 juin. Général Brenier à Davout, Brest, 24 juin, général Lorcet à Davout, Saint-Malo, 25 juin (Arch. de Guerre). Analyse

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