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vociférant: Vive l'empereur! insultant et maltraitant tous ceux qui ne semblaient point partager leur ferveur napoléonienne. Les boutiques fermèrent. Dans la nuit, le tumulte continua; des fédérés armés de torches marchaient avec des soldats le sabre nu. On craignit le pillage et l'incendie. Le lendemain, on modela en cire un buste de Napoléon I qui fut solennellement promené par toute la ville au milieu des cris enthousiastes. Le soleil ardait. Les royalistes voyaient avec un plaisir malin l'image de cire se liquéfier peu à peu. « A six heures, écrivit l'un d'eux, Napoléon II était fondu1. »

Déjà au retour de l'île d'Elbe la guerre civile avait ensanglanté le Midi. Pendant toute la durée des Cent Jours, royalistes et bonapartistes, catholiques et protestants, miquelets et fédérés, gardèrent leurs espérances, leurs rancunes, leurs haines. S'ils ne combattaient plus, leur esprit restait en armes, animé des fureurs de la Saint-Barthélemy et des massacres de septembre. La nouvelle de l'abdication déchaîna ce peuple surexcité et impatient d'en venir aux mains. Des Cévennes à la mer, des Pyrénées aux deux rives du Rhône, en quelques jours

1. Rapports à la Commission de gouvernement, 26 juin et 2 juillet (Arch. nat. AF. IV, 1936 et AF. IV, 918, Audin, Tableau des événements de Lyon, 142. Guerre, Campagnes de Lyon en 1814 et 1815, 255-258, et proclamations du gouverneur et du préfet de Lyon, 25, 26, 27 juin (citées ibid.). Le 19 juin, des manifestations patriotiques moins menaçantes mais non moins enthousiastes avaient déjà eu lieu à l'occasion des premières victoires de Suchet dans les Alpes (Paroletti à Davout, Lyon, 19 juin. Arch. Guerre).

Le 27 juin, on arrêta cinquante-neuf royalistes plus ou moins compromis dans un complot auquel étaient affiliées deux ou trois mille personnes et qui avait pour but de proclamer Louis XVIII, de massacrer les officiers de l'armée et les chefs fédérés. (Rapport de police, Lyon, 4 juillet. (Arch. Nat. F. 7,3774.) Paroletti à Davout, Lyon 29 juin. (Arch. Guerre). Ce complot était connexe à la prise d'armes du comte d'Espinchal qui ayant le dessein de s'emparer de Lyon où il avait des intelligences, tint campagne dans le Forez durant tout le mois de juin avec cinq ou six cents royalistes appelés Chasseurs de Henri IV, et eut plusieurs engagements contre les colonnes mobiles. (D'Espinchal, Souvenirs, II, 345-371, et Audin, Evénements de Lyon, 99-100). 2. 1815, I, 412-417, 429-433, 512-516.

tout le pays s'embrasa. Partout des troubles, des séditions, des émeutes, des cris de mort, l'appétence du sang.

Les villages s'insurgent, l'écume des villes se soulève. Montauban, Agen, Cette, Orgon, Tarascon, Agde, Béziers, Aigues-Mortes, Aubenas, sont en pleine révolte; on emprisonne les fonctionnaires, les commandants de place, on désarme les petites garnisons. A Perpignan, le 27 juin, le peuple parcourt les rues en criant: Vive l'empereur! Mort aux royalistes! La nuit, ces processions continuent plus effrayantes, à la lueur des torches. « J'ai dû calmer l'exaltation patriotique, écrit le préfet; les excès en auraient pu être dangereux2. » A Avignon, des fédérés entourent et menacent le commandant de place, le général Cassan, qu'ils accusent de tiédeur. Pour les calmer, il faut arrêter l'ex-maire, soupçonné d'avoir le premier répandu la nouvelle de Waterloo. La nuit, un royaliste est tué en pleine rue par une bande de ces furieux. Le 26 juin, les royalistes de Toulouse se portent en foule, cocarde blanche au chapeau, devant l'hôtel du général Decaen, place Saint-Etienne. Tandis qu'un détachement d'infanterie se déploie, Decaen paraît à son balcon, harangue les séditieux, les somme de se disperser. La plupart obéissent, mais un coup de pistolet est tiré sur un offi

1. Corresp. des préfets, 26 juin au 4 juillet. Rapport général à la commission de gouvernement, 2 et 4 juillet. (Arch. nat. F. 7,3774, F. 7,3044a, AF. IV, 1937. AF. IV, 918). Lettres à Davout: de Decaen, Bordeaux, 24 et 26 juin; de Lenoir, Albi, 28 juin; de Clausel, Bordeaux. 29 juin; du général commandant l'Ardèche, Privas, 30 juin; de Gilly, Montpellier, 30 juin. Ordre du jour du général commandant le Tarn, Albi, 30 juin. Correspondance des préfets avec Decaen, 25 au 30 juin. Déclarations de conducteurs de diligences, 2 juillet (Arch. Guerre). De Bernis, Précis de ce qui s'est passé dans le Gard et la Lozère, 28-31. Marseille, Nimes et ses environs en 1815, I, 34-36.

2. Préfet des Pyrénées-Orientales à Decaen, 28 juin. (Arch. Guerre). Rapport de Réal, 30 juin. (Arch. Nat. AF. IV, 1934).

3. Les Crimes d'Avignon, 12-14.

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cier. Exaspérés, les soldats chargent à la baïonnette la foule déjà en retraite. Cinq ou six personnes tombent tuées ou blessées. A la suite de la troupe se ruent les fédérés, portant un drapeau noir; ils pillent une maison, saccagent le café Henri IV'. Mêmes. scènes à Montpellier. Les royalistes pavoisent, s'arment, courent la ville aux cris de Vive le roi! Un de leurs groupes rencontre des fédérés qui sortent de la citadelle sous le commandement d'officiers à la demi-solde. On se heurte, on frappe, on tire. Un lieutenant du 13° de ligne est atteint grièvement; plusieurs royalistes sont tués ou blessés, les autres s'éparpillent dans l'épouvante2. A Arles, à Nîmes, à Albi, à Auch, à Carcassonne, à Draguignan, où l'on promène un drapeau noir avec cette devise: l'Empereur ou la mort! les passions fermentent, mais les bourbonistes sont encore contenus par l'attitude menaçante des fédérés qui réclament « l'emploi de mesures révolutionnaires 3. >>

Les miquelets reprennent les armes, se concentrent à Beaucaire, tiennent la campagne jusqu'aux

1. Decaen à Davout, 24 et 26 juin. Rapport sur les événements de Toulouse du 4 avril au 18 juillet, signé du maire, du premier président et du procureur général. Déclaration de conducteurs de diligences, 2 juillet. (Arch. Guerre.) Rapport à la Commission de gouvernement, 2 juillet. (Arch. Nat. AF. IV, 918) Cf. Villèle, Mém., I. 297, et général Pelleport, Mém., II, 127-128.

2. Ordre de Gilly prescrivant la formation d'une commission militaire pour juger les instigateurs du mouvement dans lequel plusieurs individus ont perdu la vie ». Montpellier, 27 juin. Gilly à Davout, 28 juin. (Arch. Guerre.) Rapport de Gilly, Montpellier, 28 juin. (Arch. Nat. AF. IV, 1936.) Précis des Evénements qui ont eu lieu à Montpellier les 27 juin, 1er et 2 juillet, 3-7. Cet écrit anonyme, dû à un royaliste ardent, est naturellement en désaccord avec le rapport de Gilly sur l'origine de l'échauffourée. Selon ce témoignage, les fédérés tirèrent sans aucune provocation et tuèrent ou blessèrent quarante personnes tout à fait inoffensives, dont deux femmes. L'adjudant-commandant Lefebvre (Campagnes et Mémoires, 166), dit au contraire que les premiers coups de feu furent tirés des maisons sur la troupe, qu'un officier fut tué et deux blessés, et que dans la foule, les soldats ayant riposté, il y eut trois hommes tués et trois hommes blessés.

3. Préfet du Tarn à Decaen, 27 juin. Préfet du Gers à Decaen, 28 juin. Lenoir à Davout, 28 juin. Extrait de la correspondance ministérielle, fin juin, (Arch. Guerre). Corresp. des préfets, fin juin. (Arch. Nat.. F. 7.3774). De Bernis, 42, 49-51.

portes de Nimes. Le 27 juin, ils repoussent un bataillon de garde nationale nimoise; le 29, ils attaquent un détachement du 14° chasseurs à cheval ; trente-deux hommes sont tués dans le combat. D'autres bandes de révoltés se forment dans la Lozère, l'Ardèche, le Vaucluse. Le marquis de Montcalm, qui s'intitule commissaire extraordinaire du roi, lève à Cette et aux environs douze ou quinze cents matelots, ouvriers du port et paysans, tandis que les protestants de la Gardonnenque et de l'Avaunage s'arment de fusils et de fourches pour aller renforcer les patriotes de Nîmes et de Montpellier 1.

V

Marseille était restée toute royaliste. La troupe y vivait en état de guerre avec les habitants. Selon le mot de Brune, sous chaque pavé poussait une fleur de lys. Pour les Marseillais, la victoire de Ligny fut un deuil public3, le désastre de Waterloo une délivrance. Cette catastrophe s'ébruita dans l'après-midi du 23 juin et fut presque aussitôt confirmée par une proclamation du général Verdier qui, en l'absence de Brune parti pour l'armée du Var, commandait la 8e division militaire. Le 25 juin étant un dimanche, un beau dimanche ensoleillé, toute la population se trouvait dans les rues. Aux premières nouvelles, une

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1. Decaen à Davout, 25 juin. Rapport du général de Barre à la date du 14 août. (Arch. Guerre), Rapport de Gilly, 2 juillet. Corresp. des préfets, fin juin. (Arch. Nat. AF. IV, 1937 et F. 7,3774). Bernis, 51, Marseille et Nimes en 1815, I, 31-37. Précis des Evénements de Montpellier, 9-15.

2. Brune à Davout, 5 mai (Arch. Guerre, Armée du Var). Cf. 1815, I, 430-431,

515-516.

3. Verdier à Davout, 23 juin (Arch. Guerre.)

4. Aux habitants de la 8° division militaire, Marseille, 25 juin, placard in-folio (Collection H. Houssaye.)

joie furieuse saisit la foule. Bourgeois, gardes nationaux, débardeurs, portefaix, ouvriers, matelots fraternisent dans la même allégresse. On crie: Vive le roi! Mort aux castaniers! En une minute toutes les cocardes tricolores tombent des chapeaux comme automatiquement. On arrache les drapeaux impériaux qui décorent cafés et boutiques et on les remplace par des drapeaux blancs. Un buste de l'empereur pris dans le café Ricard est brisé, réduit en poussière. On s'ameute devant les différents postes, on somme les soldats de crier Vive le roi! d'ôter leurs cocardes, de livrer leurs armes. Provoqués et menacés, quelques soldats font feu. Des hommes roulent sur le pavé. Une patrouille de chasseurs à cheval charge à fond la foule, la culbute, la sabre. Les rassemblements se reforment au loin; le peuple crie: Vengeance! A mort! On lance des pierres, des tessons de poteries et de bouteilles; on s'arme de bâtons, de fusils, de pistolets, de sabres, de couteaux. On sonne le tocsin à tous les clochers pour appeler les miquelets refugiés dans les environs'.

Avec sa petite garnison (quinze cents hommes 2, tous très animés contre les Marseillais), le général Verdier pourrait tenter de réduire la sédition. Le devoir militaire le commande. Mais Verdier raisonne sur son devoir. Faut-il répandre le sang, faut-il se compromettre pour retarder de quelques jours la restauration royaliste qui est inévitable ? Le préfet

1. Rapport du commandant de gendarmerie, Marseille, 25 juin. Extrait d'une lettre de Marseille, 27 juin. Rapport de Verdier, Toulon, 27 juin. Rapport du général Cailloux-Puget, commandant le département des Bouches-du-Rhône, Toulon, 29 juin (Arch. Guerre).

2. 1000 hommes du 13 de ligne, 150 hommes du 14 officiers à la demi-solde embataillonnés, canonniers, général Cailloux-Puget, 29 juin et rapport de Brune, Guerre.)

chasseurs, 200 retraités et gendarmes. (Rapport du Antibes, 16 juin, Arch.

3. Brune blâma Verdier de s'être trop hâté d'annoncer l'abdication et d'avoir si

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