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blait imposé par la logique des événements, Fouché n'avait pas cessé de regarder comme un meilleur but et une tâche plus facile de faire roi le fils de Philippe-Egalité. Il ne fallait que le consentement des Alliés, car en France tous les obstacles, toutes les difficultés que présentait la restauration du roi légitime semblaient devoir tomber devant le duc d'Orléans. Il était le secret espoir de la majorité des deux Chambres, il avait de très nombreux partisans chez les officiers généraux, il eût bien convenu à la bourgeoisie libérale; le peuple, enfin, et l'armée se fussent ralliés aisément à un ancien combattant de Jemmapes avec qui le maintien du drapeau tricolore ne pouvait faire question2.

Fouché jouait sur deux cartes, mais il était prêt à mettre son enjeu entier sur celle des deux qui de

qui bien qu'apocryphes méritent souvent créance, est confirmée non seulement par Beugnot (Mém. II, 278) et par Pasquier (Mém. III, 244.) mais, témoignage décisif, par une lettre de sir Charles Stuart à Wellington, de Cambrai 29 juin (citée dans le Supplément des Dispatches de Wellington, X, 625). Gaillard, dans un passage de ses Mémoires manuscrits (Mémoires dont malheureusement à peu près toutes les pages du tome VIII, environ 150 relatives aux quinze jours où Fouché fut président du gouvernement provisoire ont été coupées au ras de la marge), Gaillard, dis-je, nie avoir été chargé d'aucune mission. Mais au tome X de ces mêmes Mémoires, il transcrit une lettre de lui à Vitrolles, du 24 juin 1817, dans laquelle il rappelle le voyage qu'il «fit à Cambrai le 24 juin 1815 ».

D'après les Mémoires de Fouché (II, 355), Gaillard partit avec deux lettres cousues dans le collet de son habit, l'une pour le duc d'Orléans, l'autre pour le roi. Il dit à Wellington qu'il désirait être présenté au duc d'Orléans, à quoi le général anglais répondit : « - Il n'est point ici, mais vous pouvez vous adresser à votre roi qui est à Cambrai. » Il est fort douteux que les choses se soient passées ainsi. Fouché et par conséquent Gaillard ne pouvaient ignorer que le duc d'Orléans ne se trouvait pas au quartier général anglais, ni même, vraisemblablement, à Gand. En se référant à la mission, postérieure de trente-six heures, d'un autre émissaire de Fouché, le général Tromelin, mission qui avait pour but ostensible de demander des saufconduits pour l'empereur et pour but secret de sonder Wellington relativement au duc d'Orléans (Mém. de Fouché, II, 356, et lettre de sir Charles Stuart, Cambrai, 29 juin, précitée), il semble bien que Gaillard dut se borner à poser la même question au général anglais.

1. Notes de Rousselin (Collection Bégis). Stuart à Castlereagh, Gand, 6 juin (cité par Romberg et Mallet, Louis XVIII à Gand, II, 162. Mém., de Fouché, II, 355-356. Lamarque, Souv. I. 338. Villemain, Souv., II, 448-449. Fleury de Chaboulon, II, 301, 321.

2. Voir 1815, III, 89-90.

viendrait l'atout. De là, la mission à double fin de Gaillard. Mais aux premiers mots de Wellington que vraisemblablement il vit le 26 juin, à Péronne, ou le 27 juin, à Nesles, Gaillard comprit que les Alliés étaient opposés au duc d'Orléans. Il partit pour Cambrai où Louis XVIII s'était arrêté. Avait-il, comme on l'a dit, une lettre de Fouché pour le roi ? En tout cas, ce qui valait autant, il avait une lettre de Vitrolles pour le comte d'Artois1. La recommandation de Vitrolles lui assurait la confiance des royalistes-ultras tandis que la qualité d'envoyé de Fouché le fit bien accueillir par Talleyrand, le baron Louis et les constitutionnels.

se

Gaillard borna d'abord à dire que Fouché était entièrement dévoué à la cause royale, et que malgré l'armée, les Chambres et le gouvernement provisoire qui s'y montraient hostiles, il la ferait triompher. Le duc d'Otrante ne demanderait en retour que des garanties pour lui-même et pour quelques personnes compromises par leur participation au gouvernement usurpateur. Les paroles de Gaillard eurent leur influence. Le paragraphe de la proclamation royale relatif au classement «< des Français coupables » fut modifié dans un sens moins rigoureux. Gaillard resta à Cambrai jusqu'au départ de la cour pour Roye où il la suivit le 30 juin. Pendant ces quelques jours, il eut le temps de causer. Peut-être insinua-t-il que la meilleure garantie souhaitée par le régicide Fouché serait de devenir ministre du frère de Louis XVI. C'est possible. Quoi qu'il en soit,

1. Lettre de Gaillard à Vitrolles, 24 juin 1817 (citée dans les Mém. manuscrits de Gaillard communiqués par Mme Martineau).

2. Lettre de Gaillard à Vitrolles, précitée, Sir Charles Stuart à Wellington, Cambrai, 29 juin. (Supplementary Dispatches of Wellington, X, 625.) Beugnot, Mém., II, 278. (Beugnot mentionne la présence de Gaillard à Roye et non à Cambrai, mais la lettre de Stuart fait foi.) Sur la proclamation de Cambrai, voir 1815, III, 144-147.

Talleyrand, d'ailleurs éperonné par une lettre où Wellington lui parlait incidemment de la nécessité de faire une place à Fouché1, se hasarda à dire au roi qu'il faudrait admettre tout le monde dans le futur gouvernement et que peut-être on serait obligé d'aller jusqu'aux juges de Louis XVI. Le roi devint rouge et s'écria, en frappant avec colère les deux bras de son fauteuil: « Jamais ! 2. » Talleyrand n'insista pas ce jour-là. Il savait que jamais n'est pas un mot de la langue politique.

II

Fouché suivait et secondait les événements plus qu'il ne les dirigeait. Vitrolles aurait voulu qu'il les fît naître. Son petit logis de la rue Saint-Florentin étant assiégé chaque jour par une foule de conseillers impatients. Royalistes de tradition ou de conversion, Pasquier, Royer-Collard, Molé, les maréchaux Oudinot et Gouvion-Saint-Cyr, les généraux de Girardin, Dessolles, de Piré, Tromelin, le bailli de Crussol, le vicomte du Bouchage, chacun avait son projet. Celuici s'offrait à faire déclarer, comme l'année précédente, le conseil municipal; celui-là voulait gagner, par Grouchy, l'armée du Nord à la cause royale. Un autre pensait à provoquer un vaste pétitionnement dans la garde nationale parisienne. Un autre encore

1. Lettre de Wellington, Saint-Denis, 29 juin (citée dans les Mém. de Talleyrand, III, 234).

2. Chateaubriand, Mém., VII, 54-55. Cf. Beugnot, Mém., II, 278-280. Talleyrand prétend dans ses Mémoires (III, 233) avoir combattu l'entrée de Fouché au ministère. Cela est contredit à peu près par tous les témoignages. Talleyrand était resté en bons rapports avec Fouché pendant le congrès de Vienne et même pendant les Cent Jours. (Notes de Rousselin, précitées. Beugnot II, 280.) En rentrant en France, il sentait que Fouché était nécessaire à la restauration, et il soupçonnait qu'un homme comme le duc d'Otrante ne ferait rien pour rien, car il savait, par expérience, que tout service se paye.

tenait l'on entraînerait la populaque pour certain tion par le soulèvement des quelques milliers de royalistes déterminés qui se trouvaient à Paris. Les femmes s'immiscaient dans l'affaire. Aimée de Coigny qui connaissait Tallien et Merlin de Thionville assurait que par l'action de ces deux hommes les tirailleurs fédérés se tourneraient à Louis XVIII'. Conseil des royalistes et confident de Fouché, Vitrolles s'efforçait de modérer ceux-là, et de presser celui-ci d'agir. Mais le duc d'Otrante temporisait. Il hésitait encore entre la branche aînée et la branche cadette; d'ailleurs, il ne voulait pas risquer de se perdre par une manœuvre précipitée. Il objectait à Vitrolles les défiances de ses collègues, l'opinion des Chambres, l'esprit de l'armée. Toutefois, il se gardait bien de le décourager, son intérêt étant de continuer à le tenir en bride. I affectait de chercher avec lui le moyen de faire reconnaître Louis XVIII avant l'arrivée des Alliés sous Paris. « Il nous faudrait, disait-il, une déclaration du ministre de la guerre sur l'impossibilité de la résistance. Fort d'une telle pièce, j'enverrais en qualité de président du gouvernement provisoire, un message aux Chambres dans lequel je proposerais la soumission au roi comme le parti le plus efficace pour

1. Vitrolles, Mém., III, 40-42, 45-47, 51, 54-55, 71, 73-74. Bulletin de Réal, 26 juin, (Arch. Nat. AF, IV, 1934.) Piré à Davout et Fouché à Piré, 25 juin. (Arch. Guerre) Souvenirs manuscrits de Davout. Pasquier, Mém., III, 265-271. — D'après la note précitée de Réal, la pétition des gardes nationaux ne réunit que 500 signatures. Hyde de Neuville, mêlé plus tard au complot royaliste, n'était pas encore à Paris. Il n'y arriva que le 30 juin ou le 1er juillet, avec cette mission de Louis XVIII : faire reconnaître dans Paris, avec l'aide des bons royalistes, l'autorité royale et former une commission de gouvernement qui aurait à éloigner ou à arrêter les partisans de l'usurpateur, à épurer la garde nationale et à dissoudre l'armée. (Hyde de Neuville, Mém., II, 89-108). Cf. Pouvoirs et instructions a Macdonald, Gand, 1er juin, citée par Romberg et Mallet, Louis XVIII à Gand, I, 69-72). Il va sans dire que Hyde de Neuville et autres ne devaient se mettre à l'œuvre que lorsque l'activité de Bonaparte aurait été ébranlée par des revers »>. (Stuart à Castlereagh, Gand, 20 juin (citée par Romberg et Mallet, II, 178.)

arrêter la marche de l'ennemi. Manuel et quelques autres sur qui je puis compter soutiendraient cette opinion dans la Chambre des représentants. » Le plan séduisait Vitrolles, mais pour l'exécuter il fallait la connivence du ministre de la guerre, et Fouché, soit tactique, soit crainte, ne paraissait pas pressé de faire des ouvertures au prince d'Eckmühl1.

Davout semblait inaccessible à ces intrigues. Tenu en une disgrâce outrageante pendant la Restauration, il haïssait les Bourbons. Il s'était mêlé aux conspirations de 1814 et de 1815. Le 20 mars, il était accouru de son propre mouvement aux Tuileries rouvertes à Napoléon, et, nommé ministre de la guerre, il avait rempli ses fonctions avec un ferme dévouement, une activité sans pareille et un admirable esprit organisateur. Après Waterloo, il avait conseillé d'abord de proroger les Chambres, et si, troublé par la déclaration des députés, il avait brusquement, brutalement, abandonné l'empereur, c'était par un scrupule de légalité. Nulle arrièrepensée suspecte ne l'avait déterminé. Tout en déplorant et en condamnant l'acte de La Fayette 2, il avait cru que son devoir de fidèle serviteur du pays lui imposait d'obéir à la représentation nationale.

Un incident amena une nouvelle évolution dans la conscience de Davout. Les réunions secrètes tenues chez Vitrolles s'étaient ébruitées, Pelet de la Lozère, le nouveau ministre de la police, dénonça Oudinot

1. Vitrolles, III, 47-48, 51, 57-58, Cf. 62-63. Sur les hésitations et les temporisations de Fouché, voir Pasquier Mém., III, 266 et Mémoires de Fouché. II, 357-358, 361-362.

2. Mémoires manuscrits de Davout (communiqués par le général duc d'Auerstaedt): « La postérité, comme le firent alors les esprits sages, jugera sévèrement La Fayette. Il s'allia avec l'étranger dans la guerre que celui-ci ne prétendait faire qu'à Napoléon. I brisa follement le faisceau qui seul pouvait encore conjurer les grands désastres, et, en venant avec une pompe théâtrale défendre la cause de la liberté, il ne fit autre chose que consommer le suicide de la patrie ».

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