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le reste de la dépêche était interprétation, illusion, leurre. Les plénipotentiaires y donnaient comme déclarations personnelles et formelles de Blücher de vagues propos d'aides de camp 1. Mais cette dépêche, rédigée à la légère, fut lue aussi très légèrement dans le conseil des Tuileries. On en retint seulement que les Alliés laisseraient la France libre de choisir son gouvernement et qu'il était possible d'obtenir une suspension d'armes. Un revirement s'opéra dans la majorité. « << Il n'y a pas tant à se presser, dit quelqu'un, d'aller au-devant des Bourbons. >> << Sans doute, répondit Fouché d'un air embarrassé, cela change bien la face des choses. » On laissa là le message commencé, et l'on procéda à la nomination de commissaires pour l'armistice. Fouché proposa avec autorité Flaugergues et le général Valence, qui étaient présents, et le général Andréossy, Boissyd'Anglas et La Besnardière. A une observation de Caulaincourt que ce dernier était notoirement royaliste, qu'il arrivait de Vienne où il avait été attaché à la mission de Talleyrand, Fouché répliqua qu'il fallait parmi les commissaires un homme au courant des formes diplomatiques 2. Le duc d'Otrante avait réponse à tout.

lui en vue d'un armistice. Cette lettre resta sans réponse jusqu'au 26 dans la soirée où ils eurent un entretien non avec Blücher, mais avec ses aides de camp, le comte Nostiz et le prince de Schöenburg, qui leur remirent les passeports.

1. La Fayette, dans son récit de sa mission à Laon et à Haguenau (Mém., V, 468) ne mentionne même pas les paroles des aides de camp de Blücher sur la liberté laissée à la France de choisir son gouvernement. Dans l'Esquisse historique sur les Cent Jours et les négociations d'Haguenau, il est dit seulement qu'à Laon « les propos des Prussions sur Louis XVIII ne donnaient pas lieu de croire qu'ils missent un grand prix à son rétablissement. » Voilà qui est bien éloigné des termes de la lettre du 26 juin : « Le maréchal Blücher nous a fait déclarer que la France ne serait en aucune manière gênée dans le choix de son gouvernement. »

2. Procès-verbal de la séance de la Commission de gouvernement, 27 juin (Arch. Nat. AF. 1933). Souvenirs manuscrits de Davout. Thibaudeau, X, 433-435, Cf. 436. La Besnardière avait quitté Vienne deux semaines avant la clôture du congrès. Arrivé à Paris dans la première quinzaine de juin, il se mit à la disposition de

III

Il avait été convenu que l'on ne divulguerait rien de ce qui s'était passé au début de la séance1. Mais le moyen de tenir secrète une discussion à laquelle plus de vingt personnes avaient pris part? On en parla dans les Chambres, à la Bourse. Le lendemain, la rente monta de trois francs sur la nouvelle que les deux Chambres allaient proclamer Louis XVIII 2. A l'Assemblée, bonapartistes, anciens conventionnels et libéraux avancés prirent l'alarme. On dit que Fouché trahissait. Trois députés, Durbach, Regnaud, Félix Desportes, s'offrirent pour lui demander une explication. Ils le trouvèrent de grand matin, le 28 juin, à sa toilette. Félix Desportes lui parla rudement. « Les plus violents soupçons s'élèvent de toutes parts contre vous. On vous accuse de trahison et d'intelligence avec les ennemis de la patrie. » D'abord un peu déconcerté, Fouché reprit vite son assurance. « Ce n'est pas moi qui trahis, réponditil avec feu; c'est la bataille de Waterloo, ce sont les événements qui nous trahissent. Mais moi, quoiqu'il arrive, je ne cesserai pas d'être fidèle à la cause nationale. Pour vous le prouver je vais vous lire la lettre que j'écris à Wellington". >>

Cette lettre était bel et bien une avance à

Fouché pour lequel il avait vraisemblablement un message verbal de Talleyrand, et se fit remarquer par ses propos alarmants et ses déclamations contre l'empereur. Le 27 juin, Fouché avait donc des raisons secrètes pour le désigner comme commissaire. (Note de Dubois, directeur des Archives des Affaires étrangères, 20 juin, 1838, Arch. Aff. étrangères, 680. Meneval, Souv. III, 393. Gentz, Corresp., II, 162).

1. Thibaudeau, X, 434-435.

2. Rapport de Réal, 28 juin (Arch. Nat. AF, IV, 1934). Thibaudeau, X, 435. 3. Thibaudeau, X, 437-438. Cf. Béranger, Ma Biographie, 169-172. D'après Béranger, les interlocuteurs de Fouché auraient été Durbach, Dupont de l'Eure et le général Solignac. Thibaudeau était certainement mieux renseigné.

Louis XVIII. Au milieu de basses flatteries pour Wellington et de banalités sur le droit des nations, se trouvait cette phrase: « Les représentants du peuple français travaillent à son pacte social. Dès qu'il aura reçu la signature du souverain qui sera appelé à régner sur la France, ce souverain recevra la couronne des mains de la nation 1. » Il fallait toute l'effronterie de Fouché pour qu'il montrât un pareil écrit comme un témoignage de son opposition aux Bourbons. Mais connaissant la passion des députés pour leur œuvre constitutionnelle, il comptait sur l'effet de ces mots magiques : « le pacte social recevant la signature du souverain. » Il raisonnait juste. Durbach et ses deux collègues, soudain calmés, se montrèrent si satisfaits de la lettre qu'ils en emportèrent une copie pour la lire à la Chambre. Au cours de la séance, Durbach dit : « - Beaucoup d'inquiétudes se sont manifestées. Elles ne sont point fondées. Je vais donner connaissance d'une lettre du duc d'Otrante à lord Wellington. » Cette lecture produisit sur la Chambre la bonne impression qu'elle avait faite à ses délégués 2.

Ce même matin du 28 juin, Fouché eut une autre alerte. On avait appris dans la Commission de gouvernement que Vitrolles était venu chez lui. La séance était ouverte depuis plus d'une heure lorsque Fouché arriva. «Nous craignions que vous ne fussiez malade », lui dit ironiquement le général Grenier. Puis Carnot, d'un ton irrité : « Nous savons que c'est pour conférer avec les agents de Louis XVIII que vous désertez votre poste de président! » Fou

1. Lettre de Fouché à Wellington, Paris, 27 juin, lue à la séance de la Chambre du 28 juin. (Moniteur, 29 juin).

2. Thibaudeau, X, 437-438. Séance de la Chambre, du 28 juin (Moniteur, 29 juin).

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ché était trop habile pour accepter le rôle d'accusé. Il le prit de haut : « — Oui, j'ai vu le baron de Vitrolles. C'est pour procurer au pays et surtout aux patriotes des conditions favorables dans le cas très probable et vraisemblablement très prochain où il faudra entrer en arrangement avec les puissances étrangères appuyant les Bourbons. » Et de qui teniez-vous une pareille mission? riposta Carnot. Vous imaginez-vous constituer tout seul la Commission de gouvernement! Êtes-vous donc si empressé de livrer la France aux Bourbons? Leur avez-vous promis? »> «< Et vous, croyez-vous servir le pays par une velléité de résistance vaine? Je vous déclare que vous n'y entendez rien. » Caulaincourt et Quinette s'interposèrent. Le duc d'Otrante reprit son impassibilité. On s'occupa de diverses mesures. Puis Fouché proposa sans rire (ce qui fut accepté non moins sérieusement) d'adresser aux Chambres un message se terminant par ces mots : « Quelque soit l'événement, nous ne vous proposerons rien de pusillanime et de contraire à nos devoirs

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Bien qu'en butte aux pires suspicions et sans cesse au moment d'être démasqué, Fouché continuait, multipliait ses trames. Ce matin-là, il n'avait pas seulement reçu Vitrolles, comme il le faisait chaque jour; il avait vu Marshall, sujet britannique demeuré à Paris et ami de Wellington, et un certain Macirone, Anglais mâtiné d'Italien, aide de camp de Murat depuis 1813. Macirone devait porter à Wellington la lettre dont Fouché avait donné la copie pour être lue aux Chambres. Mais cette lettre, banale et osten

1. Berlier, Précis de ma vie politique, 133-134. Procès-verbaux des séances de la Commission de gouvernement, 28 juin. (Arch. nat. AF. IV, 1933). Dans le compte rendu donné par le Moniteur du 29 juin, de la séance de la Chambre du 28 où le message fut lu, ce message porte, par suite d'une faute d'impression, la date du 27 juin.

sible, le duc d'Otrante ne l'avait écrite que comme prétexte à un message secret d'une toute autre importance. Encore qu'il eût accordé, à part soi, peu de crédit à la dépêche des plénipotentiaires qui assurait que « les Alliés ne voulaient gêner en aucune manière la France dans le choix de son gouvernement »>, cette dépêche ne laissait pas de le troubler. Si, cependant, à l'encontre de toute prévision, l'Europe monarchique ne tenait pas ou ne tenait plus aux Bourbons, ce n'était pas l'heure de se compromettre pour eux. Avant de poursuivre ses manœuvres royalistes, il lui fallait se bien renseigner. De là, la double mission, à la fois ostensible et occulte, de Macirone qui emporta, avec la lettre officielle communiquée aux Chambres, cette lettre écrite à Wellington par Marshall, sous l'inspiration, presque sous la dictée de Fouché : « Je suis autorisé par le duc d'Otrante à vous envoyer cette dépêche et à vous exprimer ses sentiments pour vous. Il demande ce que veulent les Alliés et quelles sont leurs intentions. Il est pour le roi. Vous pouvez entièrement vous fier à lui. Il demande seulement que vous soyez net, et il n'est rien qu'il ne fasse de ce que Votre Grâce peut désirer. Votre Grâce aura la bonté de lui répondre explicitement par le porteur, M. Macirone, qui est homme de confiance'. »

Marshall ajoutait : « Le duc d'Otrante désire que l'armée anglaise arrive le plus tôt possible. » Ce souhait n'était point aussi criminel qu'il le paraît. Loin de vouloir précipiter la reddition de Paris, Fouché cherchait à faire traîner les choses afin de nouer solidement son intrigue avec l'entourage du roi et

1. Marshall à Wellington, Paris, 28 juin, 11 heures et 11 heures et demie du matin. (Supplementary Dispatches of Wellington, X, 620.) Macirone, Faits intéressants relatifs à la capitulation de Paris, 34-36. Passeport délivré par Fouché, << au sieur Macirone, Auglais, chargé de dépêches pour lord Wellington », Paris, 26 juin. (Arch. Guerre.)

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