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avait fait diner Bruneck à sa table. Pendant le repas, le Prussien lui ayant dit, avec la morgue ingénue habituelle à ses compatriotes, que Blücher entrerait à Paris le lendemain, Exelmans répliqua hautainement: «< - Avant ça, vous mangerez la lame de nos sabres1. >>

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damme à Simon Laurière, 8 mai et 10 mai 1830 (Arch. Guerre, à la date du 18 juin 1815).

1. Lettre d'Exelmans à Berthezène, 13 juin 1840 (citée par Ch. Le Sénécal, Sévère justice sur la capitulation de Paris, 10).

CHAPITRE IV

LA MALMAISON

I. Arrivée de l'empereur à la Malmaison (23 juin). du général Beker. - État d'esprit de Napoléon.

La mission

II. Nouvelles demandes de l'empereur d'aller s'embarquer à Rochefort (26 et 27 juin). Temporisations de la Commission de gouvernement.

III. Démarche de Flahaut, au nom de l'empereur, auprès de la Commission de gouvernement. Altercation avec Davout (28 juin). - Fouché se décide à laisser partir l'empereur (soirée du 28 au 29 juin).

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IV. Offre de l'empereur de reprendre temporairement le commandement de l'armée réunie sous Paris. Refus de la Commission de gouvernement. Le départ de l'empereur (29 juin).

-

I

L'empereur était encore à la Malmaison. A son arrivée, dans l'après-midi du 25 juin, il y avait été reçu par la princesse Hortense, qui avait quitté Paris la veille afin de tout mettre en ordre dans ce château inhabité depuis la mort de Joséphine. La petite suite de Napoléon s'installa dans les chambres, trop nombreuses pour elle, du premier étage. Il y avait le grand-maréchal Bertrand, les généraux Gourgaud et Montholon, le chambellan de Las Cases, les officiers d'ordonnance Planat, de Résigny, Saint-Yon, les quelques fidèles qui s'étaient offerts à former dans l'exil la Maison de l'empereur. Le service d'honneur et de sûreté était assuré par trois cents grenadiers et chasseurs du dépôt de la vieille garde établi

à Rueil et par un piquet de dragons de la garde1.

Dès le premier jour, les visiteurs affluèrent les princes Joseph, Lucien et Jérôme, le duc de Bassano, Lavallette, le duc de Rovigo, qui avait pris la résolution de s'expatrier avec l'empereur, les généraux de Piré, de La Bédoyère, Caffarelli, Chartran. Napoléon reçut aussi le banquier Jacques Laffitte; il le retint assez longtemps, et, tout en causant familièrement, il dit ces paroles qui éclairent l'histoire : « Ce n'est pas à moi, précisément, que les puissances font la guerre. C'est à la Révolution. Elles n'ont jamais vu en moi que le représentant, l'homme de la Révolution. » Napoléon était profondément triste, mais non abattu. Il exprima à chacun sa ferme résolution de partir pour Rochefort dès que l'ordre d'appareiller aurait été envoyé aux frégates qui devaient le conduire en Amérique ".

Avant ces visites, à son arrivée même à la Malmaison, l'empereur avait dicté une proclamation ou plutôt un adieu à l'armée : « Soldats, je suivrai vos pas quoique absent. Je connais tous les corps, et aucun d'eux ne remportera un avantage signalé sur l'ennemi, que je ne rende justice au courage qu'il aura déployé. Vous et moi, nous avons été calomniés. Des hommes indignes d'apprécier nos travaux ont vu

1. Mémoires manuscrits de Mme de X. Planat à Constant D. Malmaison, 26 juin (Vie de Planat, 212-216.) Montholon, Récits, I, 24. Gourgaud, Sainte-Hélène, II, 554555. Las Cases, Mémorial, I, 25.

2. Mémoires manuscrits de Mme de X. Planat à Constant D., Malmaison, 26 juin. Mémoires manuscrits de Marchand. Montholon, I, 31. Gourgaud, II, 554-555. Rovigo, VIII, 168-169. Récit de Laffitte dans le Journal manuscrit de Lechat (comm. par le vicomte de Grouchy).

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D'après une note de M. de Chatillon, ami de Lucien (reproduite dans Lucien Bonaparte et sa famille, 106-125), Joseph et Jérôme auraient quitté Paris dès le 24 juin sur l'ordre, du 23, de la Commission de gouvernement, et Lucien. parti le 25 ou le 26, n'aurait pas été à la Malmaison. D'une part, l'ordre de la Commission de gouvernement est du 26 et non du 23 (Procès-verbaux des séances, Arch. Nat. AF. IV, 1933.); d'autre part, dans les Mémoires de Mme de X. il est dit textuellement : Le 25 juin, les frères de l'empereur vinrent à la Malmaison. »

dans les marques d'attachement que vous m'avez données un zèle dont j'étais seul l'objet. Que vos succès futurs leur apprennent que c'était la patrie pardessus tout que vous serviez en m'obéissant... Sauvez l'honneur, l'indépendance des Français. Napoléon vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter1. » Cette proclamation, qui ne pouvait qu'enflammer les soldats contre l'envahisseur, fut envoyée au président du gouvernement provisoire pour être communiquée aux troupes et imprimée dans le Moniteur. Fouché tremblait de rappeler à l'armée même le nom de Napoléon. Comme si elle l'avait oublié! Il enfouit. la pièce dans un tiroir 2.

Sur le soir, le général Beker arriva à la Malmaison. Il avait pour mission ostensible de veiller sur Napoléon et pour mission secrète de le surveiller. Il fut reçu dans la jolie bibliothèque, toute revêtue de hautes vitrines de cèdre, incrustées d'ornements de bronze. doré, qui servait de cabinet de travail à l'empereur. Beker était confus et peiné de sa mission. Il ne l'avait acceptée qu'à contre-cœur, et ce n'est pas sans trouble qu'il présenta respectueusement à l'empereur la lettre de service de Davout: «Sire, dit-il, voici un ordre qui me charge, au nom du gouvernement provisoire, du commandement de votre garde pour veiller à la sûreté de votre personne. » L'empereur ne se méprit pas sur l'attention que Fouché et Davout portaient à sa sûreté. Il en eut une révolte qu'il maîtrisa

1. A l'Armée, La Malmaison, 25 juin (Arch. Guerre, carton de la Corresp. de Napoléon.) Au lieu d'être signée, comme toutes les proclamations de l'empereur : NAPOLÉON, cette pièce est signée NAPOLÉON Ier.

2. Fleury de Chaboulon, II, 244. Villemain. Souv., II, 403-404. - Il circulait cependant, huit jours plus tard, des copies de cette proclamation. Elle est citée dans le Supplément aux Dispatches de Wellington, et elle fut communiquée à l'armée de Lamarque le 8 juillet. (Ordre du jour de Lamarque, Nantes, 8 juillet. Arch. Guerre).

vite. Il dit avec hauteur: « Je regarde cet acte comme une affaire de forme, et non comme une mesure de surveillance. Il était inutile de m'y assujettir puisque je n'ai pas l'intention d'enfreindre mes engagements1. »>

Beker était ému jusqu'aux larmes : «< — Sire, c'est uniquement pour vous protéger que j'ai accepté cette mission. Si elle ne devait pas obtenir l'assentissement et l'entière approbation de Votre Majesté, je me retirerais à l'instant même. » L'émotion sincère de Beker toucha l'empereur. Adoucissant sa voix, il lui dit avec bonté : « Rassurez-vous, général, je suis bien aise de vous voir près de moi. Si l'on m'avait laissé le choix d'un officier, je vous aurais désigné de préférence, car je connais depuis longtemps votre loyauté. » Il l'entraina dans le parc par la porte vitrée qui y donnait directement et commença de le questionner sur l'opinion de Paris, les espérances du gouvernement, les nouvelles de l'armée, les négociations. Au cours de cet entretien qui dura deux heures, Beker dit que l'empereur aurait mieux fait de rester à la tête de l'armée; qu'il aurait gagné trois mois; qu'en abdiquant conditionnellement en faveur de son fils, il aurait fort embarrassé son beaupère, l'empereur d'Autriche. L'empereur coupa court à ces niaiseries: «<― Vous ne connaissez pas ces genslà ! » Puis il exposa les raisons très légitimes de son retour à Paris. «Mais, conclut-il, il n'y a plus d'énergie. Tout est usé, démoralisé. Comment compter sur un peuple que la perte d'une seule bataille met à la discrétion de l'ennemi"? » L'empereur ne pou

1. Lettre de Beker à Davout, La Malmaison, 26 juin (au matin) citée par Beker, Relat., 28-25, et Beker, Relation de ma mission auprès de Napoléon, 21-22. Cf. les Mémoires manuscrits de Mme de X, et Montholon, I, 29-30.

2. Beker, 24.

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