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frégates quitter la rade avant l'arrivée des saufconduits 1.

Les sauf-conduits! Si Fouché avec une ingénuité qu'il est difficile de lui supposer en avait fait la demande dans l'espérance de les obtenir, il était bien sûr désormais qu'ils ne seraient point accordés. Volontairement ou par ignorance, les aides de camp de Blücher avaient trompé La Fayette et ses collègues sur les desseins des puissances à l'égard du futur gouvernement français, mais ils avaient dit vrai sur la question des garanties qu'elles comptaient prendre contre Napoléon. Les Alliés voulaient en finir avec « le perturbateur du monde ». A la lettre de Bignon, portée par Tromelin au quartiergénéral anglais, Wellington répondit : « Je n'ai aucun pouvoir de mon gouvernement pour donner une réponse quelconque à la demande de saufconduits pour Napoléon Bonaparte. » Castlereagh opposa un même refus, mais en termes plus inquiétants encore, dans une lettre au comte Otto qui, pour remplir sa mission à Londres, attendait en vain à Boulogne des passe-ports du Foreign-Office : « J'ai l'ordre de vous faire connaître que le gouvernement anglais ne pense pas qu'il puisse se permettre d'accorder des sauf-conduits pour Napoléon Bonaparte. »>« Ces expressions, écrivait Otto à Bignon en lui transmettant la dépêche de Castlereagh, sembleraient indiquer un engagement particulier pris envers les puissances coalisés touchant la personne de Napoléon. 3»>

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1. Fouché à Decrès, 27 juin (Arch. de la Marine, BB 3 426).

2. Wellington à X (Bignon) quartier-général (Nesles ou Orvillé, 28 juin (Dispatches, XII, 515.)

3. Castlereagh à Otto, Londres, 30 juin. Otto à Bignon, Boulogne, 2 juillet (Arch. Aff. étr., 1802).

Ollo avait reçu, dès le 22 juin (1815, III, 82, note 1) de pleins pouvoirs « à

Cet engagement n'était pas encore pris, mais déjà les ministres et les généraux de la coalition s'occupaient du sort plus ou moins rigoureux réservé à l'homme qui, si longtemps, avait ruiné leur politique, déchiré leurs traités, anéanti leurs armées, démembré leur pays. Metternich écrivait à sa fille Marie « On a attrapé le chapeau de Napoléon. Il faut espérer que nous finirons par le prendre lui-même1. » Quelques jours plus tard, les commissaires alliés réunis à Haguenau déclaraient officiellement aux plénipotentiaires français que « les puissances, regardant comme condition essentielle de la paix et d'une véritable tranquillité que Napoléon Bonaparte fût mis hors d'état dans l'avenir de troubler le repos de la France et de l'Europe, elles exigeaient que sa personne fût livrée à leur garde *. »

Les plus modérés pensaient à un emprisonnement à vie dans une forteresse continentale ou à une relégation perpétuelle, sous bonne garde, en quelque ile très lointaine. Lord Liverpool jugeait que « ce qu'il y aurait de mieux serait de remettre Bonaparte au roi de France, qui pourrrait le traiter en rebelle. Il suffirait pour cela de reconnaître son identité ! » Blücher voulait purement et simplement

l'effet de conclure avec le gouvernement anglais tous actes devant amener la cessation immédiate des hostilités. « Il ne put remplir sa mission. Les passeports anglais qu'il avait demandés, de Boulogne, le 25 juin, lui furent refusés par une lettre de Castlereagh, du 27 juin, le gouvernement anglais étant d'opinion qu'aucun avantage ne pouvait résulter de l'admission de M. Otto en Angleterre. » (Otto à Bignon, Boulogne, 28 juin. Arch. Aff. étrang., 1802).

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1. Metternich à sa fille, Heidelberg, 22 juin (Metternich, Mém., II, 517).

2. Nole des commissaires alliés, Haguenau, 1er juillet, neuf heures du matin, citée dans la lettre de Metternich à Wellington, Sarrebourg, 2 juillet. (Wellington, Supplementary Dispatches, X, 651.)

3. Liverpool à Castlereagh, Londres, 7 juillet (Wellington, Supplementary Dis patches, X, 675) et 21 juillet (XI, 47): « Nous espérons que Louis XVIII fera pendre ou fusiller Bonaparte. »

faire exécuter Napoléon devant les têtes de colonnes de l'armée prussienne « pour rendre service à l'humanité1. » Sitôt pris, sitôt pendu. En bons piétistes, Blücher et Gneisenau se regardaient comme « les instruments de la Providence, qui ne leur avait accordé une pareille victoire qu'afin qu'ils exerçassent l'imprescriptible justice de Dieu. >>>

Fouché ne pouvait connaître ces projets dans toute leur beauté. Mais après avoir lu la lettre de La Fayette, il était bien certain du refus des saufconduits. Cette certitude lui imposait de précipiter le départ de l'empereur. Il l'empêcha, et machina les choses de telle sorte que Napoléon dût rester prisonnier à la Malmaison ou se rendre à Rochefort pour y demeurer également prisonnier.

Fouché fit plus. Les nouveaux plénipotentiaires, nommés sur sa désignation par la Commission de gouvernement, partaient ce soir-là pour le quartier-général de Wellington. Il leur donna comme instructions secrètes d'offrir de livrer Napoléon à l'Angleterre ou

1. Blücher à sa femme, Compiègne, 27 juin (Blücher in Briefen, 154). Cf. Wellington à sir Charles Stuart, Orvillé, 28 juin (Wellington, Dispatches, XII, 516): « Blücher veut tuer Napoléon, mais je lui ai déclaré que je parlerai et que j'insisterai pour qu'on dispose de lui d'un commun accord. J'ai dit aussi à Blücher que, comme un ami particulier, je lui conseillais de ne pas se mêler d'une affaire aussi infâme; que, lui et moi, nous avions joué un trop noble rôle dans ces événements pour devenir des bourreaux, et que, si les souverains voulaient son supplice, j'étais résolu à leur faire nommer un exécuteur qui ne fût pas moi. »

« On

J'aime à reconnaître que Stuart, Talleyrand et Louis XVIII répugnaient au supplice de l'empereur, Stuart écrivit de Cambrai, le 29 juin, à Wellington : veut ici se débarrasser de Bonaparte, mais on approuve l'avis que Votre Grâce a donné au feld-maréchal Blücher. Le prince de Talleyrand m'assure que votre résolution guidera celle du roi, si la question lui est soumise. » (Supplementary Dispatches, X, 625.)

2. Lettre de Gneisenau, Senlis, 29 juin (citée par Pfister, Aus dem Lager der Verbündeten, 388). Dans cette lettre si curieuse, Gneisenau dit encore: « Si Wellington s'oppose au supplice de Bonaparte, il pense et agit en vrai Anglais. L'Angleterre ne doit à personne plus de reconnaissance qu'à ce scélérat car, par les événements qu'il a menés, la grandeur et la richesse de l'Angleterre ont été augmentées. Il en a été autrement pour nous, Prussiens. Nous avons été appauvris par Napoléon. »

à l'Autriche, si cette proposition pouvait engager les Alliés à conclure un armistice1.

La présence de l'empereur à la Malmaison continuait cependant d'inquiéter gravement le président de la Commission exécutive et le ministre de la guerre. Ils le voulaient tenir prisonnier en rade de Rochefort plutôt que dans le voisinage de Paris. Sur l'avis de Fouché 2, Davout envoya ce jour-là une nouvelle dépêche au général Beker pour lui enjoindre de presser l'empereur de partir et pour lui prescrire, si cette démarche restait vaine, d'augmenter les mesures de sûreté autour de la Malmaison. «< Si l'empereur, écrivit Davout, ne prenait point une résolution, vous exerceriez la plus active surveillance soit pour que Sa Majesté ne puisse sortir de la Malmaison, soit pour prévenir toute tentative contre sa personne. Vous feriez garder toutes les avenues qui aboutissent de tous les côtés vers la Malmaison. J'écris au premier inspecteur de la gendarmerie et au commandant de la place de Paris de mettre à votre disposition la gendarmerie et les trou

1. Wellington à Lord Bathurst, Gonesse, 2 juillet (Dispatches, XII, 531-533). Cf. Pozzo à Nesselrode, Louvres, 1er juillet (Corresp. de Pozzo di Borgo, I, 178) Ernouf, pour l'honneur de Bignon dont il était le gendre, a discuté vivement (la Capitulation de Paris, 60-63), l'assertion très précise de Wellington. Il dit et prouve en en citant les textes que ni dans les instructions de Bignon aux plénipotentiaires ni dans les lettres écrites par ceux-ci à Bignon au cours de leur mission, il n'est pas question d'une offre de livrer l'empereur. Mais comment admettre, cependant, que Wellington dans un rapport, en quelque sorte officiel, à Lord Bathurst ait parlé en détails de cette proposition si elle ne lui avait point été faite. Il paraît donc très probable, et même certain, qu'en dehors des instructions écrites de Bignon, et à l'insu de celui-ci comme à l'insu de Carnot et de Caulaincourt, Fouché donna des instructions verbales et secrètes aux plénipotentiaires. Ceux-ci eurent d'autant moins à en faire mention dans leurs lettres à Bignon que la demande d'armistice, malgré toutes leurs offres, fut repoussée par Wellington. Voir à ce sujet Villemain, Souv., II, 417: Il est à présumer que le duc d'Otrante, dans ses communications furtives avec les puissances ennemies, réitérait de son mieux non pas sa promesse, déjà remplie, de trahir Napoléon,mais son autre promesse implicite de ne point le laisser échapper. »

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2. Fouché à Davout, 27 juin (Supplementary Dispatches of Wellington, X, 601). J'ai déjà donné le texte de cette lettre p. 204, note 1.

pes que vous pourriez lui demander. Toutes ces mesures doivent être prises dans le plus grand secret possible. Je vous réitère que cet arrêté a été entièrement pris pour l'intérêt de l'État et la sûreté personnelle de l'empereur. Sa prompte exécution est indispensable. Le sort futur de Sa Majesté en dépend 2. » Dans cette dernière phrase, il y avait, en vérité, une ironie cruelle.

III

L'empereur était irrévocablement résolu à rester à la Malmaison tant que les frégates n'auraient pas l'ordre d'appareiller aussitôt après son arrivée au port. «<- Annoncez, dit-il à Beker, que je renonce à ce voyage parce qu'en arrivant à Rochefort je me considérerais comme prisonnier, mon départ pour l'Amérique étant subordonné à l'arrivée de passeports qui sans doute me seront refusés... Je suis déterminé à recevoir mon arrêt ici. J'y resterai en attendant qu'il soit statué sur mon sort par Wellington à qui le gouvernement peut annoncer ma résignation3. » En vain on le pressait de partir, on lui représentait les dangers qu'allait lui faire courir l'approche de l'ennemi; il paraissait ne point s'en inquiéter. «— Qu'importe!» murmurait-il. Parfois aussi il répondait : « — Qu'ai-je à craindre? Je suis sous la sauvegarde de l'honneur français. » Mais ceux qui l'entouraient de très près sentaient bien

1. L'arrêté du 26 juin, modifié le 27 juin au matin, fut rétabli dans son intégrité le 27 juin à midi, après la réception de la dépêche des commissaires. Il portait que Napoléon partirait pour Rochefort afin d'y attendre l'arrivée des sauf-conduits. Or, le 27 juin, Davout savait comme Fouché que ces sauf-conduits ne seraient pas accordés.

2. Davout à Beker, Paris, 27 juin (cité par Beker, 38-39).

3. Beker à Davout, la Malmaison, 28 juin (cité par Beker, 43).

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