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Gourgaud et Montholon visitèrent le parc et les abords au point de vue des positions à occuper en cas d'attaque. De petites reconnaissances, de trois dragons chacune, furent envoyées le long de la Seine, vers Épinay, Argenteuil, Bezons, Chatou et Saint-Germain'. Gourgaud se montrait très agité et très inquiet. Il pensait à Charles XII à Bender. Il dit : «Si je voyais l'empereur au moment de tomber entre les mains des Prussiens, je lui tirerais un coup de pistolet 2. »

Presque en même temps, Beker reçut de Davout l'ordre pressant de brûler le pont de Chatou. Il se rendit au bord de la Seine avec Gourgaud et un détachement de la garde. Le pont brûla toute la nuit3. Davout avait aussi chargé l'officier commandant les avant-postes de Courbevoie de faire couper le pont de Bezons. Ces précautions n'étaient pas inutiles. Blücher allait envoyer au major de Colomb l'ordre de se porter à la Malmaison avec le 8° hussards et de l'infanterie pour s'emparer de Napoléon ".

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Fouché avait fait de la personne de l'empereur l'objet de négociations occultes avec les puissances, et s'il eût fallu leur livrer son ancien maître en retour de certaines conditions, il s'y fût résigné sans scrupule et sans peine. Mais il ne voulait pas que Napoléon fût inopinément pris ou tué par des coureurs

1. Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. F. de Chaboulon, II, 272. Gourgaud, II. 555. Cf. Doumerc à Davout, Saint-Denis, 28 juin une heure après-midi (Arch. Guerre) : « Le 1er chasseurs a dû évacuer Gonesse qui allait être tourné par la gauche. »

2. Mémoires de Mme de X.

3. Davout à Beker, 28 juin (cité par Beker, 46). Beker, ibid. et Gourgaud, II, 555.

4. Lettre précitée de Davout à Beker, 28 juin.

5. Blücher à sa femme, Gonesse, 30 juin (Blücher in Briefen, 156). Von Ollech, 355, 357. Clausewitz, 206. Damitz, II, 64, 82-83.

6. Wellington à lord Bathurst, Gonesse, 2 juillet. (Dispatches, XII, 531-533.)

prussiens dans une échauffourée. Cet événement fortuit ne l'eut pas servi auprès des Alliés, faute de pouvoir s'en faire un mérite à leurs yeux, et l'aurait gravement compromis devant les Chambres et l'opinion. A retenir plus longtemps l'empereur, le duc d'Otrante voyait encore un autre péril pour sa politique. L'arrivée simultanée de l'armée ennemie sous Paris et de l'armée française dans Paris pouvait émouvoir si impétueusement Napoléon qu'il accourût à la tête des troupes pour les mener à une suprême bataille. Le bruit s'en était déjà répandu', si bien que Davout, alarmé, donna cette nuit même l'ordre de rassembler plusieurs bataillons de garde nationale pour s'opposer à cette tentative. Les sentiments des soldats «< qui regardaient encore le nom de Napoléon comme un talisman », ne laissaient aucun doute sur l'accueil qui serait fait à l'empereur. Peut-être même l'armée, apprenant que Napoléon était encore si près de Paris, le réclameraitelle spontanément comme chef, et serait-il arraché de la Malmaison pour être ramené en tumulte dans ses rangs par les dragons d'Exelmans ou les lanciers rouges de Lefebvre-Desnoëttes. Fouché, enfin,

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1. Rapport de Réal, 29 juin. (Arch. nat., F. 7, 3774.) Cellier à Davout, Paris, 29 juin (Arch. Guerre).

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On vient de me faire le rapport que l'empereur veut aller à Montmartre, pour tacher de faire un mouvement. Quelque invraisemblable que soit ce rapport, il est bon de vous mettre en mesure. Prévenez le prince d'Essling afin qu'il mette sous vos ordres quelques bataillons de garde nationale, que vous ferez entrer à Montmartre à la première nouvelle que vous aurez de pareille tentative. » Davout au général Baille de Saint-Pol, 29 juin, deux heures du matin. (Davout, Corresp., IV, 1772.)

Le général de Saint-Pol fut si étonné d'un ordre de Davout lui prescrivant d'arrêter l'empereur (car l'ordre signifiait bien cela) qu'il écrivit sur-le-champ au prince d'Eckmühl pour en avoir la confirmation, prétextant qu'il ne reconnaissait pas la signature. (A Davout, Montmartre, 29 juin, trois heures et demie du matin. Arch. Guerre).

3. Expression de Regnault-Warin, Cinq mois de l'Histoire de France, 415. Source royaliste.)

n'ignorait pas qu'au Luxembourg comme au PalaisBourbon, on commençait à incriminer la conduite. de la Commission envers Napoléon. Dans un comité secret tenu la nuit précédente à la Chambre des pairs, plusieurs membres avaient exposé qu'en retenant l'empereur à la Malmaison, Fouché et ses collègues semblaient vouloir le faire enlever par un parti ennemi ou le livrer aux puissances. Deux pairs furent délégués par l'assemblée pour transmettre ses craintes et ses remontrances à la Commission et pour la presser de lever les obstacles qu'elle n'avait cessé d'apporter au départ de l'empereur1.

Quelques raisons d'honneur et d'intérêt qu'eût Fouché pour prendre ce parti, il ne s'y résolut que très tard dans la soirée. A neuf heures seulement, il se décida à faire écrire à Decrès par la Commission de gouvernement : « Les circonstances actuelles faisant craindre pour la sûreté de Napoléon, nous nous sommes déterminés à regarder comme non avenu l'article V de notre arrêté du 26 de ce mois. En conséquence, les frégates sont mises à la disposition de Napoléon. Rien maintenant ne met obstacle à son départ. L'intérêt de l'État et le sien exigent impérieusement qu'il parte aussitôt après la notification que vous allez lui faire de notre détermination. M. le comte Merlin doit se joindre à vous pour cette mission2 ». On trouva Decrès au ministère de la marine; mais

1. Thibaudeau, X, 443.

2. Lettres de la Commission de gouvernement à Decrès, 28 juin (Arch. de la marine, BB3 426). Discours de Decrès à la Chambre des pairs, 29 juin (Moniteur, 30 juin).

On ne s'explique pas le but qu'avait Fouché en adjoignant à Decrès un ministre d'Etat. Etait-ce pour donner plus d'autorité, de solennité, à la communication? ou Fouché, redoutant que par suite du retour de l'armée, Napoléon ne consentit plus à partir, voulait-il que deux témoins de marque pussent témoigner de ce refus devant les Chambres et dégager la responsabilité de la Commission si les Prussiens réussissaient un hurrah sur la Malmaison ?

Merlin était déjà couché, et l'âge, la richesse, les honneurs avaient rendu très craintif cet ancien conventionnel. Son portier parlementa à travers les barreaux de la loge. Merlin, réveillé en sursaut, ne crut pas qu'on pût le mander à pareille heure à la Commission de gouvernement. Il soupçonna un guetapens et fit déclarer par sa femme elle-même qu'il <«< n'était pas rentré et qu'elle ignorait où il était allé passer la nuit1». Pour remplacer Merlin, Fouché pensa à un autre ministre d'État, Boulay de la Meurthe. Boulay, moins défiant, se leva à l'instant, rejoignit Decrès et partit avec lui longtemps après minuit 2.

Ils arrivèrent à la Malmaison le 29 juin au point du jour. Arrêtés par les « Qui-vive? » des sentinelles, ils se firent reconnaître de l'officier commandant le poste et furent introduits au château. On réveilla l'empereur qui les reçut en robe de chambre. Les deux ministres lui communiquèrent les nouvelles instructions de Fouché, en vertu desquelles les frégates étaient mises à sa libre disposition. Decrès l'engagea à partir sans délai, la cavalerie ennemie se trouvant à proximité. Boulay, très ému, insista de même sur la nécessité d'un prompt départ. L'empereur ne fit pas d'objection; il dit qu'il partirait dans la journée3.

1. Communication de Merlin à la Chambre, 29 juin. (Moniteur, 30 juin).

2. Déclaration de Decrès à la Chambre des pairs, 29 juin (Moniteur, 30 juin). Réponse de Boulay à Merlin, à la Chambre des députés, 29 juin (Moniteur du 30 juin). Cf. Boulay de la Meurthe, 321-322.

Beker, mal servi par sa mémoire, est inexact en disant (47) qu'il reçut à huit heures du soir, à la Malmaison, l'invitation de Davout de se rendre à Paris pour une communication relative aux nouveaux ordres de la Commission. Cela supposerait que la lettre à Decrès aurait été écrite vers six heures. Or si cette lettre avait été écrite avant sept heures, elle aurait été communiquée à Merlin avant qu'il ne fût couché, et lui et Decrès seraient partis pour la Malmaison à neuf ou dix heures, au plus tard. Si encore Beker avait quitté la Malmaison à huit heures, il y serait revenu avant minuit, au lieu d'y arriver seulement au point du jour, comme il le constate (51-52).

3. Mémoires manuscrits de Me de X. Déclaration de Decrès à la Chambre des pairs,

IV

Le matin, Napoléon donna ses ordres pour son départ, mais sans fixer l'heure, et il envoya l'officier d'ordonnance Résigny faire une reconnaissance vers la Seine1. Celui-ci, à son retour, sur les neuf heures, trouva l'empereur en conférence avec Bassano et Lavallette, arrivés tous deux de Paris. Le prince Joseph et le général Flahaut assistaient à l'entretien 2. Napoléon avait commencé par annoncer son départ. « J'ai fait tout ce qu'on a voulu, dit-il. Voici les lettres du gouvernement provisoire et du ministre de la marine. Les difficultés qu'ils m'ont faites pour me donner deux frégates armées m'ont retardé jusqu'à ce moment. C'est leur faute si je ne suis pas parti plus tôt, mais je partirai aujourd'hui. » Il demanda des nouvelles de Paris, de l'armée, de l'ennemi. Chacun dit ce qu'il avait appris dans la soirée de la veille et dans la nuit. En qualité de directeur général des postes, Lavallette avait non seulement des avis du gouvernement mais des rapports de tous les couriers. Il était le mieux informé. Il savait que les débris de la garde et des corps Drouet d'Erlon, Reille et Lobau rentraient dans Paris avec Grouchy par Claye et le Bourget, et que Vandamme ramenait les 3 et 4° corps et le gros de la cavalerie par Meaux et

le 29 jum (Moniteur, 30 juin). Lettre de Planat à son beau-frère, Malmaison 29 juin (citée dans la Vie de Planat, 217). Mémoires manuscrits de Marchand, Boulay de la Meurthe, 321-323. Beker, 51-52.

Beker, mandé à Paris dans la soirée du 23 juin par Davout, qui avait à lui communiquer le nouvel arrêté de la Commission, était revenu à la Malmaison le 29 à trois heures du matin. Il attendait le réveil de l'empereur pour l'informer de cette décision quand arrivèrent les deux ministres (Beker, Relation, 51-52).

1. Mémoires de Mme de X.

2. Mémoires Mme de X. Lavallette à Davout, Paris, 29 juin au matin (Arch. Guerre). Lettre de Planat à son beau-frère, Malmaison, 29 juin (Vie de Planat, 218).

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