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Quand Beker revint à la Malmaison, il vit dans la cour un mouvement fébrile comme aux abords d'une ruche d'abeilles. Des hommes d'écurie, des ordonnances amenaient les chevaux sellés et harnachés; les officiers en grande tenue sortaient du château, y rentraient l'air affairé, inspectaient les sangles et les fers des chevaux, vérifiaient la position des chabraques, visitaient les fontes et les porte-manteaux. Beker ne pressentait que trop le motif de cette agitation. Il s'enquit cependant, redoutant que Napoléon ne passât outre à la décision du gouvernement. M. de Montaran, écuyer de service, lui dit que l'empereur allait monter à cheval pour se rendre à l'armée. << - Attendez de nouveaux ordres, se hâta de dire Beker. L'empereur pourra modifier son projet quand il aura connaissance des faits que j'ai à lui apprendre. En même temps, pour calmer l'effervescence des jeunes officiers, il leur fit un signe de tête négatif qui les désespéra1.

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Napoléon attendait dans son cabinet. Il écouta sans l'interrompre le récit de Beker. «<--Ces gens-là, dit-il, ne connaissent pas l'état des esprits. Ils se repentiront d'avoir refusé mon offre. » Il réfléchit un instant et reprit : « Leur avez-vous rapporté mes paroles et mon serment?» « Oui, Sire. >> << Bien ! alors je n'ai plus qu'à partir. Donnez les ordres. Quand ils seront exécutés, venez me prévenir 2. »

1. Beker, 60-61. Lettre de Planat à son beau-frère, Malmaison, 29 juin (Vie de Planat, 219-220).

2. Beker, 62. Mémoires de Mme de X.

On a dit et maintes fois répété que ce fut l'approche d'un parti prussien, signalé sur la rive droite de la Seine, vers Chatou, qui détermina l'empereur à partir. C'est inexact. A quatre heures et demie, il n'y avait pas un seul Prussien entre la Seine et l'Oise à l'ouest de Saint-Denis. Dans l'après-midi seulement, Bülow avait transmis au major de Colomb, au Bourget, l'ordre de Blücher lui prescrivant de se porter sur la Malmaison pour enlever l'empereur. Colomb se rendit par Gonesse à Garges, où il réunit à ses hussards deux bataillons du 15° d'infanterie. Pensant qu'il ne pour

C'était une illusion de Fouché et de ses collègues de croire qu'ils tenaient Napoléon en leur pouvoir. A la Malmaison, l'empereur était prisonnier, mais il était prisonnier uniquement sur parole. S'il avait persisté dans sa résolution, ni les ordres de Fouché ni l'autorité toute nominale du général Beker n'auraient pu l'empêcher de monter à cheval pour rejoindre l'armée. « — Je n'aurais qu'un signe à faire, dit-il, et la troupe qui me garde arrêterait Beker et me servirait d'escorte pour passer où je voudrais1. » Mais, durant ces quatre ou cinq heures d'attente, la volonté d'agir, qui ne l'animait plus qu'avec intermittence, s'était épuisée. Il n'eut point de révolte. Il accepta son sort, moins par nécessité ou respect de sa parole que par lassitude. Les récents événements lui avaient donné le découragement des choses et le dégoût des hommes. «Ils ont encore peur de moi ! dit-il à Hortense. Je voulais faire un dernier effort pour le salut de la France. Ils ne l'ont point voulu 2! >>

L'empereur remonta dans sa chambre, déposa l'épée, revêtit un frac de couleur brune et prit un chapeau rond. Il se fit ouvrir la chambre où Joséphine était morte et y resta seul, portes closes, pendant quelques minutes. Rentré dans son cabinet, il fit ses adieux à Joseph et à Hortense; la princesse le força d'accepter un collier de diamants, d'une valeur

rait réussir ce hurrah qu en pleme nuit, il ne se pressa pas et fit un long détour pour mieux dissimuler sa marche. Il prit par Deuil, Sannois, Saint-Gratien, Sartrouville et atteignit le 30 juin, à deux heures du matin, Montesson, où il dut laisser souffler sa troupe harassée. Pendant cette halte, il apprit par ses éclaireurs que le pont de Chatou était brûlé et que l'empereur était parti la veille. (Blücher à sa femme, Gonesse, 30 juin [Blücher in Briefen, 156.] Von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 356.) Cf. Général Porson à Davout. Versailles, 30 juin (Arch. Guerre): Quarante cavaliers ennemis se sont présentés ce matin, à trois heures, au pont de Chatou. >>

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1. Meneval, II, 350

2. Mémoires manuscrits de Mmo de X,

de 200 000 francs, qu'elle-même avait cousu dans une ceinture. Il reçut les officiers du détachement de la garde qui formait la petite garnison. Ils pleuraient. L'un d'eux, voulant parler au nom de ses camarades, ne trouva à balbutier que ces dix mots : Nous voyons bien que nous n'aurons pas le bonheur de mourir à votre service! » L'empereur l'embrassa1.

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Les apprêts du départ traînaient par la faute de Bertrand qui, en qualité de grand-maréchal, avait tenu à régler lui-même les moindres détails et y perdait la tête. « Je n'ai jamais vu homme plus empêtré, écrivait l'officier d'ordonnance Planat. Enfin, les voitures impériales se rangèrent à la file dans la cour d'honneur, devant le porche en forme de tente qui servait de premier vestibule. En même temps, une calèche jaune, sans armoiries, attelée de quatre chevaux de poste, vint stationner à la petite porte du parc sur le chemin de traverse conduisant à la Celle-Saint-Cloud. C'était la voiture destinée à l'em. pereur. Par une attention conforme à ses secrets désirs, on avait voulu lui épargner l'émotion de traverser la cour où ses serviteurs attendaient pour l'acclamer. Un peu avant cinq heures, le général Beker entra chez l'empereur et lui annonça que tout. était prêt. Napoléon embrassa encore une fois Hortense, promena un dernier regard sur son cabinet, plein de tant de souvenirs et de tant de pensées fécondes, et, sans dire un mot, il suivit le général. Il traversa la salle du conseil, la salle à manger, le grand vestibule, passa dans le jardin par le frêle pont

1. Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. Rovigo, VIII, 194. Note de Mme Caffarelli, précitée. Lamarque, Souvenirs, 1, 402403. Rapport de Réal, 29 juin. (Arch. Nat. AF. IV, 1934.)

A lire Beker (62), il semble que le duc de Bassano avait quitté la Malmaison avant le retour du général.

levis que flanquaient deux obélisques de marbre rouge et gagna, au sud du parc, la petite porte où stationnait la calèche. Il s'y jeta d'un brusque élan. Bertrand s'assit à sa gauche, Rovigo et le général Beker prirent place en face de lui. Les chevaux partirent à une vive allure, s'enfoncèrent sous bois, et rejoignirent, par la Celle-Saint-Cloud, Rocquencourt et Saint-Cyr, la grande route de Paris à Rochefort. Napoléon était perdu dans sa rêverie. Le respect de l'empereur, la grandeur de son infortune, la tristesse de ces jours maudits, imposaient à ses compagnons le recueillement et le silence. Jusqu'à Rambouillet, où il voulut s'arrêter, pas une parole ne fut pro

noncée 1.

1. Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. Lettre de Planat à son beau-frère, La Rochefoucauld, 2 juillet. (Vie de Planat, 224-226.) Beker, 63-65, 68. Gourgaud, Sainte-Hélène, II, 556-557. Rovigo, VIII, 194-199. Montholon I, 53-55. Gourgaud, Montholon, la suite de l'empereur et les gens de service partirent peu après par la même route et par d'autres. Hortense rentra à Paris aussitôt après le départ de Napoléon.

CHAPITRE V

LES ALLIES DEVANT PARIS

I.

Davout et Fouché.

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Vitrolles au quartier-général de Davout.

- La délégation des Chambres à l'Armée (29 juin.)

II. Préparatifs de défense de Davout (29 juin). · Combats au nord de Paris. Prise d'Aubervilliers (30 juin).

III. La séance de la Chambre (30 juin). — (L'Adresse des officiersgénéraux (30 juin). - L'opinion de Paris.

Davout s'était montré si ardent à éloigner l'empereur parce qu'il sentait de plus en plus la nécessité de subir les Bourbons et qu'il espérait, par une reconnaissance immédiate de Louis XVIII, obtenir des garanties pour le pays et pour les personnes. L'ajournement de sa proposition par la Commission, dans la séance du 27 juin 1, n'ébranlait pas sa volonté. Ce jour-là, 27 juin, il avait envoyé en mission secrète à Cambrai, où se trouvait Louis XVIII, le général Archambaud de Périgord, et le soir du 28 juin, après s'être concerté derechef avec Vitrolles 3, il renouvela

1. 1815, III, 180-132.

2. « Archambaud de Périgord a été envoyé par Davout pour faire connaître les mesures que celui-ci avait recommandées à la Chambre des pairs afin d'amener ce corps à rappeler la famille royale. Le désir d'obtenir quelque sûreté future exprimé par Fouché et par Davout a été exaucé dans une proclamation du roi d'hier. » Charles Stuart à Wellington, Cambrai, 29 juin (Supplementary Dispatches, X, 625). Stuart confond la Chambre des pairs avec la Commission de gouvernement, mais, manifestement, il s'agit bien de la proposition de Davout faite le 27 juin à la séance de cette Commission.

3. Beker (Relation, 47-49) rapporte que le soir du 28 juin, il se croisa au ministère de la guerre, où il avait été mandé pour recevoir les dernières instructions rela

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