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alors on verrait! » D'autres disaient que l'armée autrichienne marchait au secours de Paris avec le roi de Rome. Tout était menace dans leur attitude, dans leurs paroles, dans leurs regards enflammés. On redoutait qu'avant d'aller au combat, ils ne prissent contre les tièdes et les suspects des précautions à la façon des massacreurs de septembre. Leur excitation, leurs colères étaient partagées par les soldats. Déjà on comptait des victimes. Des royalistes qui trop pressés de manifester leurs opinions avaient crié: Vive le roi! sur le boulevard Saint-Martin, au défilé d'une colonne de cavalerie, furent sabrés. Aux avant-postes de Pantin, deux officiers émigrés s'étaient glissés dans les lignes pour embaucher des soldats; une patrouille du 7° hussards les arrêta ; des ouvriers qui abattaient les arbres de la route s'interposèrent, arrachèrent ces malheureux des mains. des hussards et les tuèrent à coups de hache. Un perruquier surpris à Montmartre enclouant des canons fut attaché à la queue d'un cheval et traîné par les rues au milieu des coups1.

Jusqu'au 27 juin, Paris, nonobstant les manifestations des fédérés, avait à peu près conservé son aspect accoutumé. Le beau monde continuait de se promener aux Tuileries dans l'après-midi et de venir s'asseoir dans la soirée sur la double rangée de chaises du boulevard des Italiens. Les spectacles étaient ouverts, les cafés remplis. On avait peu d'inquiétude, car on espérait que les négociations

1. Rapports de Réal, 27, 29, 30 juin. (Arch. Nat. AF. IV, 1934.) Nole à Carnot, Lettres de l'architecte Héron. Journal de Lechat (précités). Journal manuscrit du général Valée (comm. par M. le général de Salles). Barante à sa femme, 26, 28, 30 juin, 3 juillet. (Souvenirs, II, 159-165.) Rapport de police militaire, 29 juin. (Arch. Guerre.) Bulletin de Paris, 276-278, 282, 286, 289-290. Miss Helena Williams, 188, 200. Hobhouse, II, 59, 126, 127. La Bretonnière, 255-276. La Martelière, Conspiration de Buonaparte, 109. Dupuy, Souvenirs militaires, 295. Cf. Macdonald, Souv.,

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arrêteraient les armées alliées au delà de l'Aisne et de l'Oise. Mais voici que les paysans des villages suburbains entrent dans Paris, conduisant leurs bestiaux et charriant leurs pauvres meubles, voici que les convois de blessés de l'armée du Nord défilent par les rues et les boulevards, voici que le canon tonne vers Nanteuil. On s'émeut, on s'effraie, on tombe dans la stupeur. Tous les travaux sont suspendus, les boutiques ferment. Dans les cafés désertés on parle à voix basse; les grands théâtres font relâche; seuls l'Ambigu et les Variétés ouvrent, mais les acteurs jouent dans une salle vide. Chacun se renferme chez soi. Paris a la physionomie d'une ville morte1. Il n'y a plus d'animation qu'à la Bourse. Là, on s'enflamme pour la politique du pire. A chaque mauvaise nouvelle, la hausse s'accentue. Le 28 juin, l'ennemi approche à dix lieues de Paris; la rente monte à 59 francs. Le 29 juin, l'ennemi occupe Stains, le Bourget; la rente monte à 63 francs. Le 30 juin, l'ennemi prend Aubervilliers et attaque la Villette; la rente monte à 64 francs 2.

1. Rapports de Réal, 26, 27, 29, 30 juin, 1er, 2 juillet (Arch. Nat. AF. IV, 1934.) Barante à sa femme, Paris, 29 juin (Souvenirs, II, 161). Helena Williams, 182, 187, 204. Bulletin de Paris, 278, 81, 282, 284. Hobhouse, II, 121, 127, 150.

L'Opéra cessa de jouer le 27 juin et la Comédie-Française le 28. Les deux dernières recettes avaient été à l'Opéra de 973 francs et de 675 francs; aux Français, de 182 francs et de 104 francs. Dix jours plus tard, le 9 juillet, lendemain de la rentrée du roi, l'Opéra allait encaisser 6 433 francs et la Comédie-Française, 1 602 francs. (Archives de l'Opéra, Archives de la Comédie-Française). Mais ce jour-là, il y avait dans les deux salles beaucoup d'officiers anglais et prussiens.

2. Cours de la Bourse (Journal des Débats, 29, 30 juin, 1er et 2 juillet). Sur l'esprit qui régnait à la Bourse, voir le rapport de Réal, du 1er juillet (Arch. Nat. AF. IV, 1934.)

CHAPITRE VI

LA CAPITULATION DE PARIS

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I. Mouvement de l'armée prussienne vers le sud de Paris. Passage de la Seine au Pecq. Arrivée de l'armée anglaise au nord de Paris (30 juin-1er juillet). Combats de Villacoublay et de Rocquencourt (1er juillet).

II. Conseil aux Tuileries (1er juillet). — Dénonciation contre Fouché à la Chambre des représentants.

III. Le conseil de guerre de la Villette (nuit du 1er au 2 juillet).
IV. Combats au sud de Paris (2 juillet).

V. La capitulation de Paris (3 juillet).

I

L'attaque du 30 juin contre les positions avancées du front nord de Paris n'avait été, au vrai, qu'une vigoureuse reconnaissance offensive. Selon les ordres exprès de Blücher, les Prussiens ne devaient s'engager à fond que si dès le début de l'action ils acquéraient la certitude d'enlever facilement et rapidement les retranchements. Au cas contraire, on romprait le combat et l'on se porterait, par une marche de flanc, au sud de Paris où les Alliés savaient que les fortifications passagères étaient à peine. ébauchées. Afin de tromper les Français, un rideau de troupes serait laissé entre Saint-Denis et le canal. de l'Ourcq jusqu'à l'arrivée des têtes de colonnes anglaises qui viendraient occuper les emplacements quittés par les corps de Bülow et de Zieten. Blücher

1. Ordre de Blücher à Bülow et à Zieten, Gonesse, 29 juin (entre 4 et 6 heures du soir): «... Si l'attaque ne réussit pas, les troupes marcheront par leur droite

disposait de l'armée anglaise comme s'il commandait les deux armées alliées. Il arrêta son nouveau plan avant de l'avoir soumis à Wellington; il ne doutait pas que celui-ci n'y adhérât. Wellington, en effet, donna son consentement dans une entrevue à Gonesse, avec Blücher, l'après-midi du 30 juin 1.

Pour passer sur la rive gauche de la Seine, Blücher comptait jeter un pont à Argenteuil et se servir aussi des ponts de Bezons et de Chatou. Il pensait que le major de Colomb, détaché le 29 juin avec le 8 hussards et deux bataillons pour s'emparer de l'empereur à la Malmaison, aurait en même temps occupé ces deux ponts. Colomb, on l'a vu, était arrivé à Montesson (à une lieue et demie de la Malmaison) dix heures après le départ de Napoléon ; en outre, il avait trouvé les ponts de Bezons et de Chatou brûlés. Mais pendant sa halte à Montesson, la nuit du 29 au 30 juin, il avait appris que le pont du Pecq, que l'on s'occupait à détruire depuis la veille, existait encore. Le lendemain, dès six heures du matin, il y dirigea un parti de hussards qui fut repoussé par quelques tirailleurs du 95. Entre neuf

vers Argenteuil... Les avant-postes resteront sur leurs emplacements... Le but de ce mouvement est d'attaquer Paris par le côté le plus faible, tandis que l'armée anglaise occupera nos positions actuelles. (Cité par von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 360-361). Cet ordre qui prescrivait de commencer dès le matin du 30 le mouvement vers la droite fut modifié par de nouveaux ordres (30 juin, au matin et au soir), portant que le corps de Zieten se mettrait en marche seulement à 10 heures du soir, et le corps de Bülow le lendemain 1er juillet, après l'arrivée des Anglais. (Ordres cités par von Ollech, 366, 367, 368.)

1. Von Ollech, 364. Wellington, conseillé par Müffling, avait pensé un instant à arrêter le passage de ses troupes à Creil et Pont-Sainte-Maxence et à les faire filer sur la rive droite de l'Oise pour traverser la Seine à Poissy et se porter, de là, au sud de Paris. Mais d'après les instructions de Blücher, Grolemann écrivit le 30 juin à Müffling que l'armée prussienne avait déjà commencé un mouvement pour passer sur la rive gauche de la Seine et qu'en conséquence l'armée anglaise devait continuer sa marche par Chantilly, Louvres et Gonesse afin de relever l'armée prussienne au nord de Paris. (Müffling à Gneisenau, Louvres, 30 juin, Grolemann à Müffling, Gonesse, 30 juin (Lettres citées par von Ollech, 362, 364).

2. 1815, III, 217 et 227, note 2.

et dix heures, il arriva avec tout son monde. Le pont que l'on n'avait pas encore achevé de couper avait pour tous défenseurs 180 soldats. Les Prussiens les délogèrent après un assez vif combat et occupèrent Saint-Germain'. Colomb envoya aussitôt un rapport à Blücher qui s'empressa de faire tenir à Thielmann, en marche de Dammartin sur Gonesse, l'ordre de se porter à Saint-Germain où il serait suivi par Zieten et Bülow 2. Le corps de Thielmann qui formait le troisième échelon de l'armée prussienne se trouva ainsi en former le premier.

Dans la matinée du 1er juillet, Bülow gardait encore ses positions au nord de Paris, attendant l'armée anglaise qui s'avançait de Senlis et de Chantilly et dont les tètes de colonnes arrivèrent au Bourget à trois heures seulement 3. Zieten, parti de Blanc-Mesnil dans la nuit, s'approchait du pont de Maison où il allait passer la Seine pour s'établir à Carrière-sousBois. Le corps de Thielmann était concentré à SaintGermain; le détachement du major de Colomb occupait Marly. La brigade du lieutenant-colonel de Sohr (hussards de Brandebourg et hussards de Poméranie) marchait sur Versailles. Sohr avait reçu l'ordre de traverser la Seine sous Saint-Germain et de se jeter en partisan au sud de Paris jusque vers la route d'Orléans ".

1. Rapport de Colomb (cité par von Ollech, 357). Colonel Régeaud à Davout, Saint-Germain, 30 juin, au matin et Paris, 30 juin, après-midi. Lanthonnet à Davout, Versailles, 1er juillet. (Arch. Guerre.)

2. Ordres de Blücher à Thielmann, 29 juin et 30 juin (cités par von Ollech, 361 et 366).

3. Ordre de Wellington, 30 juin (Supplementary Dispatches, X, 636). Bülow à Ryssel, le Bourget, 1er juillet, 3 heures et demie (cité par von Ollech, 377). La relève complète du corps de Bülow ne fut opérée qu'à dix heures du soir. 4. Ordre de Blücher à Zieten, Gonesse, 30 juin (cité par von Ollech, 367). Von Ollech, 374-375. Damitz, III, 87, 90-92.

5. Rapport de Sohr à Blücher (entre Versailles et Vélizy), 1er juillet (cité par von

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