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hasardeux de tenir derrière la digue, le long du canal qui joint Saint-Denis à la Villette; si l'ennemi venait à forcer cette digue, il pourrait sans difficulté se porter sur La Chapelle et entrer dans Paris, par la barrière de Saint-Denis, pêle-mêle avec nos troupes débandées. Il faut une prompte démarche pour prévenir ce malheur. » Le prince d'Essling « apparemment, remarque Thibaudeau, pour bien marquer le contraste entre lui et le général Masséna », rappela sa conduite héroïque au siège de Gênes. «

Cette

défense, dit-il, peut donner quelque idée de ma ténacité à conserver les postes qui me sont confiés. Mais dans la situation où se trouve Paris, je ne me chargerais pas de le défendre un seul instant. >> L'opinion de Soult, de Masséna, de Carnot surtout, imposait aux autres officiers généraux. Seul le maréchal Lefebvre se prononça pour la résistance. Encore émit-il son avis d'un ton peu résolu, et avec cette atténuation qu'il faudrait commencer par examiner si les ouvrages de la rive gauche ne pourraient pas être très rapidement achevés 1.

Parmi les pairs et les députés présents, le sentimént dominant était la surprise. Après les messages multipliés de la Commission sur le ralliement de l'armée, les préparatifs de défense, l'accueil favorable fait aux plénipotentiaires, l'occupation de toutes les positions par les troupes « animées du meilleur esprit », après les rapports de Laguette-Mornay, de Garat, de Mouton-Duvernet sur l'exaltation patriotique des soldats, après les adresses ardentes des fédérés et des généraux, ils avaient peine à croire que l'on en fût déjà réduit à l'extrémité. L'un d'eux dit qu'avant de rien décider il fallait connaître

1. Carnot, 42-43. Thibaudeau, X, 461.

Lord Wel

l'état des négociations diplomatiques. « lington, déclara Fouché, montre beaucoup d'éloignement à traiter d'un armistice. » Quelqu'un demanda si une capitulation n'entraînerait pas de graves conséquences au point de vue politique. Le nom des Bourbons fut prononcé. Fouché, embarrassé, répliqua que les bureaux des Chambres et les généraux avaient été convoqués pour délibérer sur la question militaire et non pour agiter des questions politiques, et qu'il les conjurait de s'en tenir à l'objet de la délibération. Carnot désespérait de la défense mais il espérait encore éviter les Bourbons. Il protesta contre les paroles de Fouché. Une assez vive altercation s'ensuivit. Soutenu par ses trois autres collègues de la Commission et approuvé secrètement par la majorité du conseil, Fouché l'emporta. On revint, sans aboutir à aucune conclusion, à l'examen des moyens de défense. Les membres des Chambres voyaient que la Commission ne cherchait qu'à répudier la responsabilité de la situation désespérée où elle avait amené ou laissé venir les choses; ils ne voulaient pas non plus assumer par un avis quelconque une part de cette responsabilité. Ils s'exemptèrent de donner leur opinion en déclarant que vu l'incompétence du civil sur les questions militaires, c'était à un conseil de guerre qu'il appartenait de prononcer 1.

Fouché tout de même était arrivé à ses fins. Si les Chambres, représentées par leur bureau, n'avaient point donné un assentiment formel à la capitulation, elles en avaient du moins admis, sans protester,

1. Procès-verbaux de la Commission de gouvernement, séance du 1er juillet. (Arch. nat. AF. IV, 1933.) Carnot, Exposé de ma conduite politique, 39-43. Thibaudeau, X, 460-461. Notes de Ransonnet, aide de camp de Carnot, et lettre de Carnot à son frère, Magdebourg, s. d. (Papiers de Carnot.)

l'éventualité immédiate; et, en déclarant qu'il fallait soumettre la question à un conseil de guerre, elles avaient par cela même investi implicitement la Commission du pouvoir de traiter après avis du conseil de guerre.

Restés seuls, Fouché et ses collègues s'empressèrent d'envoyer l'ordre à Davout de réunir le soir même, au quartier-général de la Villette, les généraux sous ses ordres qu'il croirait susceptibles d'éclairer la délibération, les généraux commandants en chef l'artillerie et le génie et tous les maréchaux présents à Paris. Fouché qui connaissait bien les sentiments de la plupart des maréchaux comptait que leurs voix assureraient la majorité « à l'avis le moins énergique ». Mais pour plus de certitude, le duc d'Otrante fit décider que le conseil n'aurait point à voter la résistance ou la capitulation. Il devrait seulement répondre à un questionnaire que lui-même rédigea et dont chacune des six questions, sauf deux relatives à l'état des fortifications et de l'armement, ne pouvaient être résolues que sous une forme dubitative, c'est-à-dire dans le sens de la reddition. Qui, en effet, peut savoir quel sera le résultat d'une bataille et combien de temps pourra résister une place dépourvue de fortifications permanentes ?

Les membres des bureaux s'abstinrent de rendre. compte aux Chambres de la réunion tenue aux Tuileries. D'ailleurs, il ne semble pas que ce rapport aurait eu quelque action. Le bel élan des représentants dans la séance de la veille s'était déjà arrêté. A la séance du 1er juillet, Bory-Saint-Vincent prononça un discours énergique qu'il conclut en ces termes: «Une main invisible cherche à influencer

1. Procès-verbaux de la Commission de gouvernement, séance du 1er juillet. (Arch. nat. AF. IV, 1933.)

les négociations de vos ambassadeurs dans l'intérêt de la faction qu'il sert. Cette main invisible, cette main parricide, va vous mettre dans l'impossibilité d'attendre le résultat de ces négociations. Si vous n'ouvrez pas les yeux, vous deviendrez inévitablement les victimes de ce système de découragement, d'ambiguité et de mensonge. » Fouché n'était pas nommé mais toute la Chambre comprit qu'il s'agissait de lui. Or cette accusation, si grave et si bien fondée, fut accueillie avec une indifférence réelle ou feinte. Les paroles de Bory-Saint-Vincent tombèrent dans un silence de glace, et quand Saussey demanda comme sanction que l'assemblée adressât un message au gouvernement pour l'inviter à rendre compte de tout ce qui se passait, sa motion fut rejetée presque à l'unanimité par un ordre du jour pur et simple1. On n'osait même plus soupçonner M. Fouché. On avait pour ce personnage une sorte de superstition.

Les mêmes voix se retrouvèrent pour voter l'Adresse au Peuple français qui avait été repoussée la veille comme dépourvue de précision et de franchise. Or le seul changement que Manuel eût fait au texte primitif consistait dans cette addition de deux lignes : « Napoléon est éloigné; son fils est appelé à l'empire par les constitutions de l'Etat.» Cette très équivoque incidence, perdue au milieu d'un paragraphe massif, n'était pas du tout la déclaration formelle qui avait été réclamée par la majorité. « Je demande, avait dit Bérenger, que

"

1. Séance du 1er juillet. (Moniteur, 2 juillet.) Saussey avait même ajouté: J'aurais bien une motion, plus grave, que le salut public me dicterait, mais je la garde pour un autre moment!» et Bory-Saint-Vincent avait repris : « Dans la situation où nous sommes, le silence est un crime! » Mais tout cela n'émut pas la Chambre paralysée par sa foi aveugle en Fouché.

2. Séance du 1er juillet. (Moniteur, 2 juillet.)

l'adresse se termine par ces mots Vive Napoléon II1. » Si cependant la Chambre ne voulait pas des Bourbons, et c'était ces jours-là le sentiment qui la dominait, elle devait leur opposer un prince déterminé, Napoléon II ou le duc d'Orléans, ou une entité définie comme la République, et non de vaines professions de foi libérale et de stériles appels au droit des nations.

III

Le conseil de guerre convoqué à la Villette pour neuf heures ne se réunit que vers minuit. Dix-huit officiers généraux y avaient été appelés: Masséna, Soult, Moncey, Mortier, Kellermann, Lefebvre, Sérurier, Oudinot, Macdonald, Gouvion-Saint-Cyr, Grouchy, Vandamme, d'Erlon, Reille, Drouot, Gazan, Valée et Duponthon; mais quelques-uns, nommément Macdonald, n'avaient pu ou voulu être présents à cette délibération3. Davout présidait. Il donna lecture

1. Séance du 30 juin. (Moniteur, 1er juillet.)

2. Les Jacobins, les Chambres, Carnot, sont encore dans leur entêtement. Plutôt mourir, plutôt perdre Paris que de rappeler les Bourbons! » Barante à sa femme, 29 juin (Souv., II, 163 et 157, 161). « Les Chambres ont montré constamment la haine qui les animait contre la famille royale. » L. de Massacré, Du Ministère, 4.

3. Circulaire aux officiers généraux susnommés, Paris, 1er juillet. (Arch. nat., AF., IV, 908). Macdonald à Davout, Paris, 1er juillet. (Arch. Guerre). Cf. la délibération du 1er juillet de la Commission de gouvernement (Procès-verbaux des séances, Arch. nat., AF. IV, 1934) par laquelle il est prescrit à Davout de réunir les généraux commandants en chef l'artillerie et le génie et les généraux commandant les corps d'armée sous ses ordres qu'il estime susceptibles d'éclairer la délibération. » Selon ces instructions, Davout ne devait donc pas convoquer les divisionnaires. Mais il y a doute pour les généraux commandant les corps de cavalerie: Exelmans, Milhaud, Kellermann, Pajol. En tout cas, il fut laissé libre de le faire ou de ne point le faire, car même parmi les commandants de corps d'armée il pouvait n'appeler que « ceux qu'il croirait susceptibles d'éclairer la délibération. (Pajol, III, 268) dit que son père vint à La Villette ainsi qu'Exelmans. On peut l'admettre pour Pajol, mais non pour Exelmans qui, à minuit, était encore à Versailles au milieu de sa cavalerie. (Voir son ordre, Versailles, 1er juillet, minuit. Arch. Guerre).

Pajol

A remarquer que seul des maréchaux présents à Paris, Ney ne fut point convo

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