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Sa présence, ses paroles impressionnent. L'intervention de Drouot est peut-être plus efficace encore. Ce noble soldat, l'ami de l'empereur, son compagnon à l'île d'Elbe, a conservé son autorité entière sur la garde. Il parcourt les rangs de cette troupe d'élite, il la rappelle au devoir militaire, à la discipline; il invoque l'esprit de corps, le passé d'honneur et de gloire, l'exemple à donner à l'armée. Sous sa parole. ferme, les vieux soldats refrènent leur colère et, tout en grognant, se résignent à obéir. La conduite de la garde que l'on connaît bientôt détermine celle des autres troupes. L'armée paraît disposée à évacuer docilement Paris 1.

Une nouvelle crise menace. Malgré les promesses, les avis officiels, les ordres du jour, dans un assez grand nombre de régiments on n'a pas encore reçu la solde arriérée. A l'instigation, dit-on, de certains officiers qui espèrent ainsi faire renaître le tumulte sans en être responsables, les soldats déclarent qu'ils veulent bien partir mais qu'ils ne s'en iront qu'après avoir été payés. Nouvelle émotion au gouvernement. Il n'y a ni argent au Trésor ni crédit chez les banquiers. Davout qui comprend le péril propose de faire une réquisition à la Banque de France. La Commission, toujours sans volonté, recule devant l'illégalité d'une pareille mesure. On s'adresse enfin à Jacques Laffite qui consent à avancer la somme nécessaire contre la garantie d'une inscription sur le Grand Livre. C'est un bon emploi pour les trois ou quatre millions en or que Napoléon, huit jours aupa

1. Ordre du jour de Davout, 4 juillet (cité dans le Bulletin de Paris, 314-315.) Lettre de Caulaincourt à Carnot et note de Ransonnet. (Papiers de Carnot, communiqués par le capitaine Sadi Carnot) Drouot à Guilleminot, Arthenay, 8 juillet (Arch. Guerre). Interrogatoire de Drouot, (Procès de Drouot, 55-56.) Thibaudeau, X, 471472. Post-scriptum du rapport de Courtin à la Commission de gouvernement, 4 juillet (Arch. nat., AF, IV, 1934).

ravant, lui a fait remettre en dépôt. Encore une fois le trésor privé de l'empereur sert à la solde de l'armée1. Mais la journée s'avance. Davout qui espérait mettre les troupes en marche le soir même n'en a plus le temps. Elles passent la nuit sur leurs emplacements de combat, dominées mais non encore résignées, toujours frémissantes, prêtes à suivre le chef qui les voudra entraîner2.

Tandis que tout de même le danger diminue aux approches de Paris, il grandit à l'intérieur. Sur la fin de la journée, les tirailleurs fédérés se sont enfin décidés, pour la plupart, à évacuer les positions de Montmartre, de La Villette, du canal de l'Ourcq. Mais c'est en désordre, par petits groupes, sourds à la voix des officiers, qu'ils rentrent dans Paris. Ils s'y mêlent à des soldats de Vandamme et de Reille qui furieux ou désespérés ont abandonné leurs drapeaux ; ils parcourent les rues, les boulevards, les quais, tirant des coups de feu en l'air et vociférant: Vive l'empereur! A bas les royalistes! Mort aux traîtres! Une de ces colonnes, de plus de quatre cents hommes, porte un buste de Napoléon ceint d'une couronne de feuillage. A l'approche de ces bandes, les cafés ferment; chacun rentre chez soi et clot portes et fenêtres. Les patrouilles de gardes nationales se replient sur les postes principaux. Mais, là, les miliciens très nombreux se rangent en bataille et barrent le chemin. On parlemente, on s'exalte, on

1. Petiet, Souvenirs militaires, 242, Rapports de Courtin, 4 et 5 juillet. (Arch. nat., AF, IV, 1934.) Pasquier, Mém.. III, 318. Thibaudeau, X, 472-473. Cf. Mollien, Mém., IV, 192-193. Sur les sommes déposées chez Laffite, le 28 juin, par le trésorier de l'empereur, Peyrusse, voir 1815, III, 214.

2. Ordre de mouvement s. d. (4 juillet) (Arch. Guerre.) Rapport de Courtin, 5 juillet, note de police, 6 juillet (Arch. nat., AF, IV, 1934, et F. 7 3200*.) Bulletin de Paris, 299. Cf. Gneisenau à Blankenburg, Saint-Cloud, 4 juillet (cité par von Ollech, 396).

tiraille. Sur vingt points de Paris, faubourg SaintMartin, boulevard du Temple, Chaussée d'Antin, rue Saint-Denis, sur le Pont-Neuf, au carrefour de l'Odéon, la fusillade s'engage. Il y a des blessés. Par bonheur, les mulins n'ont ni plan ni chef. Après quelques heures de promenades tumultueuses, où d'ailleurs il n'y a point une seule tentative de pillage, ils se dispersent d'eux-mêmes. L'émeute menaçante passe en clameurs, l'orage se dissipe sans éclater1.

Le lendemain, 5 juillet, et le surlendemain, l'armée tout entière évacua Paris, farouche et furieuse, <«< en rugissant. » Les soldats disaient que ce n'était pas fini, qu'ils reviendraient avec Napoléon. En défilant, ils contraignaient, sabre levé, les passants à crier: Vive l'empereur! et menaçaient de la parole et du geste les postes de la garde nationale. Ils n'étaient pas si méchants qu'ils en avaient l'air. Rue de la Harpe, une marchande d'oublies criait sans songer à mal: «Voilà le plaisir, mesdames, voilà le plaisir!» Un vieux sergent s'arrêta, les traits contractés par la colère. « Est-ce que tu te f... de nous, avec ton plaisir ?» Puis, se mettant à rire : « Allons! crie: Vive l'empereur ! » La marchande se hâta d'obéir, et tous les hommes de la section achetèrent ses oublies en faisant tourner les aiguilles de la boîte 3. C'étaient

1. Rapport de Courtin à la Commission de gouvernement, 5 juillet. (Arch. nat., AF, IV, 1934). Hobhouse, Lettres, II, 161, Journal manuscrit de Lechat. Bulletin de Paris, 302-306. Journal des Débats, 6 juillet, Baruel-Beauvert, Lettres, III, 239-241. Thibaudeau, X, 471-472. Lettre de Philippe Haron, 6 juillet (comm, par M. Veuclin): « ... Nous avons été dans des transes horribles (horribles est au-dessous de la réalité !)

2. Expression de l'architecte Philippe Haron dans une lettre du 6 juillet, précitée. 3. Rapport de Courtin à la Commission de gouvernement, 5 et 6 juillet (Arch. nat., AP, IV, 1934). Journal manuscrit du général Valée. Bull-tin de Paris, 313314. Petiet, Souv., 42. Lettre de Philippe Haron, Paris, 6 juillet (précitée). Labretonnière. Souvenir du Quartier Latin, 280, 282.

La lettre de Davout à Masséna, 4 juillet, et l'ordre de mouvement du 4 juillet (Arch. Guerre), donneraient à croire que l'armée évacua Paris le 4 juillet. C'était bien en effet, l'intention de Davout; mais la sédition des troupes et la question de la solde

«< ces forcenés » qui épouvantaient les honnêtes Parisiens!

II

L'armée partie avec Davout, la Chambre de plus en plus absorbée dans la discussion de l'Acte constitutionnel, la Commission de gouvernement de plus en plus asservie à son président, Fouché était la seule autorité qui subsistât effectivement. Il était le maître de Paris et de la France. Il avait pleins pouvoirs pour traiter avec Louis XVIII à ces conditions: le roi sur le trône, lui au ministère. Ce marché, Fouché eut l'élégance de ne le point proposer. Il se le fit offrir. Il avait manœuvré de telle sorte qu'il passait dans tous les partis pour l'homme nécessaire. Lui seul semblait capable de donner à la crise l'issue la moins mauvaise. La bourgeoisie parisienne le regardait comme son sauveur, car c'était à lui qu'elle devait «< cette capitulation inespérée. » Malgré des suspicions intermittentes, les Chambres lui maintenaient toute leur confiance. Les royalistes comptaient sur lui pour faire rentrer sans affront et sans tumulte Louis XVIII aux Tuileries. Les constitutionnels, les modérés, les bonapartistes, les régicides espéraient qu'il les garantirait contre les vengeances des Jacobins blancs et les prétentions du parti des émigrés. Wellington, enfin, qui était royaliste et modéré, tenait Fouché pour un bon auxiliaire dans la circonstance présente comme dans les occurrences futures'.

firent ajourner ce mouvement aux 5 juillet et 6 juillet. (Guilleminot à Reille 4 juillet; à Vandamme, 4 juillet Arch. Guerre). Il y eut seulement le grand parc qui commença son mouvement dans la nuit du 4 au 5 juillet. Une partie des voitures passa cette nuit-là le pont de Saint-Maur. (Rapport de l'adjudant-commandant Michal, Charenton, 4 juillet. Arch. Guerre.)

1. Pasquier, III, 309-310, 312, 330-331. Vitrolles, III, 104, 109-110. Hyde de

Dès le lendemain de la capitulation de Paris, le 4 juillet, Wellington fit dire à Fouché par le colonel napolitain Macirone qu'il le recevrait le jour suivant à son quartier-général'. Le duc d'Otrante se garda d'aller au rendez-vous en secret, comme un conspirateur vulgaire. Il mit ses collègues du gouvernement dans la confidence, presque dans la complicité. En même temps que l'invitation verbale de Wellington, Macirone avait apporté un memorandum où le général en chef de l'armée anglaise déclarait que <«<les Chambres élues sous le règne de Bonaparte et la Commission créée par ces Chambres n'avaient qu'à se déclarer dissoutes après avoir exprimé au roi, dans une adresse respectueuse, leurs sentiments et leurs vœux ». Pouvait-on se soumettre à de pareilles

2

Neuville, II, 109, 110, 113-114. Macdonald, Souv., 391. Guizot, Mémoires, I, 97-98. Manuscrit de Lechat (communiqué par le vicomte de Grouchy). Chateaubriand, Mém., III, 49, 50, 51, 53. Beugnot, II, 277-278, 285. Villèle, Mém., I, 313-314. Wellington Talleyrand, 29 juin (cité dans les Mémoires de Talleyrand, III, 234-235). Cf. Castlereagh à Liverpool, Paris, 7 juillet (Supplementary Dispatches of Wellington, X, 675): « Je suis heureux que le roi ait pris Fouché. »

1. Wellington à lord Bathurst, Paris, 8 juillet (Dispatches, XII, 549.) Macirone, Fails intéressants, 45-47.

On a vu (1815, III, 283-285), que le 2 juillet Fouché dépêcha Macirone à Wellington avec une lettre ostensible et une note secrète, afin d'engager celui-ci à accorder un armistice. Macirone, retenu aux avant-postes anglais du Bourget, envoya le 3 au matin la lettre à Wellington. Celui-ci la reçut à Saint-Cloud au moment des discussions pour l'armistice avec les commissaires français. En quittant Saint-Cloud, dans la nuit du 3, Wellington envoya un officier au Bourget pour lui amener Macirone, lequel arriva au quartier-général anglais, à Gonesse, le 4 juillet de grand matin, (Macirone, 45).

Le 3 juillet, Fouché avait envoyé un autre émissaire et ie 4 juillet un autre encore (le général Tromelin) pour demander une entrevue à Wellington, « afin d'épancher son âme dans la sienne. Lettres citées dans le Supplementary Dispatches of Wellington, X, 652, 657). Wellington s'empressa d'accorder ce rendez-vous; car l'émissaire envoyé le 3 dans la nuit ne put arriver au quartier-général que le 4 au matin, et Tromelin n'y arriva qu'après le départ de Macirone qui déjà portait à Fouché l'acceptation du général anglais.

2. Macirone apporta aussi une note qui lui avait été dictée par Talleyrand, présent à son entretien avec Wellington. Dans cette note, Talleyrand déclarait que le roi accorderait l'ancienne charte y compris l'abolition de la confiscation, l'appel immédiat des collèges électoraux pour la formation d'une nouvelle Chambre, l'unité du ministère, l'initiative réciproque des lois par message du roi et par proposition des Chambres. Mais Talleyrand ne disait rien d'une amnistie ni du drapeau tricolore. Macirone, 46-47. Cf. Wellington à Bathurst, Paris, 8 juillet. (Dispatches, XII, 549.)

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