Page images
PDF
EPUB

sées. A chaque tête de pont et devant le jardin du Luxembourg, dans la cour des Tuileries, sur la place du Louvre, deux pièces de canon étaient en batterie, les servants tenant à la main écouvillons et boutefeu. C'était l'occupation militaire dans son effrayant appareil. Au défilé de l'ennemi et autour de ses bivouacs, pas un cri, pas un murmure; des passants consternés, des regards mornes, un silence de tombeau. Boutiques fermées et logis clos, Paris était dans l'effroi, la stupeur et le deuil1.

La présence des Prussiens dans la cour des Tuileries, à dix mètres de la salle des délibérations, donnait trop raison à Fouché. Tout était consommé. On n'avait plus qu'à s'en aller. Fouché rédigea un message où, pour alléger la responsabilité de la Commission, il attribuait le prochain retour du roi à la volonté unanime et formelle des souverains alliés. Ses collègues abattus se résigrèrent à signer cette pièce dont le ton dégagé jurait insolemment avec l'humiliant aveu d'impéritie, d'aveuglement et d'impuissance qu'elle avait pour objet. Ce pitoyable testament ou plutôt cette déclaration de faillite était ainsi conçu : « Jusqu'ici nous avions dû croire que les souverains alliés n'étaient point unanimes sur le choix du prince qui doit régner en France. Nos plé

1. Procès-verbal du général Dentzell, 8 juillet. Rapport à Davout, Paris, 11 juillet. (Arch. Guerre). Rapport à Carnot, 7 et 8 juillet. (Papiers de Carnot.) Bulletin de Paris, 316-317. Journal des Débats, 8 juillet. Von Ollech. Geschichte des Feldzuges von 1815, 396-397.

La nuit venue, quelques attaques se produisirent contre des Prussiens, qui s'étaient. éloignés de leurs bivouacs, au quai de Gèvres, au quai de la Tournelle et dans un cul-de-sac situé près de la Porte-Saint-Martin.

2. Cette déclaration était inexacte en ceci : 1o les porte-paroles des souverains, Wellington, Pozzo, Stuart, avaient exprimé l'avis que le meilleur parti pour la France serait de proclamer Louis XVIII, qu'autrement l'Europe serait dans l'obligation de prendre des garanties territoriales. Mais ils n'avaient point exigé le rappel du roi; 2o Fouché et Davout par leurs intrigues avaient beaucoup aidé au vœu des souverains. Leurs intrigues étaient parfaitement connues de la Commission de vernement; elle s'y était prêtée plusieurs fois: elle en était complice.

gou

nipotentiaires nous ont donné les mêmes assurances. Cependant les ministres et les généraux des puissances alliées ont déclaré hier, dans les conférences qu'ils ont eues avec le président de la Commission, que tous les souverains s'étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône' et qu'il doit faire ce soir ou demain son entrée dans la capitale. Les troupes étrangères viennent d'occuper les Tuileries. Dans cet état de choses, nous ne pouvons plus que faire des vœux pour la patrie, et, nos délibérations n'étant plus libres, nous croyons devoir nous séparer 2. »>

Le message fut accueilli par la Chambre sans trouble et sans émotion, du moins sans émotion apparente. Aucune voix ne s'éleva pour accuser Fouché ni pour renouveler la proposition que l'assemblée se retirât sur la Loire au milieu de l'armée. On demanda l'ordre du jour qui fut voté à l'unanimité. Manuel dit philo

1. Fouché altérait gravement les paroles de Wellington sinon dans l'esprit du moins dans la lettre. (Voir la note précédente.) Celui-ci s'en montra fort irrité, car en lui attribuant publiquement un pareil langage, le duc d'Otrante le compromettait aux yeux du gouvernement anglais qui par égard pour le Parlement avait déclaré que la guerre n'était point faite pour Louis XVIII. Les royalistes ne furent pas moins surpris ni moins mécontents. Il avait été promis par Fouché que la Commission de gouvernement transmettrait le pouvoir au roi comme agissant de son plein gré. Au lieu de cela, elle déclarait dans son message agir à regret et sous la pression des puissances. « Rien, dit Pozzo, ne pouvait être plus funeste au service et à la personne du roi.» Fouché s'excusa en disant qu'il fallait avant tout faire signer le message à ses collègues du gouvernement et qu'il n'y avait moyen de les y déterminer qu'en le rédigeant de cette façon-là. Consulter à ce sujet les lettres de Wellington à Lord Bathurst, Paris, 8 juillet, et de Pozzo à Nesselrode, Paris, 8 juillet. (Dispatches XII, 549 et Polovtzoff, Corresp. diplomatique, I, 285).

2. Procès-verbaux de la Commission de gouvernement, séance du 7 juillet. (Arch. nat. AF, IV, 1933.)

3. Le représentant Crouzet, dans la séance du 4 juillet, avait dit : « La convention semble préjuger que la Chambre se sépare de l'armée. Si l'armée évacue Paris, vous ne pouvez pas rester dans une ville occupée par l'ennemi. » Ces paroles, fort raisonnables cependant, avaient été couvertes par « des murmures universels. » (Moniteur, 5 juillet et Les deux Chambres de Buonaparte, 300.) Cf. Général Loyson à Davoul, Paris, 4 juillet (Arch. Guerre); Thibaudeau (X, 476); Lamarque (Mem., I, 181-182) et Barère (Mém., [IV, 230) qui sont unanimes à condamner la Chambre pour n'avoir point suivi l'armée. La Fayette (Mem., V, 478) dit que lui même << n'était pas éloigné de l'idée d'une résistance sur la Loire »

sophiquement que « tous avaient prévu ce qui arrivait et que la Commission exécutive s'était trouvée dans une position à ne pouvoir se défendre ». Il jugea cependant utile à sa réputation d'orateur et à son bon renom de citoyen d'ajouter cette déclaration emphatique : << — Quant à nous, nous devons compte à la patrie de tous nos instants, et, s'il le faut, des dernières gouttes de notre sang! Il n'est pas si loin peut-être le moment qui nous rendra tous nos droits et consacrera la liberté publique. Ce moment, nous ne pouvons l'attendre qu'avec le calme et la dignité qui conviennent aux représentants d'un grand peuple... Achevez votre ouvrage (la constitution) en continuant vos délibérations. Disons comme cet orateur célèbre dont la parole a retenti dans l'Europe entière: Nous sommes ici par la volonté du peuple; nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes! » La Chambre applaudit par quatre fois les vaines paroles du complice de Fouché ; après quoi elle reprit tranquillement la discussion de l'Acte constitutionnel1. Sur les six heures, Lanjuinais estimant que la comédie avait assez duré (il était déjà tout converti à la cause royale) déclara la séance levée. Mais nombre de députés, grisés par la rhétorique de Manuel, aspiraient à manifester un héroïsme facile en attendant, pour s'enfuir, la menace des baïonnettes. Ils protestèrent bruyamment: « Vous avez toujours paralysé les dispositions de la Chambre ! Vous ajournez l'assemblée à demain parce que vous pensez que demain. la force nous défendra l'entrée de cette enceinte. Restons en permanence! - Il faut achever la constitution! Continuons de délibérer! - Attendons

[ocr errors]

1. Choix de rapports et discours prononcés à la tribune, XXI, 315-319. 2. Lanjuinais à Talleyrand, Paris, 10 juillet. (Arch. Aff. étrang., 691.)

l'ennemi !

L'histoire nous jugera... Le président prend une responsabilité terrible. » Indifférent à cette responsabilité terrible, Lanjuinais descendit du fauteuil et gagna la porte1.

Dans la soirée, il fut annoncé au roi que son entrée dans sa bonne ville de Paris pourrait se faire le lendemain après-midi. Comme il signait la nomination du général Dessolles au commandement de la garde nationale en remplacement de Masséna, le prince d'Essling sollicita une audience. Il venait de Paris pour adjurer le roi, au nom de la garde nationale. de maintenir le drapeau tricolore. Louis XVIII lui épargna l'embarras d'aborder la question. « Ces couleurs-là sont bien vieillies », dit-il en désignant du doigt la cocarde qui ornait le chapeau du maréchal. « -Ce sont celles qu'on porte à Paris, répondit fièrement Masséna. Si Votre Majesté prenait le parti de les prendre pour rentrer dans sa capitale, elle serait très bien accueillie. » Le roi frappa du pied « Non! non! monsieur le maréchal. Je ne prendrai jamais les couleurs d'une nation rebelle. »

C'était l'opinion dominante dans l'entourage royal. Marmont déclarait que « ce serait se déshonorer. » Le comte d'Artois disait : « J'aimerais mieux prendre de la boue et la mettre à mon chapeau! »

1. Choix de rapports et discours prononcés à la tribune, XXI, 319, 320. Barère, Mém.. III. 225-226. Le compte rendu de cette séance du 7 juillet, non plus d'ailleurs que le message de la Commission de gouvernement, ne furent point publiés dans le Moniteur du 8 juillet. Dans la nuit, la feuille officielle était passée sous l'autorité royale.

2. Note manuscrite de Barère (Papiers de Carnot, comm. par le capitaine Sadi Carnot). Sismondi à sa mère, Paris, 8 juillet. (Lettres inédites, 93.) Marmont, Mém. VII, 129. Vitrolles, III, Mém. III, 116-117.

Selon Vitrolles (III, 123-128) et des notes de Decazes utilisées par E. Daudet (Le duc Decazes et Louis XVIII), mais d'ailleurs confuses et fourmillant d'inexactitudes manifestes, c'est dans cette soirée du 7 juillet, dans un hôtel de la place Vendôme ou à l'hôtel Talleyrand, que fut constitué le ministère. Selon Pasquier (III, 336-339), la composition du ministère ne fut arrêtée que le 8 juillet dans l'après midi, à l'hôtel Talleyrand. Quoi qu'il en soit, le cabinet fut ainsi formé : Présidence du Conseil et Affaires étrangères : Talleyrand: Guerre Gouvion

IV

Le 8 juillet au matin, le comte de Boisgelin, chef de la 10° légion, vint occuper le Palais Bourbon avec un détachement de trente gardes nationaux. Il avait l'ordre d'en interdire l'entrée aux représentants. Quand il donna cette consigne, ses hommes se récrièrent. Il renvoya les plus mutins, raisonna les autres et finit par faire crier : Vive le roi! Peu d'instants après, arrivèrent les députés au nombre d'une cinquantaine. Ils parlementèrent avec les factionnaires en déclinant leurs qualités. On leur répondit qu'il y avait ordre formel de ne laisser entrer personne. «Nous allons protester! » s'écrièrent-ils. Et ils se rendirent aussitôt chez le président Lanjuinais qui se fut très volontiers passé de cette visite (il s'en excusa dans une lettre à Talleyrand). Là, ils rédigèrent une sorte de procès-verbal constatant simplement qu'on leur avait refusé « les portes du lieu ordinaire de leur séance », puis ils rentrèrent chacun chez soi1. Ainsi l'assemblée qui avait

Saint-Cyr; Police Fouché; Finances: Louis; Justice Pasquier;
Jancourt; - Maison du roi : Richelieu.

Marine :

Richelieu refusa ce ministère, et Pozzo di Borgo à qui l'on avait réservé l'Intérieur, déclina la proposition. Pasquier prit l'intérim de l'Intérieur tout en conservant les Sceaux.

Dessolles fut nommé commandant en chef de la garde nationale; Decazes, préfet de police; Beugnot, directeur général des Postes; Chabrol, préfet de la Seine. Molé fut maintenu comme directeur général des ponts et chaussées. (Ces diverses nominations parurent au Moniteur des 8 et 10 juillet et jours suivants.)

Dessolles et Vitrolles, celui-ci «< chargé, dit-il, des débris de la Secrétairerie d'État entrèrent en fonctions dans la nuit même du 7 au 8 juillet. Le premier prit des mesures d'ordre et de sûreté pour le lendemain; le second s'occupa de la rédaction du Moniteur.

1. Boisgelin à Fouché, Paris, s. d. (8 juillet). Rapport de police, 8 juillet. (Arch. nat., F. 7, 31533.) Rapport de Grundler à Davout, 9 juillet (Arch. Guerre). Lanjuinais à Talleyrand, Paris, 10 juillet. (Arch. Aff. étr. 691) La Fayette, Mém., V, 478. ́ La veille, la Chambre des pairs s'était séparée sans la moindre opposition après avoir entendu le dernier message du gouvernement et appris qu'un détachement

« PreviousContinue »