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glots. Le lieutenant Borgnis-Desbordes, envoyé de la Saale, dit à voix basse à Jourdan « qu'il fallait se presser, car on pourrait bien voir arriver des gens chargés d'arrêter l'empereur.» «Pas sur l'Epervier s'écria fièrement et résolument Jourdan, ou du moins tant que je serai vivant1. »

On allait appareiller. Beker, qui avait accompagné l'empereur sur le brick, s'approcha de lui, et, d'une voix mal assurée que l'émotion faisait trembler, il dit : « Sire, Votre Majesté désire-t-elle que je l'accompagne jusqu'à la croisière, ainsi que me le prescrivent les instructions du gouvernement? » Napoléon fixa sur lui un regard profond, chargé de tristesse, et dit, avec un accent d'une sublime grandeur: « Non, général Beker. Retournez à l'île d'Aix. Il ne faut pas qu'on puisse dire que

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m'a livré aux Anglais !" >>

la France

1. Mémoires manuscrits de Marchand. Montholon, I, 90. Beker, 125-126. Mme de Montholon, 15-16. Relation de Jourdan de la Passardière.

2. Beker, 126. Montholon, I, 91. Selon Montholon, quand Napoléon s'embarqua « le drapeau blanc flottait déjà sur les forts et sur la rade, et l'Epervier était le seul bâtiment qui eût conservé les couleurs nationales. » C'est inexact. Le rapport de Bonnefoux à Jaucourt du 18 juillet (Arch. de la Marine, BB3 426), témoigne que les couleurs royales ne furent arborées que le 17 juillet. Ainsi Napoléon en quittant la France vit encore partout autour de lui les pavillons et les drapeaux tricolores.

LIVRE III

LA FRANCE CRUCIFIÉE

CHAPITRE I

L'ARMÉE DE LA LOIRE

I. Marche de l'armée de Paris vers la Loire (5 juillet-10 juillet).

- Ses positions sur la rive gauche du fleuve (11 juillet).

II. La soumission au roi de l'armée de la Loire.

III. Résolution de licenciement.

IV. L'ordonnance de proscription du 24 juillet.

V. La démission de Davout. Son remplacement par Macdonald. Dislocation de l'armée de la Loire (fin juillet).

I

Aux termes de la capitulation de Paris, l'armée devait se retirer derrière la Loire. Les 5 et 6 juillet, elle s'y achemina en deux colonnes, l'une dirigée sur Blois par Arpajon, Oysonville et Saint-Pérey-la-Colombe, l'autre sur Jargeau par Etampes et Orléans 1. Cette marche s'opéra lentement et en désordre. Le désespoir, la colère étaient au cœur des soldats. Nulle discipline. Fantassins, dragons, hussards, canonniers désertaient en masse (( puisque l'empereur

Les deux

1. Guilleminot à Reille et à Vandamme, 4 juillet. (Arch. Guerre.) colonnes, mises en marche à une journée d'intervalle, suivirent la même route jusqu'à Arpajon. Là, la colonne de Reille se dirigea sur Oysonville, tandis que celle de Vandamme continua sur Etampes. Une troisième colonne que formaient le grand parc et tous les équipages de l'armée se porta directement sur Gien et Bourges.

n'était plus là1». « J'ai 81 déserteurs au 33°, et 87 au 86, écrit Berthezène. Dans mon artillerie, la désertion est telle qu'il ne reste que six soldats du train. >> « Les désertions sont nombreuses dans la jeune garde et dans la cavalerie, écrit Drouot. La vieille garde se soutient bien. Elle attend le résultat des promesses que nous lui avons faites, elle espère beaucoup de la fermeté de la Chambre. Mais ce calme est un feu caché sous la cendre ; la moindre chose le fera paraître en explosion. » « Il n'est pas possible de continuer à servir au milieu d'une pareille débàcle, écrit au général Vallin le prince de Savoie-Carignan, colonel du 6 hussards. Trouvez bon que je me rende dans mes foyers et veuillez recevoir ma démission 2. >> En vain les généraux prodiguent les encouragements et les belles promesses dans des ordres du jour multipliés. Les soldats n'ont plus foi; un instinct sûr leur indique que tout est fini. Les menaces échouent comme les promesses. Elles sont sans effet, car elles sont sans sanction. Malgré les ordres de Davout, qui veut des exemples, le général de France n'ose point faire fusiller deux déserteurs, dans la crainte que la troupe ne refuse de se prêter à l'exécution. Il redoute un tumulte où tous les officiers seraient en péril*.

Il n'avait point été stipulé dans la convention d'armistice que les Alliés s'établiraient sur la rive droite de la Loire, mais Blücher l'entendait ainsi. Le jour de la ratification, les commissaires prussiens déclarèrent aux commissaires français que la Loire devant

1. Général Pécheux à Vandamme, Arpajon, 7 juillet. (Arch. Guerre.)

2. Rapport de Berthezène, 7 juillet. Vallin à Davout, 7 juillet. Davout à Guilleminot, 8 juillet. Cf. Vandamme à Davout, 7 juillet, et d'Escrivieux à Davout, 9 juillet. (Arch. Guerre.)

3. Ordres du jour de Vandamme, de Revest, de Radet, de Davout, 5, 7, 8, 10 juillet. (Arch. Guerre.)

4. D'Escrivieux à Davout, Orléans, 10 juillet. (Arch. Guerre.

servir de ligne de démarcation leur armée étendrait ses cantonnements jusqu'à la rive droite du fleuve'. Dès le 6 juillet, un parti de cavalerie, qui s'était posté à Bourg-la-Reine sous le commandement de Blankenburg, se mit en marche à la suite de l'arrière-garde française, et la talonna de si près que des coups de feu furent échangés 2.

Le 11 juillet, l'armée avait passé la Loire. Le 1er corps (d'Erlon) occupait Gien; les 3 et 4o corps (sous Vandamme) étaient cantonnés entre Orléans et Jargeau; le 2o (Reille), à Blois; la cavalerie de Pajol, près de Gien; la garde à pied, à la Ferté-Senneterre ; la garde à cheval, à Saint-Mesmin; les dragons d'Exelmans, à Beaugency; les cuirassiers de Milhaud et de Kellermann, à Chambord. Le grand parc filait vers Bourges. Davout qui, le 5 juillet, avait résigné ses fonctions de ministre de la guerre pour garder le commandement de l'armée de Paris en marche vers la Loire, avait son quartier-général à Orléans3. L'approche des Prussiens (le corps de Thielmann qui n'avait fait que traverser Paris avait déjà ses avantpostes à Neuville'), la crainte qu'ils ne rompissent soudain l'armistice, imposaient des mesures de sûreté. Davout fit fortifier les ponts d'Orléans et de Jargeau et établir des épaulements pour des batteries pouvant battre la rive droite de la Loire. Les gués furent détruits, tous les bateaux durent venir s'amarrer à la rive gauche. Les troupes eurent l'or

1. Grundler à Davout, 4 et 5 juillet. (Arch. Guerre.)

2. Gneisenau à Blankenburg, 4 juillet (cité par von Ollech, 396.) Radet à Davout, Longjumeau, 6 juillet. (Arch. Guerre.) Le détachement de Blankenburg était formé de quatre escadrons de la landwehr de Pomeranie.

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3. Tableau des cantonnements de l'armée de la Loire, au 11 juillet. Davout à Vandamme, Orléans, 10 juillet. (Arch. Guerre. Armée de la Loire.)

4. Von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 398.

dre de se garder comme en présence de l'ennemi 1. L'armée de la Loire présentait encore une force imposante. Malgré les désertions elle s'élevait à environ 72 000 fusils et sabres; et elle allait être renforcée par les dépôts et les mobilisés stationnés dans ces contrées, soit environ 15 000 hommes, et par les 10 000 soldats de l'armée de Lamarque' qui, désormais placée sous le commandement supérieur de Davout, se portait d'Angers sur Tours. C'était ainsi une belle masse de près de 100 000 soldats avec 500 bouches à feu."

II

Pour empêcher les mutineries et les désertions en masse, les généraux avaient assuré aux troupes

1. Ordres de Davout, Orléans, 10, 11 et 12 juillet. (Arch. Guerre.)

2. Il n'existe pas aux Archives de la Guerre de situation générale pour l'armée de la Loire pendant le commandement de Davout. Il n'y a même qu'une seule situation particulière. C'est celle, à la date du 14 juillet, des troupes de Vandamme (3e et 4e corps d'infanterie, division Teste et cavalerie de Domon et de Valin): Elle donne 20 587 officiers et soldats. A ces 20587 hommes, il convient d'ajouter les corps d'Erlon et Reille, les débris du 6o corps, la garde à pied et à cheval, les quatre corps de cavalerie, les dépôts de la garde et de la ligne, les canonniers de la marine, les mobilisés et retraités qui s'élevaient au 1er juillet (voir 1815, III, 244245) à 57 000 hommes environ. En en défalquant 10 p. 100 pour les désertions, resteraient 51 300 hommes, soit avec les troupes de Vandamme, 71 887 hommes.

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3. Dépôts d'Orléans, Tours, Blois, Bourges, Poitiers, Saumur, Angers, etc., etc. Etat des dépôts stationnés à Orléans ou dirigés sur Orléans, 30 juin : 11202 hommes [Papiers de Carnot.] 1er bataillon de mobilisés d'Indre-et-Loire, 2o de l'Indre, 1er et 2o de la Haute-Marne, 30 et 4° de la Côte-d'Or, etc., etc. (Commissaire des guerres à Davout, Auxonne, 28 juin. Marchant à Mouton-Duvernet. Paris, 3 juillet. Guilleminot à Vandamme. 11 juillet. Arch. Guerre.)

4. 10078 officiers et soldats (situation au 5 juillet. Arch. Guerre).

Par un

5. Davout à Lamarque, 11 juillet. (Corresp. de Davout, IV, 595-596.) arrêté du 6 juillet, la Commission de gouvernement avait mis sous le commandement de Davout, non seulement l'armée de Lamarque, mais aussi l'armée des Pyré nées occidentales (Clausel), et l'armée des Pyrénées orientales (Decaen). On pourrait donc compter les troupes formant ces deux armées, bien que fort éloignées d'Orléans, dans l'effectif de l'armée de la Loire.

6. Davout à Lamarque, 11 juillet. (Corresp. IV, 595-596.) Cf. Davout à sa femme, 12 juillet (citée par Mme de Blocqueville, IV, 259): « Ma belle armée pourra encore rendre de grands services à notre malheureuse patrie.

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