Page images
PDF
EPUB

de l'armée, lit-on dans un rapport du 24 juillet, du préfet d'Indre-et-Loire, n'existe pas de fait'. » Davout écrivit dans un ordre du jour : « Quelque peine qu'on éprouve du changement de cocarde, il ne peut être un prétexte au brigandage et à la désertion 2. » Davout pourtant, s'il condamnait les violences des soldats, comprenait leur douleur: «< Le roi, dit-il plus tard, a fait une grande faute en sacrifiant les couleurs nationales. Le soldat, habitué à obéir passivement, se serait résigné sans trop de répugnance au changement de gouvernement. Mais le changement de cocarde le révolta parce qu'il vit une humiliation pour lui dans la proscription de couleurs honorées par tant de victoires. Les lui enlever, c'est comme si on vouait à l'oubli tous ses glorieux services, comme si on condamnait son passé 3. » A Nantes, un gendarme se tira un coup de pistolet au cœur, en disant qu'il ne voulait pas survivre à cette honte".

III

Le roi n'avait pas voulu donner de garanties à l'armée parce qu'il n'aurait pu tenir ses engagements. Il était dans la dépendance de l'ennemi. A la paix de Paris, en 1814, les Alliés avaient espéré le

à l'ordre de Davout pour la cocarde blanche; mais ils eurent cette même cause, car Hamelinaye avait pris sur lui d'ordonner le changement de cocarde.

1. Extrait de la correspondance des préfets, 23 au 28 juillet. (Arch. nat., F, 7, 3774.)

2. Ordre du jour de Davout, faubourg d'Orléans, 20 juillet. (Arch. Guerre.) La veille, Davout écrivait à sa femme (Lettre citée par Mm de Blocqueville, Davout, IV, 265): « Les soldats prennent la cocarde bien mieux que je n'osais l'espérer. Il n'y a pas eu de désertions. » Davout se montrait, en vérité, bien optimiste. 3. Mémoires manuscrits de Davout.

4. Analyse de la correspondance des Préfets, du 18 au 20 juillet. (Arch. nat, F, 7, 3774.)

licenciement de l'armée française1; les événements de 1815 leur donnaient l'occasion et le pouvoir de l'exiger. Ils trouvèrent un prétexte dans l'ordonnance du roi, datée de Lille, 23 mars, qui licenciait «< tous officiers et soldats passés sous le commandement de Napoléon Bonaparte et de ses adhérents.» Les ministres alliés exposèrent que la conservation de l'armée impériale était incompatible avec la paix publique en France et en Europe. Sa défection au retour de Bonaparte prouvait qu'il était impossible de compter sur elle. L'apparition d'un drapeau tricolore suffirait encore à la soulever. N'avait-elle pas assez prouvé qu'elle était irréconciliable avec la maison de Bourbon! Pour se délivrer de cette armée de rebelles, il n'y avait qu'à mettre à exécution l'ordonnance du 23 mars. «< Dans cette question, insinua Metternich, les intérêts du roi sont inséparables de ceux des Alliés. » A toutes ces mauvaises raisons, Nesselrode ajouta la raison du plus fort. « Le traité d'alliance conclu à Vienne, le 23 mars, écrivit-il, a été dirigé contre Bonaparte, contre ses adhérents et surtout contre l'armée française, dont l'ambition désordonnée et la soif de conquêtes ont plusieurs fois troublé l'Europe. Déterminés par le besoin de la paix universelle, l'empereur de Russie et ses alliés font du licenciement de cette armée une condition impérative 3. »

1. Metternich à l'empereur d'Autriche, Paris, 11 avril 1814. (Metternich, Mém., II, 471-472.) Beugnot à Louis XVIII, 13 mai 1814. (Arch. Aff. étrang., 646.) 2. Journal universel (de Gand), 14 avril. Comme je l'ai fait remarquer (1815, 477) celle ordonnance fut rendue, à Gand, postérieurement au 1er avril et antidatée: Lille, 23 mars.

3. Note de Nesselrode, s. d. (10 ou 11 juillet) (d'après une copie, papiers de Carnot). Metternich à Talleyrand, 12 juillet. (Arch. Aff. étrang., 690). Pasquier, Mém., III, 354. Rapport confidentiel à Wellington, 19 juillet (Supplement. Dispatches, XI, 45). Cf. Hobhouse, Lettres, II, 242, et Wellington à Castlereagh, Paris, 23 septembre (Dispatches, XII, 641) et Journal du lieutenant Woodberry (343) à la date du 8 juillet « Nous n'empêcherons le retour de Bonaparte qu'en occupant le pays pen

Talleyrand, soit légèreté, soit indifférence, céda sans discussion. Il s'abstint même de soumettre cette question si grave au conseil des ministres, et s'en fut tout droit exposer au roi, seul à seul, la nécessité et les avantages du licenciement. Dominé par les souvenirs cruels qu'avait laissés en lui la défection de l'armée et par les craintes que, malgré des démarches de leurs chefs, lui inspiraient encore les troupes ennemies de son drapeau, Louis XVIII donna son assentiment. Pour lui, il y avait dans ce sacrifice quelque chose d'une délivrance. Pas plus que Talleyrand, il ne comprit qu'en achevant de désarmer la France il allait la livrer pieds et poings liés à toutes les violences de la soldatesque, à toutes les convoitises de l'Europe. Talleyrand dut cependant mettre dans le secret le ministre de la guerre. Gouvion Saint-Cyr commença par s'emporter. Il parla de démission. Il dit, prétend-on, que bien loin de licencier l'armée, qui offrait de se soumettre et qui était la dernière sauvegarde du pays, il fallait la fortifier en jetant dans ses rangs les troupes royales de l'Ouest', comme l'avaient proposé plusieurs chefs vendéens2.

dant quelques années et en exigeant le licenciement de l'armée. » Manifestement, cet officier se faisait l'écho des propos que tenaient les Alliés.

1. Guy de Vernon, Gouvion Saint-Cyr, 395-396. Pasquier, Mém., III, 355. 2. Sapinaud, La Rochejaquelein et autres avaient fait exprimer à Lamarque le vœu unanime des chefs vendéens de se réunir à ses troupes pour combattre comme Français toutes les tentatives des puissances qui auraient pour but le démembrement de la France. (Delaage à Lamarque, 3 juillet. [Arch. Guerre]. Davout à Lamarque, Corresp., IV, 590-591).

J'avoue que j'ai quelques doutes sur l'unanimité de ce vou et la validité de cette proposition. Cette démarche fut faite dans les derniers jours de juin, alors que le gouvernement provisoire était au pouvoir et que Louis XVIII s'avançait en France avec l'armée anglaise. Comment les Vendéens pouvaient-ils se proposer de combattre ceux qui ramenaient le prince pour qui ils avaient pris les armes ? En outre, malgré cette patriotique démonstration, beaucoup d'émigrés continuèrent de tenir la campagne contre les troupes françaises au mépris du traité de Cholet. Voir à ce sujet la correspondance de l'armée de l'Ouest et la correspondance générale, du 27 juin au 25 juillet (Arch. Guerre), Lamarque, Souvenirs, III, 67-72, et Canuel, Mém. sur la Guerre de Vendée, 300-327.

Talleyrand eut aisément raison de cette ardeur en faisant appel au génie organisateur du maréchal. <«<- Le licenciement, dit-il, est une question de forme. On ne peut contester au roi le droit d'avoir une armée. Vous en organiserez une nouvelle où vous ferez rentrer les meilleurs officiers et tous les bons soldats. Cette opération permettra d'écarter, sans que personne ait le droit de se plaindre, ceux qui pourraient être regardés comme dangereux. L'armée sera momentanément réduite, c'est vrai; mais elle deviendra un corps d'élite, sûr et fidèle, admirable base sur laquelle on reconstruira plus tard, selon les besoins du pays. D'ailleurs, cela ne peut être autrement. Les souverains l'exigent. Il n'y a pas moyen de refuser1. » Toutes ces négociations furent menées à la chaude. La seule journée du 11 juillet paraît y avoir suffi, car les souverains n'étaient arrivés à Paris que dans la soirée du 10, et, dès le 12, Metternich, dans une lettre officielle à Talleyrand, parlait du licenciement de l'armée comme d'une chose résolue 2.

Gouvion Saint-Cyr dut agir envers l'armée avec plus de ménagements que les Alliés n'en avaient pris envers le roi. Il se garda de révéler aux envoyés de Davout le projet de dissolution, car il jugeait dangereux d'apprendre aux chefs, comme aux soldats, que la soumission qu'on attendait d'eux aurait pour conséquence un licenciement immédiat et total. Davout,

1. Pasquier, Mém., III, 355-356.

2. Metternich à Talleyrand, Paris, 12 juillet. (Arch. Aff. étrangères, 690.) Gouvion prépara un projet d'ordonnance sur la réorganisation d'une nouvelle armée. Ce projet fut soumis aux Alliés le 13, le 14 ou le 15 juillet. (Note de Talleyrand aux ministres alliés, et projet y annexé, s. d. [13, 14 ou 15 juillet.] (Arch. Aff. étrang., 693.) Et le 16 juillet, le roi signa cette ordonnance qui d'ailleurs ne fut rendue publique que dans le courant du mois suivant. Elle avait pour préambule Considérant qu'il est urgent d'organiser une nouvelle armée, attendu que d'après notre ordonnance du 23 mars, celle qui existait se trouve licenciée ....

on l'a vu, se résigna, à une soumission pure et simple. Mais Gouvion craignit encore qu'à l'annonce du licenciement, l'armée, soulevée par les généraux eux-mêmes, ne se mît en pleine révolte. Avant de faire connaître clairement le dessein du gouvernement, il voulait disloquer les corps d'armée et les divisions, de façon à rendre plus difficiles une entente commune et un mouvement général1. Le 19 juillet il écrivit à Davout: « Le roi reçoit la soumission pure et simple que vous lui avez adressée des généraux, officiers et soldats qui sont au delà de la Loire. Cet acte a fixé l'attention bienveillante de Sa Majesté, et, très prochainement, je vous ferai part des ordres qu'elle a donnés pour la réorganisation de l'armée. En conséquence, Sa Majesté m'a donné les ordres les plus positifs pour la dislocation des troupes dans le plus bref délai, comme mesure préparatoire à l'exécution de son ordonnance du 23 mars dernier. » Davout comprit que le mot « réorganisation de l'armée » signifiait «< licenciement ». Il répondit à Gouvion que les ordres pour la dislocation seraient exécutés, bien que d'ailleurs il y eût peu de mesures à prendre à cet égard, la nécessité de faire subsister les troupes l'ayant déjà contraint à étendre beaucoup les cantonnements. Il ajouta que pour ce qui regarderait le licenciement, il demandait l'envoi de commissaires spéciaux, car il priait le roi d'accepter sa démission 3. Davout taisait le motif de cette réso

1. L'ordonnance royale du 16 juillet sur le licenciement et la réorganisation de l'armée fut rendue publique seulement le 12 août (Moniteur de ce jour), quand la dislocation était complète et que les opérations du licenciement étaient commencées par Macdonald. Encore Macdonald se plaignit-il de cette publication qu'il jugeait prématurée. « Il aurait fallu laisser ces ordonnances secrètes jusqu'à la dissolution», écrivit-il à Gouvion Saint-Cyr, le 12 août. (Arch. Guerre.)

2. Gouvion Saint-Cyr à Davout, 19 juillet. (Arch. Guerre.)

3. Dayout à Gouvion Saint-Cyr, faubourg d'Orléans, 21 juillet (Arch. Guerre.) Cette

« PreviousContinue »