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de la place Bellecour où, dit-on, on a vu agiter un drapeau blanc au passage des Autrichiens. En quelques minutes, la porte est enfoncée, la maison envahie, le mobilier mis en pièces1. Un nouveau flot de peuple et d'officiers à la demi-solde submerge la place Bellecour où parquent quarante canons amenés de l'arsenal de Toulon. Fédérés et soldats s'attellent aux pièces et les traînent vers les ouvrages en criant: «< Pas de capitulation! Pas d'Autrichiens! Il faut nous défendre! Vive l'empereur! Aux redoutes aux redoutes! » Le préfet, le maire, des généraux tentent vainement d'arrêter ces exaltés qui cèdent enfin aux exhortations du lieutenant de police Teste, très populaire dans la fédération lyonnaise pour ses sentiments antibourbonnistes. A la même heure, l'hôtel de Mouton-Duvernet est envahi par un d'officiers; ils somment le général de prendre le commandement en chef. «Nous savons, disent-ils, que Suchet a été payé par les Autrichiens et par la noblesse de Lyon pour conclure une capitulation. L'armée ne reconnaît pas cette capitulation. Il faut arrêter Suchet, il faut réoccuper les positions que l'on a commencé d'évacuer, il faut sonner le tocsin dans la ville et dans les campagnes et distribuer aux fédérés et aux paysans tout ce qu'il y a d'armes à Lyon. » Sur l'énergique refus de Mouton de se mettre à la tête de cette sédition, les officiers le

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Meunier et de Chabrol. (Procès de Mouton, 52-53.) Exposé pour le général Mouton-Duvernet, 27. Audin, Evénements de Lyon, 102-103. Guerre, 269-270. — Il y a quelque désaccord sur les détails entre ces divers témoignages. On parle de trois commissaires au lieu de deux; on dit qu'ils se réfugièrent chez Mouton; qu'ils partirent déguisés en officiers de la garde nationale. Ces divergences sont de nulle importance.

1. Rapport de Lyon, 13 juillet. (Arch. nat. F. 7. 3774). Premier interrogatoire de Mouton. Chabrol au roi, Lyon, 18 juillet. (Arch. Guerre.) Guerre, 270-271, Audin, 102-103. Girod de l'Ain, Souv., 391-393. Selon Girod, le prétendu drapeau était un rideau blanc que le vent avait fait voltiger.

quittent en disant : « Il ne vaut pas mieux que les autres!» De mêmes propositions sont faites aux généraux Guillet, Dessaix, Maransin. La nuit, des bandes de fédérés parcourent la ville torches en main, chantant la Marseillaise et le Chant du Départ, et criant: Nous sommes trahis! Mort aux royalistes! Vive l'empereur1!

Le lendemain, l'agitation se calma un peu sur l'assurance donnée par les meneurs populaires qu'ils allaient engager des pourparlers avec le général de Bubna pour que les Autrichiens en entrant dans la ville y maintinssent le drapeau tricolore et les autorités nommées par l'empereur. Bubna consentit très volontiers. Mais le comte de Chabrol, l'ancien préfet royal qui était arrivé secrètement à Lyon et s'y tenait caché, eut connaissance de ce projet. II alla trouver Bubna et obtint la promesse que celuici ne s'opposerait pas à la restauration à Lyon du gouvernement de Louis XVIII. Il s'entendit ensuite. avec Suchet qui, dès le 12, avait adressé au roi sa soumission et celle de son armée, tout en laissant aux soldats leurs aigles et leurs cocardes. Le 16 juillet, Suchet réunit à son quartier-général de GrangeBlanche Chabrol et Pons, le préfet du roi et le préfet de l'empereur, et insista si bien que ce dernier consentit à une transmission de pouvoirs immédiate.

1. Rapport de Lyon, 13 juillet (Arch. nat. F. 7. 3774.) Premier interrogatoire de Mouton, 15 mars 1816. (Dossier de Mouton, Arch. Guerre.) Déposition de Fonthieurd. (Procès de Mouton, 44-45.) Exposé de la conduite de Mouton, 27. Guerre, 272-273. 29-30. Cf. Suchet à Gouvion Saint-Cyr, Grange-Blanche, 16 juillet: « Le 13, une violente sédition a éclaté à Lyon. Les militaires ont pris part à ce mouvement. » 2. Roger de Damas au roi, Lyon, 17 juillet. Chabrol au roi, Lyon, 18 juillet. (Arch. Guerre.) Premier interrogatoire de Mouton. (Dossier de Mouton.) Guerre, 276. Il semble que le lieutenant de police Teste participa à ces négociations. D'après les témoignages de Guerre et de Guillemard, Teste était tout-puissant sur la foule. Il la soulevait ou l'apaisait à son gré. Teste se réfugia en Belgique. Sous Louis-Philippe, il devint pair de France, ministre des Travaux publics et fut, en 1847, condamné par la Chambre des pairs pour crime de concussion.

Désormais libre d'agir, Chabrol prit des mesures pour que la substitution du drapeau blanc au drapeau tricolore coïncidât avec l'entrée des Autrichiens; ainsi la population serait contenue. Le 17 juillet, le gouvernement royal fut rétabli à Lyon. Les bataillons de retraités et les corps francs avaient été licenciés par Mouton-Duvernet, et la garnison s'acheminait vers la Loire à la suite de l'armée de Suchet mise en retraite dès le 14. Les soldats étaient furieux de n'avoir pas trouvé un chef pour continuer la guerre. Ils marchaient en désordre, murmurant contre le maréchal et criant: Vive l'empereur! Quand ils arrivèrent à Montbrison, la vue du drapeau blanc exalta leurs colères. Ils menacèrent de brûler la ville si le drapeau tricolore n'était point rétabli. La municipalité hésitant à céder à cette sommation, ils commencèrent de saccager les maisons des royalistes. Les officiers semblaient exciter leurs hommes. Il fallut remplacer temporairement les drapeaux blancs par des drapeaux tricolores. Les mêmes tumultes terrorisèrent Roanne et Bolu. «Jamais, disaient les soldats, nous ne reconnaîtrons d'autre souverain que l'empereur. Mais il reviendra dans six mois, et c'est pour combattre pour lui que nous emportons nos armes en désertant 3. »

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1. Roger de Damas au roi, Lyon, 17 juillet. Chabrol au roi, Lyon, 18 juillet. (Arch. Guerre.) Cf. Suchet à Gouvion, 12 juillet. (Arch. Guerre.) Guerre, 279-280. Damas précise bien que Chabrol et le nouveau maire (Farges) s'étaient heureusement arrangés pour faire entrer les Autrichiens presqu'au moment du départ des troupes; sans quoi il y aurait eu défense. » — Mouton se prêta à tous les désirs de Chabrol et de Farges. (Déposition de Farges, dans l'Exposé pour le général Mouton-Duvernet, 30.)

2. Lettre précitée de Roger de Damas. Lettre de Lyon, 25 juillet. (Arch. nat., F. 7, 3774.) Préfet de la Loire à Gouvion, 15 juillet. (Arch. Guerre.) Déclaration du Conseil municipal de Montbrison. Déposition de Dumoncel et de Turge. (Procès de Mouton, 42-44, 64-65.) Déposition de Demeaux. (Exposé pour le général Mouton, 32.) Guerre, 280. Lecomte, Les Autrichiens dans l'Ain, 30.

3. Souvenirs manuscrits de Jacques Chorgnon (communiqués par M. Chorgnon, de Roanne). Hodin, notaire, à Davout, Bolu, 2 août. (Arch. Guerre).

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II

Le maréchal Brune était à Antibes, en observation devant la frontière avec son petit corps d'armée, lorsqu'il apprit, le 27 juin, la révolte de Marseille et la retraite de la garnison sur Toulon'. Il pensa à mener toutes ses troupes contre la ville insurgée. « Je veux punir Marseille, s'écria-t-il. Il faut que les royalistes se souviennent longtemps de moi! 2 L'entreprise conçue dans la colère était inexécutable. Brune n'aurait pu rassembler que cinq ou six mille hommes. Il en fallait bien davantage pour soumettre Marseille où un corps d'infanterie anglaise, appelé par les royalistes, s'apprêtait à débarquer afin de renforcer la garde nationale et la populace en armes. De plus, c'eût été une imprudence quasi criminelle que de retirer les garnisons d'Antibes et de Toulon, ces villes étant exposées aux attaques des Piémontais et des Anglais. Un divisionnaire de Brune, le général Merle, lui exposa ces raisons; il ajouta que ni lui ni les autres généraux ne garderaient leur commandement pour une opération de guerre civile. Brune ajourna son projet, attendant les événements. La défaite de Waterloo et l'abdication commençaient à s'ébruiter parmi les troupes. Le maréchal les réunit, les harangua et s'efforça de leur faire croire que ces nouvelles étaient fausses, que les exemplaires du Moniteur qui les mention

1. Voir 1815, III, 163-164.

2. Notes du général Merle, citées par Braquehay, Le général Merle, 218-219. 3. 9, 35 (un bataillon) et 106° de ligne, 14° léger, 13° de ligne (deux bataillons arrivant de Marseille avec Verdier), 14e chasseurs à cheval. Ensemble 5 544 fantassins et 400 cavaliers. (Situation du corps d'observation du Var, au 20 juin. Arch. Guerre.) 4. Notes du général Merle.

naient avaient été imprimés à Marseille par les soins des royalistes. Le 4 juillet, cependant, il se résigna à mettre à l'ordre l'abdication de l'empereur et la proclamation de Napoléon II. Les soldats crièrent : Vive Napoléon II! Vive l'empereur!

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Un petit corps Piémontais qui s'était concentré à Nice se disposait à passer la frontière. Brune conclut le 8 juillet un armistice avec le général d'Osaco2. Dès lors, sans inquiétude immédiate pour Antibes, il se replia sur le Luc, hésitant s'il rentrerait à Toulon ou s'il se porterait contre Marseille, selon son premier projet. Il apprit que des bandes royalistes et un corps anglo-sicilien, débarqué à Marseille, marchaient sur Toulon. Le contre-amiral Duperré, préfet maritime, qui n'avait que 1 700 marins, 400 mobilisés de l'Isère et la division Verdier, réduite à 1000 baïonnettes, pressait Brune de lui envoyer des renforts. Brune fit partir pour Toulon le 9o de ligne, puis, dans la nuit du 17 au 18 juillet, il y vint lui-même avec le 35o, le 106 et le 14 chasseurs. On avait la nouvelle que Louis XVIII était rentré à Paris. Brune n'y crut pas ou affecta de n'y pas croire. « — Je tiens pour fausses, déclara-t-il au conseil de défense, les nouvelles de Paris, et je défendrai jusqu'à la mort les couleurs nationales. » Dans les états-majors de la

1. Proclamation à l'Armée du Var, 4 juillet. Brune à Davout, Brignoles, 17 juillet. (Registre de corresp. de Brune, Arch. Guerre.) Rapport de Merle à Gouvion SaintCyr, 29 juillet. (Cité par Braquehay, Le général Merle, 217.)

2. Registre de corresp. de Brune, à la date du 8 juillet. (Arch. Guerre.) Cf. Damitz, II, 96.

3. Registre de correspondance de Brune, à la date du 8 juillet. Cf. Brune à Davout, 17 juillet. (Arch. Guerre.) Notes de Merle, citées par Braquehay, 219-220. D'après les notes de Merle, Brune voulait se porter d'abord sur Aix.

4. Brune à Davout, Le Luc, 13 juillet. Cavelier, inspecteur de la marine, à Jaucourt, Toulon, 20 juillet. (Arch. Guerre.) Braquehay, 220. Chassériau, Vie de l'amiral Duperré, 106-109. Le 14 léger était resté à Antibes dont il formait

la garnison.

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5. Cavelier à Jaucourt, Toulon, 20 juillet. (Arch. Guerre.)

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