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IV

A Montpellier, le sang avait coulé dès le 27 juin dans une émeute sévèrement réprimée1. Le 1er juillet, le marquis de Montcalm, à la tête de douze à quinze cents marins et paysans recrutés sur le littoral, entra dans la ville. Gilly était parti pour dégager une colonne de gardes nationaux protestants de l'Avaunage que cernaient vers Nimes des bandes royalistes. Le général Forestier, qui commandait en son absence, se retira dans la vieille citadelle avec trois cents soldats et militaires retraités. Montcalm n'avait que deux méchantes pièces de 4. Il n'osa pas l'y attaquer et se borna à prendre possession de la ville au nom de Louis XVIII. Le lendemain, à l'approche de Gilly qui revenait avec le bataillon du 13° de ligne et des gardes nationaux vaunagiens, il se mit en mesure d'évacuer Montpellier. Mais le combat s'engagea dans les rues quand sa retraite commençait. Pour seconder l'attaque de Gilly, la citadelle tira à boulets sur les royalistes. L'hôpital, l'évêché et sept ou huit maisons reçurent des projectiles. Dans l'action, une centaine d'hommes, tant volontaires royaux qu'habitants de Montpellier qui avaient pris les armes, furent tués ou blessés. Après l'action, les Vaunagiens pillèrent des maisons 2.

Guindon, en fuite, fut condamné à mort par contumace. Trois mois après, le contumax rentrait à Avignon et y vaquait librement, le front haut, figurant dans les processions. D'après l'auteur anonyme de l'Assassinat du maréchal Brune (Avignon, 1847), ce misérable vécut jusqu'en 1836 d'une pension qui lui était servie par plusieurs légitimistes.

1. 1815, III, 159.

2. Rapport de Gilly, Montpellier, 2 juillet. (Arch. nat., AF IV, 1937.) Forestier à Decaen, Montpellier, 5 juillet. Rapport de Montpellier, 5 juillet. Rapport de Montcalm, 15 juillet. (Arch. Guerre.) Adjudant commandant Lefebvre, Campagnes et Missions, 167-169. Précis historique des événements de Montpellier, par M***, chevalier de Saint-Louis, 9-15.

La révolte domptée à Montpellier, Gilly remit le commandement à Forestier et courut à Nîmes menacée par la petite armée que formait à Beaucaire le comte de Bernis. Pendant près de trois semaines les royalistes de Montpellier attendirent patiemment l'heure des représailles. Le 15 juillet, jour où le gouvernement royal fut proclamé avec l'assentiment du général Forestier qui fit arborer le drapeau blanc sur la citadelle, ils se contentèrent de chanter et de danser. Mais leurs ressentiments étaient vivaces. Le 26 juillet, le peuple soulevé massacra des soldats et des fédérés. Des « suspects » par centaines furent conduits aux prisons; ils y restèrent de longs mois entre la vie et la mort, la populace menaçant sans cesse de forcer les portes pour s'emparer d'eux et « faire justice. » Le meurtre, le pillage et la dévastation s'étendirent aux environs jusqu'à Montagnac et au Vigan où fut brûlé le temple protestant '.

A son arrivée à Nîmes, le général Gilly voulait prévenir l'attaque des royalistes de Beaucaire en marchant immédiatement contre eux. Ses forces étaient assez nombreuses pour qu'il pût en distraire de quoi suffire à cette petite expédition tout en laissant dans la ville, divisée et ardente, une garnison. qui imposât aux factieux. Sur les instances des

1. Analyse de la correspondance des préfets, Montpellier, 26 juillet et 27 septembre. (Arch. nat., F, 7, 3044B, et F, 7, 3775.) Rapport du commandant Rousset, Montpellier, 27 juillet. Rapport du général Briche, Montpellier, 16 septembre et 28 novembre. (Arch. Guerre.) Moniteur, 26 juillet, 6 septembre, 15 septembre. Epoque de 1815 ou choix de propositions, etc., 454-455. - Des détenus furent élargis le 4 septembre; beaucoup d'autres étaient encore en prison à la fin de novembre.

2. Gilly avait à Nîmes un bataillon du 13o de ligne, deux compagnies du 63o, un escadron du 14e chasseurs, une compagnie d'artillerie, un bataillon de militaires retraités, 900 hommes de la garde urbaine (la plupart fédérés qui avaient remplacé la garde nationale, licenciée comme suspecte de royalisme) et 1500 gardes nationaux de l'Avaunage, de la Gardonnenque et des Cévennes. (Bernis, Précis de ce qui s'est passé dans le Gard, 51-52.)-« L'armée royale de Beaucaire comprenait tout

magistrats municipaux, il consentit à un armistice aux termes duquel ses troupes et les bandes du comte de Bernis resteraient dans leurs positions jusqu'à ce que l'on reçût à Nîmes des nouvelles officielles de Paris. Le 15 juillet, la circulaire de Vitrolles, annonçant le retour du roi parvint au préfet. Après une courte conférence avec celui-ci et le général Maulmont, Gilly se démit de tous ses pouvoirs et quitta Nîmes. Il sentait que sa participation à la capture du duc d'Angoulême et l'énergie qu'il avait mise dans la répression des troubles d'Agde et de Montpellier le désignaient aux vengeances 1.

Cette journée ne se passa pas dans l'allégresse générale célébrée par le Moniteur. Des «< collets jaunes » (c'est ainsi que les royalistes désignaient les gardes urbains) criblèrent de balles le premier drapeau royal qu'ils aperçurent à un balcon. Des fédérés et des gardes nationaux cévenols parcoururent les boulevards en criant: « L'empereur ou la mort! » et en tirant des coups de feu. Des balles perdues tuèrent un de ces manifestants et aussi un malheureux garçon boulanger qui musait au seuil de sa boutique. Malgré les ordres et les prières du général Maulmont, la troupe refusa de prendre

au plus 2 000 gardes nationaux, miquelets et paysans mal armés dont une troupe de 100 volontaires à cheval. (Bernis, 52).

1. Proclamation de Gilly, 5 juillet. (Citée par Lauze de Perret. Causes des Troubles du Gard, 157.) Bernis, 54-55. Déposition de l'adjudant-commandant Lefebvre, Nîmes, 19 juillet. (Citée par E. Daudet, La Terreur Blanche dans le midi, 348349.) Lauze de Perret, 159, 172-173. Cf. Gilly à Decaen, Nîmes, 12 juillet. (Arch. Guerre.)

Le mois suivant la tête de Gilly fut mise à prix. Il était caché chez un paysan des Cévennes à qui il avait tu son nom. Un jour, las de la vie qu'il menait, il dit à son hôte: «- Une grosse somme est promise à qui livrera le général Gilly. Je sais où il est. Allons le chercher. Nous partagerons l'argent. « Misérable! Tu es proscrit et c'est toi qui veux livrer ton chef! » Alors Gilly, ému jusqu'aux larmes se jeta au cou du Cévenol en s'écriant: « C'est moi qui suis Gilly! (FournierVerneuil, Curiosités et Indiscrétion, 182-183. Dupin, Mém., I, 121-123.) Cf. Frimont à Schwarzenberg, Nîmes, 31 août (Arch. Affaires étrang., 691.)

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la cocarde blanche. Les chasseurs mutinés incitaient l'infanterie à se rebeller. Le soir, ils montèrent à cheval et sortirent de Nîmes au galop de charge, sabre en main, furieux et terribles. Dans la nuit, les quinze cents gardes nationaux cévenols, le bataillon des retraités, quelques fédérés et plusieurs détachements de la ligne quittèrent aussi la ville 1.

Environ trois cents soldats restaient au général Maulmont. Il les apaisa, se rendit maître de leur esprit. Le lendemain matin, ils assistèrent en grande tenue, cocarde blanche au shako, à la proclamation du roi faite par Maulmont avec une certaine solennité. Le calme, ce dimanche-là, régna dans la ville. Le lundi, 17, on commença de désarmer « les collets jaunes »; ils livrèrent leurs fusils sans opposition. A mesure, on armait les nouveaux gardes nationaux royalistes qui étaient destinés à remplacer la garde urbaine licenciée. L'armée de Beaucaire, en marche sur Nîmes, devait l'occuper le lendemain; mais nombre de miquelets se détachèrent de la colonne et pénétrèrent individuellement dans la ville où entrèrent aussi des volontaires royaux d'Uzès. Ces hommes mêlés à la populace se portèrent aux casernes en réclamant les canons que Gilly y avait fait placer. Des pourparlers s'engagèrent avec

1. Rapport du préfet du Gard, 16 juillet. (Arch. nat., F. 7. 3774.) Rapport de Maulmont, Blinaut, 27 juillet. (Arch. Guerre.) Déposition de l'adjudant-commandant Lefebvre, Nimes, 19 juillet. Rapport de Vidal, commissaire général de police, 6 août (cité par E. Daudet, 349-350, 364-366.) Mémoires du sergent Guillemard, Il, 65. Cf. Bernis. 61.

Ces divers documents mentionnent l'exode des chasseurs, des gardes nationaux cévenols et des retraités, mais ne disent rien du départ de fractions de la ligne. Cependant, comme l'infanterie comprenait au 15 juillet 1 bataillon du 13° et 2 compagnies du 63°, soit, en comptant au plus bas, 500 à 600 hommes, et qu'au témoignage du préfet du Gard, confirmé par Guillemard, il ne restait le 16 juillet que 300 hommes dans les casernes, il faut bien croire qu'une partie de la troupe avait quitté Nîmes à la suite des chasseurs et des Cévenols.

2. Déposition de l'adjudant-commandant Lefebvre, précitée. Lauze de Perret,

173.

Maulmont qui refusa de livrer son artillerie. La foule impatiente se courrouçait. Des coups de feu furent tirés sur la caserne. Exaspérés, les soldats crièrent Aux armes! Maulmont tenta de les calmer en disant que les fusils avaient été déchargés en l'air. C'était plus ou moins véridique. En tout cas, les détonations se multipliaient; un officier fut blessé. Des soldats coururent aux fenêtres et firent feu. La foule évacua la place d'Armes y laissant trois cadavres, deux hommes et une femme. Les royalistes s'embusquèrent dans les maisons et aux angles des rues aboutissant à la place et recommencèrent à tirailler. Les soldats ripostèrent. Engagée vers cinq heures, la fusillade dura jusqu'à près de dix heures; deux hommes encore furent tués parmi les miquelets; il y eut dans la troupe un tué et deux blessés1.

Les soldats voulaient sortir avec deux canons mèche allumée, faire feu de tous côtés, balayer le passage et gagner une route quelconque. Par scrupule de l'effusion du sang, Maulmont repoussa ou du moins ajourna cette proposition. Il objecta qu'il serait préférable d'attendre la nuit close et promit que si, à minuit, les circonstances ne s'étaient pas modifiées, il se mettrait à la tête de la troupe. Le

1. Déposition de l'adjudant-commandant Lefebvre, précitée. Bernis à Gouvion Saint-Cyr, 19 juillet, Rapport de Maulmont, 27 juillet. (Arch. Guerre.) Lauze de Perret, 182, 184-187. Marseille, Nimes et ses environs en 1815, I, 48-49. Mémoires du sergent Guillemard, II, 65-66. Cf. La lettre du commissaire de police Vidal (citée par E. Daudet) 366-367, Bernis, Précis, 62, et le rapport du général de Barre, Nimes, 14 août. (Arch. Guerre.)

Le comte de Bernis, qui était ce jour-là à Beaucaire, et le commissaire Vidal qui, semble-t-il, ne se trouvait pas sur la place d'Armes au commencement de l'action, ont prétendu que les premiers coups de feu furent tirés par les soldats. Maulmont, Lefebvre et Guillemard, tous trois à la caserne, précisent au contrair, dans leurs récits très circonstanciés et absolument concordants, que la fusillade fut engagée par le peuple. Cette version qui paraît la plus véridique est aussi la plus vraisemblable. Un historien royaliste cite onze hommes tués et un blessé parmi la foule, alors que le commissaire Vidal, pourtant très hostile aux soldats, ne porte qu'à cinq, dont une femme, le nombre des royalistes tués.

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