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des officiers en retraite, de vieux soldats, des protestants riches ou pauvres. A Nîmes, la majorité des calvinistes avaient pris parti pour l'empereur, tandis que presque tous les catholiques étaient demeurés chauds royalistes. Les plus enragés de ceux-ci confondaient dans une même haine bonapartistes et protestants. Mais chez beaucoup de ces carnassiers les rancunes privées avivèrent les passions politiques et les fureurs religieuses.

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L'un de ces égorgeurs devint fameux, presque illustre. On grava son portrait. C'était un lieutenant de la garde nationale, nommé Jacques Dupont et surnommé Trestaillons 1. Dans une lettre officielle au préfet du Gard, il se vanta d'avoir tué six hommes de sa main. Trestaillons eut dans Nimes des sympathies et de puissants protecteurs. En tuant, il prétendait venger sa femme outragée trois mois auparavant par des paysans bonapartistes. Il n'y avait rien de vrai dans cette histoire. Ce prétendu justicier n'était qu'un assassin et un voleur 2.

Nîmes avait Trestaillons; Uzès avait Quatretaillons. Il avait été soldat, garde champêtre, et, en 1815, miquelet dans l'armée du duc d'Angoulême. Il s'appelait Graffand; des enthousiastes le surnommèrent Quatretaillons parce qu'il surpassa Trestaillons. Avec une troupe de bêtes féroces à masques d'hom

1. Ce Jacques Dupont possédait trois parcelles de terre, d'où le surnom de Troistaillons ou Trestaillons.

2. Pétition des veuves de Nîmes, 14 mai 1820. (Bibliothèque historique, no du 27 mai 1820.) Rapport de la gendarmerie de Nimes, 16 octobre 1815. (Arch. Guerre.) Lettres de Jacques Dupont (citées par E. Daudet, 96-98). Marseille, Nimes en 1815, II, 55. Perrot (cité par d'Arbaud-Jouques, 49, 85-86, 88). Lauze de Perret. 195, 414.

Trestaillons fut arrête le 17 octobre, mais faute de preuves, personne ne voulant témoigner contre lui, il bénéficia d'une ordonnance de non-lieu et mourut plus tard de sa belle mort. Sa veuve toucha une pension.

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mes dont il s'était fait le belluaire, il terrorisa Uzès. - Tous les bonapartistes, disait-il, protestants ou catholiques, mourront de ma main, y compris les enfants.» Ce matamore tragique s'imposait par peur aux autorités de la petite ville. Ils le nommèrent ou le laissèrent se nommer capitaine de la garde nationale. Le 5 août, Graffand se présenta à la prison où l'on avait jeté les suspects de bonapartisme et requit qu'on lui livrât six prisonniers. Le geôlier obéit, car il avait l'ordre verbal du commandant de place, qui tremblait pour soi-même, de ne point résister à la bande de Graffand. Les six hommes furent fusillés sur l'esplanade aux cris de Vive le roi! «<

On ne nous reprochera rien, dit Graffand. Il y avait trois protestants et trois catholiques. >> Après l'exécution, les assassins soulevèrent un des cadavres par les cheveux, le mirent à genoux, et lui posèrent des lunettes sur le nez. «<- Regarde maintenant, dirent-ils en riant, si tu vois venir les brigands de la Gardonnenque? » Trois semaines plus tard, le sous-préfet chargea Graffand d'une mission militaire. Celui-ci la remplit à sa façon, en faisant fusiller six gardes nationaux de Saint-Maurice qui n'avaient commis d'autre crime que de chercher à fuir à son approche 1.

V

La réaction menaçait aussi Toulouse. Pendant trois mois les royalistes avaient senti la main un peu rude

1. Rapport d'Uzès, 20 novembre (Arch. nat., F. 7. 3775.) Pièces des Archives de la cour de Riom (citées par E. Daudet, 116-124, 130-131, 152-154). Lauze de Perret, 164-166, 253, 258-259, 261-263, 369. Perrot (cit. par d'Arbaud-Jouques, 75-78). D'Arbaud-Jouques, ibid. Marseille, Nîmes en 1815, III, 33-34. Cf. général Frimont à Schwarzenberg, Nimes, 31 août. (Arch. Aff. étr., 691.)

Le 27 septembre, Graffand finit par être arrêté sur l'ordre du préfet. Une

du général Decaen, subi la domination ostentatrice et injurieuse des fédérés'. Ils rêvaient des vengeances. Le 17 juillet, Decaen et le préfet impérial se résignèrent à proclamer le roi et partirent le lendemain après avoir licencié et fait désarmer les fédérés. La garnison, pour ne point prendre la cocarde blanche, quitta Toulouse en tumulte. Joyeuse et terrible, la population se répandit dans les rues. On enleva du Capitole le buste de Napoléon qui fut traîné la corde au cou jusqu'à la Garonne; on arracha et on brùla les arbres de la liberté. Des fédérés furent pourchassés, traqués, frappés. Pour les protéger contre de pires traitements, la garde nationale ne trouva rien de mieux que de les arrêter en masse et de les conduire aux prisons 2. Grâce à cette mesure, les premiers jours de la Restauration se passèrent sans effusion de sang. Mais l'effervescence n'était pas calmée. Le peuple réclamait la formation de commissions militaires pour le jugement des fédérés détenus. Les dénonciations allaient leur train; chaque jour amenait de nouvelles arrestations. Les royalistes

pétition fut signée par 200 habitants d'Uzès, et non des moins notables, où l'on vantait fort son royalisme». On instruisit son procès à Riom, en 1816, mais faute de preuves, comme pour Trestaillons, il y eut ordonnance de non-lieu. Graffand trouva un bon emploi chez un riche propriétaire. En 1819, il fut poursuivi pour délit de droit commun, et, en même temps, on reprit l'instruction abandonnée en 1816. Il s'enfuit et fut condamné à mort par contumace.

1. 1815. I, 625, III, 158-159.- - Entre autres actes de rigueur, Decaen avait frappé cent royalistes notoires d'une contribution d'un million de francs. D'ailleurs, cette contribution ne fut point perçue, grâce à Gaudin, qui, consulté par Davout, répondit qu'il fallait renoncer à cette mesure, « plus arbitraire que toutes celles que les circonstances avaient pu faire prendre (Arrêté de Decaen, 9 juin.) Davout à Fouché, à Gaudin, à Mollien, 25 juin. Gaudin à Davout, 27 juin. (Arch. Guerre, Armée des Pyrénées-Orientales).

2. Rapport de Toulouse, 20 juillet. (Analyse de la corresp. des préfets, Arch. nat. F. 7, 3774). Ramel à Gouvion Saint-Cyr, Toulouse, 20 juillet. (Dossier de Ramel, Arch. Guerre). Rapport de gendarmerie, Toulouse, 18 août. Rapport sur les événements de Toulouse du 4 avril au 18 juillet, Toulouse, 2 décembre. (Arch. Guerre.) Me de Rémusat à Mme de X..., Laffitte, 19 juillet. (Corresp. de M. de Rémusat, 1, 80.) Villèle, Mém., 1, 297-298.

étaient divisés en constitutionnels et en purs. Ceux-ci déclamaient contre la faiblesse de Louis XVIII en 1814 «<< faiblesse qui avait tout perdu; » ils voulaient des actes, une juste répression, le procès des juges de Louis XVI, l'abolition de la Charte et un gouvernement absolu. En attendant, ces « plus royalistes que le roi » méconnaissaient son autorité et ne voulaient obéir qu'aux princes. Ils avaient à leur dévotion une troupe d'assommeurs et de coupejarrets que l'on appelait Verdets, à cause de la couleur verte de leur uniforme, couleur qu'avait choisie le comte d'Artois pour sa livrée 1.

Ces Verdets se présentèrent le 8 août à une revue de la garde nationale, et réclamèrent une solde et des rations au maréchal Pérignon qui avait repris le commandement de la 10 division militaire. Pérignon accueillit sévèrement la demande. Il conseilla à ces hommes de s'engager, s'ils le voulaient, dans un corps en formation, le régiment de Marie-Thérèse, et leur refusa l'honneur de défiler. Le lendemain, une députation des Verdets vint chez le général Ramel, commandant la place, pour obtenir qu'il parlât en leur faveur au vieux maréchal. Ramel avait montré beaucoup de zèle royaliste dans la journée du 17 juillet; malgré ses soldats en révolte, il avait fait placer le drapeau blanc sur les casernes. Les Verdets espéraient trouver un appui en lui. Il les éconduisit,

1. Mme de Rémusat à Mme de X..., Laffitte, 19 juillet et 4 août, Toulouse, 26 juillet et 1er août; à son fils, Toulouse, 8 et 11 décembre. (Corresp. de M. de Rémusat, I. 80-88, 154-155.) Note du général de Muy, 17 août (Arch. Guerre). Villèle, Mém., I, 298-300. Pasquier, Mém., III, 405. Cf. Pelleport, Mem., II, 128.

Les Verdets avaient été organisés secrètement pendant les Cent-Jours. On leur avait donné des uniformes verts en l'honneur du comte d'Artois. Ils portaient des cocardes blanches et vertes, comme d'ailleurs un grand nombre de royalistes-ultras de la Provence, du Languedoc et de la Bretagne. Voir, sur les cocardes vertes, rapport confidentiel à Wellington, 7 août (Supplementary Dispatches, XI, 108). Lauze de Perret, 207. Extrait de la corresp. ministérielle, 3 sept. (Arch. Guerre. Rapport de Quimper, 1er sept. (Arch. nat. F.7, 3774.)

leur disant, comme Pérignon, de s'engager dans le régiment de Marie-Thérèse. Quelques jours plus tard, le bruit courut que, avec l'assentiment du nouveau préfet, M. de Rémusat, on se préparait à licencier les Verdets; déjà, disait-on, Ramel avait reçu des ordres. La population pactisait avec les Verdets. Elle se porta en proférant des cris de mort devant les fenêtres de Rémusat. Un fort détachement de garde nationale arriva à temps pour protéger la préfecture et le préfet. Repoussée sur ce point, la foule passa sa rage sur l'hôtel du baron de Malaret, maire de Toulouse depuis 1812. Tout fut saccagé. Malaret s'enfuit sous un déguisement. Une autre bande armée de bâtons et vociférant: A bas Ramel! marchait vers la place des Carmes, où logeait le général, quand elle fut dispersée par une patrouille de cavalerie1.

Le lendemain, jour de l'Assomption, Ramel suivit en grande tenue la procession du vœu de Louis XIII. Il alla dîner, comme il en avait coutume, chez sa maîtresse, une Romaine qu'il avait ramenée d'Italie en 1814. La ville était en fête; on dansait sur la place des Carmes. Vers huit heures, le général quitta Me Diosi pour renter chez lui. Arrivé place des Carmes, à quelques pas de sa maison, il entendit derrière lui les cris: A bas Ramel! Il se retourna et vit un rassemblement de trente ou quarante individus qui le suivaient menaçants. « Vous voulez Ramel, dit-il froidement, le voici. Que lui voulezvous?» De nouveau on cria : « A bas Ramel! A bas le

1. Rapport de l'adjudant-commandant Bréan, Toulouse, 16 août. Déclaration de Joly, secrétaire de Ramel (Dossier de Ramel, Arch. Guerre). Rapport du commandant de gendarmerie, Toulouse, 18 août. Rapport de Toulouse, 22 août (Arch. Guerre). Villèle, Mém., I, 300-301.

A en croire Barante (Souv., II, 213), cette émeute avait été décidée en séance du comité royaliste, qui avait délibéré si l'on massacrerait Remusat, Malaret ou Ramel. Cf. Villèle, I, 305.

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