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Badeu, gouverneur autrichien1. En attendant le versement des sommes exigées, les Alliés prennent des acomptes. Ils saisissent les caisses publiques, les rôles des contribuables, les salines, les tabacs, les papiers timbrés, nomment des fonctionnaires prussiens ou bavarois et se substituent à l'administration pour toute perception et toute vente 2.

Talleyrand réclame auprès des ministres alliés contre l'énormité des réquisitions, les violations du droit des gens, les excès des soldats. « Les habitants réduits au désespoir prendront les armes, écrit-il le 20 juillet. Ce n'est pas effrayant au premier abord, mais cela peut le devenir. La prise de possession au nom des puissances, l'intervention des généraux dans l'administration intérieure, la spoliation des caisses publiques, la défense d'obéir aux ordres du roi, une pareille conduite, si opposée aux intentions des souverains, si contraire à leurs proclamations, a indigné tous les esprits 3. » Wellington qui se fait décidément le protecteur de la France vaincue tente aussi d'intervenir. Il écrit à Castlereagh : « Je dois prier V. E. de dire aux souverains que nous risquons une guerre nationale et d'avoir le pays entier contre nous, ce qui serait redoutable, si nous n'arrêtons pas l'oppression sur le peuple français, s'il n'est pas interdit aux troupes des diverses armées de piller et de détruire pour le plaisir de mal faire, et si les réquisitions ne sont pas régularisées par un pouvoir quelconque en dehors de l'autorité militaire". » Tal

1. Choiseul à Talleyrand, Dijon, 4 août (Arch. Aff. étrang. 691).

2. Corresp. générale, juillet-octobre (Arch. Guerre). Analyse de la corresp. des préfets juillet-septembre. (Arch. nat., F. 7, 3774, F. 7. 3775.)

3. Talleyrand aux ministres alliés, 20 juillet. (Arch. Aff. étrang., 690.)

4. Wellington à Castlereagh, Paris 14 juillet, (Dispatches, XII, 558.) Cf. Lettre à Wellesley, 19 juillet (XII, 566). Il est à remarquer que contrairement aux autres généraux alliés, Wellington s'efforçait, sans toujours y réussir, de maintenir une dis

leyrand combine une petite comédie comme pour le pont d'léna. Il se fait écrire par Louis XVIII une lettre où le roi declare que si « les Alliés continuent à traiter ses sujets en ennemis », il est résolu à se retirer de son royaume et à demander asile au roi d'Espagne1. Cette pièce communiquée officieusement aux plénipotentiaires, ceux-ci protestent, dans une longue Note, pleine de promesses, qu'ils sont prêts « à concilier les désirs du roi avec la situation de leurs armées. » Ils précisent même les mesures qu'ils comptent prendre à cet effet2. Mais de ces mesures, ils ne prennent aucune, si bien que Talleyrand leur écrit derechef le 28 juillet : « Il y a danger pour les puissances à ravager la France. Elles discréditent le roi. Ces malheurs coïncident avec son retour. On lui reprochera d'en être resté spectateur tranquille et de n'être pas allé chercher au dehors un asile pour n'en être pas le témoin. »

Les ministres alliés ne s'émeuvent point. Ils répondent que les accusations sont vagues, que beaucoup de faits sont controuvés, que d'ailleurs il faut bien faire vivre les troupes. Le 6 août seulement, ils proposent un arrangement ferme. Le gouvernement français versera une somme de cinquante millions pour

cipline rigoureuse parmi ses troupes. Cf. Wellington à Talleyrand, 14 juillet, (Dispatches, XII, 559.) Rapport de Maison, 31 août. (Arch. Guerre.) Pfister, Aus dem Lager der Verbündeten, 389.

1. Louis XVIII à Talleyrand, 21 juillet. (Cité par Talleyrand. Mém., III. 258-259. Il est parlé de cette lettre royale par Lechat (journal manuscrit), qui doute que Louis XVIII l'ait écrite; par Fagel (dépêche à son gouvernement, 24 juillet, Revue d'Histoire diplomatique, X, 98), qui la mentionne comme un on-dit; par la duchesse de Lévis (Sismondi, Notes sur les Cent jours, 30), qui rapporte que le roi fit tenir cette lettre aux souverains, mais que, comme elle ne produisit nulle impression et qu'il ne voulut pas être appelé à effectuer ses paroles », il s'empressa de la faire démentir.

2. Note des Plénipotentiaires des quatre cours, 24 juillet. (D'Angebert, 1467.) 3. Talleyrand aux ministres alliés, 28 juillet. (Arch. Aff. étrang. 691.)

4. Ministres alliés à Talleyrand, 19 juillet, 29 juillet, 19 août, 20 août, 8 sept. (Arch. Aff. étrang., 690, 691.)

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les mois d'août et de septembre; et, en retour, les commandants des armées étrangères s'abstiendront de toute réquisition en argent, de toute aliénation d'objets appartenant à l'Etat, de toute perception d'impôts. Le pays continuera d'ailleurs à subvenir à la nourriture et à l'habillement des troupes1. Talleyrand accepte cette convention; le roi ordonne une imposition extraordinaire, mais le recouvrement risque d'en être rendu impossible par le système d'occupation que pratiquent les Alliés 3. Tous les services administratifs et financiers sont désorganisés, les fonctionnaires asservis, arrêtés ou déportés, les lettres et les journaux interceptés, les stations télégraphiques brûlées, la gendarmerie et la garde nationale désarmées, le nom du roi bafoué, ses ordres tenus pour nuls, la population ruinée par les réquisitions arbitraires et les perceptions illégales qui continuent de plus belle. « La conduite de vos généraux, écrit le 24 août, Talleyrand aux ministres

1. Ministres alliés à Talleyrand, Paris, 6, 16, 19 août. (Arch. Aff. étrang., 691.) 2. Talleyrand aux ministres alliés, 10, 12 et 13 août. (Arch. Aff. étrang., 691.) 3. Cette taxe de cent millions, véritable impôt forcé dont les principaux contribuables étaient tenus de faire la première avance, fut cependant perçue assez facilement dans les mois de septembre à décembre. (Pasquier, III, 397-400).

4. Talleyrand aux ministres alliés, 24 août, Cf. 19 août. (Arch. Aff. étrang., 691.) Cf. Gouvion Saint-Cyr à Wellington, 13 juillet et 31 août. Rapport confidentiel à Wellington, 20 juillet. Vitrolles à Wellington, 21 juillet. (Supplementary Dispatches, XI, 27, 48), Préfets de l'Ain et du Loiret à Talleyrand, 17 juillet. (Arch. Aff. étrang., 691.) Rapport de Vesoul, 19 août. (Arch. nat., F. 7, 3773.) Extrait de la corresp. ministérielle, 23 août, 24, 25, 26 septembre. (Arch. Guerre.)

Dans une note pour Richelieu, 26 nov. (Arch. Aff. étr., 647) le comte d'Hauterive a tracé de la situation de la France et du roi ce résumé vraiment tragique : «La nation subjuguée, l'Etat abattu, l'armée dissoute, les droits de la France n'existant plus que sous la sauvegarde de la justice générale, la force militaire qui en est la sanction étant toute dans les mains des gouvernements étrangers qui l'ont fait servir à méconnaître, à avilir et à annuler l'autorité du roi, en faisant exécuter des arrestations arbitraires, destituer et emprisonner des agents publics, lever des tributs, spolier les caisses publiques, et enfin en établissant dans la capitale un gouvernement qui jusqu'au traité de paix a commandé en leurs noms, il est évident qu'ils n'ont laissé à celui qui, il y a vingt-cinq ans, était le premier en dignité parmi es rois, qu'une ombre d'existence. »

alliés, est pire qu'avant la convention. Vous nous empêchez par vos violences et vos exactions de toucher les contributions dans les départements et nous mettez ainsi dans l'impossibilité de remplir nos engagements'. >>

II

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Les Français revivent les jours atroces de la première invasion. Ce sont les mêmes ravages et les mêmes violences, avec cette monstrueuse aggravation morale que l'on n'est plus en état de guerre. Les étrangers, ils l'avouent, regrettent de n'en avoir pas fait assez en 1814. Les Autrichiens disent qu'il faut que les Français se souviennent d'eux et les Prussiens décla rent qu'ils ne veulent pas quitter la France « qu'elle ne soit comme si le feu du ciel y avait passé3. » Aux réquisitions méthodiques qui suffiraient à ruiner le pays, s'ajoutent le vol, le pillage, l'incendie, la dévastation pour le plaisir. « Quand les Prussiens, dit Sis mondi, prennent pour cinquante écus ils font pour dix mille écus de dommage*. » Mézières est pillé malgr les clauses de la capitulation, Pomar subit un pillage méthodique de vingt heures, Bar-sur-Aube est mis à sac, Arpajon dévasté, Amel et Flers dans le Nord. deux villages dans les Ardennes, trois dans l'Aube sont brûlés. Sous prétexte de venger la mort d'un maraudeur, tué aux environs on ne sait par qui, les

1. Talleyrand aux ministres alliés, 24 août. (Arch. Aff. étrang., 691.)

2. Rapport de Dijon, 14 octobre (Arch. nat., F. 7, 3775.) Cf. Metternich, Me I, 209 « Les puissances voulurent cette fois donner une leçon à la France.

3. Sismondi à sa mère, 9 juillet. (Lettres inédites, 94.) Cf. Pfister, Aus de Luger der Verbündeten, 388, et Vaudreuil à Talleyrand, Berlin, 25 sept. (Arch. A étrang. Prusse, 253).

4. Sismondi à sa mère, 16 juillet. (Lettres inédites, 98.)

Prussiens saccagent le château de Ménars, propriété du maréchal Victor. A la Rivière (Pas-de-Calais) des soldats furieux qu'un paysan ose refuser de leur livrer sa fille incendient sa maison; le feu gagne les maisons voisines qui sont complètement consumées 1. A Sedan, l'intendant prussien fait saisir pour 50 000 francs de draps chez un négociant; le général de Hacke commande de mettre sous séquestre et de vendre au profit des habitants bien pensants les propriétés des gardes nationaux mobilisés et francstireurs qui ont quitté leurs villages. A Auxerre, les Autrichiens prennent les cent soixante étalons du haras. Dans le Calvados, les Prussiens enlèvent tous les chevaux. A Geislautern, les Russes vendent 4000 cordes de bois appartenant à l'École des mines. Sur la frontière du Nord, les Hollando-Belges s'improvisant contrebandiers passent à la barbe des douaniers, tenus en respect, des quantités considérables de marchandises anglaises. Sur les routes de Picardie, de Lorraine, de Normandie, des bandes de soldats arrê tent les diligences et les malle-postes, pillent les bagages, rançonnent les voyageurs. A Nevers, les Wurtembergeois dévastent les forges et fonderies de la marine, prennent les ancres, les chaînes d'amarrage, les fers de toute sorte, détruisent les machines et en vendent les débris au poids. A Dijon, les Autrichiens pillent la manutention et vendent la farine. cinq francs les 300 kilogrammes. A Versailles, les Prussiens nourrissent leurs chevaux avec du pain et jettent la viande au ruisseau2.

C'est la Terreur prussienne. Dans les provinces, la

1. Rapport à Carnot, 13 juillet (papiers de Carnot). Correspondance des préfets, 10 août, 14 août, 10 sept., 15 sept., 14 déc. (Arch. nat., F. 7. 3775.) Rapport de Verdun, 1er oct. Général Thiébault à Clarke, Dijon, 22 oct. (Arch. Guerre.)

2. Corresp. générale, juillet-octobre (Arch. Guerre). Analyse de la corresp. des préfets, juillet-décembre (Arch. nat., F. 7. 3774 et F. 7. 3775.) Lettres à Talleyrand

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