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présence, par la sanction apparente des autorités françaises. Pillages, meurtres, viols, exécutions sommaires, assassinats juridiques, tout se passe au vu et au su des préfets, des commandants de place, des magistrats, des commissaires de police, des gendarmes, muets, inertes, impuissants. « Pas d'affaire ! » c'est l'ordre de Paris. On s'est posé en conseil la question de savoir quels sont les juges naturels des Français et on y a répondu : « Les juges naturels des Français, s'ils sont en pays étranger, sont les juges du pays. Or la France est occupée. En principe, la France n'a pas le droit de réclamer. Ne demandons donc pas de dérogation au principe, car ce serait demander une faveur pour un objet de peu d'importance lorsque nous avons besoin de faveurs à tant d'autres égards 1. » La France est rendue au roi, mais les Français n'y sont plus chez eux!

Pour échapper au joug de l'ennemi, les paysans émigrent en masse dans les bois. La forêt de l'Orient, entre Troyes et Bar, sert de retraite à 7000 personnes. Des centaines et des centaines de villages sont désertés. L'exode gagne les villes elles-mêmes. Berthezène cite une rue de Nevers où il n'y a plus un seul habitant. Sur les routes des forêts, à la lisière des bois,

1. Note (minute) 11 octobre (Arch. Affaires Étrangères, 693). Cette décision fut prise en ces circonstances inouïes: Dans une rixe, un sergent-major de l'exgarde avait souffleté un soldat prussien. Le gouvernement prussien fit arrêter le Français afin de le déférer à une commission militaire. Celui-ci réclama des juges français. Le ministre de la guerre voulait intervenir dans ce sens, mais on laissa aller les choses. (Clarke à Richelieu, 8 octobre. Arch. Guerre.)

2. « Les paysans des bords de la Loire fuient dans les bois Berthezène à Vandamme, 13 juillet (Arch. Guerre). En Champagne et en Bourgogne, les paysans errent dans les bois.» Rapport de Clairvaux, 17 juillet (Arch. nat., F. 7. 3774.) — Les habitants fuient dans les bois avec leurs bestiaux » Rapport du préfet d'Indreet-Loire, 24 juillet (Arch. nat., F. 7. 3774) <«< Dans les environs de Maubeuge, les habitants désertent les villages » Rapport du maire de Condé, 8 août (Arch. Guerre) « Les villages de la Champagne sont presque tous désertés. Les habitants tuent dans les bois les soldats isolés. Rapport de Troyes 9 août (Arch. nat., F. 7. 3775.) -Les habitants s'enfuient dans les bois. » Sous-Préfet de Gray au

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les réfugiés attendent en embuscade le passage de soldats isolés. Plus d'un Allemand n'ira pas dire outreRhin le goût des vins de France, ni conter ses bonnes fortunes sanglantes au cours de la campagne. Chaque jour, des estafettes, des courriers, des traînards, des officiers en promenade, des maraudeurs en quête de proie tombent sous les balles vengeresses. De toute part, généraux et préfets écrivent à Paris que « les paysans exaspérés n'attendent qu'un signe pour se soulever », mais chacun sait bien que ce signe-là, le roi de France ne pourra pas le faire.

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III

Le roi n'osait même pas donner ouvertement des ordres aux gouverneurs des places qui tenaient encore. Malgré l'état de paix implicitement déclaré, les Alliés poursuivaient le siège de toutes les villes fortes. Que le drapeau royal ou le drapeau tricolore flottât au faîte des citadelles, ils n'y regardaient pas. Ils pensaient à

Les habitants de l'Aisne

Préfet de la Haute-Saône, 29 sept. (Arch. Guerre) fuient dans les bois.» Rapport de la 1re division militaire, 13 nov. (Arch. Guerre.)

1. Ministres alliés à Talleyrand, 5 août (Arch. Aff. étrangères, 691). Analyse de la correspondance des Préfets, juillet-décembre (Arch. nat., F. 7. 3774 et F. 7. 3775.) Corresp. ministérielle, juillet-novembre (Arch. Guerre).

2. « La Champagne et la Bourgogne sont prêtes à se soulever en masse ». Rapport de Clairvaux, 17 juillet. (Arch. nat., F. 7. 3774.) - « Les paysans de l'Aisne exaspérés n'attendent qu'un signe pour se lever en masse. Rapport du général de Langeron, Laon, 25 juillet (Arch. Guerre). -Les habitants d'Orléans sont exaspérés par les exigences et les vexations des Prussiens. On craint un soulèvement ». Rapport de la 1re division militaire, 26 juillet. (Arch. Guerre). Les habitants des campagnes sont déterminés à courir sus à l'ennemi au premier signal. » Rapport de Cherbourg, 23 août (Arch. Guerre) A Chartres, un soldat prussien a été tué d'un coup de couteau sur la promenade publique... Les Prussiens très inquiets forcent les habitants à goûter les mets avant eux. » Maison à Gouvion-Saint-Cyr, 29 août (Arch. Guerre.) - Il y a menace de révolte à Lyon contre les Autrichiens ». Rapport de Lyon, 30 août. (Arch. Guerre.) « Deux coups de tocsin ont suffi à assembler la population d'Auxerre pour exterminer les Bavarois. J'ai eu grand'peine à rétablir le calme. »>< Rapport du sous-préfet d'Auxerre, 16 octobre. (Arch. uat.. F. 7. 3775.)

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prendre le matériel de guerre, à rançonner les villes, à se nantir de nouveaux gages pour imposer de plus dures conditions de paix. C'était triple profit. Le roi voulait défendre son bien; mais asservi aux Alliés

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à ses alliés ! il lui fallait donner des ordres ostensibles pour la reddition tandis qu'il en envoyait de secrets pour la résistance qui étaient transcrits sur des parcelles de papier « grandes comme l'ongle - du pouce1. »

Au reste, les gouverneurs et les soldats, plus déterminés encore que les chefs, n'avaient pas besoin des exhortations de Louis XVIII pour faire tout leur devoir. « J'ai 326 hommes armés, écrivait le commant de Vitry. L'honneur parle, je me défendrai. » « L'ennemi, écrivait Daumesnil, n'entrera dans le château de Vincennes que lorsque je ne serai plus. >> « Je ne rendrai Strasbourg, disait Rapp à un parlementaire autrichien, qu'après que mes soldats auront mangé des cuisses autrichiennes comme ceux que j'avais à Dantzig ont mangé des cuisses russes. » Et le général Ducos faisait à l'envoyé du prince de HesseHombourg cette réponse bien française, d'un tour familier et héroïque : « Rendre Longwy! J'y songerai quand mon mouchoir brûlera dans ma poche 2. >>

A Soissons, l'intrépide colonel Gérard et ses soldats qu'il enflammait ne voulaient point de reddition. «Ils avaient, dit un rapport d'un commissaire français, le général Grundler « la ridicule présomption

1. Précis de l'état de la France après le retour du roi [par d'Hauterive?]. De Caux à Reyneval, 20 nov. Etat des effets de l'artillerie enlevés par les troupes alliées dans les places, s. d. [novembre]. (Arch. Aff. étrang., 647.) Pasquier, Mém., III, 352-353. Vitrolles, Mém., III, 135-136. Ministres alliés à Talleyrand, 3 août : « ... Nous considérons la susbtitution du drapeau blanc au drapeau tricolore comme une ruse de guerre criminelle. » Cf. Richelieu à Wellington, 16 octobre. (Arch. Aff. étrang.,

691 et 693.)

2. Commandant de Vitry à Davout, 30 juin. Daumesnil à Davout, 21 juin. (Arch. Guerre). Rapp. Mém., 375-376. Général Hugo Journal du siège de Thionville, 141.

de tenir jusqu'à la dernière extrémité. » Mais Gérard dut cesser sa résistance le 6 août, sur un ordre exprès du ministre de la guerre 1. Laon capitula le 9 août, malgré l'opposition de la troupe, sous la menace du commissaire du roi d'être déclarée ville rebelle 2. Philippeville, bombardé par quarante-huit pièces de 24 et dix-huit mortiers et obusiers, résista jusqu'au 10 août; Mézières jusqu'au 11; Rocroi jusqu'au 17; Auxonne jusqu'au 26; Givet jusqu'au 9 septembre; la citadelle de Sedan, jusqu'au 15; Montmédy jus qu'au 19; La Fère jusqu'au 5 novembre. Malgré le plus rigoureux blocus, les assauts renouvelés, les bombes et les boulets rouges, Verdun, Toul, Landau, Condé, Douai, Bitch, Thionville, Schelestadt, Neuf-Brisach, Briançon, Charlemont, Valenciennes, Sarrelouis, Belfort, le fort de Joux, Phalsbourg, la Petite-Pierre, la citadelle d'Antibes, Lille, Strasbourg, Metz restèrent inviolées 3.

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Et chacune de ces places n'avait pour garnison qu'une poignée d'hommes, canonniers, fusiliers des dépôts, vétérans, retraités, gendarmes, gardes nationaux sédentaires. L'empereur avait pourvu à la défense des villes-fortes au moyen de nombreux bataillons de gardes nationaux mobilisés, mais le roi, soit

1. Rapport de Grundler, 6 août (Arch. Guerre.)

2. Laugeron à Gouvion Saint-Cyr, Laon, 2 et 7 août. (Arch. Guerre.)

3. État des places mises en état de siège. (Arch. Guerre, à la date de juillet. Damitz, II, 224 à 261. Journal du blocus de la Fère, Journal du blocus de Landau Rapports et lettres au ministre, août-novembre. (Arch. Guerre.) Sur Verdun, cf. Ministres alliés à Talleyrand, 14 et 15 juillet. (Arch. Aff. étrang., 690.) — Sur Antibes, rapport de la 8o division militaire, 21 oct. (Arch. Guerre.) Sur Condé, les paroles du général Bonnaire devant le conseil de guerre. (Procès de Bonnaire, 142.) « J'ai conservé la place qui ne serait plus à S. M. Louis XVIII si les Hollandais Y fussent

entrés. >>

Metz que défendait Belliard, Strasbourg où commandait Rapp, et Lille, qui eut pour gouverneur tour à tour Lapoypée pour l'empereur et Bourmont pour le roi, ne furent pas, à proprement parler, assiégés. Elles furent seulement investies, et, en vertu de conventions particulières, il y eut bientôt armistice entre les avant-postes.

par légèreté, soit sous la pression des Alliés, avait rendu une ordonnance portant licenciement immédiat de ces bataillons1. L'ennemi s'empressa de faire connaître l'ordonnance royale dans les places qu'il assiégeait. Il en résulta que presque partout les mobilisés, forts de leur droit, réclamèrent leur libération. Où les gouverneurs la refusèrent, il y eut des désertions en masse qui furent, on le conçoit, favorisées par les assiégeants 2.

Au nombre des sièges soutenus en 1815, le plus fameux est la défense de Huningue. Huningue commandait les débouchés du pont de Bâle. Il fallait dans cette place un gouverneur à l'âme intrépide. Napoléon y envoya Barbanègre, le défenseur de Stettin en 1813, l'ancien colonel du 48° qui à Austerlitz avait pris aux Russes quatre canons et trois drapeaux. La garnison se composait de 2700 hommes: 115 canonniers du 1er régiment d'artillerie, 53 canonniers sédentaires, 38 soldats du 6° de ligne, 4 gendarmes, 250 vétérans invalides, 60 douaniers et environ 2200 gardes nationaux mobilisés. Le 27 juin, s'approchèrent les premiers détachements du corps de l'archiduc Jean. Le prince fit sommer Barbanègre qui répondit : « — J'ai de la poudre et de l'honneur, je ne me rendrai point. » Leur parc de siège n'étant pas encore arrivé, les Autrichiens se bornèrent à investir la place. Pour passer le temps, ils brûlèrent quelques villages aux environs.

1. Moniteur, 25 juillet. Circulaire de Gouvion Saint-Cyr, 25 juillet. (Arch. Guerre.) 2. Journal des blocus de Landau, Longwy, La Fère, Huningue, etc., et rapports et dépêches des gouverneurs des places à Gouvion-Saint-Cyr, juillet-août (Arch. Guerre). Par l'effet de l'ordonnance de licenciement, écrivait Belliard (Metz,

28 juillet) toutes les places vont se trouver sans garnison.

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3. Journal du siège de Huningue. Davout à Lecourbe 18 juin. Lecourbe à Davout, Altkirsch, 20 juin (Arch. Guerre).

4. Journal du siège de Huningue. Damitz, II, 261.

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