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lutôt que les défenseurs des accusés. » Le commissaire du roi, un ordonnateur des guerres, n'eut pas ine attitude moins extraordinaire. Au lieu de s'en enir à la discussion des questions de formes, les seules soumises au conseil, il prononça un réquisitoire dans le style de Fouquier-Tinville : « Les deux frères, se glorifiant d'une horrible solidarité, osaient élever audacieusement leur tête hideuse d'un demi-siècle de crimes... Que leur supplice apprenne aux conspirateurs que la persévérance dans le crime fatigue la clémence. » L'arrêt de mort fut confirmé à l'unanimité. Les Faucher dormaient quand on entra dans le cachot pour leur annoncer que leur pourvoi était rejeté et que l'exécution aurait lieu le lendemain. «< Parbleu! dit César, ce n'était vraiment pas la peine de nous réveiller1. >>>

Le lendemain, 27 septembre, les deux frères qui avaient accoutumé de s'habiller l'un comme l'autre, revêtirent des polonaises et des pantalons entièrement blancs et se firent raser. Un officier les invita à se presser. «Bah! dit Constantin, on ne partira pas sans nous! » Ils refusèrent un prêtre, et, avant de quitter la prison, ils s'embrassèrent une dernière fois, craignant qu'au moment de la mort leur sensibilité ne parût une marque de faiblesse. Du fort du Hà à la prairie de la Chartreuse où ils devaient être fusillés, il y a plus d'une lieue. Ils firent le trajet à pied, se donnant le bras, causant, se souriant parfois, et paraissant aussi tranquilles que s'ils allaient se promener à la Réole, sur les bords familiers de la Garonne. Devant le peloton d'exécution, ils se tinrent par la main; l'un d'eux commanda le feu. César tomba mort, Constantin qui respirait encore se sou

1. Procès des frères Faucher, 394-400, Edmond Géraud, Journal intime, 298.

leva pour regarder tendrement son frère. Un sousofficier lui tira un coup de fusil dans l'oreille 1.

Des placards portant en grosses lettres : Jugement des frères Faucher furent affichés dans toute l'étendue de la 11 division militaire. A Bayonne, quelqu'un effaça le mot Jugement, et, à la place, il écrivit Assassinat 2.

II

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Avant de décider le sort de la France, les Alliés réglèrent les derniers destins de Napoléon. Il avait dit qu'il se confiait volontairement à l'Angleterre. Mais si les paroles perfides de Maitland l'avaient affermi dans cette résolution, le gouvernement anglais n'avait pris aucun engagement envers lui; et après avoir dépensé plus de vingt milliards de francs pour le combattre, l'Angleterre ne pouvait pas ne point le mettre hors d'état de tenter un nouveau retour de l'île d'Elbe. Selon les paroles de lord Roseberry, «il fallait paralyser une force et une intelligence qui se trouvaient trop gigantesques pour la sécurité du monde. » Le duc de Sussex et lord Holland rédigèrent une protestation contre la conduite du ministère tory. Le Morning Chronicle publia une consultation de Capel Lofft où ce jurisconsulte déclarait que Bonaparte, s'étant mis sous la sauvegarde des lois anglaises, pouvait requérir du Lord Chancelier un

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1. Edmond Géraud, Journal intime, 298 (source royaliste). Procès des frères Faucher, 402-403. La dernière lettre écrite le matin même de l'exécution par les frères Faucher, témoigue le calme de leur âme : << Dans une heure, nous ne serons plus. Nous allons être fusillés par une de ces erreurs, que justifient les exaltations populaires. (A Davout, fort du Hà, 27 septembre. Dossier des frères Faucher. Arch. Guerre.)

2. Analyse de la correspondance des Préfets, 20 octobre. (Arch, nat., F. 7, 3774.) 3. Roseberry, Napoléon, 72.

writ d'habeas corpus. Un officier de marine eut l'idée de citer Napoléon comme témoin devant le banc du roi et obtint une assignation (sub poena) qui fut portée à l'amiral Keith et que celui-ci esquiva en sautant dans un canot et en s'éloignant à forces de rames1. Mais les quelques Anglais qui croyaient à l'hospitalité anglaise avaient contre eux l'opinion de l'Angleterre. Le Times, le Morning Post, le Courrier, tous les journaux fulminaient contre « le plus infâme des criminels ». Les uns demandaient que Bonaparte fût pendu, d'autres livré à Louis XVIII, d'autres emprisonné dans la citadelle de Dumbarton ou à la Tour de Londres, d'autres déporté au bout du monde, d'autres enfermé dans une cage de fer. « Si nous n'avons pas le pouvoir de pendre Bonaparte, disait le Times, je ne vois quel pouvoir nous aurions de le garder prisonnier. » Et le Times concluait à la pendaison. Un certain Lewis-Goldsmith adressa aux souverains alliés une lettre ouverte pour les conjurer « de traduire Bonaparte devant un tribunal européen qui le condamnerait à mort. »

En France, chez les exaltés du parti royaliste, c'était le même acharnement, la même soif de sang. La Bouisse, poète élégiaque, écrivit à Wellington : « La France a besoin d'un grand exemple. Il faut que les conspirateurs meurent, et surtout il faut sacrifier le chef des coupables, cet usurpateur couvert de crimes qui a fait à votre généreuse nation l'insulte d'espérer un asile parmi vous. Buonaparte n'est pas un souverain, ce n'est pas même un homme; c'est un

1. Lewis Goldsmith. Procès de Buonaparte, 94-95, 116-117, 150-151. Maitland, Relation, 184-192. Roseberry, Napoléon, 74. Cf. Lord Holland, Souv., 147-148. 2. Articles des journaux anglais cités dans l'Itinéraire de Buonaparte à Sainte-Hélène (par Mayeur), 16-24, 37-39. Lewis-Goldsmith, Procès de Buonaparte, 40-41, 67,

monstre. Il faut qu'il meure. La France ne peut être sincèrement unie à l'Angleterre qu'à ce prix1. »

En apprenant la capture de Napoléon, les ministres étrangers réunis à Paris pensèrent d'abord qu'il serait emprisonné à perpétuité au fort Saint-Georges dans le nord de l'Ecosse. Mais ce n'était pas l'avis du cabinet anglais. Dès le 21 juillet, Liverpool écrivit à Castlereagh : « Comme la meilleure façon d'en finir avec Bonaparte, nous voudrions que le roi de France le fit pendre ou fusiller, mais si cela n'est pas pratique, et que les Alliés désirent que nous nous chargions de lui, nous ne demandons pas mieux. Cependant nous ne voulons pas l'emprisonner ici. De très gentilles questions légales pourraient survenir qui seraient embarrassantes. Il serait aussi à craindre qu'il devint l'objet de la compassion populaire. Et s'il restait en Europe, cela ferait fermenter la France. M. Garrow recommande Sainte-Hélène comme le meilleur lieu d'internement. Il y a une très belle citadelle où il pourrait demeurer. Toute intrigue y sera impossible. Et, si loin! Bonaparte sera vite oublié. » A la conférence du 28 juillet, Castlereagh soumit aux plénipotentiaires d'Autriche, de Russie et de Prusse la proposition du cabinet de SaintJames. Ils l'adoptèrent presque sans discussion et

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1. A Wellington, Narbonne, 31 juillet, (cité par La Bouisse, Seconde Lettre aur Français, 12). Le Retour de Buonaparte en France, 28 : « Buonaparte est le Messie de tous les scélérats. Il n'y aura jamais de véritable sûreté pour le genre humain que dans la mort de cet homme. Barruel-Bauvert, Lettres, III, 287

288 : a Il n'y a que les morts qui ne reviennent pas; et cependant ce cruel et féroce tyran ne sera ni roué, ni écartelé, ni brûlé! »

2. Metternich à Marie-Louise, Paris, 18 juillet. (Mémoires, II, 525-526.) — Dans un rapport confidentiel du 19 juillet (Supplementary Dispatches of Wellington), il est dit que le czar et le roi de Prusse opinaient pour que Napoléon fût mis à mort, mais qu'ils cédèrent à l'empereur d'Autriche qui proposa une détention perpétuelle. Je doute que le czar fût si implacable.

3. Liverpool à Castlereagh, 21 juillet (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 47.)

demandèrent seulement que chacune des grandes puissances eût un commissaire à Sainte-Hélène « de façon à pouvoir répondre aux bruits de la malveillance. » Castlereagh n'ayant point fait d'objection, ils insérèrent au protocole que « tout ce que le gouvernement de la Grande-Bretagne se chargerait de faire pour conduire et garder en lieu sûr Napoléon Bonaparte lui donnerait de nouveaux titres à la reconnaissance de l'Europe. » Cinq jours plus tard, le 2 août, ils s'avisèrent que le roi de France était intéressé dans cette question. Ils daignèrent informer le cabinet des Tuileries de la décision prise et l'invitèrent à désigner un commissaire pour Sainte-Hélène1. Talleyrand choisit le marquis de Montchenu. « C'est un bavard ignorant et pédant, dit-il, l'homme le plus ennuyeux du monde. C'est la seule vengeance que je veuille tirer de Napoléon2. »

La déportation de l'empereur était un projet vieux d'un an. Dans l'automne de 1814, on avait intrigué hors séances au congrès de Vienne pour enlever Napoléon de l'île d'Elbe et le transporter dans quelque île très lointaine de l'Océan. On désignait la Trinité, Sainte-Hélène et, de préférence, SainteLucy dont le climat meurtrier aurait vite délivré l'Europe de ce captif redouté 3. Si, en 1815, on renonça à Sainte-Lucy, sans doute ce ne fut pas par humanité. Située dans un archipel et non loin du littoral américain, Sainte-Lucy offrait des facilités d'évasion. Sainte-Hélène, au contraire, « petite île >> perdue dans l'Océan, inabordable, sauf sur un seul point, et d'où les vigies apercevaient les navires à une distance incroyable, présentait toutes les con

1. Protocoles des conférences des 28 juillet et 2 août. (Arch. Aff. étrang., 1803.) 2. Rochechouart, Souv., 404-405.

3. 1815, I, 169.

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