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blît la France en lui prenant de grands territoires, mais à qui seraient-ils attribués ? L'Alsace à la Bavière ou au prince héritier de Wurtemberg, beau-frère du Czar? la Lorraine à la Prusse ? la Flandre aux PaysBas? Ce n'était point l'intérêt de l'Autriche. Elle convoitait l'Alsace et la Lorraine pour l'archiduc Charles, mais la Prusse s'opposerait à cette prétention. Dans la crainte de redoutables complications au partage des dépouilles de la France, Metternich se rallia au projet anglo-russe1. Désormais, c'était la Prusse qui dans la conférence se trouvait seule contre trois. Elle n'en demeura pas moins intraitable pendant quelques jours; finalement elle céda, mais en proposant que la contribution de guerre fût fixée à douze cents millions, « pour que le roi FrédéricGuillaume pût soulager ses sujets ruinés par les Français ». La Prusse continuait à mendier les armes à la main, selon l'expression de Vitrolles. Cette somme jugée exorbitante, les plénipotentiaires prussiens exigèrent, en compensation, la cession de Sarrelouis; ils en faisaient une condition sine qua non3.

On se mit d'accord. Le 17 septembre, les plénipotentiaires des quatre cours rédigèrent un projet de traité sur les bases suivantes : 1° Cession des villes et territoires de Philippeville, Marienbourg, Givet, Chartemont, Condé, Sarrelouis et Landau, du fort de Joux et du département du Mont-Blanc; 2° démolition des fortifications de Huningue ; 3° contribution de guerre de six cents millions et indemnité de deux cents millions pour l'établissement de forteresses vers la frontière française; occupation, pour trois ans au moins

1. Schaumann, Geschichte des Zweiten Pariser Friedens für Deutschland, 81. Gervinus, Histoire du XIXe siècle, I, 224.

2. Schaumann, Appendice, XIII. Hardenberg au Prince Régent, Paris, 18 sept. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 162.)

et sept ans au plus, de douze places-frontières par 150 000 soldats des armées alliées, ces troupes devant être entretenues aux frais de la France. Une note fut envoyée au prince de Talleyrand pour le prévenir que les ministres des cabinets réunis étaient prêts à entrer en communication avec le gouvernement français sur les arrangements définitifs".

III

Les élections générales avaient eu lieu dans la dernière quinzaine d'août. Le ministère comptait sur une majorité constitutionnelle 3. Il s'y prit mal pour l'obtenir. Afin de s'assurer contre la réélection des jacobins et des bonapartistes élus pendant les Cent Jours comme aussi des libéraux gênants qui avaient fait partie de la Chambre de 1814, on crut habile de retirer l'électorat direct aux collèges d'arrondissement. En vertu de l'ordonnance royale du 13 juillet, ces collèges, recrutés presque sans condition de cens, n'eurent plus que le droit de désigner les candidats au choix des collèges des départements qui se composaient des citoyens les plus imposés. Les préfets furent | autorisés, en outre, à adjoindre aux collèges incomplets (ils l'étaient tous) jusqu'à vingt nouveaux électeurs qu'ils devraient désigner parmi les royalistes

1. Hardenberg au Prince Régent, Paris, 18 sept. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 162.) Ultimatum sous forme de projet de traité, présenté le 20 septembre. (Arch. Aff. étrangères, 672.)

2. Les ministres alliés à Talleyrand, 19 sept. (Arch. Aff. étrangères, 672.)

3. Boni de Castellane, Journal, 196. Barante, Mém., II, 195-196. Pasquier, Mem.. III, 411. Vitrolles, Mém., III, 220. Guizot, Mém., 1, 105. Cf. Fiévée, Session de 1815, 137-138.

4. Lettres et rapports du 13 juillet au 30 juillet. (Arch. nat., Fie II, 47.) Moniteur, 15 juillet. Sur la composition et les attributions des collèges électoraus. voir 1815, I, 10.

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modérés. » Les préfets qui sentaient le vent désignèrent des royalistes ultras'. Enfin, dans plusieurs villes du Midi, des électeurs libéraux, redoutant les menaces des miquelets et des verdets toujours altérés le sang, s'abstinrent de prendre part au scrutin “. Pour toutes ces raisons, et pour celle-ci encore que dans les temps de troubles on va aux extrêmes, les Electeurs donnèrent une Chambre terriblement réacionnaire, cette assemblée fameuse qui représentait quinze mille électeurs directs" - à peu près 2 pour 1000 des citoyens et qu'on allait surnommer la

Chambre introuvable.

« Les élections sont bonnes », dirent les minisres en apprenant les premiers résultats. Ils vient bientôt qu'elles étaient trop bonnes. Fouché urtout. Avant même la réunion des collèges électoaux, le duc d'Otrante avait prévu l'orage. Son riomphe suprême, sa nomination de ministre du ɔi, risquait d'être cruellement éphémère. La roscription du 24 juillet dont il s'était fait le pouroyeur avait retourné contre lui tout son ancien arti. « Où veux-tu que j'aille, traître?» lui avait rit Carnot; à quoi il avait répondu, au bas du même llet: « Où tu voudras, imbécile ! » Mais si Fouché

Barante, II, 196. Pasquier, III, 411-412. Cf. Talleyrand, Mém., III, 247. Hobise, Lettres, II, 254.

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Rapport du commandant de gendarmerie de Toulouse, 18 août. (Arch. rre.) Sur la veille des élections à Nîmes, 1815, III, 471. En dehors du i même, on avait pris des mesures contre l'élection de mal-pensants, témoin ce port de Bar-le-Duc, du 20 août (Arch. Guerre) : « Toutes les mesures sont prises r que les hommes soupçonnés de n'être pas agréables au gouvernement du roi soient pas nommés. »>

. Les votants dans les 88 collèges électoraux de départements s'élevèrent en Fenne à 170 par collège, et les 396 députés furent élus en moyenne par 150 sufes. (Voir le recensement des votes, Moniteur, 22 septembre.)

Vitrolles, III, 220.

Rapport confidentiel à lord Wellington, 7 août (Supplementary Dispatches, 108), Rochechouart. Souvenirs, 406 (d'après le récit du maréchal Gouvion t-Cyr).

se moquait bien alors des jacobins, de leur indignation et de leurs reproches, il lui fallait l'appui des royalistes. Or les royalistes, qui avaient à l'envi poussé Louis XVIII à l'admettre dans son conseil quand ils attendaient de lui l'ouverture des portes de Paris, s'apercevaient que c'était un régicide maintenant que la restauration était accomplie '. Lorsqu'il entrait chez le roi, il voyait les courtisans s'écarter de son passage et les entendait murmurer. Un jour, particulièrement irrité de ces susurrations, il poursuivit jusque dans l'embrasure d'une croisée le duc de X... qui avait servi la police impériale pendant l'émigration et lui dit d'un ton moqueur : << Monsieur le duc, je ne suis donc plus de vos amis ! Il est vrai que nous vivons dans des temps meilleurs. Il n'est plus nécessaire au ministre de la police de payer les gens pour savoir ce que fait le roi à Hartwell. » Dans les salons, dans les lieux publics, dans les assemblées électorales, les royalistes << rectilignes » s'indignaient contre la présence au ministère de Talleyrand, de Pasquier et surtout de Fouché. Au jardin des Tuileries, on criait : Vive le roi! A bas les ministres ! Une société secrète, dite des Francs régénérés, s'organisa, pour surveiller les actes du traître Fouché. Cette association avait la protection occulte de Decazes qui brûlait de remplacer le duc d'Otrante. Dans le cabinet même, les collègues de Fouché lui étaient sourdement ennemis; ils cherchaient à se délivrer de ce compromettant associé, << de cette pierre au cou2 ».

1. Wellington à Dumouriez, Paris, 26 sept. (Dispatches, XII, 627.) Rapport sur l'état de la France [par d'Hauterive ?]. (Arch. Aff. étrangères, 647.)

2. Wellington à Dumouriez, 26 sept. (Dispatches, XII, 627.) Géraud, Journal intime, 285. Fouché à Decazes, juillet. (Papiers de Gaillard, cités par Madelin. Fouche, II, 474). Pasquier, IV, 105. Vitrolles, III, 191, 197-202. Mémoires manuscrits de Gaillard (comm. par Mme Martineau). Cf. Guizot, Mém., I, 103.

Pour se défendre, Fouché attaqua; il chercha un regain de popularité qui, en imposant à ses obligés de la veille, le maintînt au ministère. Le 5 août', pendant la séance du conseil, il tira lentement de sa poche un volumineux rapport, et, de l'air indifférent qui lui était devenu naturel, il en donna lecture. C'était un acte d'accusation contre les Alliés. Fouché dénonçait leur manquement à des promesses solennelles, disait leurs exactions et leurs violences et concluait par cette menace: « Le moment approche où l'on ne prendra plus conseil que du désespoir... Une fureur aveugle succédera à la résignation. Chaque pas des soldats étrangers sera ensanglanté... Un peuple de trente millions d'habitants pourra disparaître de la terre. Mais dans cette guerre d'homme à homme plus d'un tombeau renfermera, à côté les uns des autres, et les opprimés et les oppresseurs 2.

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Les ministres qui, sauf peut-être Talleyrand, n'étaient prévenus de rien écoutèrent ce rapport avec stupeur. Le roi avait toujours de l'à-propos; il dit judicieusement: « Ce tableau est bien sombre, mais du moment où les choses paraissent ainsi au duc d'Otrante, il a bien fait de me les représenter telles qu'il les voit. Cette sincérité ne saurait d'ailleurs avoir d'inconvénient, car rien de ce qui se dit ici sous le sceau du secret ne saurait transpirer au dehors3. » Ce rapport répondait aux sentiments de toutes les provinces occupées, mais sa divulgation pouvait avoir des conséquences graves pour l'issue

1. Pasquier, Mém., III, 385. Cf. Fouché à Mme de Custine, 6 août (cité par Bardoux, Mme de Custine, 259).

2. Rapport du duc d'Otrante sur la situation de la France (copie classée par erreur en juillet (Arch. Guerre.) - Selon Pasquier ce rapport fut rédigé par Huet, ancien député des Cent Jours. D'autres contemporains l'attribuent à Manuel. J'y reconnais la rhétorique de Manuel, mais avec plus de clarté, de précision et de force. 3. Pasquier, III, 386. Cf. Vitrolles, III, 188. Talleyrand, III, 255.

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