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autorisé à en entendre ni à en proposer d'autres'. Ce fut le dernier acte de Talleyrand. Le 24 septembre, le duc de Richelieu, émigré de la première émigration, ancien gouverneur d'Odessa et ami personnel du czar, fut nommé président du Conseil avec Clarke à la guerre, Vaublanc à l'intérieur et Decazes, qui remplaçait Blacas dans la faveur de Louis XVIII, à la police générale2. C'était un cabinet de réaction homogène. « «Voilà un excellent choix, dit Talleyrand. M. le duc de Richelieu est certainement l'homme de France qui connaît le mieux la Crimée . >>

1. Note des plénipotentiaires français, 22 sept. (Arch. Aff. étrangères, 692. Cette note, longue et confuse, avait été, dit-on, rédigée par La Besnardière.

2. Gazette officielle, 25 septembre. - Corvetto, un spécialiste sans couleur politique accusée, et Barbé-Marbois, un modéré qui n'eut aucune influence dans le Conseil, furent nommés deux jours plus tard aux finances et à la justice.

3. Rochechouart, Souvenirs, 414. Cf. Géraud, Journal intime, 338, qui cite tout de travers ce joli mot.

CHAPITRE V

LA FIN DU DRAME

I.

La France à l'avènement du ministère Richelieu (août-décembre). Les assassinats du Midi. Les séditions militaires.

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II. Le Traité de paix.

III. La Chambre introuvable.

IV. Le procès et l'exécution du maréchal Ney.

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V. L'évasion de Lavallette. La Loi dite d'amnistie. Les nouvelles proscriptions.

I

Richelieu prit le pouvoir dans les pires circonstances. D'un côté, l'Europe imposant un traité funeste; de l'autre, la France occupée et ravagée par l'ennemi, divisée et agitée par des passions furieuses, peuplée de mécontents et de factieux, d'oppresseurs et d'opprimés. Depuis que Fouché avait lu au roi ses trop véridiques rapports, les choses ne s'étaient pas modifiées. C'était le même antagonisme entre les partis, la même animosité entre les individus, les mêmes désordres et les mêmes attentats.

Paris, où tout se passe en chansons jusqu'à ce que gronde l'émeute, était relativement calme. On se bornait à nommer Louis XVIII: « Louis l'Inévitable », « le roi de l'étranger », « le roi sans royaume », « le roi des Tuileries », à prédire «< qu'il n'en n'aurait pas

pour vingt-quatre heures après le départ des Alliés », à porter des œillets rouges, à se passer un pamphlet intitulé Recette contre la rage royale et à s'amuser d'une caricature où Louis XVIII était représenté à genoux devant les souverains occupés à dépecer la France. Le peuple, il est vrai, faisait des manifestations plus bruyantes et plus brutales. On criait : Vive l'empereur! dans le jardin des Tuileries; on restait la tête couverte au passage du roi et sur le parcours des processions; on arrachait leurs insignes à des décorés du Lys; on remplaçait dans les bénitiers l'eau lustrale par de l'encre. Le soir de la saint Louis, des Prussiens dansaient avec de « bons Français >> dans la rue Geoffroy-Lasnier; on les arrosa d'une mansarde avec une potée d'eau sale, pour ne pas dire plus. Ces incidents provoquèrent d'assez nombreuses arrestations, cinq par jour, en moyenne, pendant trois mois, mais ils faisaient peu de bruit et ne troublaient pas le cours de la vie parisienne où aux distractions ordinaires des belles dames s'ajoutaient les plaisirs nouveaux de visiter le camp anglais du Bois de Boulogne et d'aller entendre au Luxembourg la musique militaire prussienne 3.

1. Rapports de police, septembre à décembre. (Arch. nat., F. 7, 3773, F. 7, 3775, F. 7. 3795.) Rapports de police militaire, 27 octobre, 13 novembre. Rapport de d'Espinois, 25 décembre. (Arch. Guerre.) Comtesse Granville, Letters, 1, 65, 69.

2. 173 arrestations, du 20 août au 20 septembre; 146, du 20 septembre au 20 octobre; 163, du 20 octobre au 20 novembre. Les mois suivants, le nombre tombe à 75 et 70. (Etat des personnes arrêtées, fin décembre.) (Arch. nat., F. 7, 36211.) Un rapport de police du mois de novembre porte « la loi sur les manifestations séditieuses impose aux malveillants ».

3. Rapport de police militaire, 14 septembre. (Arch. Guerre.) Comtesse Granville, Letters, 1, 70. — J'ai cependant plaisir à constater que Wellington ayant jugé à propos de donner un grand bal le 1er août, les femmes de la noblesse s'abstinrent d'y aller, encore que M. de Mesnard, aide de camp du duc de Berri, leur ait conseillé de s'y rendre en masse. Lady Granville parle de ce bal singulier où il y avait quatre cents hommes et à peine une quarantaine de femmes, dont huit ou dix Françaises seulement. Parmi celles-ci, la comtesse de N... dansait avec entrain; elle dit à quelqu'un qui lui demandait comment elle se portait : Aussi bien que l'on peut être après avoir dansé sur les ruines de sa patrie. »

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En province, la réaction est plus vexatoire et plus menaçante; on y parle derechef des biens nationaux et des droits féodaux, on y souffre davantage, aussi, les maux de l'invasion. Il en résulte une exaspération plus grande contre le roi à qui l'on attribue les ravages des Alliés comme le triomphe de la contre-révolution. Tout l'Est et tout le centre de la France, depuis les Cévennes et les Alpes jusqu'au littoral normand, retentissent des cris: A bas le roi! Vive l'empereur ! A bas les Bourbons! Dans un millier de villages de trente départements, on abat les drapeaux blancs. A Belfort, à Sarrebourg,

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1. Dans les campagnes on craint le rétablissement de la dime et des droits seigneuriaux. Analyse de la Correspondance des préfets, 29 juillet. (Arch. nat., F. 7, 3044 b). << Les royalistes ont contre eux les acquéreurs de biens nationaux, les paysans qui craignent le retour des droits féodaux et les petits bourgeois qui exècrent les nobles par vanité. » Rapport sur l'esprit de la 180 division militaire, 1er octobre. (Arch. Guerre.) - » Je pense que le roi se maintiendra si ses courtisans et sa famille ne le contraignent pas à prendre quelque mesure qui alarme sérieusement les propriétaires de biens nationaux. »>> (Wellington à Liverpool, 14 nov. Dispatches, XII, 691.) -(( La nation indignée fait retomber sur l'infortuné Louis XVIII les malheurs dont il est la première victime. » Général Gordone à Wellington, 26 juillet (Suppl. Dispatches, XI, 64). «< 8 000 émigrés dépossédés dans les Pyrénées-Orientales, 4 000 acquéreurs. Il est impossible de mettre tout cela d'accord. » Préfet, Perpignan, 4 octobre. (Arch. nat., F. 7, 3775.) paysans qui étaient heureux sous l'empire sont aujourd'hui inquiets et mécontents. » Gazette d'Augsbourg, 30 septembre. L'opposition règne dans toutes les campaPréfet de l'Isère, 29 décembre. (Arch. nat.) A Epinal, où règne un faux esprit national, on confond la restauration avec les maux de l'invasion. » Préfet des Vosges, 12 oct. (Arch. nat., F. 3775.) Ce qu'il y a de plus affreux, c'est que la plupart de ceux qui souffrent s'obstinent à regarder le roi comme la cause de leurs maux et qu'ils regrettent toujours celui-là seul qui en est l'auteur et attachent ainsi à sa tête proscrite une coupable espérance. › Cayrol à Gouvion, Nevers, 14 août. (Arch. Guerre.) « Le parti de l'usurpateur est loin d'être abattu. » Préfet de la Loire, 6 octobre. Arch. nat., F. 7, 3775.) L'esprit bonapartiste et républicain a fait de grands progrès depuis un an. » Général de Vioménil à Clarke, 4 octobre. (Arch. Guerre.) » Le pire, c'est que dans l'idée du peuple les malheurs de l'occupation sont attribués au gouvernement. » Préfet de Seine-et-Marne, 22 octobre. (Arch. nat., F. 7, 3775.)

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2. Analyse de la correspondance des préfets, août-novembre. (Arch. nat., F. 7, 3775.) Extraits de la correspondance ministérielle, août-novembre. (Arch. Guerre.) Les départements où ces cris et ces actes se renouvellent le plus souvent sont l'Isère, l'Ain, le Rhône, le Jura, la Côte-d'Or, la Nièvre, l'Yonne, l'Aube, la Marne, la Haute-Marne, les Vosges, la Meurthe, la Meuse, les Ardennes, l'Aisne, la SeineInférieure, l'Orne, la Manche, les Côtes-du-Nord, les Deux-Sèvres, les Charentes,

on souille l'écusson royal. En Lorraine, les bourbonnistes craignent de porter publiquement la décoration du Lys. A Metz, on brûle le soir, sur une place, l'effigie de Louis XVIII. A Toul, on inscrit sur l'hôtel du marquis de V... : « Trahison, correspondance avec l'ennemi, vente du sang français, voilà les titres de la noblesse d'aujourd'hui. » A Bordeaux, où cependant le royalisme domine et opprime, il faut fermer un musée de figures de cire pour éviter les insultes aux bustes du roi et des princes. A Lyon, le 23 novembre, on arrête quatre individus qui tirent à la cible sur un portrait gravé de Louis XVIII; l'un d'eux dit aux gendarmes : « Si c'était lui en personne, je le fusillerais de même. » Le jour de la Saint-Louis, la moitié des habitants de Dommartin (Meurthe) crient: Vive l'empereur! autour du feu de joie; la même manifestation a lieu à Limoges. A Boulogne-sur-Mer, on distribue deux cents cocardes tricolores; à Elbeuf, on se dispute ces brochures d'un colporteur : l'Evangile selon Saint-Napoléon, la Résurrection de la Violette, le Départ du grand homme. A Moulins, le 13 septembre, un gros rassemblement parcourt les rues en chantant la Marseillaise et en criant: Vive l'empereur! A Caen, le même jour, douze jeunes gens crient: Vive Bonaparte! Vivre et mourir pour lui! Les cent ouvriers d'une filature de Lodève chantent journellement des chansons contre le roi; un beau dimanche, ils font monter sur une estrade une femme couronnée et un enfant, et les acclament comme Marie-Louise et Napoléon II. Au Fousseret (Haute-Garonne) et à Lauterie (Dordogne), la population chasse des gendarmes venus pour arrêter des soldats coupables d'avoir

l'Allier, la Creuse, le Puy-de-Dôme, la Loire, la Corrèze, le Cantal, la Lozère, l'Aveyron, et même, chose imprévue, les Landes et les Basses-Pyrénées.

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