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IV

Les journaux célébraicnt le supplice de Murat, fusillé en Calabre1. La cour d'assises de la Seine venait de condamner à mort le comte Lavallette2. La Chambre des pairs jugeait le maréchal Ney.

Ney avait quitté Paris le 6 juillet, muni de plusieurs passeports à son nom et aux noms de Falize et de Neubourg. A Lyon, il apprit que les routes conduisant en Suisse étaient gardées par les Autrichiens. Il rétrograda vers Paris et s'arrêta quelques jours aux eaux de Saint-Albans, hésitant sur ce qu'il

tion. — Malgré le rejet de cette proposition, un très grand nombre de magistrats furent éliminés au moyen et sous le prétexte d'une réorganisation générale des cours et tribunaux. (Bérenger, De la justice criminelle en France, 230-231.)

1. Journal Général, Journal des Débats, Quotidienne, Gazette de France, 30 octobre au 14 novembre. Voici le ton « Murat était le paillasse de Buonaparte. Cette burlesque imitation n'a jamais éclaté plus follement que dans l'équipée dont la fin a été celle de sa vie... Ce qui est fàcheux, c'est que Buonaparte n'ait pas trouvé à Cannes comme Murat au Pizzo le sort qu'ils méritaient si bien tous les deux. >> Murat, après sa rencontre sur la route de Marseille avec la colonne de Verdier (1815, III, 163), était rentré dans la villa des environs de Toulon, il y resta jusqu'à la fin de juillet. Apprenant alors que les royalistes allaient l'arrêter, il se cacha dans la campagne et réussit à s'embarquer pour la Corse, le 21 août. Il y trouva un refuge chez le général Franceschetti, à Vescoveto dont les habitants en armes imposèrent aux gendarmes pendant un mois. Mais cette situation ne pouvait s'éterniser. Chassé d'Italie, proscrit en France, mis hors la loi en Corse, sans nouvelles d'un émissaire qu'il avait dépêché à Metternich pour avoir des sauf-conduits, Murat se jugea perdu. Cette perspective lui inspira le dessein de tenter dans le royaume de Naples l'aventureuse expédition que Napoléon avait faite en France au mois de mars. Il affrêta une felouque et cinq barques pontées et s'y embarqua le 29 septembre avec une dizaine d'officiers et 200 Corses. Pendant la traversée, la tempête trahison dispersa les barques. Il débarqua au Pizzo, avec vingt-six officiers et soldats. C'était un dimanche et un jour de marché. La populace, ameutée par le capitaine de gendarmerie, se rua contre Murat et sa petite troupe. Murat fut jeté dans un cachot de la forteresse. Le 13 octobre arriva de Naples l'ordre de traduire «<le général Murat» devant une commission militaire et d'exécuter la sentence un quart d'heure après qu'elle serait rendue. Murat refusa fièrement de comparaître devant les juges. Ils prononcèrent sa condamnation à 4 heures. A 4 heures et demie il fut fusillé. Il mourut le sourire aux lèvres, bravant la mort comme il l'avait fait sur tous les champs de bataille.

2. Le 21 novembre.

ou la

Le jury reconnut l'accusé coupable d'usurpation de fonctions publiques et de complicité dans l'attentat commis au mois de mars contre la personne du roi,

allait faire. Le 24 ou le 25 juillet, une personne de confiance envoyée par la princesse de la Moskowa l'engagea à se réfugier chez une parente de celle-ci qui habitait le château de Bessonies, sur les confins du Cantal et du Lot. Il y arriva le 29. Mais en route. il avait été reconnu. Un misérable dénonça au préfet du Cantal le passage « d'un individu ressemblant au maréchal Ney. » Le zélé fonctionnaire lança les gendarmes sur la piste. Le 3 août, Ney fut arrêté 1.

Ce sera un grand exemple », dit Talleyrand en apprenant cette arrestation. Gouvion Saint-Cyr réclama à Fouché le prisonnier, comme justiciable des conseils de guerre, en s'engageant à le faire conduire à Paris « sous bonne et sûre escorte ». Le prince de la Moskowa fut écroué à la Conciergerie le 19 août, jour de l'exécution de La Bédoyère. Déjà on s'était occupé de la formation du conseil de guerre. Les maréchaux Moncey, Masséna, Augereau, Mortier, les généraux Maison, Claparède, Villate, furent désignés pour y siéger. Masséna se récusa, alléguant sa mauvaise santé; Augereau écrivit qu'il était alité. Le ministre maintint ses choix. Mais Maison, très bien en cour, fut dispensé sur son observation que son ancienneté de grade ne l'appelait pas à ces fonctions; on nomma à sa place le général Gazan“. Jourdan reçut l'ordre de présider

1. Decazes à Talleyrand, 14 juil. (Arch. Aff. étr., 691.) Interrogatoire de Ney devant le conseil de guerre (Procès de Ney, I, 26.) Préfet du Cantal à Gouvion Saint-Cyr, Aurillac, 4 août. (Arch. Guerre.)

2. Barante, Souv., III, 228-229. Gouvion Saint-Cyr à Fouché, 14 août. (Arch. Guerre, dossier de Ney.) — Marmont rapporte (Mém., VII, 188) que Louis XVIII « gémit avec lui de l'arrestation de Ney. On sera peu touché par les gémissements de ces deux personnages dont l'un ne voulut pas ou n'osa pas grâcier Ney et dont l'autre le condamna à mort.

3. Lettre au roi (minute qui paraît de Gouvion Saint-Cyr), 19 août. Note pour le général Brenier, 29 août (Arch. Guerre.)

4. Masséna, Augereau, Maison à Gouvion Saint-Cyr, 22 et 23 août (Arch. Guerre,

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le conseil de guerre en remplacement de Moncey. Celui-ci était fermement résolu à ne point juger son camarade Ney. Il commença par invoquer comme excuses son état de santé et la perte d'un œil. Gouvion Saint-Cyr le menaça de lui appliquer l'article VI de la loi du 13 brumaire an V, portant destitution et emprisonnement contre quiconque refuse de siéger dans un conseil de guerre sans motif légitime. Moncey ayant répondu qu'il subirait ces peines, Louis XVIII lui dépêcha Vitrolles pour vaincre sa résistance1. Il resta inébranlable et exposa au roi, dans une lettre aussi digne que respectueuse, les motifs de son refus : Puis-je être le juge d'un accusé à qui nos lois donnent le droit de me récuser puisqu'il ne peut ignorer que c'est moi qui, le premier, ai fait passer dans les mains de Votre Majesté la preuve matérielle de la défection, et qui en ai manifesté hautement mon indignation? Puis-je être le juge du maréchal Ney lorsque la malveillance peut se croire autorisée à m'accuser moi-même en me voyant dépouillé de mes places de ministre d'État, de pair de France, d'inspecteur général de la gendarmerie, de président du collège électoral du Doubs et de toute marque de confiance? Enfin, il n'est pas impossible que Votre Majesté m'eût rendu un jour la justice que j'ai quelques droits d'attendre d'Elle. N'aurait-on pas pu donner au retour de vos bontés un motif contraire à mon honneur !... En persévérant dans ma résolution, je m'expose peut-être à toute la rigueur de Votre Majesté, mais quelle serait son opinion sur mon

dossier de Ney.) Quelques jours avant la réunion du conseil de guerre, Masséna tenta encore de se récuser en invoquant ses différends avec Ney à l'armée de Portugal (Minute, Archives du prince d'Essling), mais le conseil n'admit point la récusation.

1. Moncey à Gouvion et Gouvion à Moncey, 22, 24, 25 août. Moncey au roi, 20 août (Arch. Guerre, dossier de Ney.)

compte si, après avoir parcouru une carrière sans reproche, je cessais dans mes derniers jours d'écouter la voix de ma conscience1. » La réponse de Louis XVIII fut cette ordonnance royale: «M. le maréchal Moncey est destitué; il subira une peine de trois mois d'emprisonnement 2.

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L'instruction, bien que l'on s'efforçât de la mener rondement, fut très lente. Le conseil de guerre ne put se réunir que le 9 novembre. Le maréchal Ney ne voulait point être jugé par un tribunal militaire. « Ces b...-là! dit-il, ils me fusilleraient comme un lapin. » Les défenseurs élevèrent un déclinatoire fondé sur l'incompétence du conseil de guerre. Ils plaidèrent que le prince de la Moskowa était pair de France à l'époque où avaient eu lieu les faits incriminés, que d'ailleurs il n'avait pas perdu sa qualité de maréchal, et que, en conséquence, il devait être déféré à la Chambre des pairs. Ces propositions étaient contestables. Mais, trop heureux d'échapper à l'obligation de juger, de condamner Ney, les membres du conseil de guerre se déclarèrent incom pétents après un quart d'heure de délibération. Autour du roi, on cria à la trahison; dans le public, on dit que les juges militaires avaient montré la sagesse de Ponce-Pilate3.

1. Moncey à Louis XVIII, 26 août (Arch. Guerre, dossier de Ney.) Plusieurs historiens ont cité, au lieu de cette lettre, un manifeste déclamatoire où il est dit : « La postérité juge dans la même balance les rois et les sujets... L'échafaud ne fit jamais d'amis... Où étaient les accusateurs du maréchal Ney quand il parcourait tant de champs de bataille?... etc., etc. » Cette prétendue lettre de Moncey, d'ailleurs invraisemblable, est apocryphe. Non seulement elle n'existe ni en original ni même en copie aux Archives de la Guerre, mais Moncey lui-même a pris soin de la désavouer dans le recueil même qui l'avait publiée : « J'ai bien eu l'honneur d'écrire au roi en août 1815, mais je dois à la vérité de déclarer que la copie publiée n'est point celle de ma lettre. (Bibliothèque historique, tome VII [1819], p. 322.)

2. Ordonnance royale du 29 août (Moniteur, 1er sept.) Moncey subit sa peine à la citadelle de Ham. Au mois de juillet 1816, il fut réintégré dans son grade.

3. Procès de Ney, I, 55-69, Jourdan à Clarke, 10 nov. Note de police militaire,

Le mot était cruel; il paraît juste. L'empressement que mirent Jourdan, Augereau et les autres à accueillir le déclinatoire est une forte présomption que, quoi qu'on en ait dit, ils eussent condamné le maréchal. S'ils avaient cru possible de rendre un autre verdict, ils ne se seraient pas dessaisis. Le général de Rochechouart, qui veilla à l'exécution de Ney, dit que les membres du conseil de guerre <<< étant à peu près aussi coupables que l'accusé, n'auraient pas osé voter la mort ». A considérer la misérable faiblesse humaine, l'état de suspicion où se trouvaient ces juges les aurait plutôt engagés à la sévérité. Et, d'ailleurs, la défection de Ney étant évidente, un tribunal militaire pouvait-il ne pas appliquer la loi? Ney avait donc mieux à espérer de la Chambre des pairs où les juges moins étroitement asservis à la lettre de la loi, et plus indépendants puisqu'ils étaient nommés à vie, pourraient écouter leur cœur et leur raison.

Mais le gouvernement allait créer au Luxembourg une atmosphère de terreur. En notifiant à la Chambre. des pairs l'ordonnance royale qui enjoignait de procéder sans délai au jugement du maréchal Ney, Richelieu prit le ton d'un accusateur public, et d'un accusateur public requérant au nom de l'étranger. « Ce n'est pas seulement au nom du roi, dit-il avec véhémence, c'est au nom de la France depuis long

11 nov. (Arch. Guerre, dossier de Ney.) Rapport de police, 13 nov. (Arch. nat., F. 7, 3799.) Ch. de Rémusat à sa mère, 13 nov. (Corresp., 1, 100.) Dupin, Mém., I. 33. Cf Discours de Richelieu à la Chambre des pairs, le 11 novembre : sion du conseil de guerre devient un triomphe pour les factieux..... »

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... La déci

1. Rochechouart, Souv., 429-430. La déclaration d'incompétence fut votée par cinq voix contre deux. Les deux dissidents étaient les généraux Villate et Claparède. D'après Rochechouart, il semble que ceux-ci voulaient garder la cause afin de pouvoir acquitter le maréchal. Et cependant Gazan qui vota l'incompétence fut révoqué le 19 novembre de ses fonctions d'inspecteur de la fre division militaire qui furent données à Claparède. (Gazan à Gérard, 19 août 1830. Arch. Guerre, dossier de Ney.)

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