Page images
PDF
EPUB

I.

CHAPITRE IV

LE DÉPART DE L'EMPEREUR POUR LA MALMAISON

L'élection de Fouché à la présidence de la Commission de gouvernement (matinée du 23 juin). Entrevue de Vitrolles avec Fouché. - Projet des Bonapartistes pour la reconnais

[ocr errors]

sance de Napoléon II.

II. La séance de la Chambre du 23 juin. Discours de Manuel.
Reconnaissance équivoque de Napoléon II.

III. Napoléon à l'Elysée.

Envoi d'une députation des Chambres

La

au quartier-général des souverains alliés (24 juin).
dernière visite de Davont à Napoléon. Le départ de l'em-
pereur pour la Malmaison (25 juin).

I

Carnot et Fouché comptaient l'un et l'autre sur la présidence de la Commission de gouvernement. Mais si Carnot regardait cette présidence comme une charge que son devoir lui imposait d'accepter dans l'intérêt public, Fouché la désirait ardemment pour la réussite de ses intrigues et le triomphe de ses ambitions. Convoqués d'abord par Carnot au ministère de l'intérieur, puis par Fouché aux Tuileries, les membres de la Commission se réunirent aux Tuileries le 23 juin à onze heures du matin1. Fouché qui

1. Procès-verbaux des séances de la Commission de gouvernement. (Arch. Nat. AF, IV, 1933.)

D'après ces procès-verbaux, il y aurait eu une première séance le 22 juin à 7 heures du soir. Malgré l'authenticité de ce document, il parait impossible que la Commission se soit réunie le 22 juin à 7 heures du soir puisque, sauf Carnot et Fouché, les membres de cette Commission n'étaient pas élus à cette heure-la. Grenier fut élu par les députés seulement à 9 heures, et Caulaincourt et Quinette, par les pairs, à minuit. (Moniteur, 23 juin.) Faut-il croire que Fouché et Carnot, de leur seule autorité (ou même Fouché scul) ayant chargé, le soir du 22, le comte Otto

n'était jamais embarrassé dit à Carnot: «<- Il faut élire un président, je vous donne ma voix. »>« — Et moi, la mienne, » répondit Carnot, pensant que cette parole de pure courtoisie n'influerait pas sur le vole de ses collègues. Mais le vote eut lieu par surprise. Avant même qu'on se fût assis, le général Grenier dit : « Messieurs, il faut nous constituer promptement. Je propose de nommer président M. le duc d'Otrante.» Caulaincourt et Quinette inclinèrent la tête en signe d'adhésion. La majorité s'étant exprimée, Carnot crut inutile de voter. Fouché ne vota point davantage, mais sans perdre un instant il s'installa au fauteuil1. S'était-il concerté avec Grenier? c'est possible. Peut-être aussi Grenier agit-il de sa propre initiative, entraîné par le sentiment général, pensant, comme à peu près tout le monde dans le parlement, que Fouché était l'homme des circonstances, l'homme nécessaire, l'homme indispensable.

de se rendre à Londres pour y faire des ouvertures de paix, voulurent régulariser cette décision en supposant après coup une séance ce soir-là. Leurs collègues, mis dès le lendemain dans la confidence, se seraient prêtés à cette supercherie. Je donne l'hypothèse pour ce qu'elle vaut. Mais ce qui est certain c'est que les pleins pouvoirs délivrés à Otto (dont je possède une copie certifiée par Otto lui-même) sont signés des cinq membres de la Commission et datés du 22 juin; et que cependant la Commission ne put se réunir au complet le 22 juin puisque trois des membres sur cinq ne furent élus que dans la nuit du 22 au 23 juin.

Autre doute. Dans les papiers laissés par Fouché à Gaillard (dont s'est servi M. Madelin pour son important ouvrage : Fouché), se trouvent une lettre de Carnot convoquant ses collègues au ministère de l'intérieur, et une lettre de Fouché (en minute) convoquant la Commission aux Tuileries. Ces deux lettres sont l'une et l'autre datées du 22 juin. Or, le 22 juin, ni Fouché ni Carnot ne pouvaient convoquer leurs collègues par la raison qu'ils ne connaissaient pas ces collègues, lesquels n'étaient pas encore élus. On peut conjecturer que ces convocations furent faites le 22 après minuit, et que, comme il arrive souvent pour des lettres écrites dans la nuit, elles furent datées de la veille au lieu de l'être du jour même une heure ou deux heures du matin. - Ces deux lettres, qui portent convocation de la Commission pour le 23, sont en tout cas une nouvelle preuve (mais il n'en est pas besoin!) que la Commission ne se réunit point le 22.

1. Mémoires manuscrits de Gaillard. H. Carnot, Mém. sur Carnot, II, 537. (Cf. Louis Madelin, Fouché, II, 404.). Selon Thibaudeau (X, 414), La Fayette (Mém. V, 462) et Berlier (Précis de ma vie politique, 128) lequel d'ailleurs n'assistait pas à la séance, car il ne fut nommé secrétaire de la Commission qu'à cette séance même, on alla jusqu'au vote, et Carnot eut deux voix et Fouché trois, dont la sienne.

Dans cette première séance, on se borna à pourvoir aux vacances que l'élection de Fouché, de Carnot et de Caulaincourt comme membres du gouvernement provisoire avait faites dans le cabinet. Bignon fut nommé aux Affaires étrangères, Pelet de la Lozère à la Police, Carnot de Feulins, frère de Carnot, à l'Intérieur 1. Fouché s'était empressé d'appuyer cette candidature afin de faire parade de bonne camaraderie envers son collègue; Carnot, qui ne s'abusait par sur l'amitié du duc d'Otrante, fut peu sensible à l'attention 2. Pour combattre l'élection de La Fayette à la Commission de gouvernement, Fouché avait fait entendre que l'on devait réserver à l'illustre général le commandement en chef des gardes nationales, que c'était là « qu'il pourrait le mieux servir la patrie et la liberté. >> Mais Fouché, qui redoutait les coups de tête de La Fayette, ne voulait pas plus de lui comme chef de la garde nationale que comme membre de la Commission exécutive. Après l'avoir écarté du gouvernement, il l'évinça du commandement sous prétexte qu'il serait plus utile en qualité de plénipotentiaire. Il proposa Masséna qui usé de corps et d'esprit n'était plus qu'une relique glorieuse. Le maréchal fut nommé sans discussion3. Fouché, ainsi qu'il y avait compté, était dès le premier jour non pas seulement le président mais le maître de la Commission exécutive.

Il n'avait pas attendu son élection à la présidence pour agir en chef du gouvernement. Dès la soirée de la veille, il avait fait mettre en liberté le baron de Vitrolles, détenu depuis la mi-avril à la prison de

1. Procès-verbaux de la Commission, 23 juin. (Arch. Nat. A. F. IV, 1933). C'est seulement le lendemain, 24 juin, que Boulay fut nommé à la Justice en remplacement de Cambacérès démissionnaire.

2. H. Carnot. Mém. sur Carnot, II, 518.

3. Procès-verbaux de la Commission de gouvernement, 23 juin. (Arch. Nat. A. F. IV, 1933. Cf. La Fayette, Mém. V, 463.

que

l'Abbaye. Mme de Vitrolles, à qui il avait remis l'ordre d'élargissement, était chargée de dire à son mari le duc d'Otrante l'attendrait le lendemain de bon matin. Vitrolles n'eut garde de manquer à cet intéressant rendez-vous. Le 23 juin, dès sept heures, il était rue Cérutti. Fouché avait déjà des intelligences à Gand, mais il pensait que nul mieux que Vitrolles ne pourrait l'y servir. Il lui dit : «-Vous allez trouver le roi. Vous lui direz que nous travaillons pour son service. Lors même que nous n'irions pas tout droit nous finirons par arriver à lui. Dans ce moment, il nous faut traverser Napoléon II, et, après, probablement le duc d'Orléans; mais enfin nous irons au roi. » Vitrolles objecta avec vivacité qu'il vaudrait mieux aller au roi tout de suite. Ce n'était pas l'avis de Fouché qui ne voulait faire rappeler Louis XVIII qu'au défaut du duc d'Orléans, mais il se dispensa d'ouvrir à Vitrolles le fond de sa pensée. Celui-ci, après un instant de réflexion, insinua qu'il serait plus utile à la cause royale à Paris qu'à Gand, mais qu'il ne se déterminerait à rester que sous trois conditions la garantie de sa tête, la promesse de passeports pour tous les courriers qu'il aurait à envoyer au roi, la faculté de voir secrètement Fouché une fois. par jour. « Remarquez, conclut-il, que si ma présence ici peut être utile au roi, elle le serait encore plus à vous-même. La confiance du roi s'en augmen

:

1. Vitrolles, arrêté le 4 avril à Toulouse où il avait organisé la résistance des royalistes, avait été transféré au donjon de Vincennes puis à l'Abbaye. Voir, 1815, 1, 410 et 499, note 1. Vitrolles, Mém. II, 418-420. III, 2-24, 39-40. C'est une erreur de l'éditeur des Mémoires de Vitrolles que de placer la première entrevue de Vitrolles avec Fouché le 24 juin. Vitrolles est très explicite Mme de Vitrolles vient lui annoncer un matin que l'empereur a été vaincu, qu'il est rentré a Paris, qu'il a fait appeler ses ministres; ce même jour, le colonel Oudinot vient dire a Vitrolles que les bruits d'abdication prennent de la certitude. (Ces deux visites ont donc eu lieu le 22 juin.) Le même jour (22 juin) a 11 heures du soir, Mme de Vitrolles apporte à Vitrolles l'ordre d'élargissement signé de Fouché.

2. Vitrolles, Mém., III, 40.

terait, et je pourrais faire valoir auprès de Sa Majesté la franchise de vos intentions. >>

En offrant sa protection, Vitrolles imposait sa surveillance. Fouché le comprit, mais il n'était pas de nature à se priver d'un protecteur ni à s'inquiéter beaucoup d'un surveillant. Il approuva l'idée du royaliste. « Je vous ferai délivrer cinquante passeports, dit-il. Vous en ferez l'usage qu'il vous plaira. Ce n'est pas une fois par jour que vous pourrez me voir; c'est deux et trois fois, en tout temps, en tout lieu. Quant à votre tête, elle sera aux mêmes crochets que la mienne qui est passablement menacée. Si je sauve l'une, je vous garantis l'autre. » Ces deux hommes doués tous deux, bien qu'à des degrés différents, du génie de l'intrigue et ayant tous deux le goût de conspirer, étaient faits pour s'entendre. Ils se quittèrent bons compères1.

Fouché, qui peu après cette entrevue avec Vitrolles s'était fait élever à la présidence du gouvernement provisoire, était content de sa matinée. Mais divers rapports lui donnaient des inquiétudes pour la journée. Napoléon était fort irrité de la façon dont la Chambre et surtout la Chambre des pairs avaient éludé la proclamation de son fils. Sans doute l'empereur n'avait ajouté cette clause à l'acte d'abdication que sur les instances de Lucien et de quelques ministres, et il n'espérait guère qu'elle fût respectée par la coalition, mais puisque nolens volens il s'y était déterminé, il regardait comme une offense la conduite du parlement. En termes très vifs, il

[ocr errors]

1. Vitrolles, Mém. III, 43-45. Sur les menées orléanistes de Fouché pendant les Cent Jours et jusqu'aux 27-28 juin, voir notes de Rousselin Collection Bégis). Stuart à Castlereagh, Grammont, 23 juin (Wellington, Supplem. Dispatches, X, 564). F. de Chaboulon, II, 301, 321. Villemain, II, 448-449. Lamarque, Souv., I, 338.)

2. 1815, III, 62-63.

« PreviousContinue »