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les conditions du droit commun, rapporter le capital à la succession de l'assuré, soit effectivement pour le calcul de ses droits héréditaires s'il était héritier (1), soit fictivement pour le calcul de la quotité disponible (2). Déjà à cette époque la théorie qui voyait dans l'assurance sur la vie une variante de la stipulation pour autrui était créée en jurisprudence. Mais on considérait, ce qui était contraire pourtant aux faits, que l'assuré stipulait le capital pour lui et en transmettait le profit au tiers bénéficiaire (3). Le capital ne figurait pas dans la succession de l'assuré vis-à-vis des créanciers (C. civ., 857 et 921), mais il y figurait vis-à-vis des cohéritiers et des héritiers réservataires. Cette conception entraînait la conséquence nécessaire que les créanciers pouvaient faire révoquer ou annuler l'assurance, c'est-à-dire forcer le tiers bénéficiaire à en restituer le capital, dans les circonstances où ils peuvent faire révoquer toutes les donations faites par leur débiteur.

La Cour de cassation, partant du même principe, avait également décidé, à son tour, que le capital de l'assurance fait l'objet d'une donation indirecte et est réductible au profit des héritiers réservataires (4). Les cours d'appel et les tribunaux pouvaient donc croire qu'ils tenaient la vérité en persistant dans la voie où ils s'étaient engagés (5).

(1) Besançon, 15 déc. 1869 (motifs), S. 70.2.201.

(2) Besancon, 15 déc. 1869, précité. - Montpellier, 15 déc. 1873, S. 74.2. 81.-V. cependant en sens contraire, trib. de Schlestadt, 27 août 1868, Journ. des assur., 1869, p. 94. Trib. de Saverne, 21 mai 1869, D. 70.3.13.

(3) V. Cass. civ., 15 déc. 1873, S. 74.1.199: « Aux termes de l'art. 1121, C. civ., le stipulant a la faculté de conférer à un tiers le bénéfice de ce

contrat.

(4) Cass. req., 10 nov. 1874, S. 75.1.107 (sur pourvoi contre l'arrêt précité de Montpellier) et le rapport Durnon. Cass. req., 21 juin 1876, S. 76.1.

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Cass. req., 9 mai 1881, S. 81.1.337.

et pour la ré

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(5) V. pour le rapport successoral, Rouen, 6 févr. 1878, S. 78.2.222. — Trib. de Lyon, 18 mars 1885, Journ. des assur., 1885, p. 262, serve, Rouen, 6 févr. 1878, précité. Paris, 26 nov. 1878, S. 79.2.44. Paris, 5 mars 1886, S. 88.2.227. Douai, 14 févr. 1887, S. 88.2.49. Trib. de la Seine, 25 juin 1875, Journ. des assur., 1875, p. 438. la Seine, 15 juill. 1881, Ibid., 1881, p. 220. Trib. de la Seine, 16 févr. 1882, Ibid., 1882, p. 458. Trib. de la Seine, 15 juill. 1884, Ibid., 1885, p. 32. Trib. de Lyon, 18 mars 1885, précité. V. cep. en sens contraire, Trib. de Bar-le-Duc, 3 mars 1886, Journ. des assur., 1886, p. 227.

Trib. de

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7. Mais sur ces entrefaites intervenaient les arrêts célèbres qui, en 1888, tout en maintenant la théorie de la stipulation pour autrui, proclamaient que le tiers bénéficiaire acquiert ses droits, à quelque époque qu'ait lieu són acceptation, par le fait même du contrat d'assurance. Le capital n'était plus regardé comme stipulé par l'assuré pour son compte et cédé au tiers bénéficiaire, le droit au capital naissait directement en la personne de celui-ci (1).

Très logiquement, la Cour de cassation décidait immédiatement que l'art. 564, C. comm., qui défend à la femme, en cas de faillite, de revendiquer le bénéfice des avantages faits par le mari, ne s'applique pas au capital de l'assurance, qui n'a pas fait l'objet d'une libéralité du mari, « sauf le droit pour les créanciers d'exiger, suivant les circonstances, la restitution des primes payées par l'assuré sur ses biens personnels » (2). Elle décidait de même, pour le même motif, que les créanciers de l'assuré ne peuvent pas, sur le capital de l'assurance, agir par la voie de l'action paulienne ou de l'action en nullité substituée, dans le cas de faillite, à cette dernière action, « sauf le droit qui appartient à la masse de répéter les primes » (3).

On aurait pu s'attendre à ce que le capital de l'assurance, puisqu'il n'était plus réputé, désormais, avoir fait l'objet de la libéralité, fût soustrait également aux règles du rapport et de la quotité disponible. Il n'en a rien été. La Cour de cassation décidait, au contraire, que l'assurance est recueillie par les tiers bénéficiaires « par l'effet de l'attribution que l'assuré leur en a consentie à titre purement gratuit » et qu'elle constitue, par suite, une véritable libéralité, « à laquelle sont applicables les règles concernant les rapports, soit qu'il s'agisse d'assurer l'égalité des partages entre cohéritiers ou de déterminer le montant de la réserve ou de la quotité disponible »> (4).

(1) Cass. civ., 16 janv., 6, 8 et 22 févr., 27 mars 1888; S. 88.1.121. V. déjà Cass. civ., 2 juill. 1884, S. 85.1.5.

(2) Cass. civ., 22 févr. 1888, précité.

(3) Cass. civ., 27 mars 1888, précité.

(4) Cass. civ., 8 févr. 1888, précité.

- Cette théorie impliquait une contradiction qui a été souvent signalée (1); aussitôt après avoir déclaré que l'assurance confère un droit direct au bénéficiaire, la chambre civile disait que ce droit lui est attribué par l'assuré. La contradiction était soulignée par la justification même que tentaient les personnes les plus autorisées à interpréter la pensée de la Cour (2). C'est à des arguments de sentiment qu'on avait recours. « Il ne peut se faire qu'à l'aide de l'assurance de la vie, le père de famille puisse porter atteinte au grand principe de l'égalité des partages et constituer on ne sait quel droit d'aînesse déguisé. Le respect du principe de l'égalité des partages est manifestement la considération qui a dominé la décision de la chambre civile ». Ainsi c'est sur une règle qui n'est pas d'ordre public - car le défunt peut dispenser ses héritiers du rapport - que se serait fondée la Cour de cassation! Il est probable que la nécessité d'assurer l'intégrité de la réserve l'a touchée davantage; mais la réductibilité des primes aurait, comme on le verra, suffi à sauvegarder ce principe.

Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner que, si de nombreux tribunaux ont consacré la solution admise par la Cour de cassation (3), un nombre tout aussi considérable de juridictions aient refusé de s'incliner. Elles décidaient que le capital de l'assurance n'est soumis ni au rappòrt ni à la réduction (4). Les tribunaux mêmes qui suivaient la Cour de cassa

(1) Labbé, S. 88.2.177 et S. 89.2.121; Thaller, Ann. de dr. comm., 1888, p. 197 et 1889, p. 240; Pic, Ibid., 1892, p. 232; Lefort, Pand. franç., 1900, p. 209; Flurer, Rev. crit., 1889, p. 324; Naquet, S. 89.2.17; Dupuich, Tr. prat. des assur. sur la vie, no 232; Lefort, Tr. théor. et prat. du çontr. d'assur, sur la vie, t. II, p. 329; et notre Tr. des successions, 1re éd., t. III, n° 3580 et 2. éd., t. IIl, no 2766.

(2) V. la note du rapporteur des arrêts de 1888, S. 88.1.121, no 5. (3) Aix, 20 mars 1888, S. 89.2.17 (motifs). 177.- Paris, 16 nov. 1888, S. 90.2.231.

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Amiens, 8 mai 1888, S. 88.2. Amiens, 31 janv. 1889, S. 90.2.5.

Rouen, 16 mars 1895, Rec. de Rouen, 1897.1.101.- Paris, 18 déc. 1895, cité par Cass., 27 janv. 1902, Gaz. du Pal., 1er mars 1902. - Trib. de la Seine, 7 déc. 1888, Journ, des assur. 1889, p. 36. - Trib. de Figeac, 19 janv. 1894, Rec. périod. des assur., 1894, p. 251. Trib. d'Auxerre, 13 juin 1894, Ibid., 1895, p. 20. Trib. de Toulouse, 7 févr. 1895, Journ. des assur., 1895, p. 196. Trib. du Havre, 24 janv. 1896, Rec. du Havre, 1896. 1.39. (4) Rennes, 9 févr. 1888, S. 89.2.121.- Nancy, 18 févr. 1888, S. 90.2.27.

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tion en cette matière signalaient quelquefois implicitement la contradiction de sa jurisprudence en refusant d'admettre les conséquences qu'elle avait tirées logiquement de son nouveau principe directeur (1).

9. Dès que la Cour de cassation eut, en 1896, l'occasion de statuer à nouveau, la contradiction disparut : « Le capital stipulé, n'ayant jamais fait partie du patrimoine du stipulant, ne constituant pas une valeur successorale, ne saurait, par suite, entrer en compte pour le calcul de la réserve » (2).

Depuis l'arrêt de 1896, la Cour de cassation n'a plus eu l'occasion de statuer sur la question ni à propos du capital ni à propos des primes (3). Mais les cours d'appel et les tribunaux l'ont, comme le montrera l'état de la jurisprudence, souvent résolue, et en sens très divers.

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10. Quant aux récompenses dues à la communauté sur laquelle les primes ont été prélevées, il semble qu'elles auraient dû donner lieu aux mêmes controverses; ces controverses n'ont jamais été soulevées quant au capital; on s'est seulement demandé si le montant des primes devait donner lieu à récompense. La raison en est, sans doute, dans le

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Bourges, 7 mai 1888, S. 89.2.16. Chambéry, 26 mars 1889, Journ. des assur., 1889, p. 182. Paris, 30 avr. 1891, S. 91.2.189. 1894, sous Cass., 29 juin 1896, S. 96.1.361.

Paris, 30 mai Douai, 14 mars 1895, Journ.

des assur., 1896, p. 19. - Trib. de Morlaix, 16 déc. 1891, Journ. des assur., 1892, p. 86. Trib. de Rouen, 27 juin 1893, Rec. de Rouen, 1894.1.75. · Trib. de Rennes, 21 févr. 1894, Rec. des assur., 1894, p. 314.

La plupart de ces arrêts concernent seulement la réduction; cependant quelques-uns visent à la fois le rapport et la réduction (Bourges, 7 mai 1888, précité).

(1) Ainsi les arrêts d'Amiens, 8 mai 1888 et 31 janv. 1889, précités, soumettent, contrairement aux arrêts de 1888, le capital de l'assurance souscrite au profit de la femme, à l'art. 564, C. comm.

(2) Cass. civ., 29 juin 1896, S. 96.1.361.

(3) Un arrêt de la chambre civile du 27 janv. 1902 (Gaz. du Pal., 1er mars 1902) a décidé qu'en fait le capital de l'assurance devait être fictivement rapporté à la masse pour le calcul de la quotité disponible; mais il constate que l'arrêt d'appel qui l'avait ainsi décidé « n'a pas été l'objet d'un recours légal dans les délais de droit » et que, dès lors, la seule question qui se pose est celle de savoir si le capital doit être estimé d'après sa valeur au décès ou au jour du contrat. C'est, naturellement, la première solution qui a été consacrée (C. civ., art. 922). V. également en ce sens, Douai, 16 janv. 1897, S. 1901.2.9.

principe d'après lequel la récompense ne dépasse jamais les déboursés de la communauté. En présence de ce principe, il était impossible de soutenir que le montant du capital dût faire l'objet de la récompense.

14. La jurisprudence nouvelle a rencontré en doctrine. quelques adversaires (1), qui se sont joints aux anciens partisans du système autrefois admis (2).

Au point de vue du droit, on a soutenu que la valeur donnée est le capital. Ce qu'il faut considérer, a-t-on dit, dans une libéralité, c'est ce qui a augmenté le patrimoine de la personne gratifiée. Et on a cité comme exemple la jurisprudence d'après laquelle la renonciation à l'usufruit, faite en faveur du nu-propriétaire, oblige ce dernier à rapporter l'avantage qu'il a retiré de la donation, c'est-à-dire les fruits annuels qu'il a perçus (3). L'assuré a été créateur de l'assurance et « s'est appauvri, au profit du tiers, de ce que celuici a gagné »> (4).

Cette dernière formule est d'une inexactitude évidente. L'assuré ne s'est appauvri que de ce qu'il a déboursé. Pour déterminer le montant de son appauvrissement, le moyen le plus simple est de savoir de quelle valeur sa succession aurait, s'il n'avait pas fait l'assurance, été plus riche; elle n'aurait pas compris une somme égale au capital de l'assurance, mais seulement aux primes. Si la réduction portait sur une somme supérieure, la réserve serait augmentée au delà du chiffre fixé par la loi; certaines libéralités du défunt pourraient profiter aux héritiers réservataires.

Le motif qui justifie entièrement la jurisprudence, c'est que le capital n'est pas créé par le fait de l'assuré. C'est en cela que l'assurance se distingue des autres stipulations pour autrui, où la libéralité, et par suite le rapport et la réduction, portent sur la valeur de l'objet que le promettant s'engage à fournir au tiers bénéficiaire. Si, par exemple, un donataire ou un acheteur s'engage envers le donateur ou

(1) Charmont, Réo. crit., 1897, p. 337; Vigié, Rev. crit., 1901, p. 211. (2) Boistel, D. 89.2.153.

(3) Cass. civ., 27 oct. 1886, S. 87.1.193.

(4) Vigié, loc. cit.

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