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pièces de comptabilité, ou s'étend-il à d'autres documents, par exemple, aux lettres missives échangées par le de cujus et l'héritier avec la société ?

Il est peu probable qu'il en soit ainsi, car ce serait tout au moins contraire au principe du secret des lettres missives.

II. DONATIONS ET TESTAMENTS.

a) Conditions et charges qui peuvent être mises à une donation oa à un testament.

19. Substitution prohibée et double legs conditionnel (art. 896, C. civ.).

Il est curieux de rapprocher deux arrêts, l'un de Limoges, l'autre de Paris, qui posent un principe d'interprétation différent, en ce qui concerne deux clauses de testaments qui comportent cependant la même analyse. L'une applique la théorie bien connue du double legs conditionnel alternatif et valide la disposition. L'autre se refuse à faire cette décomposition et annule la disposition comme substitution prohibée. -Ce rapprochement montre, une fois de plus, combien la jurisprudence qui s'est formée sous l'article 896 est regrettable, et comment, toutes les fois qu'on veut aller au delà d'un texte clair et précis, on tombe fatalement dans l'arbitraire le plus absolu.

Voici d'abord la décision de Limoges (27 févr. 1900, D. 1902. 2. 281). Il s'agissait d'apprécier la clause d'un testament ainsi conçue : « J'entends que le legs que je fais aux mêmes quatre légataires (deux garçons et deux filles mineurs) pour le cas où les deux garçons mourraient avant 25 ans accomplis, et pour le cas où les deux filles mourraient avant d'être mariées ou mourraient non mariées avant 25 ans, accroisse aux survivants desdits légataires, qui profiteront du legs fait aux prédécédés et par égalité entre lesdits survivants ».

On a décidé que « cette disposition, contenant un legs fait d'abord à certaines personnes et ensuite à d'autres pour le cas où les premières cesseraient d'exister, ne constitue pas une substitution prohibée; que c'est là un legs conditionnel subordonné à la condition de la vie des légataires jusqu'à l'âge de 25 ans ou de leur mariage; ... que, dans l'espèce, le legs conditionnel ne contient qu'une seule libéralité, un double legs alternatif sous condition suspensive ».

La Cour de Paris avait à statuer sur une disposition par laquelle le testateur lègue à un mineur une certaine somme d'argent à convertir en rentes sur l'État, avec la clause que la mère du légataire aura l'usufruit pendant sa vie d'une partie de cette rente, que si ledit mineur laisse des enfants, ceux-ci hériteront, que, dans le cas contraire, l'usufruitière aura la jouissance totale si elle survit à son fils et que la somme léguée reviendra à la famille du testateur après la mort de l'usufruitière.

La Cour a décidé que cette disposition présente les caractères d'une substitution prohibée (Paris, 5 nov. 1900, Pand. fr., 1902, 2. 265). Dans les motifs, nous relevons notamment ceci : « La disposition dont bénéficie le mineur eût-elle été faite sous condition résolutoire, et celle dont bénéficie la famille du testateur sous condition suspensive, le testament serait en ce cas sans valeur et présenterait sous une forme détournée les caractères d'une véritable substitution fidéicommissaire, puisque la transmission des biens au second légataire ne s'opérera qu'au décès du premier ».

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Hospice.

Il nous paraît difficile d'écarter d'une façon plus nette l'application de la théorie du double legs conditionnel (V. du reste la note très documentée qui accompagne l'arrêt). 20. — Legs avec charges. -Fondation. Ne sont pas constitutives d'une mainmorte prohibée par la loi les clauses d'un testament par lesquelles le testateur : 1o charge ses légataires universels de fonder dans sa maison un hospice destiné à recevoir les vieillards, pauvres et infirmes; 2° d'affecter à l'entretien de cet hospice les neuf dixièmes des revenus nets des biens qu'ils recueillent dans sa succession, et de constituer avec le dernier dixième des réserves dans l'intérêt de l'œuvre; 3o de confier à des religieuses la direction de l'hospice; 4o exprime le vœu qu'en vue de perpétuer cette œuvre, les légataires forment entre eux une société civile de longue durée dans laquelle ils mettraient en commun la part héréditaire revenant à chacun d'eux (Cass. civ., 12 mai 1902, D. 1902. 1. 425 et les conclusions de M. le Procureur général Beaudouin).

L'arrêt appuie notamment sur deux motifs d'abord sur ce que les légataires ne sont pas des personnes interposées à l'effet d'assurer la transmission de la succession à des tiers, mais qu'au contraire, le testateur a entendu les appeler personnellement à lui succéder et a voulu faire entrer dans le patrimoine de chacun d'eux les biens qu'il a légués.

Ensuite, le testament ne renferme aucune clause de nature à

entraver la libre circulation des biens dont les légataires peuvent disposer à leur convenance, pourvu qu'ils affectent à l'entretien de l'hospice les revenus de ces biens ou de ceux qui seraient acquis à leur place.

On était donc en présence, non d'un établissement de mainmorte, mais « d'une œuvre de bienfaisance licite en soi et sus«< ceptible de devenir un établissement d'utilité publique; mais «< qui, tant qu'elle n'aura pas été reconnue comme telle, subsistera <«< comme institution privée suivant les règles du droit commun << et dans les conditions auxquelles sont soumises toutes les choses << qui sont la propriété d'un particulier ».

b) Capacité de recevoir des libéralités.

21. Diaconat protestant.

Ne constituant ni un établissement public, ni un établissement d'utilité publique, les diaconats protestants n'ont aucune capacité pour recevoir, et le legs fait à leur profit doit être déclaré caduc.

Cependant, si les héritiers ont d'eux-mêmes exécuté la libéralité confiée à leur délicatesse et à leur loyauté, le legs fait au diaconat reçoit son effet.

Et le bureau de bienfaisance de la commune est sans droit pour réclamer, au nom des pauvres de cette commune, le bénéfice de la libéralité faite au diaconat (Rouen, 9 mai 1900, D. 1902. 2. 362).

On remarquera que, la nullité de libéralité faite à une institution sans existence légale, étant d'ordre public (Cass. req., 2 janv. 1894, S. 94. 1; 129, avec note de M. LYON-CAEN; D. 94. 1. 81), elle ne devrait pouvoir être ratifiée par un acte d'exécution de la part des héritiers, et tous les intéressés en l'espèce pourraient invoquer cette nullité.

Mais précisément, le bureau de bienfaisance, n'étant pas le bénéficiaire du legs qui était fait, non pas à tous les pauvres de la commune, mais seulement aux pauvres protestants dépendant du diaconat, était sans intérêt et sans droit à réclamer le bénéfice du legs.

22. Nullité du legs fait à un enfant adultérin.

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Le legs, qui a pour mobile et pour cause déterminante l'opinion de la part du testateur que le légataire est son enfant adultérin, est nul comme ayant une cause illicite, à condition que le

testament renferme en lui-même la preuve entière et complète que le testateur se croyait le père de l'enfant gratifié, et que cette opinion a été la cause déterminante du don qu'il a fait. - Limoges, 27 févr. 1900, D. 1902. 2. 281.

Cet arrêt peut être rattaché à la théorie de la jurisprudence sur la cause dans les libéralités sous l'article 900 du Code civil, et comporte les mêmes critiques ou la même justification.

23. Sanction des incapacités de recevoir à titre gratuit. La nullité dont l'article 911 du Code civil frappe les dispositions faites en fraude de la loi, est une nullité d'ordre public qui ne peut être couverte par des renonciations, reconnaissances ou autres actes analogues émanés de la simple volonté des parties. Cass. civ., 2 juin 1902, D. 1902. 1. 346; Pand. fr., 1902. 1. 421.

Dans l'espèce, les auteurs de celui qui demandait la nullité d'un legs universel fait par une personne interposée à un établissement religieux n'ayant pas d'existence légale, s'étaient, l'un désisté d'une action semblable, l'autre décidé à reconnaître expressément la qualité de légataire universelle à la personne interposée.

c) Formes des donations.

24. — Donation déguisée. Reconnaissance de dette. Une donation déguisée sous forme d'un contrat à titre onéreux n'est valable que si elle est faite conformément aux règles exigées pour la validité du contrat sous lequel elle se cache. Par suite, une reconnaissance de dette ne peut valoir comme donation déguisée, si elle n'a pas été, conformément à l'article 1326 du Code civil, écrite entièrement par le prétendu débiteur, et si la signature de celui-ci n'est pas précédée de la mention écrite de sa main, du « bon pour » la somme qu'il aurait reconnu devoir. Cass. req., 7 mars 1898, S. 1902. 1. 231; D.

98. 1. 220.

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25. Donation déguisée sous forme de renonciation à communauté.

Est nulle, aux termes de l'article 1099, la donation déguisée faite par une femme à son mari au détriment des enfants du premier lit, sous la forme d'une renonciation à communauté après la séparation de biens. Trib. civ. Seine, 24 déc. 1901, Pand. fr., 1902. 2. 235.

d) Révocation des donations.

26. La révocation des donations pour cause de survenance d'enfants (art. 960, C. civ.) est-elle applicable à l'attribution du bénéfice d'une assurance-vie?

Une personne contracte une assurance-vie au profit de ses père et mère; après son décès naît un enfant. L'assurance sur la vie est-elle révoquée, ce qui aura pour conséquence d'en faire revenir le bénéfice à l'enfant posthume auquel est dévolue la succession du de cujus?

Non, a déclaré le Tribunal civil de Toulouse (21 févr. 1902, D. 1902. 2. 329), l'article 960 ne s'applique pas. Car, depuis l'arrêt de cassation du 29 juin 1896 (S. 96. 1. 361), on ne considère plus l'assurance-vie au profit d'un tiers comme une libéralité (1); le tiers bénéficiaire a un droit propre et personnel au capital qui n'a jamais figuré dans le patrimoine du stipulant. Or, l'article 960 n'admet la révocation pour cause de survenance d'enfant qu'en ce qui concerne les libéralités.

Cette solution paraît d'une logique irréfutable. Cependant M. Dupuich, dans la note qui accompagne le jugement, soutient que c'est mal jugé, et que l'article 960 doit s'appliquer parce que : 1o la révocation étant de l'essence de la stipulation pour autrui, l'assuré peut toujours, en révoquant la stipulation, s'en appliquer le bénéfice. Donc, dit-il, l'assurance-vie n'est pas incompatible avec l'idée de révocation; 2o La jurisprudence admet bien la révccation ad nutum des libéralités entre époux autorisée par l'article 1096, pour les assurances sur la vie. Enfin, il s'appuie sur le fondement de l'article 960, qui repose sur la présomption légale que l'auteur de la libéralité n'aurait pas gratifié des étrangers s'il avait pensé avoir des enfants; or, cette présomption s'applique aussi bien pour une assurance-vie que pour une donation ordinaire.

Cette argumentation est loin d'être décisive. Et la décision du Tribunal de Toulouse nous paraît au contraire en harmonie parfaite avec le principe général de solution posé par l'arrêt du 29 juin 1896.

D'abord, il ne s'agit pas de savoir si une assurance-vie peut être révoquée, et nous ne contestons pas au stipulant le droit.de révocation. C'est même pour cela qu'on peut appliquer l'ar

(1) V. à propos de cet arrêt l'article de M. Wahl, suprd, p. 20 et 5.

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