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L'article dit que la donation faite au second époux, ne peut excéder la part d'un enfant légitime le moins prenant. Si donc le donateur a avantagé l'un de ses enfans, il diminue d'autant, par là, la donation faite à son conjoint. Cette mesure a eu pour principal motif d'empêcher les avantages qui pourraient être faits aux enfans du second lit. On a pensé que la crainte de préjudicier à son conjoint, déterminerait l'époux à maintenir l'égalité entre ses enfans. Mais néanmoins, comme la disposition est générale, elle s'appliquerait même au cas où l'avantage aurait été fait à un enfant du premier lit. Ce serait toujours la part de l'enfant le moins prenant, quand même il serait du premier lit, qui serait la mesure de ce que pourrait retenir l'époux donataire. Sic jugé par arrêt du 18 juin 1614, rapporté par ROUSSEAUD DE LA COMBE, verbo NoCES, partie 1re, sect. 5, no 5.

Quid, si l'un des enfans désavantagés, et ayant moins que sa légitime, déclare se contenter de ce qu'il a, et ne pas vouloir demander le supplément de sa légitime, devrat-on déterminer la quotité du retranchement, d'après ce qu'il a, ou d'après ce qu'il aurait eu droit de réclamer? Je pense que c'est le montant de la réserve légale qui doit déterminer ce que l'époux donataire a droit de retenir. Autrement ce serait donner lieu à la fraude. L'enfant désavantagé s'entendrait avec ses frères pour diminuer la part de l'époux. C'est aussi l'avis de RICARD, partie 3o, n° 1264.

Quid, s'il y a des enfans et des petits-enfans, ou seulement des petits-enfans, le retranchement sera-t-il calculé sur la part de l'un des enfans, ou sur celle de l'un des petits-enfans? Ce doit être sur la part de l'enfant, ou de la souche, le moins prenant; et ce, quand même tous les petits-enfans seraient issus d'un fils unique prédécédé, et viendraient en conséquence de leur chef.

Comment doit-on opérer pour savoir s'il y a lieu à retranchement? et comment le retranchement lui-même doit-il être opéré?

Pour juger s'il y a lieu au retranchement, il faut liquider la succession du donateur, faire une estimation de tous les biens dont elle est composée, ainsi que de ceux donnés au conjoint, et former la part de l'enfant le moins prenant. Si cette part n'excède pas le quart des biens libres, elle détermine le montant de ce qui doit rester au conjoint; sinon, la donation est réduite à ce quart. On suit d'ailleurs la même marche, que pour la réduction à l'effet de compléter la réserve. En conséquence, on estime les biens extans, d'après leur valeur à l'époque de l'ouverture de la succession. Si donc, d'après cette valeur, il y avait lieu à réduire la donation, l'époux ne pourrait s'y refusous le prétexte que cette valeur serait augmentée depuis l'ouverture; et réciproquement, si, d'après la valeur calculée à cette époque, il n'y avait pas lieu à réduction, la donation ne pourrait être réduite, quelque diminution que les biens aient pu éprouver depuis.

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Les biens immobiliers donnés à l'époux doivent être calculés de la même manière, d'après leur valeur, au moment de l'ouverture de la succession, déduction faite des améliorations provenant du fait du donataire, si les biens ont été donnés entre vifs, ainsi que des impenses nécessaires faites par lui pour la conservation de la chose. Quant aux dépenses d'entretien, le donataire n'a rien à répéter; elles sont une charge des fruits qu'il n'est pas obligé de restituer. Réciproquement, il doit tenir compte des dégradations provenant de son fait.

Les mêmes opérations ont lieu, lorsque l'immeuble donné a été aliéné avant l'ouverture. Si cependant l'aliénation a été forcée, tellement que le donateur eût été lui-même également obligé de vendre, on ne ferait entrer en compte que la somme reçue par le donataire pour le prix de la vente.

L'action en retranchement aurait-elle lieu contre les tiersdétenteurs? On le pensait anciennement; et il en serait certainement de même aujourd'hui, mais conformément aux dispositions de l'article 930, c'est-à-dire que les tiers ne pourront être attaqués, que discussion préalablement faite des biens du donataire.

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Quant aux fruits, ils sont dus à compter du décès. C'est de ce moment que les enfans sont censés saisis de la portion retranchée; sauf, néanmoins, dans le droit actuel, la disposition de l'article 928; c'est-à-dire que, si la demande en retranchement n'est formée qu'après l'année, les fruits ne sont dus que du jour de la demande.

Dans tous les cas où il y a lieu au retranchement d'une quote des objets donnés, il se forme entre l'époux donataire et les enfans un quasi-contrat de communauté, qui donne lieu à un partage, dans lequel on suit les règles ordinaires de ces sortes d'actes.

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Si la donation est d'effets mobiliers, il est évident les enfans n'ont qu'une action personnelle contre le donataire, et n'en ont aucune contre les tiers.

Le donataire prend-il part dans les biens retranchés ? RICARD et POTHIER sont d'avis de la négative. Ils se fondent sur la lòi 6, Cod., de Sec. Nuptiis, et sur la Novelle XXII, cap. XXVII. Mais, d'abord, la loi 6 ne décide pas formellement la question. La Novelle dit, à la vérité, que ce qui est retranché à l'époux, filiis competit, et inter eos solos ex æquo dividitur; mais l'on peut dire avec fondement que ce mot solos est mis ici par opposition aux enfans du second lit, qui, d'après la Novelle, ne devaient pas participer aux biens retranchés. D'ailleurs les lois romaines n'ayant plus force de loi maintenant, il faut recourir à l'article 1098, qui dit simplement que l'époux doit avoir autant que l'enfant le moins prenant, ni plus ni moins. Or, il est évident qu'il aurait moins dans le système de RICARD; car il aurait de moins la part que les enfans prennent dans les objets retranchés. Exemple:

Une femme a donné à son second mari vingt-quatre mille francs. Elle laisse soixante-douze mille francs de biens, et quatre enfans. En faisant abstraction de la donation faite au mari, chaque enfant n'aurait que dix-huit mille francs; il faudrait donc retrancher de la donation six mille francs, qui, partagés entre les quatre enfans, donneraient pour chacun quinze cents francs, qu'ils auraient de plus que mari; ce qui ne doit pas être.

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Nota. L'usage ancien, attesté par l'annotateur de RICard, était contraire à l'opinion de cet auteur, et conforme, par conséquent, à celle que nous venons d'émettre. (Des Donat., partie 5o, n° 1318 et suivans.)

La part que les enfans prennent dans les objets retranchés, doit-elle être imputée sur la réserve?

Les mêmes auteurs que nous venons de citer, pensaient la négative, attendu, disaient-ils, que cette part ne se prend pas jure hereditario, et que les enfans la tiennent du bénéfice de la loi, et non de la volonté du défunt, qui a voulu, au contraire, donner à un autre, à leur préjudice. Mais il est clair que ces raisons ne sont rien moins que concluantes. D'abord, nous avons établi précédemment qu'il fallait être héritier pour exercer l'action en retranchement. Les enfans prennent donc leur part dans les objets retranchés, jure hereditario. Or, il est de principe que tout ce qui se prend jure hereditario, s'impute sur la légitime. Quant à la seconde raison, elle est encore moins fondée. Quand le légitimaire, après avoir épuisé tous les legs, attaque les donataires entre vifs, ne doit-il pas imputer sur sa réserve les sommes provenant du retran— chement des legs? Or certainement il ne tient pas ces sommes de la volonté du défunt, qui a voulu, au contraire, les donner à un autre. Donc, etc.

La disposition qui porte que la donation faite à l'époux ne peut excéder la part de l'enfant le moins prenant, a besoin d'explication pour le cas où il existe d'autres dispositions à titre gratuit. En effet, le donateur peut-il, par des dispositions postérieures, porter atteinte au droit acquis par la donation à l'époux donataire? Exemple :

Un époux, ayant enfans, a donné vingt mille francs entre vifs à son époux, par contrat de mariage. Il laisse une succession de quatre-vingt mille francs, et trois enfans, dont il institue l'un son légataire universel. Comment opèrera-t-on pour savoir s'il y a lieu à retrancher la donation faite au mari? Il est certain, 1° que toutes les donations, y compris celle qui a été faite à l'époux, ne peuvent excéder la quotité fixée par l'article 913; 2° que, s'il

n'y avait pas de legs universel, la donation faite à l'époux ne serait pas réductible; car elle n'excède ni le quart des biens, ni une part d'enfant. Maintenant le donateur a-t-il pu faire une disposition dont l'effet soit d'anéantir ou de modifier la donation irrévocable qu'il a faite à son époux ? Je ne le pense pas; et je crois que, pour établir sur ce point, qui est assez délicat, des principes certains et généraux, il faut distinguer quatre cas :

1o. Si la donation faite à d'autres qu'à l'époux est antérieure et irrévocable, il est évident qu'elle doit être exécutée de préférence à celle de l'époux, et que, conséquemment, si le donateur a, par cette première donation, épuisé la quotité disponible fixée par l'article 913, il ne peut plus rien donner à son second époux. S'il ne l'a pas épuisée, il ne peut donner que ce qui reste, pourvu encore que cela n'excède ni le quart des biens, ni une part d'enfant le moins prenant.

2o. Il en est de même, si la donation faite à l'époux, quoiqu'antérieure, est néanmoins révocable; putà, si elle est faite pendant le mariage. Dans ce cas, elle est censée révoquée, par cela seul que le donateur a fait une seconde donation irrévocable, qui doit nécessairement anéantir ou diminuer l'effet de la première.

3o. Si la donation faite à l'époux est antérieure et irrévocable, elle doit être préférée à la donation postérieure. Mais il faut faire encore à ce sujet une observation, relative à la différence qui peut se trouver entre le disponible en faveur de l'étranger, et le disponible en faveur de l'époux. Si ces deux disponibles sont égaux ( ce qui a lieu dans le cas unique où le donateur a trois enfans), et que la donation faite à l'époux égale ou excède le disponible, la donation postérieure est entièrement annulée; sinon " elle est réduite à la différence.

Si le disponible en faveur de l'époux est moindre que le disponible en faveur de l'étranger, ce qui a lieu toutes les fois que le donateur a moins ou plus de trois enfans, alors la donation faite à d'autres qu'à l'époux, est encore réduite à la différence.

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