Page images
PDF
EPUB

dance nationale étaient remportées avant le renouvellement du comité de salut public. L'indépendance, ce premier bien des nations, cette haute conquête de la révolution, doit donc être attribuée à l'époque qui précéda le 9 thermidor; nos successeurs n'ont fait qu'en profiter plus ou moins habilement. La Convention, non encore divisée, avait décrété qu'on ne traiterait avec aucune nation tant que ses soldats souilleraient le territoire francais de leur présence. Avant que le comité chargé d'exécuter ce décret fùt renouvelé, nos armées étaient toutes sur le sol étranger. A l'ère des victoires succéda, à l'extérieur, l'ère des traités et des combats diplomatiques, en même temps que, dans l'intérieur, la ruse et l'égoïsme prirent la place de la violence et du fanatisme ardent.

J'ai cru devoir faire précéder le récit des faits de ces courtes réflexions pour en bien constater le caractère. En effet, la réaction changea trop de fois de marche pour qu'il ne soit pas nécessaire de donner au lecteur le fil qui doit en faire reconnaître la véritable trace. D'abord placée dans les mains des hommes de thermidor, elle fut dirigée par eux contre quelques ennemis personnels; mais le caractère du gouvernement resta évidemment républicain. Bientôt le char de l'État fut dirigé par l'alliance semi-girondine, semithermidorienne, et alors le passé fut renié, on fit

le procès à l'ère dite de la terreur, c'est-à-dire à l'ère de la grande résistance nationale. Plus tard, enfin, tombée entre les mains des partisans déguisés de l'ancien régime, la réaction se teignit du sang des patriotes: la destruction de la république en devint le but, l'assassinat en fut le moyen actif, les Isnard et Cadroy, les Rovère et les Saladin, conventionnels renégats, les exécuteurs.

Les deux objets à propos desquels se fit mieux sentir la portée du changement survenu en peu de mois dans la majorité thermidorienne, sont sans contredit l'accusation portée contre les membres des anciens comités et les mesures prises relativement aux sociétés populaires. Nous examinerons d'abord, dans ces deux objets, la transformation subie par nos collègues. Nous verrons d'abord une motion déclarée calomnieuse, en ce qu'elle attaque dans les débris de l'ancien comité, de bons patriotes, sauveurs de la patrie; nous verrons ensuite ces mêmes patriotes décrétés d'accusation; nous verrons également le club des Jacobins, d'abord déclaré nécessaire, conservé comme un principe, détruit ensuite sans aucune forme de procès pour satisfaire aux exigeances d'une émeute de jeunes gens.

La réaction a aussi eu ses émeutes populaires, ses 2 septembre, ses scènes de la place publique. Dans le Midi, ces forfaits, ces émeutes étaient dirigés ouvertement par l'émigration; on y assas

sinait les patriotes, on y foulait aux pieds la cocarde nationale, etc., etc. Une populace payée, et ameutée par les prêtres, exécutait ces horreurs que dirigaient les conspirations organisées, connues sous le nom de société du Soleil et société de Jésus. Meurtre, pillage, vols à main armée, tout semblait légitime aux conspirateurs pour renverser la république et rétablir l'ancienne forme de gouvernement. Il n'est sans doute pas besoin de dire qu'une foule de brigands, sous le prétexte d'assouvir des vengeances politiques s'associaient à ces exécrables sociétés, sans autre passion que le butin, sans autre opinion que la cupidité.

Croire que nos collègues, je ne dis pas seulement les Thermidoriens, mais encore les anciens proscrits échappés aux supplices du 31 mai, aient participé sciemment à de telles horreurs, malgré tout ce que les haines politiques ont fait dire à ce sujet, c'est pour moi chose impossible. Loin d'en avoir été auteurs, ou complices, je ne pense même pas que la plupart d'entre eux aient appartenu au parti des assassins. Si l'on en excepte quelques hommes d'une funeste renommée, les Girondins étaient républicains, et les Thermidoriens, entraînés à leur suite ne pensaient et ne voyaient que par eux. Mais, sous l'impression des maux qu'ils avaient eu à souffrir dans l'exil et des scènes sanglantes de la terreur, les Girondins et leurs alliés étaient portés à sévir contre tous les hommes

qui avaient pris part au gouvernement de cette époque, comme contre des monstres souillés de sang et de crimes. En assassinant, les réacteurs criaient: Nous vengeons nos pères. C'en était assez pour que les Girondins crussent pouvoir les déclarer excusables. Comme si jamais le meurtre pouvait être transformé en droit! comme si, surtout, on pouvait porter une sentence définitive contre tous les coopérateurs d'un gouvernement sans faire la part des individualités et des actions particulières de chacun! On a cependant entendu dire, dans le sein même de la Convention, en parlant d'infâmes meurtriers : « Ils sont coupables sans doute, car ils devaient laisser aux lois le soin d'une juste vengeance, mais ils n'ont fait que devancer la justice, en frappant des monstres chargés de forfaits. » Ces exéerables apologies étaient une sorte de complicité, qui, pour être en quelque sorte involontaire, n'en était pas moins effroyable, car elle tenait une justification toute prête à de nouveaux crimes et à de nouveaux excès. Il faut le dire aussi, plusieurs Girondins revinrent parmi nous l'âme ulcérée par leurs souffrances et prêts à seconder tout parti qui voudrait détruire la république. Le brave Louvet, revenu républicain de l'exil, se sépara d'eux quand il put les connaître. C'est eux que nous avons vus au 18 fructidor conspirer avec Pichegru. Ces hommes avaient dans leurs rangs des représentans du Midi, qui ne

craignirent pas de s'associer aux affreuses compagnies d'homicides, et à les encourager à la continuation de leurs forfaits. Voilà comme, quoique volontairement étrangers à la boucherie de patriotes commencée sous son règne, la nouvelle majorité conventionnelle en a en quelque sorte assumé sur sa tête l'onéreuse responsabilité.

A Paris, aucun mouvement portant ce même caractère d'anti-républicanisme n'éclata; mais on vit d'autres excès. Une jeunesse déchaînée par Fréron commit un grand nombre d'excès sous le prétexte de venger d'anciennes injures. Ce nom même de jeunesse dorée qu'on lui donna, indique assez qu'elle aimait à substituer l'élégance et la mollesse de l'ancien régime à l'austérité républicaine. Le chant du Réveil du peuple était le cri de guerre de cette armée de tapageurs et de mauvais citoyens. C'était en chantant cette hymne de discorde que les soldats musqués de Fréron venaient assaillir les patriotes, et les maltraiter quand ils se trouvaient sûrs par avance d'avoir à combattre six contre un.

J'ai rappelé de ces rassemblemens par une seule raison. C'est que j'en ai vu parler avec éloge, ou du moins on les excusait dans beaucoup de prétendues histoires de notre époque, tandis que dans aucun endroit je ne les ai vu apprécier avec une honnête sévérité à leur juste valeur.

C'étaient, dit-on, des jeunes gens échappés à

« PreviousContinue »