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CHAPITRE V.

De l'influence des clubs, de leurs avantages et de leurs dangers.

Quelques phrases concernant le club des Jacobins, jetées dans la première partie de mes Mémoires, ont attiré sur moi une foule d'injures et de calomnies: c'était assez, peut-être, pour me forcer à expliquer une fois pour toutes ma pensée entière sur cette société; mais une circonstance récente me fournit l'occasion d'une explication plus large, et je puis dire, en général, ce que je pense de ce genre de réunion. Certes, je ne m'attendais pas, quand je publiai mes deux premiers voluines, que la question des clubs redeviendrait, de mon vivant, palpitante de l'intérêt du moment, C'est une raison de plus, peut-être, pour la traiter avec menagement, mais non pour taire des vérités qui tôt ou tard se feraient jour, et qui ont droit d'être émises, par cela seul qu'elles sont des vérités.

En droit, la réunion d'un certain nombre de citoyens pour s'entretenir des affaires publiques, ne saurait être regardée comme coupable. Quels

sont les élemens des crimes et des delits? nuire à autrui et avoir intention de nuire; or, comment peut-on nuire à autrui en se réunissant paisiblement pour discuter des principes? comment peuton avoir l'intention de nuire par l'exposition de ses opinions, et la discussion des opinions des autres? Aussi le parti libéral a-t-il justement soutenu, pendant les quinze années de la restauration, que l'article 251 du code pénal contre les sociétés populaires était absurde et inapplicable. Les restaurateurs n'en continuaient pas moins à s'en servir, et ils avaient raison; car toute expression de l'opinion publique devait leur nuire. Mais les manoeuvres d'une faction ennemie ne font rien au droit et à la vérité, aujourd'hui, que les principes de la révolution triomphent, peut-on, doiton souffrir les sociétés populaires? En vérité, pour moi la question paraît singulière : je ne reculerai pas toutefois devant sa solution.

Dans nos sociétés modernes, en dépit de tous les efforts tentés par quelques hommes généreux pour établir l'égalité politique, il n'est que trop certain que toujours les lois seront faites et appliquées par une imperceptible minorité. Or, chacun reconnaît que c'est un grand mal. Du moins le gouvernement né de la révolution base comme nous le droit public sur la souveraineté du peuple. Il faut donc s'appliquer à trouver des moyens aussi étendus que possibles de consulter

l'opinion publique, là est désormais toute la science du législateur. A défaut des assemblées du Forum, il faut garantir au peuple la publicité la plus étendue; c'est le genre de discussion qui convient le mieux à notre état social. Certes, il produit moins immédiatement son effet que si chaque citoyen donnait son vote sur les lois; mais ce dernier résultat arrive au même but; car une fois l'opinion saisie d'une idée, il faut tôt ou tard que le gouvernement l'applique, sous peine d'être rebelle et parjure et d'exciter le soulèvement des populations. Aussi le plus grand attentat des gouvernemens de notre époque a-t-il été la tentative d'étouffer la publicité; c'est pour nous ce qu'aurait été pour les Romains la clôture du forum. Nos libéraux l'ont reconnu quand ils ont flétri les lois de censure et toutes autres mesures de ce genre; ils ont reconnu que, pour prévenir les délits possibles, l'administration ne devait pas interdire l'exercice d'un droit. Il y a ici parité entière entre la presse et les clubs : les mêmes principes leur sont communs, ils reposent sur les mêmes droits; on les attaque à l'aide des mêmes sophismes.

En effet, qu'est-ce que la réunion d'un certain nombre de citoyens pour discuter des questions d'ordre public? un usage du droit de publier ses pensées. La presse n'est qu'un mode de publication; ce n'est pas à ce mode que doivent tenir

les citoyens, mais au droit de publicité en luimême : or, soit en paroles, soit en actions le droit est le même; il n'a de limites que les droits d'autrui. Ainsi, ne pas obstruer la voie publique, ne pas troubler la paix des citoyens par des tapages, voilà tout ce qu'on peut poser pour bornes au droit de se réunir, sauf à répondre des délits ou crimes qui pourraient être commis au moyen de la réunion.

Mais, dit-on, des proclamations séditieuses peuvent être faites. Punissez les auteurs de ces coupables provocations, vous en avez le droit; mais les provocateurs peuvent exciter des troubles, des révoltes : Polignac et Peyronnet en disaient autant des journaux, et avec égale raison; vous répondiez alors : réprimez, mais ne prévenez pas. Il est contre toute raison d'interdire l'usage d'un droit, à cause des abus qui peuvent en être faits. Le devoir d'un gouvernement bien organisé est de veiller à la sûreté publique; il doit surveiller la conduite des citoyens, arrêter le délit ou le crime au moment où il présente un commencement d'exécution; là s'arrêtent ses droits, parce que là finissent ses devoirs : faire plus serait tendre à la tyrannie.

Ces argumens sont excellens pour les clubs comme pour la presse; l'un et l'autre est moyen de publicité, et rien de plus; l'un et l'autre peut être l'occasion de délits; l'un et l'autre est le mode

d'exercice d'un droit. Pour l'un comme pour l'autre, il faut souffrir l'usage et réprimer l'abus.

On insiste: on peut, dit-on, en laissant subsister les clubs, voir naître soudain une révolte organisée dans l'ombre; les passions auront été excitées, les intérêts éveillés, une trame aura été ourdie..... L'administration n'aurait-elle pas dû couper le mal dans sa racine?...

Oui, sans doute; mais qu'a de commun le tableau d'une conjuration avec celui que présente un club? Un club est, par sa nature, chose publique; c'en est assez pour que le droit de surveillance vous appartienne; la société qui vous le contesterait changerait, par cela même, de caracractère, et deviendrait une réunion de conspirateurs; or, on ne peut pas, que je sache, exciter une révolte sans l'avoir d'abord provoquée; les soulèvemens ne sont pas instantanés. Punissez les provocateurs, vous en avez le droit ; ce sera arrêter le mal par une répression salutaire et sans l'attentat d'une censure préalable. Faites plus, exigez la garantie de la connaissance des réglemens et des noms des clubistes, demandez communication de leurs procès-verbaux, etc.; tout cela est chose de police, tout cela est dans le droit de l'autorité, et, certes, il y a dans la combinaison de tous les moyens de surveillance licites de quoi prévenir des dangers véritables, s'il pouvait en naître. Comment veut-on, au contraire, employer

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