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CHAPITRE IV.

Discussions sur les parens d'émigrés.

Sur la publication des papiers

trouvés chez Robespierre. Destruction du club des Jacobins.

La guerre dirigée contre nous prenait de jour en jour un caractère plus grave; cependant elle n'avait rien de contre-révolutionnaire, rien même qui semblât annoncer la répudiation de notre passé. Aussi beaucoup de montagnards de bonne foi étaient jusqu'à present restés dans les rangs des montagnards: on n'osait encore rien désavouer le 31 mai, ni réclamer des vengeances contre les sauveurs de la patrie. Nous verrons bientôt la réaction prendre un caractère plus prononcé.

Jusqu'à présent Lecointre, qui, dans la suite, devait être victime des proscripteurs, semblait marcher à la tête du parti thermidorien. Toutes ses propositions, cependant, quoique souvent imprudentes, étaient dans le sens du retour à l'ordre, de la clémence. Il avait en vue des mesures réparatrices, mais non des moyens de

contre-révolution; il revint à nous dès que les trahisons de ses nouveaux alliés devinrent évidentes.

Les thermidoriens avaient décidément quitté le club des jacobins ; ils fondèrent en même temps un autre club, le club de Clichy, opposé à la fameuse société. C'est là que leurs projets de réaction s'élaborèrent. Comme il arrive toujours en pareil cas, les nouveaux affiliés de Clichy poussèrent les premiers fondateurs; il accueillirent parmi eux jusqu'à des contre-révolutionnaires déterminés, et l'opinion devint bientôt presque semblable à celle de Coblentz. Et cependant les anciens amis de Danton y restaient. On vit bientôt des motions incendiaires se succéder avec rapidité; Fréron les soutenait dans son journal; et, par une inconcevable bizarrerie, il s'appuyait de l'opinion de Marat son divin maître, et il intitulait sa feuille sanglante l'Orateur du Peuple. C'était dans ce misérable journal que la jeunesse dorée prenait le mot d'ordre pour ses odieuses expéditions. C'était là que se révélaient les projets des clichyens; c'était de là que partait le signal de tous les excès. Un jour il prit fantaisie à l'Orateur du Peuple de tonner contre les propriétaires des biens des condamnés et d'exciter contre eux à la vengeance; Lecointre alors fit une motion tendant à améliorer le sort des parens des condamnés; en même temps il s'éleva contre contre

les provocations de Fréron. Pour la dernière fois il s'associa aux thermidoriens, mais l'amour du bien qui éclatait dans ses paroles annonçait qu'il appartenait encore à la Montagne.

<< De nombreuses réclamations, dit-il, se sont fait entendre depuis long-temps de la part des parens des condamnés; chaque jour en produit de nouvelles; vous avez décrété que les femmes, que les enfans de ces citoyens, dont plusieurs sans doute ont été victimes, recevront des indemnités, des secours; vous avez voulu que les droits des femmes et des enfans soient respectés avec une telle justice que les meubles, outils, instrumens aratoires, usines, mesures propres aux fabriques, jouissance de baux, intérêts commerciaux, leur fussent conservés d'après l'estimation, en suivant la teneur des dispositions authentique. ment reconnues; sur le surplus des réclamations tendantes à obtenir de recouvrer en nature la propriété des immeubles, vous avez passé à l'ordre du jour.

<< Mais, citoyens, aujourd'hui un député, représentant du peuple le matin, journaliste le soir, au lieu de monter à cette tribune réclamer ces mêmes droits, crie dans sa feuille à l'injustice. << Justice! s'écrie-t-il, déchire tous les voiles qui couvrent encore ton front lumineux, romps entièrement le charme où des monstres barbares t'ont retenue si longtemps captive, et reçois au

jourd'hui dans ta balance la misère, les douleurs, les larmes et les réclamations de ces infortunés qui sont privés de leurs héritages par suite de la condamnation inique de leurs parens.

<< Financier barbare, dit-il, si ton cœur ne s'est point encore desséché tout entier dans ta poitrine, s'il a conservé encore une partie vive, si les eaux. du Styx t'ont laissé quelque endroit sensible, les cris de tant d'infortunés ne troublent-ils point ta main calculante? Législateurs, vous dit-il encore, toutes les fois qu'on vous entend parler de justice, on rappelle cette loi inique du sequestre des biens et qu'en voulez-vous faire de ces biens? qui en voudra? qui les achetera? quelle confiance peuvent-ils inspirer? Ces biens sont pleins de remords qui passeront dans le cœur de ceux qui se les approprieraient encore aux ombres des hommes justes qui ont été égorgés.

« Acquérir de pareils biens, continue-t-il, c'est se nourrir de la chair des cadavres et dévorer la cendre des infortunés; que dis-je! c'est manger le sang innocent qui dégoutte de l'échafaud, ou plutôt c'est boire celui de la veuve et de l'orphelin!»

«< Certes, citoyens, ce langage dans la bouche de ce représentant, ici à cette tribune, aurait bien un autre prix que dans des feuilles; c'est là, c'est ici que j'aurais désiré l'entendre quand cette question s'est agitée, et non dans une feuille où,

trop souvent à l'exemple de Marat, son divin maître, son éternel modèle, pour me servir de ses propres expressions, il porte la défiance, l'inquiétude, le découragement, l'exaspération, le désir des sombres vengeances dans tous les cœurs, dans tous les esprits.

« Vous avez sans doute été frappés comme moi des erreurs de ce journal, de l'impression et des suites qu'il peut avoir, d'une part, sur l'esprit des réclamans, naturellement aigris par leurs malheurs; de l'autre, sur celui des acquéreurs de ces mêmes biens, qui ont suivi la foi publique et vont être aujourd'hui réduits à craindre pour leurs personnes et leurs propriétés, par l'exaspération à laquelle il semble qu'on veuille porter les esprits, et ces craintes se borneraient-elles là? Non, celle de la dépossession des biens des émigrés, peut-être même des autres biens nationaux ne se ferait-elle pas sentir dans l'esprit des âmes faibles; et même les acquéreurs des églises, des presbytères n'éprouvent-ils pas dans les campagnes les plus vives inquiétudes à ce sujet?

C'est à vous, citoyens collègues, qu'il appartient de calmer, d'adoucir le malheur des uns, de rassurer l'anxiété des autres par un décret froidement et sagement médité dans un comité, ensuite discuté à cette tribune avec tout l'éclat et l'intérêt de l'impartialité qui conviennent à l'impor

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