Page images
PDF
EPUB

rompu cet équilibre qui doit toujours exister entre les différentes parties d'une société, cet équilibre que la Restauration avait merveilleusement représenté dans ses bons jours, et qu'elle seule était capable de maintenir. » Et il conclut qu'en « prenant le parti de vivre sans compromis et sans alliance embarrassantes, en s'interdisant de chercher désormais appui ailleurs qu'en elle-même, » la révolution n'aboutit qu'à une dangereuse extension du gouvernement de juillet, la république de 1818. L'auteur doit donc condamner 1830 comme 1848; toutes les tentatives révolutionnaires se tiennent et sont solidaires qui met le doigt dans l'engrenage y laisse son corps.

- A côté de cette page instructive d'un révolutionnaire désillusionné, nous voulons placer une page d'un conservateur attristé qui sonde, sans s'étonner, la profondeur de l'abîme, parce que, connaissant de vieille date la cause de nos maux, il sait où il faut chercher le remède. Dans un article intitulé: 1870-1871, le comte Franz de Champagny, après avoir rappelé que Niebuhr disait, le 5 octobre 1830 « Si Dieu ne vient pas miraculeusement à notre secours, nous avons devant nous un bouleversement pareil à celui qu'a subi le monde romain au milieu du va siècle, l'anéantissement du bienêtre, de la liberté, de la civilisation et de la science, » se demande d'où nous est venue « cette irrécusable instabilité du pouvoir telle qu'elle s'est vue tout au plus aux plus basses époques du Bas-Empire; cet obscurcissement du sens commun, cet affaissement de l'esprit public, cet effacement du sentiment national au profit de la manie révolutionnaire. Et, quand la révolution est arrivée à son extrême limite, d'où nous vient, d'où vient du moins aux classes populaires cette complaisance sympathique pour ceux qui l'ont faite, cette indifférence ou cette hostilité mal déguisée pour ceux qui la combattent; en un mot, ce goût de tout un peuple à sa propre ruine et cette insouciance de sa propre gloire?» Ah! c'est que, « au milieu de nos grandeurs, il y avait comme le ver qui ronge la moelle de l'arbre; il y avait, et depuis des siècles, chez notre nation, un esprit, je ne dirai pas seulement de raillerie, mais de raillerie åpre et destructive qui coexistait, je ne sais comment, avec des instincts chevaleresques, généreux, désintéressés... Un trait caractéristique de cet esprit de dénigrement, c'est l'absence de respect pour le passé. Nous sommes le plus antihistorique de tous les peuples, le plus étranger à la religion des souvenirs..... Notre veine satirique, après s'être épuisée sur tout le reste, s'est jetée sur les croyances... L'irréligion est devenue non pas le drapeau (ce mot est trop honorable et ne serait pas juste), mais le lieu commun de ce pays-ci; c'est l'idée de ceux qui n'ont pas d'idées... Il y a un stigmate sur notre nation, un stigmate non pas ineffaçable, grâce à Dieu,

1 Correspondant du 25 juin. Nous voulons aussi mentionner une trèsremarquable étude de M. L. Moreau, le traducteur de saint Augustin, intitulée: Le temps présent, pensées d'un homme obscur, à laquelle nous aimerions à nous arrêter (Revue du monde catholique, livraisons de juillet et d'août).

mais trop visible. Nous ne sommes pas la nation athée, je me refuse à blasphemer ainsi ma patrie; mais nous sommes une nation où l'athéisme du petit nombre triomphe, grâce à la torpeur et à l'inertie intellectuelle de la multitude... Nos malheurs ont été non-seulement le châtiment providentiel, mais la conséquence naturelle de notre défaillance religieuse... Avec le sentiment religieux, tous les sentiments désintéressés ont décliné : sentiment du devoir, esprit public, patriotisme, sentiment de famille, amour mutuel, tout cela chez nous s'est affaibli depuis vingt ans, depuis cinquante ans, parce que la foi s'est affaiblie... C'est cet effacement de l'idée du devoir, de l'amour mutuel, du patriotisme amené par l'effacement de la foi chrétienne, qui nous a valu tous nos malheurs. >

[ocr errors]

Avant de terminer cette Revue, nous ferons une excursion sur un terrain où nous n'avons pas coutume de nous aventurer, celui de la presse politique. Mais le journalisme commence enfin à comprendre sa mission, et tandis que, dans la presse révolutionnaire, nous assistons au déchaînement de l'impiété et de la rage, dans la presse conservatrice nous saluons avec bonheur des symptômes de régénération et de retour au Vrai. Le Moniteur universel du 13 octobre a publié un article de M. Xavier Aubryet que nous ne devons pas passer sous silence; il est intitulé: Les faux points de vue historiques, et consacré à protester contre ce que l'auteur appelle justement « le suicide national rétrospectif. nous, dit-il, l'Erreur a pignon sur rue, et la Vérité n'a même plus Chez de puits..... La France a le génie de l'inexactitude..... L'à peu près nous charme; l'absolu nous choque comme trop technique... Il nous manque d'ailleurs deux vertus vulgaires qui croissent comme le houblon sur la terre germanique : l'Attention et la Patience. » Aussi il n'est sottise que l'on n'invente et qui ne trouve des dupes, et nous sommes arrivés à compter une notion juste et saine pour cent allégations empoisonnées. M. Aubryet cite quelques-unes de ces «< formules haineuses, » de ces « mots d'ordre du mensonge qui servent de ralliement aux sots de tous les partis ; douleur que pour beaucoup de gens qui se jugent éclairés, la «< il constate avec France ne date que de 89. et jalouse qui supprime tant de siècles de grandeur, car la France « On peut dire que cette théorie étroite n'aura jamais un avenir aussi glorieux que son passé, a la force d'une opinion nationale... Nous feignons de croire que le Progrès, ce dieu qui ne connaît pas d'obstacles, ne peut être efficacement adoré que si nous jetons à la voirie non-seulement les renommées brillantes, mais encore des Pères de la patrie. La révolution a brutalement détruit les tombeaux de nos rois, comme un renégat qui brûlerait des portraits de famille! Les ingrats qui devaient placer Marat au Panthéon jetèrent au vent les restes d'Henri IV. Ah! si du moins un peu de cette poussière généreuse pouvait féconder les piétés patriotiques, comme une semence confiée au hasard fait cesser la stérilité d'un terrain ! » En terminant M. X. Aubryet formule le vœu que nous fassions de l'histoire une science exacte, et que nous imitions l'exemple des Anglais qui ont maintenant dans chaque capi

[ocr errors]

tale un délégué chargé d'extraire des archives étrangères tout ce qui intéresse les annales de leur pays, et qui élèvent ainsi patiemment, mûrement, et avec une harmonieuse vue d'ensemble, l'édifice de leur histoire. L'Histoire ne doit plus être en France ce qu'elle a été trop souvent: la passion politique au service des partis. Il est encore moins ridicule de prendre le Pirée pour un homme que de prendre la royauté française, cette génératrice de notre ingrat pays, pour la grande maîtresse de l'oppression. »

En même temps que des revues qui disparaissent, il y a des revues nouvelles qui font leur apparition. Nous saluons avec bonheur la Revue de l'enseignement chrétien, qui avait fourni une première carrière, il y a quinze ans et plus, et que le P. d'Alzon a fait reparaître à Nimes au mois de mai dernier. Aucune tâche n'est plus importante que celle que poursuivent le P. d'Alzon et ses zélés collaborateurs. La Revue des questions historiques a plus d'une fois insisté sur la nécessité d'une réforme dans l'enseignement; elle est heureuse de voir un organe spécial, aussi autorisé, prendre en main les intérêts de la jeunesse chrétienne, qui sont en même temps - les pages qui précèdent l'ont suffisamment montré - les intérêts de l'avenir de notre patrie.

FR. DE FONTAINE.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

Histoire des conciles d'après les documents originaux, par Mgr Ch.-Jos. HÉFÉLÉ, évêque de Rottenbourg. Traduite de l'allemand par M. l'abbé DELARC. Paris, Le Clére, 1870, in-8°, tome V.

On ne peut qu'applaudir au zèle de M. l'abbé Delarc pour nous offrir dans notre langue un des plus remarquables travaux de l'érudition allemande. L'ouvrage n'est pas ce qu'on appelle d'une lecture courante: les qualités et les défauts des savants d'outre-Rhin s'y rencontrent. La question scientifique est épuisée; les renseignements bibliographiques sont complets; la discussion et la critique des textes ne laissent rien à désirer la polémique alterne avec l'exposition doctrinale, et si on avance lentement, on procède sûrement. Voilà les qualités, mais voici les défauts : le récit est diffus, les digressions arrivent les unes après les autres, et font perdre de vue la question principale. Pourquoi M. l'abbé Delarc, qui connait les exigences de l'esprit français, ne présente-t-il pas, à la fin de chaque question, dans un résumé précis, clair, méthodique, les positions de thèse soutenues par le savant évèque ? Cet appendice serait sans doute apprécié par tous ceux qui auront besoin de recourir à l'Histoire des conciles, et nous espérons qu'ils seront nombreux. Tous nous avons besoin de remonter le niveau

de nos études et, lorsqu'il s'agit de l'histoire de l'Eglise, notre clergé ne peut être indifférent. Cette Histoire des conciles a sa place marquée dans toutes les bibliothèques cantonales que nous appelons de nos vœux pour faciliter le travail des conférences ecclésiastiques.

Dans le tome cinquième de son histoire, M. le docteur Héfélé traite de l'adoptianisme, cette erreur subtile qui distinguait entre le fils vrai et le fils adoptif de Dieu, afin de mieux proclamer les deux natures du Sauveur; les adoptianistes ne voyaient pas que les deux natures étaient unies dans une seule personne unique, que la divinité du Logos n'a pas été changée en la nature humaine, et la nature humaine prise par le Logos changée en la nature divine, que le fils de Dieu n'est pas distinc. du fils de l'homme, mais que Dieu-homme est le fils unique, véritable et réel de Dieu le père. Né en Espagne à la fin du vin siècle, l'adoptianisme eut des partisans et rencontra des adversaires. Le pape Adrien intervint aussitôt pour défendre la doctrine chrétienne.--Après avoir traité de l'adoptianisme, Mgr Héfélé raconte la part que l'Occident prit à la dispute au sujet des iconoclastes, et est ainsi amené à parler des Libri Carolini. La meilleure édition des Libri est celle donnée par Heu

mann en 1731, que Migne a négligée pour suivre celle plus défectueuse de Goldast. Contre Bellarminet Baronius, Mgr Héfélé soutient l'authenticité, déjà admise par Sirmond, des Libri Carolini, dus peut-être à la plume d'Alcuin. Cette authenticité est, en effet, difficile à nier, car le pape Adrien parle des Libri pour les réfuter, Hincmar aussi, ainsi que le synode de Paris; seulement Mgr Héfélé pense, et son avis paraît appuyé sur des arguments plausibles, que quatre-vingtcinq capitula ont été seuls présentés au pape, et que les Libri qui sont sous nos yeux sont une amplification faite plus tard, par ordre de Charlemagne, pour mieux démontrer les premiers capitula. Le but des Libri est de blåmer le synode iconoclaste et le synode catholique de Nicée, dont l'un voulait qu'on détruisit les images, et l'autre, disait-on, qu'on les adorât, polémique qui, pour ce dernier, repose sur une faute de traducteur.

L'histoire des discussions soulevées par Gotteschalk, partisan de la double prédestination, occupe ensuite le savant évêque; les noms de Scot Erigène, de Raban-Maur, d'Hincmar s'y trouvent mêlés; puis c'est l'affaire si grave du clergé français et de Louis le Débonnaire, et enfin les accusations portées contre les Latins par les Grecs qui commencèrent le schisme d'Orient. Photius est condamné par le pape, empressé de convoquer tous les synodes diocésains pour connaître les sentiments des évêques et on ne peut qu'admirer la prudence du Souverain Pontife pour préparer le huitième concile œcuménique de Constantinople, qui renouvellera la sentence de Nicolas et d'Adrien frappant Photius, concile confirmé ensuite par le pape et signé par les patriarches d'Antioche, de Constantinople, les évêques d'Athènes, d'Amasie, de Smyrne, de Rhodes, de Magnésie, etc..., tous ces

prélats grecs renouvelant, à la veille du schisme qui séparera l'Orient de l'Église catholique, leur adhésion aux antiques et vraies croyances. Les détails sont ici de l'intérêt le plus saisissant et le plus actuel.

Nous attendons avec impatience la suite de cette traduction d'un des ouvrages les plus importants qui aient été publiés de nos jours sur l'histoire de l'Eglise; mais nous réclamons le desideratum dont nous avons parlé, c'est-à-dire le résumé qui nous donnera les principales conclusions du savant auteur. H. DE L'E.

Les hérétiques d'Italie. Discours historiques de César Cantù, traduits de l'italien par Anicet DIGARD et Edmond MARTIN, t. V. Paris, Putois-Cretté, 1870, in-8°.

Le tome cinquième et dernier des Discours historiques de César Cantù sur les hérétiques d'Italie vient de paraitre, grâce à la persévérance de MM. Anicet Digard et Edmond Martin, ses courageux traducteurs. On ne peut qu'applaudir à cette œuvre de si longue haleine, remplie de faits, mis un peu pêle-mêle sans doute, mais qui ne se rencontrent ainsi groupés nulle part ailleurs. Nous l'avons dit plusieurs fois, nous le répétons: on apprend beaucoup dans ces volumes sur les hommes et les choses des cinq derniers siècles. Le dernier tome traite surtout du Jansénisme, des Encyclopédistes, de l'hérésie politique aux XVIII et xixe siècles, depuis Benoît XIV jusqu'à Pie IX. M. Cantù observe très-bien le double caractère du Jansénisme, démocratique dans l'Eglise, monarchique au dehors, parce qu'il cherche à obtenir la réforme de l'Eglise par d'autres que l'Eglise ; toujours subtil et ennemi déloyal, il exagère l'autorité et, par cette exagération et cet empiétement sur les

« PreviousContinue »