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» ses lignes de la Flandre; car les fortifications » extérieures n'étaient guère aujourd'hui que le quart ou le cinquième de la dépense néces» saire; les casemates, les magasins, les éta» blissemens à l'abri de la bombe, voilà désor» mais ce qui était indispensable, et ce à quoi » on ne pourrait suffire. » L'Empereur se plaignait surtout de la faiblesse de la maçonnerie actuelle; le génie avait un vice radical sur cet objet, il lui avait coûté des sommes immenses en pure perte.

L'Empereur, frappé de ces vérités nouvelles, avait imaginé un système tout à fait au rebours des axiomes établis jusqu'ici : c'était d'avoir un calibre de gros échantillon, poussé en dehors de la ligne magistrale vers l'ennemi, et d'avoir cette ligne magistrale elle-même, au contraire, défendue par une grande quantité de petite artillerie mobile; par là, l'ennemi était arrêté court dans son approche subite : il n'avait que des pièces faibles pour attaquer des pièces fortes; il était dominé par ce gros échantillon, autour duquel les ressources de la place, les petites pièces venaient se grouper, ou même se

portaient au loin en tirailleurs, et pouvaient suivre tous les mouvemens de l'ennemi par leur facile mobilité. Il fallait à l'ennemi dès-lors de l'artillerie de siége; il devait ouvrir la tranchée; on gagnait du temps, et le véritable objet de la fortification était accompli. L'Empereur a employé ce moyen avec beaucoup de succès, et, au grand étonnement des ingénieurs, à la défense de Vienne et à celle de Dresde: il voulait l'employer à celle de Paris, qu'il ne croyait défendable que de la sorte; mais du succès duquel il ne doutait nullement, etc...

Résumé des neuf mois écoulés.

Voilà déjà neuf mois que j'écris mon Journal, et je crains bien qu'au travers des parties hérétogènes qui s'y succèdent sans ordre, on n'ait que trop souvent perdu de vue mon principal, mon unique objet, ce qui concerne Napoléon et peut servir à le caractériser. C'est pour y suppléer, en tant que de besoin, que je vais essayer ici un résumé de quelques lignes; résumé, d'ailleurs, que je me propose, pour le même motif, de réitérer désormais tous les trois mois.

En quittant la France nous étions demeurés un mois à la disposition du brutal et féroce ministère anglais; puis notre traversée à SainteHélène avait été de trois mois.

A notre débarquement, nous avons occupé Briars, près de deux mois.

Enfin, nous étions à Longwood depuis trois mois.

Or, ces neuf mois eussent composé quatre

époques bien distinctes pour celui qui se serait occupé d'observer Napoléon.

Tout le temps de notre séjour à Plymouth, Napoléon demeura concentré et purement passif, n'opposant que la force d'inertie. Ses maux étaient tels et tellement sans remède, qu'il laissait stoïquement courir les événemens.

Durant toute notre traversée, ce fut en lui constamment une parfaite égalité et surtout la plus complète indifférence; il ne témoignait aucun désir, n'exprimait aucun contre-temps. On lui portait, il est vrai, les plus grands égards; il les recevait sans les apercevoir; il parlait peu, et toujours le sujet était étranger à sa personne. Quiconque, tombé subitement à bord, aurait été témoin de sa conversation, eût été bien loin sans doute de deviner à qui il avait à faire : ce n'était pas l'Empereur. Je ne saurais mieux le peindre dans cette circonstance, qu'en le comparant à ces passagers de haute distinction qu'on transporte avec grand respect au lieu de leur

mission.

Notre séjour à Briars présenta une autre nuance. Napoléon, réduit presqu'à lui seul, ne

recevant personne, tout à son travail, semblant oublier les événemens et les hommes, jouissait en apparence du calme et de la paix d'une solitude profonde, dédaignant, par distraction ou par mépris, de s'apercevoir des inconvéniens ou des privations dont on l'environnait ; s'il en exprimait parfois quelque chose, ce n'était que réveillé par l'importunité de quelque Anglais, ou excité par le récit des outrages faits aux siens. Toute sa journée était remplie par ses dictées; le reste du temps donné au délassement d'une conversation toute privée. Il ne mentionnait point les affaires de l'Europe; parlait rarement de l'empire, fort peu du consulat; mais beaucoup de son généralat d'Italie, et bien plus encore, et presque constamment, des plus minutieux détails de son enfance et de sa première jeunesse. Ces derniers sujets surtout semblaient, en cet instant, d'un charme tout particulier pour lui. On eût dit qu'ils lui procuraient un oubli complet; ils le portaient même à la gaîté. C'était presque uniquement de ces objets . qu'il remplissait les heures nombreuses de ses promenades nocturnes au clair de lune.

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