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les applications multiples qu'elle doit forcément recevoir? Et s'il est vrai que cette raison raisonnante, anticipativement légitimée par le législateur, conduise quelquefois à des résultats artificiels, ne nous procure-t-elle pas du moins une sécurité qui risquerait d'être compromise par un recours trop complaisant à la « nature des choses »?

Ces quelques réserves ne nous empêchent nullement de reconnaître que les tendances de M. Geny, considérées dans leur ensemble, sont à la fois salutaires et justes. Elles aboutissent à vivifier le droit; et aujourd'hui, plus que jamais, c'est le problème essentiel. La société évolue et se transforme avec une rapidité que l'on ne soupçonnait point jadis. Il importe que le droit la suive, ou plutôt la dirige; et pour pouvoir efficacement remplir ce rôle, il importe qu'il s'emprisonne aussi rarement que possible dans des formules rigides. On ne saurait d'ailleurs méconnaître aujourd'hui, dans la doctrine et la jurisprudence, cette disposition à l'assouplissement. M. Raymond Saleilles le remarque avec à propos dans l'excellente préface qu'il a écrite pour le livre de M. Geny. Le mérite de celui-ci est donc éminemment d'avoir fixé, d'avoir appelé à la lumière, à la conscience, des idées et des aspirations qui existaient avant lui à l'état d'éléments diffus et flottants. C'est en cela précisément, dans le droit comme ailleurs, que consiste l'oeuvre du créateur.

Nous voudrions encore louer comme il le faudrait l'érudition dont a fait preuve M. Geny. Bornons-nous à signaler sa connaissance singulièrement étendue de la science allemande. Les auteurs d'outre-Rhin sont les maîtres de sa pensée tout autant que les arrêts de la jurisprudence. française. Il leur doit sans aucun doute son goût pour l'analyse subtile des « concepts », pour les « constructions » juridiques (et peut-être également une certaine indifférence pour la sobriété du style). Il n'en reste. pas moins que cette alliance de l'esprit germanique et de l'esprit français est susceptible de donner les plus heureux résultats. Nous ne craignons pas d'être démenti en affirmant que c'est particulièrement le cas pour l'ouvrage de M. Geny.

MAURICE VAUTHIER.

12. L'Escaut est-il flamand ou brabançon? par CHARLES DUVIVIER, membre de l'Académie royale de Belgique. Extrait des Bulletins

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de l'Académie royale de Belgique. Hayez, Bruxelles, 1899, brochure. de 50 pages.

L'auteur de cet intéressant mémoire académique est à la fois historien et jurisconsulte. Il est l'un et l'autre avec une égale distinction, et la question qui fait l'objet de sa nouvelle étude lui permet de déployer et de combiner heureusement ses doubles mérites, la précision des faits lat clarté de l'exposé et de la discussion.

On s'est demandé, à diverses époques, à qui appartiennent les cours d'eau ? Le droit romain les a rangés parmi les choses communes, tandis que le moyen âge en a attribué la propriété aux souverains et, par trans-.

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mission, aux possesseurs de grands fiefs. Il en est résulté nombre d'entraves à la navigation, selon le caprice des maîtres.

Les fleuves internationaux surtout furent des sources de difficultés. De nos jours, l'Etat est devenu le maître exclusif des cours d'eau intérieurs; les rivières internationales ont été soumises à un régime conventionnel, qui n'a pas toutefois supprimé toutes les difficultés.

On a longtemps admis que la ligne médiane d'un fleuve bornant deux pays servait de limite à ceux-ci. Aujourd'hui, le droit international adopte plutôt la formule du thalweg.

Cependant, ce principe n'est admis « qu'à défaut de titres ou de possession contraire ». Certains pays se sont en effet réservé la possession, en tout ou en partie, de certains fleuves qui les séparent d'autres pays. Ces principes établis, M. Duvivier examine le cas intéressant de l'Escaut — du Rupel au Hont — qui limitait au moyen âge le comté de Flandre et le duché de Brabant?

L'Escaut était-il flamand ou brabançon ?

Le duc de Brabant avait des tonlieux sur certains points de la rive droite, à Anvers, notamment; par contre, les comtes de Flandre en prélevaient sur la rive gauche et concédaient même des pêcheries sur la rive droite.

<< Mais à qui appartenaient, se demande M. Duvivier, la seigneurie et la justice de l'Escaut? Frontière de l'empire et du royaume, du Brabant et de la Flandre, comment les délimitait-il ? Dépendait-il entièrement de l'un ou de l'autre, ou les séparait-il par son milieu? »

Il y eut à cet égard de longs débats entre les deux souverains. Un procès de 1331, jugé par des arbitres, donna raison au comte de Flandre.

Le duc de Brabant, malgré sa promesse de se conformer à la décision prise, n'en tint nul compte. Une guerre s'ensuivit: elle fut favorable à Louis de Nevers, dont un traité consacra les droits. Quelques concessions étaient accordées au duc Jean III, qui conserva entre autres le tonlieu d'Anvers.

Malgré l'authenticité incontestable de ce traité, les historiens anversois l'ont, ou bien qualifié de faux — c'est le cas du P. Papebroeck, — ou bien interprété de très singulière façon, au profit de leur ville et du duché de Brabant.

Peu après ce traité, du reste, Anvers devint ville flamande; puis s'accomplit la réunion de la Flandre et du Brabant, sous Philippe le Bon. Ces événements firent disparaître les occasions de complications internationales. Il se produisit pourtant parfois encore des conflits de juridiction.

Sous le règne de Charles-Quint, notamment, le magistrat d'Anvers, à trois reprises, se trouva en opposition avec le seigneur de Burcht et de Zwyndrecht, de la rive gauche. La question fut portée par les gouver

nantes Marguerite d'Autriche et Marie de Hongrie devant l'empereur lui-même, et pour ne pas faire céder une grande ville devant un seigneur de médiocre importance - malgré un droit acquis, le différend ne fut jamais tranché définitivement.

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Aprés la soumission, en 1540, des Gantois révoltés, Charles-Quint réduisit partiellement leur privilège en fait de batellerie, et s'attribua formellement la souveraineté des cours d'eau.

A part un incident soulevé au XVIIIe siècle à propos d'un individu né sur l'Escaut, il n'est plus question de la situation spéciale du fleuve jusqu'à la Révolution française.

Le Directoire, en 1797, fit appliquer à l'Escaut le décret de 1790, portant: « Lorsqu'une rivière est indiquée comme limite entre deux départements ou deux districts, il est entendu que les deux départements ou les deux districts ne sont bornés que par le milieu du lit de la rivière, et que les deux directoires doivent concourir à l'administration de la rivière. »

Pour supprimer les inconvénients produits par la situation de l'Escaut, limite, au point de vue du ressort des arrondissements judiciaires qu'il sépare, un projet de loi a été déposé à la Chambre belge par un député d'Anvers. Prenant pour point de départ le principe que c'est le thalweg du cours d'eau ou sa ligne médiane qui constitue la frontière des arrondissements limitrophes, l'auteur du projet propose de donner au demandeur le choix de porter l'action devant le tribunal de l'un ou l'autre de ceux-ci, afin d'éviter la confusion naissant de la difficulté de localiser exactement les points constitutifs et obligatoires, remorquage, assistance, abordage, etc.

M. Duvivier estime le procédé empirique et n'y voit point une solution satisfaisante. Il se prononce en faveur de la concentration de la juridiction d'un seul côté, au profit de l'arrondissement d'Anvers.

Le mémoire de l'éminent jurisconsulte soulève d'intéressantes questions d'érudition historique et de pratique juridique. Il est solidement documenté et enrichi d'annexes puisées aux archives. J. G.

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13. H. PIRENNE. Histoire de Belgique. Des origines au commencement du XIVe siècle. - Bruxelles, Lamertin, 1900, xII-431 pages.

Conçue dans le sens scientifique moderne, l'Histoire de Belgique de M. Pirenne, ne se rattache en rien à la conception traditionnelle de notre passé. Entre elle et les travaux de Moke, de Juste, de Namèche et de David, il n'existe aucune filiation d'idées. Tandis que ces historiens se plaisent à envisager le territoire belgique comme un composé de principautés distinctes, que le hasard seul a réunies ensuite sous un même sceptre, M. Pirenne voit au contraire l'unité dans la diversité. II remarque que notre histoire doit cesser d'être une juxtaposition d'histoires particulières, et qu'entre les différents comtés il s'opère, dès le

IXe siècle, un travail de rapprochement lent et continu, qui finit par emporter nos provinces vers l'unité politique.

Manifestement sous l'influence des idées du savant professeur de Leipzig, Karl Lamprecht, M. Pirenne envisage avant tout notre passé sous l'angle de la vie économique. Les faits particuliers, les batailles, les princes, tout ce qui, en un mot, constitue l'histoire purement politique ou militaire, recule au second rang. L'auteur s'attache à la psychologie de la masse plutôt qu'à celle de l'individu. Il n'admet par conséquent ni les récits circonstanciés, ni les faits, ni les dates, et franchement, il faut l'avouer, quiconque ne possède déjà dans la mémoire la charpente extérieure de notre histoire, ne peut comprendre que difficilement l'ouvrage dont nous rendons compte.

L'auteur a senti et montré que, malgré le dualisme de langue et de race, notre pays n'en constitue pas moins une unité et que notre vie nationale réside précisément dans ce double caractère mi-roman, mi-germanique qui nous distingue. Grâce à ce caractère, la Belgique a accompli admirablement et accomplit encore son rôle d'intermédiaire entre la France et l'Allemagne.

C'est au traité de Verdun, en 843, que commence notre histoire. Avant cette date, nos destinées se confondent avec celles de la France et de l'Allemagne ou pour mieux dire avec celles de l'empire carolingien en général. Du Ixe au XIe siècle, la féodalité accomplit son œuvre de morcellement, et au sortir de cette période ténébreuse, le territoire belgique nous apparaît comme une mosaïque de duchés, comtés et marquisats.

De toutes les principautés, qui se sont constituées entre la mer du Nord et le Rhin, la Flandre mérite d'attirer principalement l'attention. Pendant tout le moyen âge c'est elle qui dirige la vie économique, elle est en quelque sorte le cœur d'où s'échappe la vie vers toutes les parties du pays. C'est donc avec raison que M. Pirenne insiste tout particulièrement sur l'histoire des villes flamandes. Il retrace leur origine, leur développement tant interne qu'externe, les luttes sociales qui les ont déchirées. Il termine son premier volume au moment où la démocratie flamande triomphe sous les murs de Courtrai, à la sanglante journée de 1302. • Quoique l'auteur mette surtout en action les facteurs économiques, il serait cependant faux de prétendre qu'il entende réduire notre histoire à n'être qu'une question d'estomac. Il se préoccupe aussi du côté intellectuel, moral et religieux du peuple. Il nous dépeint dans ses grandes lignes ce qui constitue l'expression de la vie et du sentiment d'une nation la langue, la religion, la littérature, les beaux-arts.

G. DES MAREZ.

DE L'EXÉCUTION

DES SENTENCES ARBITRALES ÉTRANGÈRES

EN FRANCE,

PAR

M. AUGUSTE FIERANTONI,

sénateur,

professeur à l'université de Rome,

membre de l'Institut de droit international.

I

Le siècle qui va finir laisse aux siècles futurs un héritage dont on pourrait dresser l'inventaire, comme on dresse l'inventaire de la succession d'une personne défunte. Un des points les plus importants de ce bilan intellectuel, au point de vue du progrès juridique, serait certainement la contribution importante que le XIX siècle a apportée à la science du droit international. La science du droit international privé, spécialement, a été étudiée avec une ardeur qui mérite tout éloge. Les questions que Bartole et Balde ont eu la gloire de soulever les premiers n'avaient plus cessé, depuis cinq siècles, de préoccuper les jurisconsultes. Seulement, les règles qu'ils avaient établies ne garantissaient pas suffisamment les droits des étrangers, et les législateurs, dans leurs codes, avaient maintenu un droit traditionnel en désaccord avec les idées et les tendances nouvelles, fruit des transformations historiques. Mais les peuples ont brisé les barrières qui les séparaient et, sur le terrain du droit privé, ils se considèrent comme une grande famille : ils ont besoin de lois internationales, pour régler les transactions qui s'opèrent nécessairement entre des personnes habitant le même territoire, mais appartenant à des nationalités différentes.

Laurent a rappelé que, dans un rapport à l'Institut publié en 1843, le comte Portalis, premier président de la Cour de cassation de France, a employé l'expression de droit civil international. En 1841, le jurisconsulte allemand Schaeffner avait publié à Francfort un livre intitulé: Développement du droit international privé (Entwicklung des internationalen Privatrechts).

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