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rendue.... Fait et jugé par MM. Baudouin, président; Laporte, viceprésident; Le Berquie, juge.

Ce jugement a rompu avec l'opinion traditionnelle, qui remontait à la fin du siècle dernier. Les magistrats du tribunal de la Seine ont eu le mérite de faire enfin triompher la vérité sur l'erreur.

Qu'arrivera-t-il si la cour d'appel est saisie de la question? L'esprit juridique des juges d'appel, je n'en doute pas, leur fera confirmer le jugement que nous venons de reproduire. Ce jugement fait disparaître une grave anomalie entre la jurisprudence française et celle des États qui ont adopté la législation française.

Maintenant que les vrais principes sur l'exécution des sentences arbitrales ont été proclamés, les auteurs modernes, partisans de la doctrine de Merlin, sont obligés de modifier leurs théories. Si cependant ils persistaient dans l'erreur traditionnelle, ce serait le devoir des diplomates chargés de négocier les conventions relatives à l'exécution des jugements étrangers d'y faire insérer une clause assimilant complètement les sentences arbitrales aux jugements des tribunaux ordinaires.

REVUE DE DROIT INT. 32 ANNÉE.

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NAVIRES DE GUERRE ET PORTS NEUTRES,

PAR

M. FRÉDÉRIC BAJER,

président du Bureau international de la paix (Berne),

conseiller interparlementaire, député au Parlement danois (1872-1895).

Les navires de guerre doivent-ils être admis dans les ports neutres? On propose, en réponse à cette question, deux règles opposées : celle des ports ouverts et celle de la fermeture des ports neutres à l'égard des navires de guerre des États belligérants. Il ne s'agit, bien entendu, que de la règle à suivre en temps de guerre.

A chacune de ces règles, ceux qui les proposent apportent des exceptions. Mais on peut affirmer que si l'on était d'accord sur la règle, on serait bientôt d'accord au sujet des exceptions. Par exemple, les plus zélés partisans de la règle de la fermeture des ports admettent l'exception de la véritable détresse ». Laissons donc de côté les exceptions ('). C'est du choix de la règle que nous nous occupons rien n'est plus important que d'adopter un principe juste; car, si le principe adopté n'est pas juste, toutes les conséquences qu'on en tirera seront fausses.

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Nous n'avons pas la prétention de décider quel est le vrai principe. Nous nous bornons à exprimer un doute la règle de la fermeture des ports, adoptée le 23 août 1898 par l'Institut de droit international, doit-elle être adoptée aussi par la Conférence internationale sur les droits et les devoirs des neutres, dont la réunion forme l'objet du deuxième << vœu de la Conférence de la paix, tenue à la Haye en 1899? Si nous nous permettons d'attirer l'attention sur ce point, c'est qu'il est, nous semble-t-il, de la plus grande importance. Nous ne demandons pas à l'Institut de revenir dès maintenant sur sa décision. Mais au sein de l'Institut a été nommée une commission, chargée d'étudier le régime de la neutralité (le rapporteur est M. le chevalier E. Descamps, qui s'est distingué à la Conférence internationale de la Haye). Si les décisions que l'Institut adoptera en cette matière sont quelque peu en désaccord avec la décision de 1898, l'Institut pourrait plus tard

(1) Annuaire de l'Institut de Droit international, t. XVII, p. 85 (art. 242). Comparez p. 58 (art. 6), où se trouve la règle contraire.

y porter remède en revenant sur cette dernière. C'est ainsi que, dans sa session de Copenhague, en 1897, l'Institut a modifié le projet de règlement sur les prises, adopté en 1887, et cela en vue de le mettre en harmonie avec le règlement sur la contrebande de guerre, voté en 1896. Cette correction fait honneur à la sagesse des membres de l'Institut; il est beau, il est digne d'un esprit vraiment scientifique de savoir modifier une conclusion à laquelle on était arrivé, quand on en a reconnu l'inexactitude.

D'ailleurs, l'Institut lui-même semble avoir hésité avant de faire choix du principe qui détermine le régime des navires de guerre dans les ports neutres, en temps de guerre.

C'est M. Féraud-Giraud qui, au nom de la Commission de l'Institut, fit rapport sur cette question et proposa un projet de règlement. M. R. Kleen était corapporteur. Ce rapport et ce projet sont imprimés dans l'exposé des travaux qui ont précédé la session de Venise (1896). La matière était traitée dans son ensemble, et la Commission était arrivée à des conclusions précises, formulées sous ce titre Du régime légal des navires et de leur équipage dans les ports étrangers; droit de police et de juridiction »; mais les deux rapporteurs ayant été empêchés d'assister à la session de Venise, l'examen définitif de la question fut renvoyé à une session ultérieure.

A Copenhague, en 1897, les deux rapporteurs étaient encore absents. Néanmoins, l'Institut procéda en séance plénière à l'examen du projet de règlement. M. de Montluc accepta la mission de remplacer les rapporteurs absents. Malheureusement, le défaut de temps ne permit l'adoption et la discussion que de la première partie du projet. L'étude de la seconde partie fut renvoyée à la prochaine session. Dans celle de Copenhague, on ne vota que le règlement sur le régime des ports en temps de paix.

C'est à la Haye, en 1898, que l'Institut eut à discuter le règlement sur le régime des ports en temps de guerre. M. Kleen était présent. Il avait fait imprimer d'avance un texte qui différait du projet de M. Féraud-Giraud, empêché, lui, d'assister à la session.

Voici le commencement du passage dont il s'agit, dans la rédaction de M. Féraud-Giraud, qui constituait le projet officiel de la Commission : ‹ A moins de défense expresse et officiellement notifiée aux belligérants, ils ont le droit de pratiquer les ports neutres, même avec leurs navires de guerre. »

La concession d'asile dans ces circonstances est toutefois une faculté, non une obligation; c'est un droit, non un devoir (1)... »

Ces dispositions sauvegardent parfaitement les droits découlant de la souveraineté des États neutres. Ils sont libres d'interdire aux belligérants l'entrée de leurs ports, mais cette interdiction doit être notifiée d'avance. A défaut de notification, les belligérants ont le droit de pratiquer les ports neutres. Cette règle est conforme au vieil usage international d'après lequel les États neutres qui possèdent des ports dans le voisinage du théâtre de la guerre notifient aux belligérants quels ports, parmi ceux-là, seront fermés (2) et sous quelles conditions il sera permis aux navires de guerre des belligérants d'entrer dans les autres ports. C'est la règle des ports ouverts; car on présume ouverts tous ceux que l'État ne s'est pas réservé de fermer; les ports fermés sont seuls nommés dans la notification; ils constituent l'exception. Cette règle paraît aussi la plus pratique. En effet, la fermeture des ports doit être effective, comme le blocus. Les petits États qui possèdent des côtes très étendues, mais n'ont pas de forces maritimes suffisantes pour empêcher matériellement les navires de guerre étrangers d'entrer dans leurs ports, ne peuvent pas accepter, nous semble-t-il, un régime leur imposant des dépenses exagérées, impossibles à supporter sans épuiser leurs finances, ou en vue desquelles leurs gouvernements n'obtiendraient même pas des Parlements les crédits nécessaires. Seul, l'État neutre peut savoir, le cas échéant, quels ports il convient de déclarer fermés, à cause de leur proximité du théâtre de la guerre, ou parce que la neutralité du pays serait violée si un des belligérants en faisait la base de ses opérations, etc. Seul, l'État neutre peut voir s'il dispose des forces militaires nécessaires pour défendre effectivement l'entrée de ces ports.

Peut-être la rédaction de M. Féraud-Giraud aurait-elle besoin d'une légère retouche. M. Buzzati a déclaré ne pas comprendre le mot ◄ droit », employé pour désigner la faculté qu'ont les belligérants de pratiquer les ports neutres dont la fermeture n'est pas notifiée.

(1) Suit l'énumération des conditions auxquelles l'admission des navires peut être subordonnée, etc. Ce sont des détails, sans doute peu susceptibles de donner lieu à discussion et que nous pouvons négliger. Nous ne nous occupons que des règles principales. Pour les détails, voyez l'Annuaire de l'Institut.

(2) Le Danemark, dans sa déclaration de neutralité à l'époque de la guerre de Crimée, ne s'était réservé la fermeture que du seul port de Kristianso, le plus rapproché de la Russie.

M. Kleen, tout en défendant l'exactitude du mot « droit », s'est montré habile tacticien. Il a, pour éviter tout malentendu », proposé un amendement au texte de M. Féraud-Giraud. Cet amendement a été voté sans opposition, presque par surprise, et il consacre le principe de la fermeture des ports!

Voici ce texte, qui a été adopté au lieu de celui de la Commission, cité plus haut:

La concession d'asile aux belligérants dans les ports neutres, tout en dépendant de la décision de l'État souverain du port et ne pouvant être exigée, est présumée, à moins de notification contraire préalablement communiquée.

Toutefois, quant aux navires de guerre, elle doit être limitée aux · cas de véritable détresse, par suite de, etc., Mais laissons les détails de côté.

D'après cette disposition, tous les ports neutres sont donc, en principe, fermés aux navires de guerre qui ne se trouvent pas dans un cas de « véritable détresse ».

M. Kleen semble avoir eu lui-même, en défendant sa proposition, le sentiment qu'elle était trop radicale, trop sévère. On peut, en outre, a-t-il dit, autoriser l'arrêt de vingt-quatre heures. » De même, dans les observations imprimées qui accompagnaient son projet, on lit Si la majorité trouvait cette sévérité trop grande, une nuance mitigée serait celle qui accorderait un asile sans détresse pour vingtquatre heures au plus, sous condition, bien entendu, de ne pas amener des prises ni se renforcer (législation britannique et italienne). Une nuance plus mitigée encore accorderait, en outre, un délai de vingtquatre heures après les mesures de sauvetage, pour la sortie des navires entrés en détresse (législation britannique). ›

On peut donc espérer que M. Kleen lui-même sera disposé à voter une proposition transactionnelle, si la même question est prévue dans le rapport et le projet que va préparer, pour une session prochaine de l'Institut, la Commission chargée d'élaborer un règlement sur le régime de la neutralité.

Nous nous permettons, à ce point de vue, d'attirer l'attention sur les règles suivies par le Danemark, en 1898, pendant la guerre entre l'Espagne et les États-Unis. L'éloignement du théâtre de la lutte ne faisait pas supposer que les effets de la guerre se feraient sentir dans les eaux territoriales du royaume proprement dit; mais il n'en était pas de

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