TRENTE-DEUXIÈME ANNÉE REVUE DE DROIT INTERNATIONAL ET DE LÉGISLATION COMPARÉE. PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE MM. T.-M.-C. ASSER, conseiller d'État (la Haye); - ROLIN-JAEQUEMYNS, ministre plénipo- - ÉDOUARD ROLIN, avocat, 161, avenue Louise, à Bruxelles, Rédacteur en chef AVEC LE CONCOURS ET LA COLLABORATION DE MM. Alcorta, professeur à l'université de Buenos-Ayres. Pasquale Fiore, professeur à l'université de Naples. T. E. Holland, professeur à l'université d'Oxford. Franz Kasparek, professeur à l'université de Cracovie. F. de Martens, membre permanent du conseil du K. d'Oliveorona, conseiller honoraire à la cour suprême Polydore de Paepe, conseiller honoraire à la cour de Pierantoni, sénateur, prof. à l'université de Rome. Albéric Rolin, professeur à l'université de Gand. M. Vauthier, professeur à l'université de Bruxelles. ET D'UN GRAND NOMBRE DE JURISCONSULTES ET D'HOMMES D'ÉTAT Administrateur gérant : M. PAUL HYMANS, avocat, chargé de cours à l'université, BRUXELLES, BUREAU DE LA REVUE : 9, RUE D'EGMONT. DE DROIT INTERNATIONAL ET DE LÉGISLATION COMPARÉE. LES GRANDES PUISSANCES DANS LE DROIT PAR M. GEORGES STREIT, Professeur à l'Université d'Athènes, Associé de l'Institut de droit international. Grâce au savant maître, auquel j'ai l'honneur de succéder dans cette chaire, je trouve fondée sur des bases solides l'œuvre que je suis appelé à continuer (1). Mon prédécesseur a basé tout son édifice du droit international sur deux principes fondamentaux; il a tracé le chemin que la science du droit des gens doit suivre aussi en Grèce; il a conçu et enseigné le droit international comme un droit positif; il a nettement séparé la science de ce droit de la politique. La conception du droit international comme droit positif est une des (1) Leçon d'ouverture du cours de droit international faite, en février 1898, à la Faculté de droit d'Athènes. Traduction du grec. L'auteur a cru devoir reproduire anssi le préambule de sa leçon, qui a trait aux principes qu'il énonce comme formant la base de son système et qui, en même temps, contient un hommage à son prédécesseur à la chaire de droit international, M. E. Streit, qui, appelé au poste de ministre des finances, s'est éloigné de l'université. Il sera peut-être de quelque intérêt de connaitre les principes qui, depuis une trentaine d'années, ont servi de base à l'enseignement du droit des gens en Grèce. Quant au sujet même de cette étude, l'auteur l'a malheureusement traité avant la publication, dans cette revue, de l'article magistral de M. ERNEST NYS sur le « Concert européen ».(Voir t. XXXI, p. 273.) Il a été heureux de voir qu'il concorde absolument avec lui dans l'appréciation de la nature juridique de ce concert et se permet de renvoyer à l'étude de son éminent collègue de Bruxelles. acquisitions les plus précieuses dans notre science juridique moderne. Le droit international n'est pas un ensemble de règles de la logique; il n'est pas le droit tel qu'il devrait être appliqué dans les relations des États entre eux; il n'a pas sa source dans le droit divin ou dans un soidisant droit naturel, comme d'aucuns l'ont prétendu; le droit international est un droit positif, appliqué en temps et lieu déterminés; c'est le droit qui régit la société des nations, fondé sur la conscience commune et sur l'acceptation générale. Quelle que soit notre conviction de la préçision logique d'une règle dans les relations entre les États, nous ne pourrons la considérer comme émanant du droit international que si nous sommes certains que les États l'appliquent par le motif que leur conscience juridique la leur impose. Certes, l'idée est très attrayante pour l'homme de science de pouvoir, de son cabinet de travail et du haut de sa chaire, après une étude consciencieuse de la nature de l'État ou du but de la société des nations, découvrir des principes immuables régissant cette société humaine, la plus importante de toutes, et de poser les règles auxquelles les États doivent obéir dans leurs relations. Mais un tel droit serait contraire à la réalité et à la vérité, par conséquent contraire à la science même. Ne pas distinguer clairement ses propres vœux du droit positif serait tomber dans l'arbitraire, et l'arbitraire a beaucoup nui et nuit encore au droit international. Nous évitons cet arbitraire, si nous distinguons le droit en vigueur de celui qui devrait être d'après notre opinion personnelle, si nous cultivons le droit international comme un droit positif, conformément à ce que nous sommes habitués de faire pour les autres branches du droit. Mais on court un autre danger non moins grave en s'occupant du droit international. Le droit international est en contact perpétuel avec la politique extérieure des États et notre attitude vis-à-vis des différents États est souvent influencée par nos sentiments, soit parce que, appartenant à un État en qualité de sujets, nous lui sommes attachés par des liens indissolubles, soit parce que nous ressentons de l'amitié ou de l'antipathie vis-à-vis de certains États étrangers. Ces sentiments, même s'ils sont naturels et justifiés autant que possible, sont étrangers à la science, qui doit toujours procéder sine ira et studio. Tout examen objectif est difficile, la nature humaine étant encline au subjectivisme; pareil examen est plus difficile encore en droit international, où il se heurte souvent au sentiment de l'amour de la patrie; cependant l'exa men objectif est nécessaire, si l'on ne veut pas abaisser la science et la faire aboutir à une lutte des passions humaines, des sympathies et des antipathies. D'ailleurs, si l'on va au fond des choses, c'est rendre un mauvais service à son propre État que de négliger le droit pour faire de la politique; car tout conflit entre la politique et le droit ne peut être que passager et n'existe qu'en apparence. La politique est l'art de diriger l'État pour le mener le plus parfaitement possible à son but, et la science qui traite de cet art. La politique extérieure est l'art de diriger l'État dans ses relations avec les autres États. Le droit international pose des limites à cette politique extérieure, en prescrivant ce qui est permis et ce qui est défendu aux États. Mais ce n'est que par cette délimitation de la liberté, comme d'ailleurs dans le droit interne aussi, que la vraie liberté est assurée; cette délimitation, faite dans l'intérêt commun de la société des nations, sert naturellement aux intérêts de chacune d'elles. Quoi qu'il en soit, la base de tout examen scientifique en droit international doit être le principe que le droit international est au-dessus des États, supérieur à leurs intérêts particuliers, et que son étude doit rester exempte d'arrière-pensée. Le droit international est donc un droit positif il s'impose à la politique. Ces deux principes ont servi de fondement à l'enseignement. du droit international qui m'est transmis aujourd'hui ; j'ai cru devoir les indiquer en quelques mots, comme hommage à mon prédécesseur et pour marquer la voie que moi-même je me suis tracée. On pourrait longuement développer ces considérations d'ordre général. Cependant, contrairement peut-être aux usages reçus, je préfère prendre un thème plus spécial pour mon discours d'ouverture; je le choisirai parmi les questions qui sont intimement liées principes fondamentaux du droit international et qui nous ont tous préoccupés dans les complications internationales de ces derniers temps. aux Il y en a qui croient qu'en droit international nous nous trouvons à la veille d'un changement radical du système de la société des nations ou, peut-être même, que ce changement s'est déjà produit en partie. L'action commune des grandes puissances dans plusieurs des ques |