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8.

ministration des domaines, ne différera de toute autre action qu'en un seul point, c'est qu'on ne pourra l'engager qu'après la remise préalable d'un mémoire qui, examiné dans le délai d'un mois par l'administration des domaines, mettra celle-ci dans le cas d'obvier, par un paiement volontaire, à un procès également préjudiciable à toutes les parties.

Ce cautionnement, d'une espèce tout-à-fait nouvelle, tient un rang important dans la loi qui vous est proposée, et ne saurait manquer d'être reçu avec reconnaissance.

Le délaissement d'un fonds qu'on affectionne peut contrarier sans doute; mais c'est un sacrifice qui coûte beaucoup moins, quand on est sûr d'être bien payé, et l'infaillible garantie qu'offre, sur ce point, notre projet de loi, est une immense amélioration dans cette partie. Vous connaissez maintenant, Messieurs, les principales vues de ce projet.

On n'y a négligé aucuns intérêts, pas même ceux des tiers qui auraient des actions à faire valoir sur les sommes dues, à raison de l'expropriation ou cession; mais il a paru inutile de fixer spécialement votre attention sur des dispositions qui n'ont rien que de conforme au droit commun.

Au surplus, en réglant ce qui est relatif aux expropriations pour cause d'utilité publique, l'on n'a pas dû comprendre dans ce cadre déjà assez vaste des objets qui lui sont étrangers.

De ce genre sont les occupations de terrain que commanderaient des circonstances fortuites, telles que la rupture d'une digue, la submersion d'une route, ou d'autres accidens de cette nature. Là, les mesures doivent être promptes, et l'on ne saurait prescrire l'emploi de beaucoup de formalités pour des cas aussi urgens.

Mais ce ne sont pas des mesures de cette espèce, for

9.

tuites et momentanées, que l'on peut assimiler aux expropriations, objet de votre délibération actuelle.

A l'égard de celles-ci, je vous ai exposé toutes les vues qui s'y rapportent.

Empêcher, par l'établissement de formes solennelles, qu'on n'abuse d'une cause respectable et sacrée; écarter, par l'influence d'une commission paternelle, les griefs que pourraient faire naître de fausses et mauvaises applications dans les détails; établir les tribunaux gardiens de ces formes protectrices, et juges de tous les intérêts pécuniaires; enfin assurer le paiement par les plus infaillibles voies; tel est le but du nouveau système, tels sont les avantages qu'il promet et qu'il tiendra.

C'en est dès à présent un bien grand que de donner des règles à une partie qui, dans beaucoup de points essentiels, n'en avait pas de positivement tracées par la législation, et où tant de mal eût pu se faire, si les vues justes et sages de l'administration n'eussent ordinairement tempéré les fâcheux effets de cette immense lacune: il ne convenait pas moins de sortir d'une position aussi précaire; car la justice des hommes a besoin elle-même d'être soutenue et éclairée par la justice des lois.

En examinant, Messieurs, dans son ensemble et dans ses détails le projet de loi qui vous est soumis, vous jugerez sans doute qu'il ne pouvait faire davantage pour la sécurité des propriétaires, et vous l'accueillerez comme digne de tenir sa place parmi les institutions données à un grand peuple par un grand prince.

X.

RAPPORT

Fait au nom de la commission, par M. RIBOUD, dans la séance du Corps Législatif du 8 mars 1810.

SOMMAIRE ANALYTIQUE.

1. But du projet, et notions préliminaires sur l'inviolabilité de la propriété et sur l'obligation de la sacrifier néanmoins à l'utilité publique ; de la manière dont ce dernier principe a été mis en action chez les différens peuples; sur la législation de l'Assemblée Constituante, et sur la législation actuelle qui en a remis l'application à l'administration exclusivement; sur les inconvéniens de ce système, qu'on ne peut corriger qu'en faisant intervenir les tribunaux.

2. Plan et division du projet.

3. A défaut de consentement, l'expropriation ne peut avoir lieu que par l'autorité des tribunaux; leurs attributions et celles de l'administration sont réglées de manière que chacun des deux pouvoirs a celles qui lui sont propres, et qu'il n'y a pas confusion entre eux.

4. Sagesse et simplicité des formes qui garantissent les droits des intéressés. -Action de l'administration. -Action des tribunaux.

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5. Procédure devant les tribunaux. Pourquoi l'expropriation peut être ordonnée sans la présence du propriétaire et avant le réglement de l'indemnité; et garanties que la loi ménage au propriétaire.

6. D'après quels documens le tribunal fixera l'indemnité. 7. Garanties données aux tiers qui ont des droits.-Dépossession provisoire quand les circonstances l'exigent.—Elle ne blesse pas l'art. 545 du Code Civil et y est au contraire très conforme. Comment il faut entendre l'expression préalable qu'emploie cet article.

I.

8. Recours ouvert au propriétaire, pour son paiement, contre l'administration du domaine.

9. Dispositions générales qui forment le Titre IV.

10. Résumé des raisons qui recommandent le projet de loi. 11. Proposition de l'adopter.

TEXTE DU RAPPORT.

MESSIEURS, le projet de loi qui vous est proposé a pour but de concilier l'intérêt général et l'intérêt particulier, lorsque la remise de quelque propriété devient nécessaire pour l'utilité publique, et d'établir des règles justes, d'après lesquelles sa cession volontaire ou forcée doit être effectuée.

En ce dernier cas, il s'agit d'opérer envers l'administration, la transmission légale et authentique de cette propriété; c'est-à-dire, d'en exproprier celui auquel elle appartient. Un acte aussi important doit être précédé et environné de formes protectrices capables d'assurer au propriétaire tous les moyens de faire valoir ses droits, et à l'administration tous ceux d'être investie régulièrement de la chose d'autrui. En conséquence, il convient que cet acte ne puisse émaner de l'autorité qui le provoque, mais d'une autorité tierce et indépendante; l'une des parties intéressées ne peut juger en sa propre cause.

La prospérité des nations est trop essentiellement liée au respect pour les propriétés; ce principe fondamental, consacré dans l'article 544 du Code Civil, est trop universel pour que je me permette aucune digression sur ce point. Il n'est susceptible d'exception que dans le seul cas où l'utilité publique la réclame: cette exception forme elle-même un second principe, dont la source n'est pas moins pure que celle du premier, et le même Code le proclame dans l'article 545.

Si la société doit aux individus protection et moyens

de subvenir à leurs besoins, les individus doivent, à leur tour, à la société, le concours de leurs forces et de leurs facultés, pour la mettre en état de remplir ses obligations à leur égard. Par suite de ce pacte réciproque, le droit de propriété, toujours inviolable en particulier, entre les gouvernés, peut quelquefois cesser de l'être entre le gouvernement et eux, lorsqu'il s'agit de l'utilité commune, parce que l'intérêt de la masse doit l'emporter sur celui des fractions. Sans cette faculté, les gouvernemens seraient dans l'impuissance de rien entreprendre d'utile ou de grand pour l'État ; l'agriculture, le commerce, l'industrie et les arts ne pourraient faire de progrès; la nature serait abandonnée à elle-même, et les ressources des hommes s'affaibliraient bientôt au lieu de s'accroître.

Le danger d'un tel inconvénient a dû nécessiter le principe d'une dérogation au droit individuel plus ou moins réglée, selon les divers degrés de la civilisation et les gouvernemens; dans les sociétés voisines de la barbarie, de l'ignorance ou de la servitude, le délaissement de la propriété particulière n'a dû être qu'un acte de soumission à la force; l'idée de l'accompagner d'un dédommagement, n'a pu s'introduire que successivement avec les principes d'une législation plus conforme à la raison et à la justice.

Il serait plus curieux qu'utile de rechercher si chez les peuples anciens, les plus distingués par leurs travaux et leurs édifices publics, les propriétaires étaient indemnisés des sacrifices nécessairement fréquens, qu'exigeait l'exécution de tant d'ouvrages dont les vestiges excitent encore notre admiration. Ce ne serait pas moins vainement aussi qu'on tenterait de découvrir ce qui se pratiquait, à cet égard, dans les premiers âges de la monarchie française, et sous le régime féodal; dans ces temps où les souverainetés étaient très subdivisées, chaque chef

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